La fête de l’Ours de Prats-de-Mollo-La-Preste, El Dia dels Óssos, se caractérise par la présence de trois groupes de personnages : les trois Ours vêtus de peaux de mouton, les Chasseurs et les Barbiers, plus âgés, parfois appelés les Ours blancs.

La fête de l’Ours de Prats-de-Mollo-La-Preste, El Dia dels Óssos1, se caractérise par la présence de trois groupes de personnages : les trois Ours vêtus de peaux de mouton, les Chasseurs et les Barbiers, plus âgés, parfois appelés les Ours blancs.
Une trentaine d'hommes, entre 18 et 55 ans, sont ainsi impliqués dans la fête. Cette confrontation des générations est, avec le "mâchurage2", l'une des particularités de la fête pratéenne. Les trois Ours, accompagnés de leurs Chasseurs assistants, s'élancent, depuis le fort Lagarde construit par Vauban sur les hauteurs de la ville, dans les ruelles médiévales de Prats-de-Mollo. Durant les deux heures de chasse, les Ours coursent, attrapent et surtout mâchurent, barbouillent de suie, ceux qui tombent sous leur patte et particulièrement les jeunes filles.
Sur la grande place du Foiral, en contrebas de la ville, une foule noircie assiste à la confrontation des Ours et des Barbiers et à la scène finale du rasage.

La préparation de la fête et le choix des acteurs

Depuis la fin des années 1990, le Foyer rural se charge de l’organisation de la fête. En 2004, une Commission "Ours" est créée afin d’organiser et d’assurer le déroulement de la chasse selon des règles définies. Une quinzaine de jours avant les festivités, on procède au choix des Ours. Pour pouvoir se présenter il faut être un homme, habitant de Prats-de-Mollo-La-Preste, avoir plus de 18 ans, avoir été au moins une fois Chasseur dans des chasses à l’Ours antérieures et participer à la vie locale. Après une présélection parmi les candidats, le choix final est fait par la Commission « Ours ». En général, on reprend deux anciens Ours et on en désigne un nouveau. Deux remplaçants sont également nommés. Chaque Ours détermine ensuite qui seront les Chasseurs qui l'accompagneront et le seconderont. Le groupe des Barbiers, quant à lui, fonctionne par cooptation. Il est essentiellement composé d'anciens Ours ou Chasseurs. C'est un groupe fermé qui cultive l'entre-soi : l'intégrer est considéré comme un honneur. Les jours précédant le dimanche de la course sont consacrés au llevant de taula (lever de table) : les organisateurs, les futurs Ours et les Chasseurs font la tournée des mas et des habitations afin de récolter des victuailles et de l’argent pour la fête.

