L’irrigation gravitaire par béals (canaux) est une pratique ancestrale en Lozère. L’accès à l’eau et la disponibilité de la ressource ont toujours été des problématiques majeures sur ce territoire. En raison des étiages forts et de l’irrégularité des apports pluviométriques, causant surabondance ou déficit chronique, la préservation de la ressource en eau a généré la mise en place d’outils gestionnaires et réglementaires au fil du temps.

L’irrigation gravitaire par béals (canaux) est une pratique ancestrale en Lozère. L’accès à l’eau et la disponibilité de la ressource ont toujours été des problématiques majeures sur ce territoire. En raison des étiages forts et de l’irrégularité des apports pluviométriques, causant surabondance ou déficit chronique, la préservation de la ressource en eau a généré la mise en place d’outils gestionnaires et réglementaires au fil du temps. Sur certains des secteurs les plus contraints du département de la Lozère, les générations lozériennes se sont succédé en s’adaptant et en réalisant des travaux importants de nivellement et d’aménagement : canaux d’adduction d’eau, terrasses, murets en pierre sèche. Ces ouvrages sont aujourd’hui toujours visibles et utilisés dans les Cévennes, notamment sur les secteurs des Gardons et du Chassezac, mais également en Margeride et sur le bassin versant de la Colagne. Le nombre d’usagers actuels reste néanmoins relativement difficile à appréhender.

La mise en place des béals a donc permis le développement de l’activité agricole (irrigation, abreuvement des animaux), mais également le fonctionnement des moulins et la circulation de l’eau sur le territoire, en favorisant le ralentissement des écoulements et le soutien des sources. Aujourd’hui, les béals constituent un véritable patrimoine en perdition. Ils sont les témoins de l’histoire des lieux et des hommes, des difficultés et des adaptations mises en place.

De manière générale en Lozère, l’irrigation par béals est réalisée par des individus, agriculteurs ou non. Sur certains bassins versants, ces usagers se regroupent en collectif ou association pour réaliser des ouvrages de prélèvement et de transfert, puis pour assurer leur gestion quotidienne et leur maintenance. Cela contribue à mettre en place une gestion concertée et durable de la ressource en eau. Les irrigants perpétuent ainsi cette tradition et technique d’irrigation ancestrale, tout en veillant à asseoir le statut juridique du collectif constitué et à minimiser leur impact sur le milieu naturel.

Lieu(x) de la pratique en France

 

Occitanie, Lozère

 

 

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

 

Des systèmes similaires se retrouvent dans les zones de montagne en France et plus généralement dans le monde : Cévennes et plus généralement Massif Central (France) ; Pyrénées (France, Espagne) ; Alpes (France, dont Briançonnais, Suisse, Italie) ; Corse (France) ; Atlas (Maroc) ; Himalaya ; Andes...

Le type d’infrastructure et le mode de gestion associé sont eux-mêmes très répandus et concernent une majorité des grandes plaines irriguées dans le monde. La technique d’irrigation de surface ou « irrigation gravitaire » est pratiquée sur 85 % des surfaces irriguées dans le monde. Ainsi, les canaux d’irrigation gravitaire (plaine de la Crau, Bouches-du-Rhône ; basse vallée de la Durance ; plaine du Roussillon), gérés collectivement, présentent un certain nombre de similarités (en termes d’infrastructures et de mode de gestion), tout comme de nombreux systèmes collectifs dans des grandes plaines cultivées au Maghreb ou en Asie.

Du fait des contraintes du territoire en Lozère, les béals ont été façonnés par l’homme depuis des années. Pour permettre leur viabilité, un certain nombre d’éléments doivent être pris en compte, comme l’accessibilité des matériaux, la topographie et la ressource disponible au regard du parcellaire à irriguer. La faible pente des béals permet d’amener l’eau à plusieurs kilomètres de la prise le long des versants, et ainsi d’approvisionner parcelles, terrasses, ou encore moulins, qui n’auraient jamais pu l’être sans ces aménagements car situés plus haut que les cours d’eau.

Leur construction et leur entretien requièrent de maîtriser des notions d’hydraulique (pente, débit, répartition de l’eau...), mais également des gestes techniques artisanaux de la construction (pierre sèche, maçonnerie, seuil...) et technicité, notamment par rapport à la perméabilité des ouvrages.

