Les poissons sont piégés à chaque marée descendante lorsque la hauteur d’eau de la marée haute qui a précédé a permis de recouvrir le piège. Les pêcheries et les techniques de pêches qui leur sont affiliées sont très différentes selon qu’elles sont construites en bois ou en pierres. Les pêcheries ont une dimension universelle puisqu’elles ont été construites dans de nombreux endroits du globe ainsi qu’une grande profondeur historique car leur présence est attestée depuis le Néolithique.

Les savoir-faire, bien qu’ayant évidemment toujours évolués, ont intégré ces dernières décennies des matériaux et outils nouveaux, dont les descriptions qui suivent tiennent compte.
Il existe deux principaux types de pêcheries : les pêcheries en bois, toutes situées dans la région de Granville et les pêcheries en pierres, toutes situées plus au sud : du havre de la Vanlée au nord du havre de Carteret. Quelques pêcheries mobiles sont encore exploitées dans la baie du Mont-Saint-Michel.

Matériaux

Dispositif de barrage

- Les pieux en bois
Depuis les années 2000 sur le littoral du Cotentin, les pieux en bois exotiques ont remplacé les pieux en chêne. Environ 1500 pieux sont nécessaires pour une seule pêcherie. Ils sont achetés neuf pour la constitution des moulières. Après environ douze années passées dans les moulières ils sont rachetés pour les pêcheries où ils sont à nouveau exploités une dizaine d’années. Ils sont régulièrement inversés pour ralentir l’usure de la mer sur le côté du pieu enfoncé dans le sable. L’acquisition de ces pieux, s’ils sont achetés neufs, peut atteindre des sommes faramineuses.

- Le tressage entre les pieux
Le tressage entre les pieux se fait en saule autrefois acheté par fagots. Aujourd’hui, les exploitants de pêcheries passent des accords avec certains paysans afin de pouvoir couper les saules dont ils ont besoin dans les fossés, en contrepartie, ils entretiennent la parcelle. Les branches de saule qui conviennent doivent avoir entre trois et quatre ans. L’exploitant de la pêcherie La Louise ajoute à ce tressage entre les pieux une panne mobile exclusivement en osier.

- Du bois dit "long" pour réaliser "la teurque"

- Des sacs de sable ou bien des bottes de foin pour combler des trous dans le sable au pied des panneaux.

Dispositifs de piégeage

Le benâtre est désormais en plastique tressé. Il s’agit d’un "détournement" d’usage des rouleaux de grillages formant habituellement les poches à huitres.

Les pêcheries utilisent traditionnellement des éléments de récupération : après la guerre, certains benâtre ont été tressés avec du câble dit "américain". La famille Lepeu par exemple a utilisé des pierres de taille pour tenir ses panneaux.

La barsière, dispositif de piégeage complémentaire est réalisé par un tressage soit en rotin soit en plastique autour d’une forme en inox.

Outils

- Tronçonneuse pour couper le saule.

- Tracteur pour ramasser le bois, se rendre à la pêcherie, remonter et descendre la barsière ou des matériaux et la nuit, éclairer avec les phares le trajet vers la pêcherie puis la pêcherie elle-même.

- Un nettoyeur haute pression ou grattoir pour nettoyer les grilles plastiques du benâtre.

- Une motopompe pour enfoncer les pieux lors de leur installation ainsi qu’un "enfonce pieux".

- Une masse en métal au quotidien pour enfoncer les pieux.

- Une hache comme outil du quotidien pour couper des branches, enfoncer des clous etc

- Une épuisette appelée libette ou save pour pêcher le poisson dans la pêcherie, des filets pour rabattre le poisson dans le benâtre (dans les pêcheries où l’eau reste à une bonne hauteur comme La Montmartinaise)

- Un fer à souder et un "moule" pour réaliser la barsière.

- Plus anecdotique : un chien d’arrêt qui attrape les poissons (plusieurs récits en font état).

- Certains propriétaires de pêcheries et exploitants de moulières visitent leur pêcherie en cuissardes (outils des moulières) et utilisent le bras élévateur hydraulique pour planter leurs pieux.

Produits réalisés

- Les ouvrages monumentaux que constituent les pêcheries en bois

- Les barsières qui ont une durée de vie de plus de 25 ans.

- Les brêmières, sorte de casiers disposés dans la pêcherie pour attraper de la dorade.

- La mise en place de systèmes d’échanges de poissons contre une aide ponctuelle à l’entretien des pêcheries.

Apprentissage et transmission

La transmission s’opère au sein d’une même famille par imprégnation. Les petits enfants de la famille Mahé par exemple, se rendent régulièrement à la pêcherie. Ils ont leur propre combinaison de plongée. Il s’agit principalement d’une transmission de pères en fils, cependant certaines femmes ont exploité des pêcheries dans des circonstances particulières : la mère de monsieur Marcel Lepeu lorsqu’elle est devenue veuve très jeune ou Mme Josse par exemple lorsque son mari est tombé malade.
Cette transmission s’opère aussi avec quelques passionnés rencontrés autour des pêcheries et qui sont par la suite devenus de véritables aficionados. Ainsi quelques voisins en résidence principale ou secondaire viennent ponctuellement aider les exploitants de pêcheries à assurer des travaux d’entretien. Quelques rencontres, plus éphémères, ont aussi souvent lieu avec les vacanciers sur la plage. Amusantes ou intéressantes, ces rencontres semblent plaire aux exploitants.

Exploiter une pêcherie en bois exige la maîtrise d’un savoir-faire, mais aussi et surtout relève d’un mode de vie, d’une passion, d’un besoin qui s’apparente au plaisir du jeu : "la loterie de la mer". Entretenir une pêcherie c’est vivre et dormir selon les horaires de marées, se lever la nuit, visiter quotidiennement la pêcherie lorsque la marée le permet. Les réparations ne peuvent s’effectuer que le temps de la marée basse. L’unique temps de repos possible est contingenté à la période hivernale ou bien lors de quelques journées de brouillard. Il s’agit d’une vie sans vacances d’été, sans autres loisirs réguliers. Il y a par conséquent des savoir-faire, des styles spécifiques à chaque famille et donc à chaque pêcherie. Les pêcheries des familles Lepeu et Mahé se ressemblent beaucoup par exemple, mais la famille Mahé pique davantage les gaules dans le sable que la famille Lepeu. Les gestes se font sous le regard et les critiques des aînés, principalement des pères : "Le grandpère Mahé on l’appelait "le professeur" !" (M. Mahé) Cette personne est d’ailleurs l’auteur d’une invention originale de la pêcherie exploitée par les Mahé : un deuxième grand benâtre couvert directement relié à la pêcherie par une trappe - il joue donc un rôle de grande barsière, habituellement indépendante et placé à l’avant de la pêcherie.
Il y a encore une quinzaine d’années, le concours de dix à quinze personnes s’avérait nécessaire pour "tendre le benâtre" en mars / avril. Deux personnes seulement réalisent aujourd’hui cette opération. Les exploitants font appel occasionnellement aux voisins qui se sont proposés pour faciliter leurs interventions, mais la dimension collective s’amenuise.