Déroulement de la fête

La fête de l’Ours de Prats-de-Mollo-La-Preste marque le début des festivités carnavalesques qui occuperont les quatre jours suivants. El Dia dels Óssos, toujours un dimanche, commence par un esmorzar. Les Barbiers s’invitent chez l’un ou l’autre d’entre eux, tandis que les Ours et les Chasseurs se réunissent dans les cafés de la ville.
En fin de matinée, la remise protocolaire de la patte de l’Ours au maire de Prats-de-Mollo-La-Preste par le maire d’Arles-sur-Tech ouvre la fête. La Cobla Ciutat de Girona joue ensuite un contrapàs, ronde ouverte dansée par les hommes, où l’on retrouve mêlés les acteurs masculins de la fête et les habitants de la ville. Suivent des sardanes auxquelles le public participe massivement, couvrant la place de trois voire quatre rondes concentriques.
Par la suite, les Ours et leurs Chasseurs montent au fort Lagarde partager une grillade tandis que les Barbiers "se préparent" dans les bars où ils attendront plusieurs heures l’arrivée des Ours.
Vers 13 h 30, au fort et en présence du public, commence la préparation des Ours. Elle est accompagnée d’une quinzaine de musiciens à la gralla, au flaviol et, parfois, au sac de gemecs (cornemuse catalane). Ces musiciens suivront les Ours pendant toute la durée de la fête, jouant "l'air de l'Ours". Les Ours sont habillés de peaux de mouton que l'on assemble sur leur corps en les cousant à de la toile de jute. Le premier Ours habillé commence à s'échauffer : il défie un de ses Chasseurs en lui lançant son bâton. Après plusieurs passes de l'un à l'autre, l'Ours jette le bâton et se précipite sur son adversaire qu'il plaque au sol. Puis la séance de transformation se poursuit : les Ours commencent par enduire leur bâton, instrument de défi et de pouvoir, d'un mélange d'huile et de suie avant de recouvrir de ce même mélange toutes les parties de leur corps encore visibles, en débutant par les bras et en finissant par le visage. Pendant toute la durée de l'opération, les spectateurs scandent l'air de l'Ours ou les huent pour les provoquer. La tension monte tant chez les acteurs que dans le public. La fin de la transformation est marquée par un cri spécifique, un son profond et guttural imitant le grognement d’un ours, que les spectateurs acclament, le tout formant une scène d'une remarquable intensité.
Les trois Ours, une fois prêts, se rassemblent à la "pointe" du fort, afin de dominer la ville de Prats-de-Mollo-La-Preste qu’ils se préparent à "envahir". Les Ours grognent, brandissent leurs bâtons, et la foule massée plus bas, le long des remparts de la ville, répond en chantant. Trois coups de fusil signalent le départ de la course. Ours et Chasseurs descendent en empruntant différents chemins pour surprendre les spectateurs qui les attendent en contrebas.
Les Ours sont défiés tout au long du parcours par les hommes et les femmes qui chantent ou les huent, en frappant des mains. Les Ours foncent dans la foule pour mâchurer ceux qui sont sur leur passage. Le "mâchurage" peut aller de la simple trace sur le visage au barbouillage en règle après placage au sol.
C'est le sort qui attend les jeunes filles désignées à l'Ours par les Chasseurs. Les hommes que l'on veut honorer sont gratifiés d'un échange de bâton avant d'être jetés au sol et généreusement enduits de noir. Quoi qu'il en soit, être marqué par l'Ours est un honneur, un signe de reconnaissance et la trace noire devient trophée. Les Chasseurs, loin de s'opposer aux Ours, les assistent et leur indiquent les "victimes" qu'il ne faudrait pas oublier.
Ils lui ménagent des espaces pour les défis en écartant la foule. Ils se répartissent les accessoires : une bouteille d’huile et une boîte de noir de fumée (qui permettent de renouveler, sur les mains de l’Ours, la mixture destinée au mâchurage) et la borratxa (gourde de cuir) emplie de vin ou d'un autre alcool. L'un d'eux aide l’Ours à se relever en lui présentant son bâton.
Deux autres portent des fusils chargés à blanc, qui sont déclenchés à chaque "prise" de l’Ours.
Avant l’arrivée des Ours sur le Foiral vers 16 h 30, les Barbiers se préparent et se mettent en condition. Tout de blanc vêtus, le visage peint de blanc, ils défilent, en trois groupes de trois, les uns derrière les autres, accompagnés par la Cobla Ciutat de Girona. Chaque groupe comprend un Manaire (Meneur) avec sa chaîne, un porteur de hache qui fait mine d'aiguiser son instrument sur le sol, et un "Boudin" qui tient un pot de chambre en plastique contenant du vin doux et un butifarró (boudin) entier. Chacun de ces trios s’attribue un Ours et ses Chasseurs.
Puis les Ours arrivent et la confrontation commence. Chaque groupe de Barbiers ne se préoccupe que de "son Ours" qu'il tente d'attraper et de maîtriser.
L’Ours les défie de son bâton. À ce moment, comme le dit l’un des Barbiers, ils sont comme "investis d’une mission divine : il faut les attraper et les raser !". Mais l'Ours enfin enchaîné ne cesse de s’échapper pour mâchurer le public. Ours et Barbiers y mettent toutes leurs forces. Même si les spectateurs sont contenus par le cercle des Chasseurs et si les musiciens sont à proximité, cette étape de la course est chaotique : les trois groupes évoluent et se mélangent sur la place, dépenaillés, les Ours traînés au sol, aux cris de la foule, parmi les chaises renversées.
Une fois attrapés, les trois Ours sont rassemblés sur les chaises au centre de la place. La cobla joue "l'air des Barbiers" tandis qu'on leur passe sur le
visage, tel un blaireau, un boudin trempé dans du vin puis la lame de la hache en un simulacre de rasage. Enfin le costume de l’Ours est enlevé et jeté dans la foule, pendant que les Ours redevenus humains, les Chasseurs et les Barbiers, entament une farandole, à laquelle viennent s'agréger leurs amis, au son de la cobla jouant El Ball de córrer. La journée se termine par des sardanes tandis que, la nuit tombée, la fête se prolonge dans les cafés et au bal.