Au-delà des connaissances techniques associées à l’usage des béals, leur gestion est toute aussi importante à leur bon fonctionnement et à la répartition équilibrée et équitable de la ressource.

Les béals assurent non seulement un rôle économique et écologique, mais également un rôle social et fédérateur. En effet, depuis leur construction, ces canaux d’irrigation sont pour la plupart gérés collectivement par l’ensemble des propriétaires et/ou utilisateurs, chacun de ceux-ci ayant le droit d’usage lorsque vient son « tour d’eau ». Sur certains secteurs, des associations d’irrigants se sont même constituées et continuent aujourd’hui de gérer la répartition de la ressource en eau. D’autres ouvrages sont quant à eux maintenus et gérés individuellement, ce qui n’est pas sans conséquence, notamment sur la charge d’entretien et de mise en eau annuelle.

 

 

Construction et composition d’un béal

 

Les béals ont été construits pour répondre aux besoins des habitants du territoire afin d’alimenter en eau les parcelles agricoles (irrigation et abreuvement), les moulins et assurer une circulation de l’eau. Ces ouvrages, datant parfois de plusieurs siècles, sont caractérisés par les éléments suivants :

• Une prise d’eau, qui est l’organe essentiel du béal, puisque c’est par celle-ci que les prélèvements d’eau vont avoir lieu. Sur les béals aujourd’hui recensés, elles ont été réalisées majoritairement avec des pierres, du bois ou des bâches, disposés de sorte qu’ils fassent obstacle à l’eau pour qu’elle soit en partie détournée.

• La constitution des béals, qui varie en fonction de leur lieu d’implantation et des caractéristiques de leur environnement. Chaque béal a ses propres particularités, ce qui constitue une diversité de typologie sur le département. Selon les béals, la végétation et les pentes des berges sont plus ou moins importantes. La résistance aux frottements, qui dépend aussi de ces éléments, est considérée assez forte du fait d’éléments naturels qui entravent souvent le passage de l’eau (pierres, herbe, sable). Cependant, sur certaines parties, du fait d’un busage des canaux (buse ou demi-buse en béton, tuyaux de PVC), les frottements peuvent être réduits.

• Des restitutions au milieu naturel sont visibles tout au long des béals du fait d’une moindre imperméabilité ou d’un débordement de ceux-ci. Une partie de l’eau retourne donc directement au cours d’eau (en contre-bas) par ruissellement. Les infiltrations retournent également au milieu naturel, de manière diffuse, et de ce fait de manière invisible et non quantifiable.

• Des bassins tampons appelés « gourgues » stockent l’eau une fois détournée par le béal. Cette eau peut ensuite être redistribuée en fonction des besoins. Ces ouvrages peuvent être de différentes tailles, compte tenu de leur variabilité d’utilisation (plusieurs dizaines de m 3).

• Des ramifications, appelées « béalières » ou « rases », sont creusées sur les parcelles agricoles. Celles-ci partent du béal principal et permettent de disperser l’eau sur la parcelle. Une fois les parcelles submergées par gravité, l’eau non stockée dans la réserve utile du sol finit par retourner au cours d’eau initial ou dans un cours d’eau voisin. Ces restitutions d’eau sont également difficilement quantifiables du fait d’un retour au milieu naturel de manière diffuse. On évoque des taux d’efficience d’irrigation de l’ordre de 20 %, ce qui signifie que 80 % de l’eau déviée initialement est restituée au milieu après infiltration par les canaux et parcelles, et par ruissellement diffus. Une proportion de ces 80 % permet le maintien d’une végétation de bords de canaux, constituant des habitats pour de nombreuses espèces.

 

Utilisation des béals

 

En Lozère, les béals sont majoritairement utilisés pour l’irrigation de parcelles agricoles et l’abreuvement des animaux. Il est observé des utilisations ponctuelles pour l’irrigation de potagers ou encore l’alimentation de moulins. D’autres effets connexes sont également identifiés et reconnus : le soutien à certaines sources liées, le ralentissement de l’eau dans le cas d’épisodes pluviométriques forts. Le patrimoine associé et les paysages ouverts permis par le maintien de ces ouvrages en fonctionnement sont des enjeux primordiaux pour les territoires qui les portent.