Matériaux

- Pierres de carrières proches et petites pierres pour faire le lien.

Outils

- Tracteur, parfois pelleteuse pour apporter des pierres ou réparer de grosses brèches (provoquées par la drague d’un chalutier)

Produits réalisés

- Pêcheries en pierre (murs de pierres).

- La carrée (sorte de cadre carré fait sur mesure pour chaque pêcherie et chaque pêcheur, que l’on glisse dans les rainures entaillées dans la porte)

- Le filet au bout de la carrée est relevé à l’aide d’un croc en métal, souvent réduit à une simple tige de métal tordue.

- La claie, porte généralement en bois, située à la pointe de la pêcherie et qui retient l’eau à l’intérieur de celle-ci. Il est à noter cependant que deux de ces portes ne sont plus en bois, mais en plastique (jaune) pour la pêcherie Garnier et en aluminium pour la pêcherie Pigeon (depuis 2013). Ces choix ont été opérés pour des raisons exclusivement pratiques car la porte gonflée d’eau devenait extrêmement difficile à soulever pour des exploitants vieillissants.

- L’auge en pierre accueille le contenu du filet pour y faire le tri parmi les poissons pêchés.

- Mise en place de systèmes de mise à disposition régulière de la pêcherie contre une aide ponctuelle à son entretien et l’assurance que la pêcherie soit relevée chaque jour.

Apprentissage et transmission

Les pêcheries

L’ouvrage n’est plus construit aujourd’hui, mais il nécessite une surveillance importante, même si les interventions restent bien moins régulières que pour les pêcheries en bois. L’entretien des pêcheries en pierres consiste pour leurs exploitants à relever régulièrement les pierres tombées. Cependant, monter un mur de pêcherie requiert un savoir-faire beaucoup plus complexe que très peu de personnes possèdent encore et qui n’a que très partiellement été transmis aux exploitants actuels. Les murs s’avèrent donc souvent relevés de façon très approximative. Cette situation augmente les risques liés à cette pêche puisque les murs sur lesquels les pêcheurs(es) doivent marcher pour accéder à la porte de la pêcherie se montrent de plus en plus instables. La nécessité d’une bonne forme physique pour relever les pierres incite les « propriétaires » de pêcheries en pierres à rechercher des passionnés plus jeunes afin qu’en contrepartie d’un tour de pêche, ils contribuent à l’entretien des murs.

La pêche

Les techniques de pêches sont plus simples que celles des pêcheries en bois. Les "propriétaires" et exploitants ont ainsi rapidement pu apprendre à des amis qui les accompagnent régulièrement à pêcher dans ces pêcheries. Ainsi, les pêcheurs occasionnels sont nombreux à être associés à la pêche, particulièrement l’été.

Il existe également quelques pêcheries mobiles dans la baie du Mont-Saint-Michel "pouvant être déplacées voire entièrement remisées pendant les périodes d’inactivité. (…) Parmi ces pêcheries, les tésures apparaissent comme un des types les plus aboutis. Constituée de quatre nappes de filets formant un entonnoir et prolongé par une cage servant de piège, la tésure est tendue par l’intermédiaire de cordages à des pieux nommés palets. Le sommet de chaque palet dispose d’une marque permettant l’identification du pêcheur. Orientées pour pêcher à marée descendante, les tésures sont disposées en batterie, perpendiculairement au courant, soit directement dans les bras des fleuves divaguant à marée basse ou dans des filandres, chenaux asséchés à marée basse. Apparues plus récemment dans les années 1930, les grandes tésures ou benâtres correspondent à une adaptation dans les secteurs à plus faibles courants de marée (…)
Le choix de l’implantation est en grande partie dictée par l’évolution des fonds. (…) Les pêcheurs à pied de cette partie de la baie ont donc acquis une véritable lecture sensible de l’estran leur permettant de prédire les évolutions futures (…)"

Extrait d’un article de Jean-Yves Cocaign in Terre de pêcheries. 4000 ans d’archéologie et d’histoire sur le littoral de la Manche Collectif, direction de la publication : Cyrille Billard. Coéditions Orep / Crécet, 2012 : 96 - 99.

Les archéologues ont récemment établi que les hommes du Néolithique construisaient et exploitaient des pêcheries.

"D’une manière générale, les pêcheries font leur première apparition dans les sociétés antérieures à l’introduction de l’agriculture de l’Amérique du Nord et de l’Australie. Elles sont également bien attestées en Europe, en particulier par le corpus des sites mésolithiques submergés danois et irlandais, dont les plus anciens datent de 6000 ans avant J.-C.
Les pêcheries préhistoriques de Saint-Jean-le-Thomas (situé dans le nord de la baie du Mont- Saint-Michel) forment un ensemble complexe de plusieurs installations parmi les plus anciennes de ce type en Europe. Elles sont vieilles de près de 4000 ans. Les hommes ont construit en plusieurs étapes une vaste installation en bois (près de 2000 pieux), couvrant plus de trois hectares et destinés à piéger les poissons. À cette époque, les hommes sont depuis longtemps sédentaires, maitrisent parfaitement l’agriculture et l’élevage."

Éléments historiques issus de l’ouvrage Terre de pêcheries. 4000 ans d’archéologie et d’histoire sur le littoral de la Manche, Collectif, direction de la publication : Cyrille Billard. Coéditions Orep / Crécet, 2012.

Efforts passés et en cours pour sauver l’élément

- Exploitants : surveillance et entretien au quotidien

Les exploitants des pêcheries en bois se rendent à la pêcherie chaque jour, deux heures avant la marée basse afin de disposer d’un peu de temps pour vérifier l’état de leur ouvrage et effectuer des réparations le cas échéant. Chaque hiver, les pêcheries sont révisées dans leur intégralité et "la tente de la pêcherie" a lieu généralement en avril. Cette opération nécessite la collaboration d’au moins trois personnes sur des pêcheries fixes et d’un groupe un peu plus importants pour des pêcheries à panneaux mobiles.
Les exploitants de pêcheries en pierres sont quant à eux présents durant l’intégralité du laps de temps de la marée basse qui découvre leur pêcherie. Ils préviennent ainsi les dégradations éventuelles de promeneurs. Les marées basses de nuit qui découvriraient la pêcherie ne font par conséquent pas l’objet d’une telle attention.

- Des municipalités impliquées

De nombreuses municipalités ont manifesté leur intérêt pour ce patrimoine, sans savoir comment le valoriser, si ce n’est en en proposant la visite aux estivants (Office du Tourisme de Hauteville-sur-Mer et de Saint-Pair-sur-Mer).
La municipalité de Granville est allée au-delà puisqu’elle a considéré qu’une pêcherie en pierre reconnue sans propriétaire mais supposée être sur le territoire de la commune appartenait désormais à cette dernière. Il reste des éléments juridiques à clarifier sur la propriété effective de cette pêcherie. Cependant, il est à souligner que la municipalité de Granville souhaitait depuis longtemps (tout comme de nombreuses municipalités de cette côte ouest du Cotentin) acquérir une pêcherie et permettre à une association de sauvegarder puis mettre en valeur cette pêcherie, ainsi officiellement reconnue comme un élément déterminant de l’identité des Granvillais. L’association de la pêcherie du Casino est en cours de constitution d’un projet plus précis de restauration de cette pêcherie et de son exploitation à titre pédagogique.

