Simples, zerbaz, tizane et zerbaz péi sont les principaux termes utilisés pour nommer les plantes médicinales à la Réunion. Ils représentent la pharmacopée traditionnelle et les techniques utilisées sont variées : décoction, infusion, inhalation, bain et cataplasme. Les savoir-faire et les pratiques des tizane représentent, à La Réunion et dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien (Madagascar, archipel des Comores, île Maurice, île Rodrigues et Seychelles), un héritage commun issu des connaissances rapportées par les populations venues d’Afrique, d’Asie, de Chine, de France, d’Inde et de Madagascar lors des vagues migratoires coloniales successives.

Ces communautés à la Réunion concernent un ensemble de groupes interdépendants :

1) la communauté limitée des tizanèr, considérée ici comme des professionnels reconnus : La communauté des Tizanèrs est constituée d’individus reconnus comme référents culturels pour les soins par les simples, dans l’île de la Réunion. Cette communauté traditionnelle, peu nombreuse est d’origine rurale et très proche de l’environnement naturel procurant les plantes. La transmission, qui se fait de l’aîné(e) au cadet ou à la cadette, comprendra la connaissance des plantes sur le terrain, l’endroit où l’on peut se les procurer et la façon de les préparer. Le tizanèr traditionnel maîtrisera l’ensemble du processus de transformation de la plante en remède (de la cueillette à la préparation). Traditionnellement, leurs pratiques se réaliseront en grande majorité sur rendez-vous et dans un accueil à domicile, où le tizanèr pourra adapter la séance de soin et la préparation des plantes en fonction des maux du patient. Aujourd’hui, avec l’évolution des fonctions et de l’environnement de plus en plus urbain, les tizanèr se retrouvent également sur les marchés et dans des boutiques spécialisées.

2) la communauté élargie, composée de professionnels « institutionnels » et de nombreuses « personnes ressources tisane », que l’on retrouve au sein des familles utilisatrices et qui entretiennent une transmission autour de la connaissance et du soin.

La présente fiche s’intéresse plus particulièrement aux pratiques des « personnes ressources tisane » de l’île de la Réunion, en s’appuyant sur l’exemple d’une association de quartier des hauts de l’Ouest, le quartier de Sans-Souci, espace rural évoluant rapidement vers un modèle urbain annonçant une fragilisation des pratiques des habitants autour de la connaissance, l’utilisation des plantes pour un soin libre et gratuit. Tizanèrs et « personnes ressources tisane » peuvent se retrouver dans des structures particulières, telles que des associations, à l’instar du Kolektif fruiyapin et d’Avenir de Sans- Souci, association historique de la commune de Saint-Paul, créée en 1984, qui développe des actions pour le développement harmonieux du quartier éponyme. Au sein de cette dernière association, malgré les six personnes concernées par le projet, une seule peut se revendiquer de la lignée des tizanèrs, et depuis quatre générations. Les autres connaissent parfaitement les plantes et leurs vertus, mais ne se considèrent pas comme tizanèrs, uniquement comme des personnes ressources de la matière. « Depuis toujours dans le quartier, les gens se soignent par les plantes. Il n’y a pas besoin de tizanèrs, uniquement des personnes au sein des familles qui connaissent les plantes et la façon dont elles soignent », Mélanie, personne-ressource tisane, Avenir de Sans-Souci.

« L’Aplamedom-Réunion » est une association pluridisciplinaire, dont les missions visent la sécurisation des plantes médicinales et aromatiques et l’incitation à la valorisation économique et durable de cette ressource dans les secteurs cosmétiques, agroalimentaires et de bien-être. L’association existe dans les départements d’outre-mer et se compose principalement de bénévoles issus du milieu médical, universitaire, industriel et agricole (cfr leur site internet). Elle met en oeuvre une forme d’appropriation des savoirs par l’expertise scientifique en vue de la commercialisation des ressources.