En agriculture, les béals irriguent principalement des prairies naturelles, des surfaces de vergers ainsi que des surfaces mixtes (prairies sous couvert de vergers). L’abreuvement des animaux se fait généralement de manière associée à l’arrosage via un accès direct des animaux au béal. Dans une moindre mesure, des prairies temporaires sont également arrosées par ces canaux.

Les parcelles irriguées peuvent être en propriété ou en fermage. Celles en propriété ont l’avantage de pouvoir être gérées en intégralité par l’irrigant (propriétaire et exploitant). En effet, les parcelles en fermage sont soumises au choix de gestion des propriétaires. Les fermiers doivent respecter le souhait des propriétaires qui, la plupart du temps, veulent maintenir les arbres fruitiers sur leurs parcelles. Il a été constaté que le fait de conserver les vergers sur les parcelles en fermage a pour conséquence le maintien des béals.

 

Gestion des béals

 

En Lozère, les béals sont gérés de façon individuelle ou collective. La gestion individuelle signifie que seul l’irrigant propriétaire ou fermier du béal en est l’utilisateur. Il effectue à la fois la mise en eau, l’entretien et l’irrigation de ses parcelles.

Lorsque le béal est collectif, cela signifie qu’il y a plusieurs propriétaires ou fermiers sur un même béal. L’entretien du béal principal se fait collectivement et l’irrigation est répartie équitablement en fonction de la superficie des surfaces à arroser. Ce système requiert une organisation humaine et matérielle. Pour une répartition optimale de l’eau, les béals sont renforcés d’ouvrages qui permettent de dévier l’eau du conduit principal pour alimenter les ramifications (ou « béalières ») vers les parcelles.

 

Période d’usage des béals

 

La période d’irrigation s’étale sur trois à six mois. La mise en eau débute souvent en avril et la fermeture intervient majoritairement en septembre/octobre, s’il n’y a pas de restriction de l’usage de l’eau.

Les travaux d’entretien sont réalisés avant la mise en eau pour permettre le fonctionnement des béals. Les canaux sont entretenus manuellement et individuellement.

Seuls les béals collectifs sont entretenus par l’intégralité des irrigants ayant des droits d’eau sur ceux-ci.

Ils sont pour la plupart travaillés à l’aide d’un outil spécifique, appelé « pigasse », et d’une pelle. De manière générale, le temps d’entretien des canaux est estimé conséquent (plusieurs jours), mais celui-ci reste variable selon les béals et leurs caractéristiques physiques.

Français

Patrimoine bâti

 

Les béals, les prises d’eau, les moulins...

 

 

Objets, outils, matériaux supports

 

L’usage des béals requiert la mobilisation de différents matériaux et outils de construction et d’entretien.

 

Les matériaux de construction des béals

• Les pierres / La constitution de béals nécessite souvent l’utilisation de pierres. Elles peuvent être aussi bien destinées à renforcer le béal qu’à créer des ouvrages, tels que les martelières. Elles sont d’origine naturelle et issues du milieu dans lequel se situe le béal.

• Les buses et demi-buses en béton / Elles peuvent être de taille, de forme (ex : cylindrique, cubique) et de matériaux différents. Les usagers peuvent les construire eux-mêmes, lorsqu’elles sont en béton, ou les acheter selon leurs besoins.

• La terre / Ce matériau est prélevé directement sur place et permet de consolider et/ou de façonner les ouvrages.

• Argile / Mise en place pour l’étanchéité des gourgues.

• Les pièces en métal / Elles sont fréquemment issues de récupération et sont utilisées comme martelières pour fermer et ouvrir les béals, ainsi que pour les rendre imperméables.

• Les morceaux de bois / Ils sont issus du milieu naturel dans lequel se situent les béals. Le bois est souvent utilisé pour les prises d’eau, afin de réaliser des ouvrages plus robustes, ou de part et d’autre du béal, pour consolider les berges.

 

Les outils d’entretien

• La pigasse / C’est le principal outil utilisé pour l’entretien manuel des béals. Il permet de creuser les béalières et d’enlever la végétation accumulée dans le béal. Cet outil ancien n’est actuellement plus commercialisé en Lozère du fait du manque de demande. De ce fait, les irrigants réparent eux- mêmes leurs outils.

• La pelle / La pigasse est souvent associée ou remplacée par la pelle qui permet également la création ou l’entretien des béals et béalières. Elle permet de colmater les fuites et d’arranger les béalières. Elle peut aussi être utilisée pour dévier l’eau.