- Un objet récemment devenu patrimonial aux yeux de l’administration maritime

Dès le XVIe siècle l’État a mis en place une réglementation extrêmement sévère à l’égard des pêcheries. Cette réglementation est pour l’essentiel encore en place aujourd’hui.
"À partir du XVIe siècle, le roi cherche à se substituer au seigneur par la mise en place du domaine de la Couronne, notamment sur l’espace littoral. Par l’édit de François 1er du 30 juin 1539, confirmé par Charles IX en 1566 (ordonnance de Moulin), les rivages de la mer deviennent des dépendances de la Couronne : ils sont déclarés inaliénables et imprescriptibles. Les pêcheries, à l’époque, sont en effet l’objet de vives critiques : elles sont principalement tenues pour responsables de la destruction du frai et, les exploitants de pêcheries n’étant pas inscrits maritimes, accusées d’affaiblir les recrutements pour la Marine de l’État.

En mars 1584, une ordonnance du roi de France, Henri III, interdit bon nombre de pêcheries sur l’estran : "Les pêcheries et parc faits et construits depuis quarante ans au bord des grèves de mer, baies et embouchures de rivières, seront démolis et abattus. Les propriétaires seront déchargés des redevances qu’ils pourront devoir ou à quelqu’autre seigneur qui prétendrait avoir fief desdits parcs et pêcheries." Seules pouvaient être maintenues les pêcheries dont le propriétaire pouvait justifier de titres de propriétés antérieures à 1544. Interdiction est faite de pêcher du frai et d’utiliser une maille de filet inférieure à celle autorisée pour la pêche au hareng."

Extrait d’un article de Cyrille Billard in Terre de pêcheries. 4000 ans d’archéologie et d’histoire sur le littoral de la Manche, Collectif, direction de la publication : Cyrille Billard. Coéditions Orep / Crécet, 2012 : 51.

Aujourd’hui, la DDTM Direction Départementale des Territoire et de la Mer, chargée du dossier des pêcheries affirme qu’elle est consciente du peu d’impact des pêcheries sur la ressource dans la mesure où il en reste très peu, et de leur valeur patrimoniale. Cependant, la DDTM souhaite élaborer une doctrine ayant pour objectif de maintenir ces pêcheries en activité dans la mesure où celles-ci la respectent (doctrine qui reste en cours de définition).

Menaces de fermeture des pêcheries

Accusées à la fois de menacer la ressource halieutique et d’occuper de façon illégitime un espace public, les pêcheries ont fait l’objet depuis le XVIe siècle d’une volonté de fermeture de la part de l’État. En 1965, un décret rend impossible la reconduction de concessions et en 1990, un nouveau décret supprime officiellement les concessions.
Les exploitants actuels font face à une situation complexe quant au statut juridique de leurs pêcheries car les liens entre la DDTM et le peu d’exploitants de pêcheries en activité a en effet été rompu. Or, les pêcheries subsistantes sont toutes vécues comme des propriétés privées : les exploitants actuels les ont héritées de leurs aïeux. La situation diffère cependant selon la nature de la pêcherie.
Dans le cas des pêcheries en bois, les gens exploitent de génération en génération leurs pêcheries mais ils sont conscients qu’il s’agit d’une occupation temporaire du Domaine Public Maritime. Ils savent que cette occupation n’est plus réglementée depuis 1990 et donc que les concessions autrefois accordées n’ont pas été renouvelées.
En revanche les pêcheries en pierres font l’objet de réclamations plus inextricables car leurs "propriétaires" sont persuadés d’être de légitimes propriétaires et s’avèrent extrêmement attachés à cette notion : ils possèdent des actes notariés, soit suite à leur héritage, soit suite à leur acquisition. Or aujourd’hui l’État exige qu’ils justifient de cette propriété en prouvant que l’ouvrage a été construit avant 1544 et qu’il est resté depuis une propriété privée, ce qu’aucun "propriétaire" actuel n’a été en mesure de prouver. L’État (à travers la DDTM) affirme aujourd’hui ne posséder aucun document permettant de confirmer le caractère privé de ces pêcheries. Dans cette situation, la jurisprudence penche généralement en faveur de l’intérêt public et considère donc que les pêcheries sont sur le Domaine Public et Maritime et non sur un territoire privé. Cet aspect n’étant pas réglé pour le moment, il soulève les passions. Exploitants et institutions se sont retrouvés dans une situation presque ubuesque car si la DDTM affirme désormais ne plus souhaiter la disparition des pêcheries, elle ne pouvait pas non plus répondre favorablement aux demandes de régularisations et de reconnaissances officielles formulées par quelques exploitants. Ainsi, ceux qui ont exploité leurs pêcheries sans se manifester n’ont généralement pas rencontré d’obstacles à leur exploitation. Or, ceux qui ont souhaité régulariser leur situation se sont trouvés confrontés à un refus et même à une injonction de fermeture de leur pêcherie. Un conflit ouvert a par exemple éclaté en 2003 entre la DDTM et les exploitants de la pêcherie en bois La Maillard qui ont été mis en demeure de la détruire. Cela a provoqué un vif mouvement de protestation, notamment de la part de personnes "haut placées", et la situation connaît depuis un statu quo. Cette histoire a bien entendu laissé des traces et accentué la méfiance de l’ensemble des exploitants envers l’administration.

L’État n’a donc pas réellement pu imposer la fermeture des pêcheries, mais il ne les reconnaît pas. Jusqu’alors, la DDTM fermait en quelque sorte les yeux sur la situation des pêcheries, présumant qu’elles disparaitraient "naturellement". L’institution maritime n’était donc pas en mesure de rencontrer officiellement les exploitants. Ces derniers, extrêmement méfiants envers la DDTM, avaient quant à eux choisi l’adage "Pour vivre heureux, vivons cachés".
Pour la plupart d’entre eux, ils ont poursuivi l’exploitation de leurs pêcheries sans aucune autorisation officielle, sans statut.