1 Le Jour des Ours.

2 Néologisme issu du verbe "mâchurer" désignant l’action de noircir le visage des participants.

Aucun des éléments de la fête n'est vraiment pérenne et ne fait l'objet d'une prise en charge par la collectivité. Seuls quelques accessoires (chaînes, haches, pots en plastique) sont conservés au Foyer rural. La plupart des costumes (Ours, Barbiers) sont renouvelés chaque année. Ceux des Chasseurs et des spectateurs réguliers sont conservés d'une année sur l'autre car déjà tâchés de suie. Trois peaux de mouton sont nécessaires pour habiller les Ours : deux, disposées de part et d’autre du corps, sont cousues entre elles au niveau des épaules avec de la corde et une aiguille à matelas ; la troisième peau est utilisée pour la confection de la toque. Quelques mois avant la course, environ vingt-cinq peaux de mouton sont commandées3. Elles sont lavées et séchées avant d'être sélectionnées, taillées et ajustées une semaine avant la course, pour être définitivement cousues sur les Ours le jour de la fête. L’Ours est également pourvu d’un bâton de 2 mètres de long qui vient compléter son costume.

3 Les peaux sont réparties comme suit : neuf peaux pour les trois Ours adultes, six peaux pour les trois Ours junior. Les dix peaux restantes sont réservées aux remplaçants.

Deux évolutions notables ont marqué la fête au cours des cinquante dernières années. Elles sont étroitement liées. Dans les années 1960, le rôle des Ours était encore tenu par des marginaux qui étaient payés d'un peu d'argent et d'une paire d'espadrille. La fête était jugée vulgaire et d'un autre âge. Faire l'Ours n'était nullement valorisé et les filles, dit-on aujourd'hui, cherchaient surtout à éviter de se faire mâchurer. À partir de 1979, l’effet de médiatisation produit par un film tourné sur la fête4 modifia sa perception. Les spectateurs commencèrent à affluer. Pour faire face au nombre et assurer le spectacle, un troisième Ours fut ajouté tandis que le rôle devenait gratifiant à mesure que l'on insistait sur les qualités sportives et le contrôle de soi indispensables à sa tenue. Cette "starification" de l'Ours s'est accompagnée d'une promotion du "mâchurage" : jadis marque d'infamie supposée, la tâche noire est désormais devenue honorifique, signe pour les jeunes filles de leur pouvoir de séduction et pour les hommes, ou les femmes plus âgées, de leur prestige au sein de la communauté pratéenne. À tel point que n'être pas mâchuré est vécu comme une déception et que l'une des obligations (et non la moindre) qui pèse sur les Ours est de surtout n'oublier personne.
Parallèlement, la gestion de la violence de la fête est devenue primordiale. Autrefois, l'Ours n’hésitait pas à lancer son bâton dans les jambes des Chasseurs qui le poursuivaient pour les faire chuter en pleine course. Aujourd’hui, les Chasseurs sont là pour assister l’Ours, pour assurer sa sécurité et celle des spectateurs. D’ennemis ils sont devenus des acolytes. Désormais le seul véritable antagoniste de l’Ours est le Barbier, mais la foule est tenue à l’écart de la confrontation très physique qui les oppose au moment du rasage. De même, les placages au sol ont pu, selon certains, changer de nature : les Ours tombent sur le dos, enveloppant leur prise de leurs bras pour la protéger. Quelques-uns sont d'ailleurs des rugbymen habitués à maîtriser les chutes.