Cette communauté élargie comprend donc :
- une grande partie des familles réunionnaises, appelées ici « personnes ressources tisane », qui, par la transmission non formelle au sein de la cellule familiale, permettent à un soigné de devenir soignant. Afin de cerner la réalité et la force de cette communauté, deux échantillons représentatifs ont choisi de participer au projet d’inventaire, ouvrant ainsi deux pistes de travail : dans un premier temps, à l’initiative de l’association Avenir de Sans-Souci, une rencontre avec les « personnes ressources tisane » reconnues du quartier de Sans-Souci, puis dans un second temps, la mise en oeuvre d’un questionnaire avec une cinquantaine de réponses, le plus ouvert possible au sein de la population.

* Association Avenir de Sans-Souci : travail d’inventaire des pratiques tizanèrs au sein du quartier afin de prévenir leur possible fragilisation avec l’urbanisation rapide du quartier. Quatre personnes-ressources y sont reconnues : Mélanie, 60 ans ; Mme Gaze, 65 ans ; Mme Augustine, 80 ans ; M. Zémia, 80 ans, ainsi qu’un tizanèr, Marie-André Lavigny, 60 ans. Du fait de leur emplacement géographique dans le quartier et de leur généalogie familiale respective, le rayonnement de leurs soins et de leurs conseils couvre quasiment l’ensemble du quartier.
* Le questionnaire : selon la cinquantaine de réponses apportées au questionnaire (cfr. partie V et annexe 1) constitué à l’appui de cette fiche : - la majorité des répondants a plus de 40 ans, est de genre féminin et habite un immeuble ; - les cinq plantes le plus souvent citées sont l’ayapana, la citronnelle, le thym, le zeferalgan et le romarin ; - les répondants se procurent les tisanes auprès des membres de la famille, des marchés, dans la kour des maisons et enfin auprès de pharmacies ; - la pratique se transmet essentiellement au sein de la cellule familiale ; - les répondants souhaitent à l’unanimité que cette pratique soit valorisée et transmise aux plus jeunes.

- les professionnels institutionnels, comme l’APLAMEDOM et l’Ordre des pharmaciens, mais aussi toutes les structures de gestion du domaine public (Parc des Hauteurs, Office national des Forêts, …), qui, par leurs missions respectives, inventorient, sélectionnent, protègent, interdisent et valorisent.

Lieu(x) de la pratique en France

Île de la Réunion, au sud-ouest de l’Océan indien. Le quartier de Sans-Souci à Saint-Paul, dans l’ouest de l’île, accueille l’association Avenir de Sans-Souci, bon exemple d’une dynamique locale autour de la culture et de l’usage des simples.

 

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

De tout temps et sur tous les continents, les êtres humains utilisent des plantes médicinales pour se soigner. L’usage des plantes comme recours thérapeutique est ainsi très répandu dans de nombreux pays. En Chine par exemple, la pharmacopée est considérée comme un trésor national. À Madagascar, la médecine traditionnelle est en usage depuis longtemps. Il y a eu un temps la promesse de la biomédecine. Après la cohabitation du système « moderne » et de la médecine traditionnelle, devant les difficultés politiques et économiques qui complexifient l’accès aux médicaments, le recours aux plantes médicinales et la prise en compte des savoirs anciens demeurent (et redeviennent) une alternative. Dans une étude intitulée Savoirs des femmes. Médecine traditionnelle et nature (2014), l’anthropologue Laurence Pourchez montre que la pratique de la médecine traditionnelle est également présente dans l’archipel des Mascareignes (la Réunion, l’île Maurice et Rodrigues) dès le début de l’esclavage colonial.

Description sommaire

 

Simples, zerbaz, tizane et zerbaz péi sont les principaux termes utilisés pour nommer les plantes médicinales à la Réunion. Ils représentent la pharmacopée traditionnelle et les techniques utilisées sont variées : décoction, infusion, inhalation, bain et cataplasme. Les savoir-faire et les pratiques des tizane représentent, à La Réunion et dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien (Madagascar, archipel des Comores, île Maurice, île Rodrigues et Seychelles), un héritage commun issu des connaissances rapportées par les populations venues d’Afrique, d’Asie, de Chine, de France, d’Inde et de Madagascar lors des vagues migratoires coloniales successives. Ces savoir-faire et pratiques développés à l'origine par les femmes sont connus par une grande majorité des familles réunionnaises et par quelques tizanèr reconnus se fondent sur l’oralité et sont intimement liés à une dimension spirituelle, avec une interpénétration des sphères du sacré et du profane. Le rapport à la plante se fait dans un profond respect. Ses principes actifs sont indissociables de sa valeur spirituelle : plusieurs plantes sont utilisées dans le cadre de rituels. Longtemps le domaine exclusif des femmes, du début du peuplement, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, jusqu'au début du XXIe siècle, où le savoir se transmettait au sein des familles ou groupes social verticalement de femme à femme, ces savoirs se transmettent aujourd’hui davantage par une initiation permettant l’intégration à la communauté des tizanèr. La communauté élargie peut s’étendre à l’ensemble des familles réunionnaises, dont les membres, de soignés, peuvent devenir soignants.