Recréer des liens entre l’administration et les pêcheurs

Dans le cadre de cette enquête, le Crécet, après avoir été observateur a participé activement à la recréation d’un lien entre ces exploitants de pêcheries et l’État en rencontrant les uns puis les autres et en impulsant des axes de réflexion aussi bien du côté des pêcheurs que de celui de l’État. Cette action a été menée comme un préalable indispensable à une démarche patrimoniale s’inscrivant dans la durée.
La dynamique patrimoniale amorcée il y a une trentaine d’années a repris de la vigueur ces dernières années. Étant donné le caractère patrimonial désormais reconnu de ces pêcheries, l’État affirme ne plus souhaiter les fermer, à condition que leurs exploitants répondent à un cahier des charges bien précis notamment au sujet de la préservation de la ressource - les pêcheries actuelles ne sont pas sélectives et piègent de nombreux poissons juvéniles. Le statut juridique doit également être clarifié : il ne serait peut être plus question de propriétés privées.
L’État accepterait cependant de délivrer des Autorisation d’Occupations Temporaire dans la mesure où le cahier des charges est respecté. Des négociations sont en cours et risquent d’impliquer des bouleversements auxquels certaines pêcheries qui pêchent déjà peu de poissons ne pourront peut-être pas survivre. Spécificités de la problématique des pêcheries en bois
À titre d’exemple, voici quelques pistes de réflexions très pragmatiques que le Crécet a soumis aux autorités maritimes après concertation avec l’ensemble des exploitants de pêcheries en bois :

- La DDTM a émis le souhait que les exploitants de pêcheries soient bien identifiés et que pour cela ils se constituent en associations à raison d’une association par pêcheries. Les exploitants sont tout à fait ouverts à cette demande préalable aux échanges avec la DDTM, mais se demandent concrètement comment procéder.

Comment les exploitants actuels des pêcheries peuvent-ils constituer une association par pêcherie alors que leur pêcherie n’a pas d’existence légale et qu’ils n’en sont pas les exploitants de manière officielle ?

- Les exploitants sont tout à fait favorables à l’idée d’obtenir une AOT (Autorisation d’Occupation Temporaire), mais, étant déjà tous concessionnaires de moulières, ils se demandent qu’elles sont les différences précises entre une concession et une AOT.

- La DDTM envisage de prendre modèle sur l’accord trouvé entre la DDTM et les exploitants de pêcheries de l’île de Ré. Sur ce modèle, il est donc envisagé des AOT d’une durée de 5 ans, renouvelables.

Peut-on envisager des AOT (ou concessions) de 25 ans sur le même modèle que les concessions de moulières ? L’entretien des pêcheries en bois est particulièrement onéreux. Les exploitants réutilisent leurs piquets à moules dans les pêcheries, mais s’ils doivent les acheter (ce qui est le cas de ceux qui ne sont pas mytiliculteurs) on arrive au chiffre faramineux de 18 000 € de bois par pêcheries (1500 pieux de 2 m à 6 € le mètre). Évidemment ils s’arrangent pour remplacer les pieux petit à petit et utilisent traditionnellement des éléments de récupération (des pieux d’occasion), mais ce coût ne pourrait certainement pas être supporté par des exploitants qui n’auront pas la certitude de pouvoir exploiter leur pêcherie plus de 5 ans comme cela se passe sur l’île de Ré. Les pêcheries en pierres de l’île de Ré ne demandent pas un tel investissement ni en termes financiers, ni en termes de temps d’entretien, c’est sans commune mesure. Il s’agit donc de permettre aux concessionnaires de s’approprier leur pêcherie sur un temps suffisamment long pour que leurs investissements en vaillent la peine.

- Ces AOT ou "concessions" pourront-elles être cessibles ou au moins, leurs exploitants pourront-ils désigner leurs successeurs ? Qui de mieux placé en effet que les exploitants eux-mêmes pour choisir celui qui va continuer à faire vivre "leur" pêcherie ? Les techniques de construction et d’entretien des pêcheries en bois sont très complexes et s’avèrent spécifiques à chaque pêcheries en fonction de la nature du terrain sur lequel elle a été construite, en fonction aussi des astuces familiales perpétuées, d’un certain style familial de tressage qui est différent pour chaque pêcherie. Ces techniques sont donc très longues à transmettre. Les exploitants actuels, prêts à transmettre "leurs" pêcheries ont eu le temps d’éprouver la fiabilité, la passion et les compétences du successeur qu’ils se sont trouvé (c’est le cas pour les deux pêcheries La Charlotte et La Pierrette par exemple). Il faut aussi accepter de vivre en fonction des contraintes des marées. Beaucoup de gens sont intéressés par les pêcheries, peu d’entre eux sont véritablement capables de les faire vivre toute l’année.

- La "Harenguelle" est-elle considérée comme un juvénile ?
L’impossibilité de pêcher la harenguelle et les juvéniles ferait disparaître une technique de pêche associée qui est la pêche au bar à l’aide d’une barsière. Cependant, cette barsière a d’ores et déjà disparu des pêcheries, à l’exception de La Maillard. Les autres exploitants envisagent seulement de ressortir et parfois d’adapter leurs barsières, mais n’en trouvent pas le temps.

- L’accès en tracteur à la pêcherie sera-t-il autorisé ?
Sans cette possibilité d’accès en tracteur à leurs pêcheries les exploitants ne peuvent plus apporter les matériaux nécessaires à leur entretien quotidien. Ils se déplacent aussi en tracteur la nuit pour relever leurs pêche, ce qui sécurise leur trajet et le rend nettement moins pénible. Ils disent tous que sans cette autorisation ils n’auraient ni le temps ni l’énergie d’entretenir leurs pêcheries.

- Le plan des pêcheries sera-t-il défini avec les exploitants actuels ?
Cette question concerne en fait exclusivement La Maillard. Les exploitants construisent régulièrement des hairons pour la protéger or ceux-ci agrandissent considérablement le plan d’occupation de leur pêcherie. Aujourd’hui cette pêcherie comporte sept hairons.

- Les barsières et brêmières sont-ils considérés comme des éléments de la pêcherie ?
Ces pièges mobiles complémentaires sont indissociables des pêcheries, mais ils sont la plupart du temps situés en amont de la pêcherie elle-même.

Cas de la pêcherie en bois La Maillard dont la sauvegarde s’avère particulièrement compromise

La pêcherie La Maillard se trouve dans une situation de fragilité particulière. Ses deux exploitants, père et fils, ont respectivement plus de 80 ans et 60 ans. Ils n’ont pas pour le moment envisagé transmettre de leur pêcherie, et celle-ci pose des problèmes spécifiques. Ce type de pêcherie - en bois - exige un rythme de visites totalement dicté par les marées. Or, si les autres exploitants inspectent aussi leurs pêcheries la nuit, le week-end etc, ils sont tous parallèlement mytiliculteurs et exploitent leur pêcherie de façon annexe à leur activité professionnelle, celle-ci se trouvant au cœur de leurs parcs à moules. Le rythme de vie qu’exige leur pêcherie leur est donc déjà imposé par leur activité professionnelle.
Ce lien avec leur activité professionnelle se manifeste aussi de façon très matérielle puisque les outils utilisés pour les pêcheries ont été acquis à titre d’outils professionnels (tracteurs, moto-pompes etc) et les pieux indispensables à la création et la restauration des pêcheries proviennent d’un recyclage de leur activité de mytiliculteurs. La pêcherie exploitée par messieurs Lepeu étant la seule à être dissociée d’une activité de mytiliculture, elle représente des investissements particulièrement considérables.
De plus, la rivière adjacente, la Sienne, dévie son cours en menaçant chaque jour un peu plus de s’engouffrer dans la pêcherie et de la détruire. Ainsi, messieurs Lepeu doivent construire régulièrement en quelque sorte des extensions à leur pêcherie appelées hairons. Il s’agit de tressages en bois, sur le même mode que les haies de la pêcherie ayant pour but de contraindre la Sienne à contourner la pêcherie. (Schéma et photographie ci-dessous). À titre presque anecdotique, mais signifiant, le fils Lepeu souffre actuellement d’un "hammer elbow" (usure des muscles et des tendons comparable à celle de tennismans) tant il a usé de la masse pour fouler ses teurques !
Les questions qui se posent aujourd’hui de façon particulièrement aiguës sont celles de la transmissibilité d’une telle pêcherie. Qui pourrait aujourd’hui supporter un tel coût ? Qui accepterait aujourd’hui que sa vie entière soit tournée vers la pêcherie, que son emploi du temps soit dicté par les impératifs liés à la pêcherie ?