• La débroussailleuse / Elle est souvent utilisée avant la mise en eau des béals pour dégager l’herbe qui pourrait entraver l’écoulement de l’eau et ainsi rendre le béal moins performant.

• La rigoleuse / Elle est utilisée pour des travaux annuels avant la mise en eau des béals. Certains irrigants s’en servent pour remettre en état les béals et béalières.

 

Les objets

• Les moulins / Autrefois, les moulins hydrauliques étaient utilisés pour faire de la farine pour la consommation humaine et animale. Ils se situaient souvent à la sortie du village, à l’écart du centre et à proximité de cours d’eau. Malgré cela, les moulins et les meuniers étaient au centre des échanges entre villageois. Les agriculteurs venaient y moudre la farine et les artisans ou commerçants l’acheter. En Lozère, quelques moulins sont encore en activité, mais se font rares. Beaucoup ont été abandonnés et sont tombés en ruine, ainsi que le béal qui les alimentait. Quelques propriétaires essaient tout de même de les rénover lorsqu’ils ne sont pas trop abîmés.

• Les béliers hydrauliques / Le bélier hydraulique est un ouvrage qui permet de pomper l’eau à une certaine hauteur par l’utilisation de l’énergie d’une chute d’eau de plus faible hauteur. Ce phénomène se réalise grâce à un dispositif mécanique et hydraulique. Ce système peut être utilisé en irrigation gravitaire. Il reste méconnu et peu mobilisé à l’échelle du département de la Lozère, contrairement à la pratique dans le Gard.

Les savoir-faire liés à l’irrigation gravitaire par béals sont exclusivement transmis par voie orale, par observation et imitation des gestes des anciens irrigants. Cette tradition perdure au travers des générations et l’initiation se fait dès le plus jeune âge. L’eau a longtemps été le seul moyen d’assurer et parfois d’augmenter le rendement du peu de parcelles qu’avaient en leur possession les anciens ou encore de faire tourner les moulins afin de produire de la farine pour nourrir les hommes et les animaux. Pour ces raisons, la transmission de ces savoirs était très importante.

En Lozère, des organismes tentent de maintenir et de rénover les béals pour leur aspect patrimonial. En 2016, le Comité pour la mise en œuvre du plan agri-environnemental et de gestion de l’espace en Lozère (COPAGE) et la Chambre d’agriculture de Lozère ont construit un projet permettant d’aborder les béals sous l’angle de leur valeur et de leur responsabilité patrimoniale. Intitulé « Des béals et des hommes », ce projet est soutenu par l’association Lou Grel, dont la mission première était la valorisation des savoir-faire lozériens. Il a pour principaux objectifs d’acquérir et de valoriser les références sur l’utilisation des béals, les savoir-faire, la richesse de ces ouvrages, mais aussi de communiquer sur cette technique d’irrigation ancestrale.

Il s’articule autour de ces différentes phases de travail :

• l’élaboration d’un état des lieux de la pratique ;

• la reconnaissance de l’irrigation gravitaire en Lozère ;

• la réalisation d’un sentier pédagogique le long d’un béal ;

• le développement économique d’un territoire via les béals.

Ce projet actuellement en cours de réalisation n’est pas la seule initiative en Lozère. D’autres structures sont mobilisées sur cette thématique. Des événements ont déjà été organisés, comme des chantiers participatifs pour la remise en état de béals ou encore des randonnées sur la thématique. Cependant, depuis quelques années, ces manifestations se font de moins en moins nombreuses du fait d’un manque de mobilisation humaine et financière.

La transmission de cette richesse patrimoniale se fait par les irrigants (agriculteurs ou particuliers, professionnels ou non) et les anciens meuniers.

En Lozère, l’irrigation est réalisée en majorité par des agriculteurs en polyculture-élevage, pour qui l’eau est essentielle puisqu’elle sert à l’alimentation des animaux et à la sécurisation de la production fourragère et fruitière.