Savoir-faire et pratiques des simples vont au-delà des soins : ils représentent un enchâssement des dimensions environnementales, culturelles, sociales et économiques. Pour un individu, soigné ou soignant, ils sont synonymes de spiritualité, de place dans la société, de rapport à l’autre et au monde.

 

Description détaillée

 

La société réunionnaise trouve ses fondements dans le contexte historique de l’esclavage colonial : les femmes et les hommes arrivés librement ou emmenés de force d’Afrique, de Madagascar, de Chine, d’Inde, des Comores ou de France ont à la fois conservé leurs bases socio-culturelles et créé par créolisation une société nouvelle. Dans tous ces pays d’origine, les plantes constituaient une ressource thérapeutique. Dans un contexte d’inégalité et de dénuement, forts des savoirs attachés à cette pratique, ils ont forgé un pluralisme médical. La consommation de plantes sous forme de tisanes, bains ou cataplasmes est une pratique courante chez les Réunionnais. Qualifiés de simples, tizane et zerbaz peï, ces usages témoignent d’une riche connaissance de la nature et des croyances populaires à la Réunion. Utilisées pour leurs propriétés thérapeutiques, les plantes sont fortement associées à une fonction symbolique et spirituelle liée aux pratiques des ancêtres.

À la Réunion, l’utilisation des tizanes, qui cohabite avec la médecine biomédicale, est une pratique très répandue, qui se transmet de génération en génération. La communauté traditionnelle des tizanèrs (composée ici des tizanèrs et personnes ressources tisane) détiennent des savoirs empiriques acquis tout au long de la vie ; plus expérimentés, ils remplissent une fonction sociale à part entière et sont une référence dans leur quartier de résidence pour la prescription de remèdes à base de plantes médicinales. La communauté traditionnelle des tizanèrs est identifiée, reconnue et sollicitée par les habitants de leur quartier, de leur village voir de toute l’île, en cas de grande renommée. Au sein de cette communauté le Tizanèr convoque autant les connaissances liées à la nature que celles relevant du sacré. Les savoirs sont souvent détenus par les aînés dans les familles. La fonction de tizanèr implique aussi une connaissance des vertus des plantes, de leurs pouvoirs de guérison, des parties de la plante à utiliser (racines, écorces, bourgeons, feuilles, tiges) et des lieux et moments favorables à leur cueillette selon la lune, selon l’état de maturité de la plante et le moment de la journée. Le tizanèr mobilise un arsenal de formules et de références religieuses durant la préparation des remèdes destinés à soigner le malade.

Parfois, les breuvages sont associés à des invocations magico-religieuses, en vue de nettoyer l’intérieur et l’extérieur du corps malade. Govindama Yolande, docteur en psychologie et ethnopsychiatre, auteur de l’ouvrage Le Corps dans le rituel : ethnopsychanalyse du monde réunionnais (ESF, 2000), décrit les plantes utilisées par les descendants d’engagés : « On trouve parmi les feuilles des plantes, d’une manière générale, des feuilles de manguier, des feuilles de pignon d’Inde, des feuilles de camphrier, des feuilles de citronnelle, patate à Durand, ayapana, et des feuilles de margosier. L’assemblage de ces plantes respecte la symbolique des chiffres en relation avec les notions du pur et d’impur, de façon à éloigner le maléfice et le mauvais oeil, ce qui contribue à soutenir, dans le groupe hindou, la croyance en un corps sacré, dont il faut protéger l’intégrité pour en faire une offrande potentielle à la divinité. »