Spécificités de la problématique des pêcheries en pierres

La problématique des pêcheries en pierres se distingue nettement de celle des pêcheries en bois. Leurs "propriétaires" considèrent à l’unanimité que l’élément fondamental qui a permis de préserver ces pêcheries réside dans leur caractère privé. C’est parce que ces pêcheries représentent pour eux un héritage familial et une propriété privée qu’ils en prennent tant soin.
De plus, si la DDTM leur accordait finalement cette reconnaissance d’un statut privé de leur pêcherie, elle n’aurait pas la possibilité de négociation qu’elle envisage avec les exploitants de pêcheries en bois. Les exploitants de pêcheries en bois devront respecter un cahier des charges sous peine de se voir supprimer leur AOT. Les "propriétaires" de pêcheries en pierres recevront les mêmes recommandations que tous les pêcheurs à pied (notamment sur la taille des poissons pêchés) mais il ne s’agira que de recommandations, sans véritables moyens de contrôle et d’action.
Les pêcheries en pierres sont moins onéreuses en terme de coût d’entretien. Elles nécessitent un savoir-faire bien moins complexe - du moins sur le court terme - et surtout elles n’imposent pas de visites nocturnes. En effet, d’après ces "propriétaires", les poissons pris au piège la nuit seraient retenus dans une mare d’eau en aval de la pêcherie lors de la marée basse et retourneraient simplement à la mer à la marée haute suivante. De plus, ces pêcheries en pierre sont souvent l’objet de soins de plusieurs copropriétaires, ce qui permet de fixer un calendrier à l’année où durant une partie de l’année prédéfinie, les copropriétaires n’ont pas à planifier leurs emplois du temps en fonction de celui des marées.

Ce système de copropriété n’est pas utilisé pour les pêcheries en bois car celles-ci peuvent avoir besoin de réparations urgentes et complexes alors que la surveillance des pêcheries en pierres réside surtout dans une gestion du risque de dégradations humaines. En effet, comme a pu l’exprimer l’une de ces propriétaires de pêcherie en pierres, son outil principal est un sifflet ! Elle l’utilise pour chasser les badauds indélicats susceptibles de fragiliser les murs de la pêcherie en cherchant l’objet de leur pêche sous les pierres. Ces propriétaires sont contraints d’être présents le temps de chaque marée basse susceptible de confronter leur pêcherie à des personnes qui ignorent totalement de quoi il s’agit. Seules quelques pancartes avertissent qu’il est interdit de pénétrer dans cette "propriété privée", mais aucune n’explique son caractère patrimonial et sa fragilité. Tous les propriétaires de pêcheries en pierres sont confrontés à ce problème, mais ils usent d’arguments différents. La majorité se plaint de confrontations violentes face à des gens qui contestent l’aspect privé de ces pêcheries "La mer est à tout le monde !" s’entendent-il rétorquer régulièrement. D’autres, rencontrent nettement moins de problèmes en mettant en avant le caractère extrêmement ancien de la pêcherie et en évoquant le déroulement de leur pêche. Il semble évident que cet argumentaire plus diplomatique et pédagogique fonctionne mieux auprès du public. Peut-être faudrait-il aider ces « propriétaires » à élaborer un discours plus constructif avec les pêcheurs à pieds et les aider également en disposant des panneaux didactiques sur le littoral à des endroits stratégiques ainsi qu’en organisant des opérations de communications (telles celles menées par l’office du tourisme de Hauteville par exemple, bien que les pêcheries en bois ne soient pas confrontées au problème de dégradations des promeneurs).

Pêcheries en bois et en pierres partagent une même actualité : la raréfactions des poissons pêchés (et donc une baisse notoire de l’argument de pêche pour des repreneurs potentiels), le vieillissement de leurs exploitants et donc la plus grande difficulté à trouver des personnes susceptibles de continuer à faire vivre ces pêcheries.
Avant même d’envisager la transmission définitive de leurs pêcheries, les exploitants de pêcheries en pierres recherchent en vain des personnes passionnées, disponibles, relativement jeunes - suffisamment pour porter des pierres - et habitant à proximité de leurs pêcheries afin de pouvoir les soulager ponctuellement dans leurs tâches de surveillance et d’entretien. Dans la mesure où l’aspect technique de cette pêche ne s’avère pas très complexe, il semblerait intéressant par exemple de pouvoir mettre en relation de jeunes retraités passionnés de pêcheries et des propriétaires souhaitant parfois s’accorder quelques moments de vacances. Ainsi, on peut imaginer des échanges très ponctuels de bons soins aux pêcheries contre le droit de pêcher. De façon beaucoup plus anecdotique peut être serait-il intéressant de créer des réseaux de propriétaires de pêcheries (en France ou à l’étranger ?) prêts à échanger leurs maison et leurs pêcheries afin de changer d’air quelques jours par an ?!

Les pêcheries mobiles

"Les années 1980 ont vu un déclin rapide de ce type de pêche. A cette époque, environ soixante-dix autorisations sont encore délivrées dans la baie du Mont-Saint-Michel par les Affaires Maritimes dont quarante-cinq pour les pêcheurs professionnels (…) Aujourd’hui, seuls quelques pêcheurs, pour la plupart des inscrits maritimes en retraite, persistent à maintenir ce type de pêche. Le savoir-faire acquis par des générations de pêcheurs en baie et le matériel spécifique à cette activité sont donc en train de disparaître. Faute de gains suffisants et avec le lourd handicap de la saisonnalité, la relève ne semble plus assurée à moins que, comme pour quelques trop rares pêcheries fixes, un pêcheur accepte de tirer profit de son savoir en proposant au public intéressé de la suivre".

Extrait d’un article de Jean-Yves Cocaign in Terre de pêcheries. 4000 ans d’archéologie et d’histoire sur le littoral de la Manche, Collectif, direction de la publication : Cyrille Billard. Coéditions Orep / Crécet, 2012 : 96 - 99.