Comme évoqué, des associations et organismes tentent de transmettre et de communiquer ces savoirs en Lozère :

 l’association COPAGE en Lozère

 la Chambre d’agriculture de la Lozère

 l’association Bésaou et Patrimoine

 le Parc national des Cévennes

 l’association Cultures et Territoire rural, dans la haute vallée de l’Hérault

 la Maison de l’eau au Plantiers

 le musée des Vallées cévenoles à Saint-Jean-du-Gard, dont une salle consacrée à l’irrigation

Ces dernières années a été constaté un abandon des béals, sur l’ensemble du département de la Lozère. Malgré cette tendance, l’irrigation gravitaire par béals est encore présente du fait d’une nécessité prioritairement économique, mais également sociétale et environnementale. Aujourd’hui, certains irrigants tentent de faire évoluer leur pratique en la modernisant, mais beaucoup ne souhaitent et/ou ne peuvent pas investir dans des travaux de rénovation trop importants, du fait, la plupart du temps, d’un manque de moyens financiers.

Contexte général

Les premières traces d’utilisation de l’eau pour l’irrigation datent d’environ 5000 ans avant Jésus- Christ en Mésopotamie. L’eau permettait d’irriguer les terres semi-arides entre le Tigre et l’Euphrate pour répondre à leurs besoins. Dès cette période, les premiers canaux d’irrigation sont apparus, transportant l’eau en période de crue.

Les difficultés techniques étaient alors nombreuses (stockage de l’eau, contrôle des débits, entretien des canaux), mais ces systèmes ont perduré pendant des milliers d’années.

Les premiers éléments du droit de l’eau datent de l’époque romaine. Petit à petit, de nouveaux droits ont pris place et se sont succédé comme le droit féodal, le droit coutumier et la législation royale, le droit civil avec la Révolution, la loi du 8 avril 1898 sur l’eau. Depuis cette date, plusieurs textes et lois importantes ont fait évoluer le droit sur l’eau.

Aujourd’hui, la formalisation de principes de gestion intégrée à l’échelle de grands bassins versants (loi sur la pêche de 1984, loi sur l’eau et sur les milieux aquatiques de 2006) amène à introduire la notion de débit réservé, après tout prélèvement sur un cours d’eau, pouvant restreindre voire interdire l’alimentation des béals.

 

Contexte lozérien

En Lozère, très peu d’études témoignent de l’utilisation des canaux d’irrigation. Les actes notariés et les documents de droits fondés en titre sont les principales pièces attestant la présence de ces ouvrages dans des temps plus anciens. Ainsi, des actes datés autour de l’an 1000 sont relatifs à la donation de béals et d’une source. Les cartes de Cassini peuvent aussi être un bon moyen pour dater certains canaux d’irrigation dès le XVIIIe siècle. Les inventaires ou autres études sur le département datent du XXe siècle, mais restent peu nombreux en Lozère.

Lors de la phase de terrain préparatoire à cette fiche, des irrigants agricoles ont été rencontrés afin de comprendre et de connaître les usages de l’irrigation gravitaire par béals en Lozère. Ces témoignages ont permis de bénéficier d’explications sur la pratique, de connaître l’évolution de celle-ci au fil des années ainsi que de recueillir les ressentis. Plusieurs éléments issus de ce travail d’enquête sont ici restitués.

L’accès à l’eau est le premier point abordé par les irrigants. Certains racontent qu’à l’époque les exploitations étaient situées en bordure de cours d’eau, pour permettre un accès à l’eau, nécessaire afin de continuer à produire.

« L'ancienne exploitation de nos parents était située à X1. Elle était moins grande, mais il y avait l'accès à l'eau qui était autrefois important. » ; « L'eau a toujours été utilisée dès l'installation de l'exploitation située stratégiquement au village de X1 (traversé par un cours d'eau). L'eau permettait de pouvoir faucher les parcelles et profiter du regain pour faire pâturer les animaux. » ; « L'eau est importante pour la production de pommes. Sans eau, il serait compliqué de pouvoir continuer la production. » ; « Avant, l'eau était précieuse pour l'exploitation car, manquant de surface, ils souffraient du manque d'eau. L'irrigation prenait beaucoup de temps, mais ils n'avaient pas d'autres moyens d’améliorer la production de ressources. Il fallait que les parcelles assurent l’alimentation humaine et animale. Pour pouvoir irriguer, ils avaient des droits d'eau et devaient les respecter, sinon les voisins n'avaient pas d'eau. Il arrivait souvent que les anciens se menacent entre eux pour avoir accès à l'eau. Ils ne rigolaient pas avec ça. »

Malgré l’arrêt de l’irrigation par certaines exploitations, l’accès à l’eau reste un sujet important. « L'eau est vitale à l'exploitation. S'il n'y a pas d'eau, il n'est pas possible d'exploiter. ». Il ressort également de ces échanges que le manque de main d’œuvre a un impact négatif sur la pratique. Il se répercute souvent par un temps d’entretien, qui devient conséquent pour les irrigants qui ont des structures qui s’agrandissent et parfois se diversifient.