Pour les personnes ressources tisane, la kour est l’espace propice à la plantation des plantes médicinales. Les familles réunionnaises plantent fréquemment dans leur jardin des zerbaz à but thérapeutique.
La pratique des simples se caractérise par la simplicité des prescriptions médicinales à base de plantes. Marchés forains et lieux de cultes (temples, églises...) sont aussi des lieux de prescriptions de tizane. La cueillette des plantes est une étape importante, qui implique le respect de l’environnement naturel, gage d’un résultat positif auprès des malades. Par leurs vertus, les plantes aident le malade à se débarrasser du mal qui le ronge et seront consommées sous forme de tisanes ou de bains. Les travaux de Robert Chaudenson, linguiste, et, de manière plus récente, ceux de Laurence Pourchez, anthropologue, montrent que la plupart des noms de plantes médicinales de la Réunion sont issus de la langue malgache, tels le tambave (tambavy en malgache), qui désigne à la fois la maladie et la plante qui soigne. Cette pathologie touche souvent les nourrissons ; les Réunionnais considèrent que la médecine locale des simples est plus efficace que la médecine officielle. En effet, pour certaines maladies (chinkungunya, tambava, ...), considérées comme méconnues ou inaptes à un traitement par les médecins professionnels, la confiance est donnée au tizanèr, seul capable de les soigner. En 2005, la crise du chikungunya a ainsi permis de redécouvrir des plantes médicinales comme le kinkiliba, originaire d’Afrique de l’Ouest et introduite à la Réunion pour soigner la malaria, cultivée dans les jardins du père Raimbault à la léproserie de la Montagne (Saint-Denis). Les simples existent depuis l’arrivée des premiers habitants de l’île. Ils résultent aussi d’un syncrétisme incluant divers éléments locaux et des apports extérieurs correspondant aux vagues successives de peuplement, dans un contexte probable d’échange de plantes médicinales entre les différentes communautés. La pratique des simples est encore vivace et s’utilise comme complément aux soins prescrits par la médecine officielle. Elle s’inscrit pleinement dans le champ culturel réunionnais. La communauté traditionnelle des tizanèrs est dépositaire d’un savoir ancestral, d’une histoire familiale transmise de génération en génération, qui oscille entre patrimoine naturel, culturel et immatériel.

Le créole réunionnais

Patrimoine bâti
Sans objet

Objets, outils, matériaux supports
Il n’existe pas d’outils spécifiques : chaque tizanèr utilise des outils rudimentaires du quotidien pouvant servir à la collecte, à la préparation ou à la vente de tisanes :

- pour la collecte, les tizanèr peuvent utiliser un sabre ou un couteau ;
- les feuilles, racines ou écorces servant à la préparation des tisanes sont ciselées ou hachées au couteau ;
- une marmite est souvent utilisée pour les décoctions ;
- les paniers servent pour la conservation des tisanes et pour la présentation dans les étals des marchés ;
- la vane peut être utilisée pour trier et mettre à sécher.

 Les préparations liquides se présentent dans des bouteilles en verre de récupération de boissons diverses (bouteilles de rhum ou de vin, par exemple). Le plus souvent, les tisanes se présentent sous forme de feuilles, écorces et tiges et sont remises dans les sachets de courses. Aujourd’hui cohabitent des sachets transparents hermétiques et des pochettes recyclables. Aucun musée à la Réunion ne présente d’objets en exposition permanente ayant pour thème cette pratique des simples, illustrée par des objets associés.

La transmission des simples à la Réunion, dans les connaissances et dans les pratiques, s’opère le plus souvent de façon empirique et très souvent par l’oral. Les lieux et les recettes propres à chaque tizanèr sont tenus secrets.
Chez les tizanèrs et les personnes ressources tisane, les pratiques seront transmises de génération en génération, elles s’acquièrent par le fait d’être soigné, par l’observation et par l’acte posé : mémorisation des plantes et de ses mélanges pour telle maladie, identification des lieux et des personnes ressources permettant de se procurer les matériaux, rituels traditionnels et communautaires pour la mise en pratique. La transmission de la connaissance et de la pratique des simples peut se définir en différents cercles :
- le cercle familial : on y observe le principe du soigné/soignant. Un membre est souvent désigné, au sein de la cellule familiale, comme référent pour l’utilisation des simples : la grand-mère, le père, l’oncle ou la tante, les aînés... La transmission aux autres membres de la famille lui incombe.
- le cercle de professionnalisation : selon la tendance actuelle de la réglementation publique sur l’hygiène, la sécurité publique ou la santé publique, conseils et soins sont transférés à des professionnels de la médecine, tels les pharmaciens, et aux tizanèrs répondant aux règles légales de cueillette, de vente et de pratiques. Cette évolution apporte une spécialisation et une professionnalisation de la pratique, qui l’éloigne de la fonction sociale qu’elle représentait jusqu’alors dans la société réunionnaise.