Ce type de pêcherie semble inéluctablement voué à une disparition relativement rapide, du moins pour des motivations liées directement à la pêche. En effet, seuls deux inscrits maritimes en retraite exploitent encore à ce jour des pêcheries mobiles sur la partie normande de la Baie. Confronté à la disparition de cette activité, l’écomusée de la baie du Mont-Saint-Michel à Vains-Saint-Léonard, établissement géré par le Conseil général de la Manche a produit en 2012 un film afin de conserver le témoignage de ces techniques de pêche. En 2013, dans le cadre de son exposition temporaire sur les pêcheries de la baie du Mont, des animations seront également proposées en partenariat avec un guide, fils d’un ancien pêcheur de Saint-Léonard. Ce partenariat pourrait être ensuite renouvelé afin d’apporter au public le témoignage de cette activité ancestrale. Implication envisagée des communautés pour sauvegarder les pêcheries.

Trouver un accord entre exploitants/propriétaires et la DDTM pour :

- Tenter d’épargner le plus possible les juvéniles (en collaboration avec l’Ifremer)

- Donner une existence légale aux pêcheries et à leurs exploitants afin de pouvoir solliciter éventuellement des financements pour certains travaux de restauration

- Envisager la transmission des pêcheries de façon pertinente

Solliciter les communes concernées pour aider les exploitants à :

- Transmettre leur savoir-faire

- Ouvrir les pêcheries aux visites et communiquer sur leur valeur patrimoniale.

Afin d’aider à mieux faire connaître ce patrimoine au quotidien, les cinq municipalités – et communautés de communes - au sein desquelles sont implantées une ou plusieurs pêcheries en activité (Agon-Coutainville, Hauteville-sur-Mer, Granville, Saint-Pair-sur-Mer, Julouville) s’engageraient à financer la conception, la fabrication, l’installation et l’entretien de panneaux pédagogiques. Ceux-ci permettraient d’identifier les pêcheries in situ, d’en expliquer l’histoire et le fonctionnement actuel et ainsi inciteraient à le faire respecter par les promeneurs qui, le connaissant mieux, pourront également s’approprier symboliquement ce patrimoine.
La municipalité de Granville très investie dans la restauration de la pêcherie en pierres La tranchée a d’ores et déjà financé la création d’un panneau, mais celui-ci reste extrêmement discret et délivre très peu d’informations.

Des pêcheries pédagogiques ?

Les collectivités territoriales affirment leur attachement aux pêcheries de leur littoral, mais sont-elles sensibles à leur caractère immatériel ? Nombreuses sont les communes qui souhaitent mettre en valeur ce patrimoine… au même titre qu’un monument. Elles ne mesurent pas l’investissement que cela représente pour leurs exploitants et imaginent parfois pouvoir racheter et exploiter une pêcherie avec les moyens communaux. Le maire de Julouville, par exemple, fait part de ce souhait depuis plusieurs années aux "propriétaires" de la pêcherie Banville.

Maison de la Baie du Mont-Saint-Michel

L’expérience de la Maison de la Baie du Mont-Saint-Michel - située au Vivier-sur-Mer en Bretagne - constitue une expérience particulièrement réussie du maintient d’un savoir faire et de sa transmission, de l’entretien d’un cercle de sociabilité directement lié la pêcherie et d’un mode de valorisation de ce patrimoine auprès du grand public.
La Maison de la Baie, aujourd’hui CPIE, dispose d’un chariot mobile remorqué par un tracteur qui permet d’emmener les visiteurs au pied des pêcheries en bois de ce secteur. Pendant plusieurs années, les animateurs de la Maison de la Baie ont guidé les touristes vers une pêcherie exploitée par un couple, ceux-ci répondaient aux questions des curieux. En échange, les salariés de la Maison de la Baie ont aidé à l’entretien de la pêcherie et ont ainsi acquis un savoir-faire spécifique.
La Maison de la Baie doit faire face aux mêmes problèmes administratifs que les exploitants de pêcheries normandes. Depuis trois ans, la "propriétaire" n’étant plus en capacité de s’occuper seule de la pêcherie, souhaitait la transmettre à la Maison de la Baie. Là aussi, la situation juridique de la pêcherie reste à déterminer, la DDTM refuse pour le moment de s’engager et la pêcherie ne peut donc pas officiellement être cédée. La Maison de la Baie continue malgré tout à exploiter la pêcherie.
Les salariés ont apporté des modifications significatives qui permettent à cette pêcherie en bois d’être non pêchante. Ils ont remplacé le traditionnel bâchon en osier finement tressé par un bâchon en métal, fait de très grosses mailles et avec une porte amovible. Ainsi, la pêcherie n’est pêchante que lorsque le bâchon a été préalablement fermé, en outre, elle ne pêche que des poissons de taille réglementaire. Cette innovation n’est cependant pas généralisable car la motivation première des autres exploitants de pêcheries réside dans le plaisir de pêcher or, ce système diminue considérablement les effectifs pêchés et supprime totalement certaines prises comme les crevettes par exemple. Le projet de la Maison de la Baie n’est pas de pêcher, mais de préserver et valoriser le patrimoine culturel et naturel de la Baie. Pêcherie du Vivier-sur-Mer. Photos Karine Le Petit / Crécet.

Cette expérience, si elle est tout-à-fait adaptée aux objectifs de la Maison de la Baie, n’est pas pour autant idéale. Les salariés de la Maison de la Baie ne disposent pas d’assez de temps et de moyens pour entretenir la totalité des haies de la pêcherie, aussi la moitié de chacune des haies n’est-elle plus entretenue et se détruit peu à peu. En outre, d’un point de vue ethnologique, s’ils sont parvenus à maintenir un système d’entraide et d’échange répartissant équitablement les poissons pêchés entre les personnes qui coupent le bois et entretiennent la pêcherie, on ne peut pas dire non plus qu’ils maintiennent la culture spécifique liée à l’exploitation d’une pêcherie. Les exploitants le sont à titre associatif et leur rythme de vie n’est pas contraint par la pêcherie. Ils ne possèdent pas une connaissance aussi précise de l’ouvrage que ceux qui en prennent soin comme un patrimoine familial. Ils ne possèdent pas non plus une connaissance extrêmement pointue du littoral et ignorent leurs probabilité de pêcher telles ou telles espèces selon les vents, les courants, les saisons etc.

Cette pêcherie constitue donc un formidable outil pédagogique, un témoignage vivant de ce que sont les pêcheries, mais qui ne peut représenter l’unique modèle pour sauvegarder le patrimoine immatériel des pêcheries car tout un pan de la culture liée aux pêcheries ne peut être sauvegardé.
L’association des amis de la pêcherie en pierre dite "de la tranchée" à Granville Depuis les années 80 une poignée d’hommes dont Jacques Gallet orientent leurs recherches sur l’histoire et le fonctionnement actuel des pêcheries. En 1996, Jacques Gallet fait découvrir les pêcheries sur un stand de la manifestation Brest 96 suite au premier prix qu’il a obtenu lors du concours "Sauvez les merveilles du patrimoine normand", organisé par le Chasse- Marée et parrainé par le ministère de la culture. Le Conseil Général et le Crécet choisissent à l’époque de soutenir cette initiative en finançant pour le premier, les panneaux de l’exposition et pour le second, le montage d’un film amateur sur les pêcheries. En 2003, en présentant ses recherches sur les pêcheries fixes du Cotentin, Jacques Gallet gagne le premier prix d’un concours organisé par Ouest France et la Fondation du Patrimoine bas-normand et remporte une somme d’argent pour l’aider à mettre en œuvre son projet de restauration de la pêcherie la Cavey. Toujours dans les années 80, le Musée du Vieux Granville présente avec le concours du Crécet et des passionnés locaux une première exposition sur les pêcheries. Depuis de nombreux appels lancés soit par le Musée, soit par des passionnés sont entendus, mais peu suivis d’effets.