« La main d'œuvre pour l'entretien des béals était auparavant assez présente. Aujourd'hui, suite à l'agrandissement de l'exploitation, l'eau n'est plus une priorité pour le fonctionnement de l'exploitation. » ; « C'est beaucoup de temps d'irrigation et d'entretien pour peu de production. Le seul avantage, c'est l'entretien sans frais des béals. »

Du fait d’un temps d’entretien important, certains irrigants constatent que de nombreux béals ont été abandonnés. « Avant, les béals étaient beaucoup plus nombreux. À chaque gourgue, il y avait un béal. En 1980, sur l'exploitation, il y a eu un abandon de tous les béals pour mettre en place un bassin de stockage. » ; « Aujourd'hui, les béals sont amenés à disparaître. » ; « Je pense être la dernière génération à avoir vu le fonctionnement des béals, j'ai vu la fin des béals ».

Cependant, il a été remarqué que la transmission de la pratique reste encore bien présente : « L'eau est indispensable et son usage s'est transmis de génération en génération : gourgues, fontaines, béals ».

Au fil des années, la structure des exploitations agricoles a évolué. Le nombre d’exploitation a diminué et leur taille augmenté. Cet agrandissement ne se traduit pas pour autant par une augmentation de la main d’œuvre. La charge étant plus importante, les agriculteurs irrigants en viennent à prioriser leurs actions. Ils doivent faire face aux contraintes naturelles toujours présentes comme les dégâts de sangliers sur les béals ou encore les épisodes cévenols qui endommagent les ouvrages. Petit à petit, la tradition se perd du fait d’un manque de temps pour l’entretien des béals. Les canaux entretenus se font de moins en moins nombreux, mais ceux restants permettent l’apport en eau à des exploitations agricoles qui, sans cette ressource, seraient plus difficilement viables économiquement.

La notion réglementaire de débit réservé ou la considération d'un prélèvement net conduisent aujourd’hui à inciter fortement les usagers à faire évoluer leurs pratiques et ainsi à abandonner les béals qu'ils ont façonnés depuis des dizaines d'années. Il y a là un écart entre les besoins des utilisateurs et un dispositif législatif, certes indispensable, mais manquant de discernement, s’agissant des spécificités locales et des pratiques empiriques.

Au-delà de cet aspect, aujourd’hui encore, des activités économiques dépendent de ces ouvrages. Malgré un temps d’entretien important et un contexte réglementaire défavorable, des éleveurs valorisent l’eau des béals pour l’abreuvement des animaux et la submersion de leurs prairies. D’autres sont toujours utilisés pour alimenter un moulin, une pisciculture ou pour permettre l’arrosage de jardins potagers. Les usages perdurent, c’est donc qu’ils sont fondés et nécessaires.

De plus, lors de l’arrêt du fonctionnement d’un béal, les prises d’eau sont généralement laissées à l’abandon. Cependant, les droits d’eau souhaitent être maintenus dans la plupart des cas pour les générations futures. Or, pour remettre en état les prises d’eau, les irrigants se doivent d’être en conformité, ce qui complexifie leur maintien. Ce point doit amener à faire preuve de vigilance afin de perpétuer les béals sur ce territoire.

Avant d’envisager quoi que ce soit, il faut avoir à l’esprit que nous sommes les derniers garants de ce patrimoine pour les générations futures : bon nombre d’ouvrages s’abîment et disparaissent. Plusieurs situations font actuellement l’objet de discussions et d’expertises. Des alternatives techniques sont envisageables, mais, si elles ont une réalité et un frein d’abord économiques, les effets de l’abandon volontaire de ces béals sont sous-estimés. C’est de l’identité d’un territoire et de de ses habitants dont il est question.