4 CHEGARAY Denis ; BREUGNOT Pascale, 1979. La fête de l’Ours, FR3, 55 minutes.

Bibliographie sommaire

- ALFORD Violet, 2004 [1937]. Fêtes Pyrénéennes, Loubatières, Barcelone.

- AMADE Joan, 1950. Costumari Català (5 volumes), Ediciones Salvat, Barcelone.

- BOBBE Sophie, 1986. Trois fêtes de l’ours en Catalogne, Mémoire de maîtrise d’ethnologie, Université Paris X-Nanterre.

- BOSCH Robert, 2013. Fêtes de l’ours en Vallespir, Trabucaire, Perpignan.

- COLLIER Basil, 1939. Catalan France, Londres.

- FABRE Daniel, 1993. "L'ours, la Vierge et le taureau", in Ethnologie française, t. XXIII, n° 1 : 9-19.

- HENRY Dominique Marie Joseph, 1835. Histoire de Roussillon : comprenant l’histoire du Royaume de Majorque, livre premier, Imprimerie Royale, Paris.

- LAJOUX Jean-Dominique, 1996. L’homme et l’ours, Glénat, Grenoble.

- LEGUIEL Émile, 1908. "Le Carnaval d’autrefois à Prats-de-Mollo (Souvenirs de ma belle-mère)", in Revue Catalane (Société d’étude catalane), tome II, Perpignan, vol. n°21 p. 262-267 ; vol. n°22, p. 299-304 ; vol. n°23, p. 367-370 ; vol. n°24, p. 387-392.

- PAGÈS Magali, 2010. Culture populaire et résistance culturelle régionales, Fêtes et chansons en Catalogne, L’Harmattan, Paris.

- PASTOUREAU Michel, 2007. L’ours, histoire d’un roi déchu, Seuil, Paris.

- VAN GENNEP Arnold, 1999. Le folklore français, du berceau à la tombe. Cycles de Carnaval-Carême et de Pâques, Robert Laffont, Paris.

Une bibliographie complète sera proposée sur le site internet dédié aux ressources documentaires.

 

Sources audiovisuelles

- CAILLET Antoine, 1938. Films amateurs sur les fêtes de l’Ours de Prats-de-Mollo-la- Preste et Arles-sur-Tech, archives privées.

- CHEGARAY Denis ; BREUGNOT Pascale, 1979. La fête de l’Ours, FR3, 55 minutes.

- LAJOUX Jean-Dominique, 1979. L’ours ou l’homme sauvage, CNRS, 16mm, 14 minutes.

- TRENET Charles, 1950. La chanson de l’ours

Personne(s) rencontrée(s)

- Jeanne Maison (gérante de gîtes), conseillère municipale, présidente du Foyer Rural, organisatrice des festivités de la ville

- Philippe Moly (kinésithérapeute), Barbier lors de la fête de l’Ours

- Yvan Planell (entrepreneur en maçonnerie), Barbier lors de la fête de l’Ours

Localisation (région, département, municipalités)

Région Languedoc-Roussillon
Département des Pyrénées-Orientales
Municipalité de Prats-de-Mollo-La-Preste

Dates et lieu(x) de l’enquête : De mai à septembre 2014, Prats-de-Mollo-La-Preste
Date de la fiche d’inventaire : 28 octobre 2014
Nom du rédacteur de la fiche : Pays Pyrénées-Méditerranée
Noms des enquêtrices : Christelle Nau, médiatrice du patrimoine / guide conférencière – Office du Tourisme de Prats-de-Mollo-La-Preste et Julie Schlumberger, médiatrice du patrimoine / guide conférencière – Pays d’Art et d’Histoire Transfrontalier Les Vallées Catalanes du Tech et du Ter

N° d'inventaire Ministère Culture : 2014_67717_INV_PCI_FRANCE_00349
Identifiant ARK : " ark:/67717/nvhdhrrvswvk26t"

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
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