En 2010, la Fondation du Patrimoine annonce que les travaux de restauration de la pêcherie Cavey doivent être engagés rapidement car dans le cas contraire, les crédits destinés depuis 2003 à la restauration de cette pêcherie ne pourront plus lui être alloués. Jacques Gallet tire alors à nouveau la sonnette d’alarme. Depuis longtemps, la municipalité de Granville avait affirmé son grand intérêt pour ce patrimoine et son soutien à toute action de mise en valeur des pêcheries, particulièrement pour la pêcherie qui semble par sa proximité faire partie intégrante de la ville : la Cavey, dite "pêcherie du casino". Fin 2011, la municipalité décide de se porter acquéreur de la pêcherie inexploitée depuis 1980 et d’en confier la restauration puis l’exploitation à une association. Début 2012 une lettre de la municipalité et du Musée du Vieux Granville est publiée dans la presse afin de mobiliser les Granvillais autour d’un projet de restauration de la pêcherie du casino. Cette fois, les gens se mobilisent et l’association des amis de la pêcherie de la tranchée (qui est aussi appelée, pêcherie du Casino ou pêcherie Cavey ou bien encore pêcherie du Plat Gousset) est crée le 9 mars 2012. A ce jour elle compte une cinquantaine d’adhérents. Un budget de 500 € mensuels est voté par la municipalité afin d’aider financièrement la restauration. Jacques Gallet qui préside depuis mars 2013 l’association des amis de la pêcherie La tranchée de Granville, a grâce au prix remporté en 2003, engagé les travaux de restauration du goulet. Ces travaux nécessitent l’intervention de tailleurs de pierres pour redonner un linteau solide à la porte de la pêcherie puis celle de menuisiers pour la construction de la porte en chêne. Un état des lieux a été réalisé par Cyrille Billard de la DRAC de Basse-Normandie avant que les membres de l’association ne soient autorisés à remonter les murs. Depuis novembre 2012 une quinzaine de personnes puis une petite poignée de quatre personnes relèvent peu à peu les pierres des murs de la pêcherie. Ces passionnés font en sorte que la pêcherie leur permette de pêcher au plus vite, ce qui ne correspond pas forcément aux aspirations des archéologues par exemples qui voyaient là une occasion unique d’expérimenter des savoir-faire. Mais le temps de l’archéologie s’avère ne pas être le temps de ces pêcheurs potentiels particulièrement enthousiastes.

L’association oeuvre déjà activement depuis sa création pour mieux faire connaître cette pêcherie et inciter toutes les personnes intéressées à collaborer au projet de restauration. Les adhérents sont à la fois Granvillais et estivants. De jeunes résidents de l’IME (Institut Médico Éducatif) de Granville participent régulièrement à la restauration du mur. L’association a d’ores et déjà mis en place de nombreuses visites guidées lors de l’année 2012. Elle vient également de créer son site internet afin d’informer des avancées de la restauration et solliciter l’adhésion de nouveaux membres.
Les projets pédagogiques et l’organisation de la répartition des tours de pêche reste encore à définir, l’association se concentre pour le moment sur la restauration de la pêcherie. Communautés, groupes, individus concernés

Cette communauté s’avère relativement complexe et l’enquête en cours permet peu à peu l’identification des différents protagonistes.

Les exploitants directs des pêcheries :

- "Concessionnaires" des pêcheries en bois (environ 10)

- "Propriétaires" des pêcheries en pierres (entre 15 et 30)

- Pêcheurs pêchant régulièrement "pour le compte des propriétaires" de pêcheries en pierres (environ trois fois plus que de « propriétaires » de pêcheries en pierres)

- Association des amis de la pêcherie de la Tranchée à Granville (env 35 adhérents)

Les collectivités locales concernées :

- Municipalités de Montmartin-sur-Mer, Granville, Julouville, Saint-Pair-sur-Mer, Agon-Coutainville

- Les Offices de Tourisme de Hauteville-sur-Mer, St Pair-sur-Mer, Julouville et Granville

- Les musées du Vieux Granville / Musée maritime de Tatihou / Ecomusée de la Baie du Mont-Saint-Michel à Vains

- Archives Départementales de la Manche

- L’État à travers la DDTM de la Manche

- Chercheurs régionaux et acteurs impliqués dans le processus de patrimonialisation :
Cyrille Billard, archéologue DRAC ; Elisabeth Ridel, CRHQ Université de Caen ; Pierre Schmit, directeur du CRéCET ; Yves Léonard, cinéaste ; Michèle Chartrain, conservateur du musée du Vieux Granville, Jean-Yves Cocaign, directeur de l’écomusée de la baie du Mont-Saint-Michel ; Luc Châtelais, retraité passionné qui organise bénévolement des visites guidées de la pêcherie La Maillard ; Jacques Gallet, président de l’association des amis de la pêcherie La tranchée de Granville etc.

Ainsi que de nombreux passionnés qui ont donné leur accord pour rejoindre un projet d’association de sauvegarde des pêcheries du Cotentin dont Luc Châtelais et Jacques Gallet sont à l’origine (projet en cours avec les coordonnées et l’accord intéressé d’une trentaine d’adhérents potentiels).

Ce processus a été enclenché il y a une trentaines d’années, mais la dynamique patrimoniale a repris vigueur depuis quelques années.

- Projet d’Activités Éducatives, réalisé en 1983 au collègue de Bréhal (50) avec Jacques Gallet et Luc Châtelais.

- Exposition en 1984 au Musée du vieux Granville "Pêcheries de l’Ouest-Cotentin et de la baie du Mont-Saint-Michel"

- Exposition "Pêcheries des côtes de la Manche. 4000 ans d’histoire d’un patrimoine littoral" présenté l’été 2012 au Musée de Granville puis à l’écomusée de la Baie à Vains et à l’été 2013 au musée de Tatihou.

- Exposition organisée par le Musée du Vieux Granville avec la participation de la Ville de Granville, la DRAC de Basse-Normandie et le Crécet de Basse-Normandie.

Colloques :

- Visite de l’exposition "Terres de pêcheries" et intervention sur les pêcheries dans le cadre du colloque organisé à Cerisy-la-salle par le Crécet et le ministère de la Culture et de la Communication, direction générale des patrimoines, département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique autour du PCI, mercredi 26 septembre 2012.

- Table ronde grand public autour des pêcheries organisée par la ville de Granville, la DRAC de Basse Normandie et le Crécet, Samedi 29 septembre 2012.