Modes de sauvegarde et de valorisation

 

Des pistes de réflexion sur le maintien de la pratique d’irrigation par gravité peuvent émaner de ce travail. En effet, le choix de développer une production à meilleure valeur ajoutée, telle que la production fruitière, permettrait de relancer une nouvelle dynamique autour de la pratique. De nouveaux projets de valorisation de la pratique pourraient ainsi voir le jour.

 

 

Actions de valorisation à signaler

 

Sentier pédagogique « Du béal à la pomme », en cours de réalisation par le COPAGE.

 

 

Modes de reconnaissance publique

 

Les seuls modes de reconnaissance existants sont des actions ponctuelles réalisées par divers acteurs du territoire. Celles-ci restent minimes en Lozère.

 

 

Inventaires réalisés liés à la pratique

 

Un inventaire des béals a été réalisé sur le secteur de l’Altier, où des irrigants par gravité sont regroupés en association.

 

 

Bibliographie sommaire

 

• Aspe, Chantal, Gilles, André et Jacqué, Marie, « Analyse socio-environnementale des canaux d’irrigation agricole. Des outils d’ajustement aux effets climatiques des variations de la ressource en eau », Revue d’études en agriculture et environnement, vol. 95-2, juin 2014, p. 151-174.

• Ghiotti, Stéphane, « Irrigation traditionnelle et gestion collective de la ressource en eau en Ardèche : les béalières », Territoires en mutation, n° 7, 2000, p. 92-98.

• Moliné, Lionel, « Étude des techniques traditionnelles d'irrigation dans les Cévennes : commune du Pied de Borne (Lozère), commune de Saint-Marguerite Lafigère (Ardèche) », mémoire de licence en aménagement du territoire, Université de Montpellier III Paul-Valéry, 1998.

• Ministère de l’Environnement, de l’énergie et de la mer, Code de l’environnement, art. L.214-18.

• Ruf, Thierry, Irrigation gravitaire et patrimoine commun, une approche des règles et usages dans les Pyrénées-Orientales, Institut de recherche pour le développement, Unité de recherche 44.

• Ruf, Thierry, « Droits d’eau et institutions communautaires dans les Pyrénées-Orientales », Histoire et sociétés rurales, vol. 16, p. 11-44.

• Suau L. Les Cévennes et l’eau, lieu, éditeur, 1998, p. 67-68.

• SupAgro, Fonctionnalités alternatives des réseaux d’irrigation gravitaire, 2006.

• Tiercelin, Jean-Robert et Vidal, Alain, « L’irrigation traditionnelle par gravité », dans Traité d’irrigation, 2e éd., Paris, Lavoisier/Tec et Doc, 2006, p. 1-10.

 

 

Filmographie sommaire

 

L’Organisme unique en Lozère, film documentaire réalisé par la Chambre d’agriculture de la Lozère et le COPAGE, produit par Sépal, 2013, 10 minutes 45 secondes.

Les Béals : patrimoine durable en sursis, film documentaire réalisé par la Chambre d’agriculture de la Lozère et le COPAGE, produit par PotPoète, 2016, 7 minutes 14 secondes.

 

 

Sitographie sommaire

 

• Eau France

http://www.eaufrance.fr/comprendre/la-politique-publique-de-l-eau/la-loi-sur-l-eau-et-les-milieux [consulté le 1er juin 2017]

• Au fil de l’Eau...vergnat http://www.eauvergnat.fr/lirrigation-une-longue-histoire  [consulté le 30 octobre 2017]

Nom(s)

Association des irrigants de l’Altier

 

Fonction(s)

Membres de l’association

 

Coordonnées

Mairie, 48 800 Altier

Anciens membres de l’association Lou Grel (association du patrimoine lozérien)

Rédacteur de la fiche

Nom

MARCO, Sophie

Fonctions

Chargée de mission Agri-environnement

Coordonnées

COPAGE

 

 

Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé

 

Nom

BELAUD, Gilles

Fonctions

Professeur en science de l’eau, SupAgro Montpellier

 

Lieux(x) et date/période de l’enquête

Lozère, été-automne 2017

 

 

Données d’enregistrement

 

Date de remise de la fiche: 7 décembre 2017

Année d’inclusion à l’inventaire: 2017

N° de la fiche: 2017_67717_INV_PCI_FRANCE_00393

Identifiant ARKH: ark:/67717/nvhdhrrvswvk2lp

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