- Réalisation par la municipalité de Hauteville d’une réplique de pêcherie en bois sur un rond point à l’entrée du village. La réalisation a été assurée par les exploitants de deux pêcheries qui habitent Hauteville (familles Lepeu et Mahé).

- Activités de l’Office du Tourisme de Hauteville-sur-Mer :

- Publication d’une brochure : Les pêcheries du Cotentin et de la baie du Mont-Saint-Michel. Luc Châtelais. Editions Jean-Paul Gisserot, 2010 (5000 exemplaires - traduit bénévolement en espagnol, allemand et anglais par des passionnés).

- Commande au collège Jacques Prévert de Coutances de la réalisation d’une maquette de la pêcherie "La Maillard", exposée dans l’Office du Tourisme.

- Visites guidées régulières de la pêcherie en bois La Maillard avec le guide bénévole Luc Châtelais. (En 2012 : 59 visites ont été proposées, soit au public scolaire, soit au grand public dont deux visites nocturnes en été) "La visite de la pêcherie La Maillard est un produit phare de l’Office de Tourisme" blog de l’OT 2012.

- Réalisation et distribution de documents pédagogiques comportant un plan avec le nom des différentes parties de la pêcherie ainsi qu’un questionnaire.

- Réalisation d’une exposition dans l’OT sur les pêcheries (avec le concours de Luc Châtelais)

- L’Office du Tourisme de Saint-Pair-sur-Mer organise des visites d’une pêcherie en pierres.

- COLLECTIF, 2012. Terre de pêcheries. 4000 ans d’archéologie et d’histoire sur le littoral de la Manche, direction de la publication : Cyrille Billard. Co-éditions Orep / Crécet.

- DVD Terre de pêcherie de 1h10 réalisé par Yves Léonard projeté et vendu dans le cadre de l’exposition "Terre de pêcheries". Copyright Musée du Vieux Granville 2012.

- MILLOT Nicolas. "Les pêcheries de la baie de Cancale". in Chasse Marée N°118 : 40-49.

- COLLECTIF (SEGUIN J.-F. ; GALLET J. ; CHATELAIS L. ; REULOS M.), 1986. "Pêcheries de l’Ouest Cotentin et de la baie du Mont-Saint-Michel". in Art de Basse-Normandie, N°94, 45p.

- Site d’informations des amis de la pêcherie de Granville "La Tranchée"

- Présentation et propositions de visites de la pêcherie « La Maillard » par l’OT de Hauteville-sur-mer

- Blog de l’OT de Hauteville-sur-Mer présentant l’actualité de la pêcherie (travaux de réfections, travaux extraordinaires par exemple, construction d’un "hairon" pour dévier le cours de la rivière)

- Site du collège Jacques Prévert de Coutances qui présente les étapes de la réalisation de la maquette tactile de la pêcherie "La Maillard"

- CHÂTELAIS Luc Châtelais, 2010. Les pêcheries du Cotentin et de la baie du Mont-Saint-Michel. Office du Tourisme de Montmartin-sur-mer. Éd JP Gisserot.

Publications "à compte d’auteur"

- KRAUKE Günter, 2009. Vivre avec les pêcheries 1984-2009 à Agon Coutainville. Berlin(30 exemplaires)

- KRAUKE Günter. La mer et ses hommes (100 exemplaires)

- Nombreux livres photos réalisés via internet par Luc Châtelais pour les offrir aux exploitants des pêcheries

En cours de réalisation

- Documentaire de 52’ sur les pêcheries du Cotentin, réalisé par Yves Léonard en coproduction avec Normandie TV.

Liste des personnes rencontrées et qualités

Exploitants de pêcheries :

- MM. Lepeu père et fils, "concessionnaires" de la pêcherie en bois La Maillard

- MM Mahé père et fils (ses deux fils) "concessionnaires" de la pêcherie en bois La Monmartinaise

- Guy Leclerc dit "Tonton Guy", exploitant de La Charlotte et La Pierrette ; Christophe Charbonnier (neveu de Guy Leclerc) à qui Guy Leclerc transmet petit à petit ses deux pêcheries ; Pascal Leclerc, exploitant de pêcherie en bois La Louise

- M. Bourges "co-propriétaire" de la pêcherie en pierres Banville

- M. et Mme Gauthier, pêcheurs "pour le compte de" M. Bourges

- M. Marette "pêcheur pour le compte de" M Despierre

- M. Despierre, "co-propriétaire" de la pêcherie en pierres Banville

- M. Harasse, "pêcheur pour le compte de" M. Despierre

- Mlle Roch "co-propriétaire" de la pêcherie en pierres Banville

- Mme Gosse "pêcheuse pour le compte de" Mlle Roch

- M. et Mme Laurent, "propriétaires" de la pêcherie en pierre Pigeon.

Autres partenaires :

Cyrille Billard, DRAC ; Pierre Schmit, Crécet ; Tiphaine Brett, DDTM ; Patrick Sanlaville, DIRM ; Eric Pain, DDTM Police des eaux et littoral ; Luc Châtelais, passionné ; M Forget, maire de Julouville ; Jean-Michel Lair, Maison de la Baie du Mt-St-Michel qui exploite une pêcherie en bois (Bretagne) ; Estelle Galton, OT de Montmartin-sur-Mer (à Hauteville-sur-Mer) ; Yves Léonard, cinéaste ; Jean-Yves Cocaign, directeur de l’écomusée de Vains.

Localisation géographique et identification des pêcheries en activité en 2013

Les conditions de marées de la côte ouest du Cotentin ont favorisé l’installation de nombreuses pêcheries. Des documents du XVIIIe siècle décrivent une côte ouest du Cotentin, du havre de Lessay à Carolles, soit plus de 50 km de côtes, comme un espace sur lequel se sont implantées des pêcheries de façon presque continue. De mémoire de l’un des plus anciens exploitants de pêcheries "Y avait des pêcheries partout, ils se touchaient tous" (Guy Leclerc entretien de nov. 2012). Après de nombreuses turpitudes liées à un statut juridique extrêmement complexe et à la raréfaction de la ressource halieutique, il ne subsiste en 2013 sur cette même côte qu’une petite dizaine de pêcheries en activité.

Pêcheries en bois

- La Charlotte à Agon-Coutainville

- La Pierrette à Agon-Coutainville

- La Louise à Agon-Coutainville

- La Petite à Agon-Coutainville

- La Maillard à Hauteville-sur-Mer

Pêcheries en pierre (au sud de Granville)

- Cavey (dite la Tranchée ) à Granville (en cours de restauration)

- Garnier à Granville

- Pigeon à Granville

- Drigot à Saint-Pair-sur-Mer

- Le petit soulier à Saint-Pair-sur-Mer

- Banville dite Les Grands Bras à Julouville

Dates et lieu(x) de l’enquête : 2012 et 2013, Julouville, Granville, Agon-Coutainville, Saint-Pairsur-Mer, Hauteville-sur-Mer
Nom de l'enquêteur : Karine Le Petit / Crécet

N° d'inventaire Ministère Culture : 2013_67717_INV_PCI_FRANCE_00316
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2d9

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pecherie_fixe_du_littoral_de_la_Manche

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