Ce qui différencie le tizanèr de la personne-ressource, c’est qu’il ne se confine pas seulement aux soins prodigués, mais s’ouvre aussi à l’univers du sacré. Du fait de ces responsabilités sociales et symboliques, la transmission est réservée à une personne souvent issue de la famille (schéma mère-fille comme pour le cas de Marie-Andrée), où l’apprentissage et les rituels afférents sont gardés secret et souvent en lien avec une forme de religiosité et de spiritualité. Dans la communauté des tizanèrs se retrouvent souvent des spécialisations dans le soin, qui font la réputation respective et leur complémentarité à l’échelle d’un territoire. Ainsi, Marie- Andrée est-elle spécialisée dans les foulures, les entorses et les problèmes musculaires. La plupart du temps, dans cette communauté traditionnelle des tizanèrs et des « personnes ressources tisane », la tarification n’est pas exprimée en argent – ou si elle l’est, elle est plafonnée -, mais plutôt en nature.
Aujourd’hui, cette communauté traditionnelle est fortement fragilisée par une réglementation croissante limitant et encadrant les territoires, les pratiques et les usages, mais aussi par la concurrence de commerçants non initiés, répondant à une forte demande, et par l’instauration d’une filière pharmaceutique naissante, mais très organisée et structurée.

Outre les personnes-ressources au sein des familles et les tizanèr reconnus formant la communauté traditionnelle, qui concourent à la transmission et à la sauvegarde de leurs savoirs et de leurs pratiques, existent des associations d’étude de cette médecine traditionnelle, telle l’Association des plantes aromatiques et médicinales de l’Outre-Mer, fondée en 1999, sise à Sainte-Clotilde (2, avenue Maxime-Rivière). Le nombre d’adhérents n’est pas explicitement mentionné sur le site de l’association ; toutefois en 2017, cinquante adhérents, dont dix tisaneurs, ont signé la charte de l’association.

Le Laboratoire de chimie des substances naturelles et des sciences des aliments (LCSNSAà, à l’université de la Réunion, a pour mission la valorisation des ressources naturelles. En quatre années de travaux (2012-2016), il a participé avec l’Aplamedom à l’inscription de 22 plantes à la pharmacopée française.

Les simples, une culture populaire du soin

La connaissance et la pratique des simples sont nées dans les sociétés « frugales » où, pour une population pauvre, le soin devait se faire en allant puiser dans l’environnement proche des ressources aptes à apporter le bien-être. À la Réunion, la culture des simples est fortement liée :
- à l’histoire de l’île (société de plantations inégalitaire, pratiquant la ligne de couleur à travers l’esclavage, puis l’engagisme, accueillant des migrations d’individus et de groupes apportant leurs organisations ethniques et leurs connaissances et savoir-faire) ;
- à son organisation spatiale particulière, les distances entre les diverses régions au sein de l’île étant difficiles à franchir ;
- à son espace géographique insulaire, créant une situation de fort isolement, mais préservant une nature riche, offrant de nombreuses espèces communes à celles des îles d’origine des populations immigrées ;
- à son exposition enfin aux épidémies (paludisme, variole, peste, choléra, grippe espagnole, fièvre de Bombay,…), conséquence des éléments précédents, qui a engendré un intérêt ancien pour la recherche de remèdes, comme en témoigne l’arboretum du Père Raimbault à l’ancienne léproserie de la Montagne.

Jusque dans les années 1970, l’utilisation de simples pour les soins est répandue dans la très grande majorité de la population, comme une référence culturelle locale indéniable, où l’enchâssement du religieux et du social est très important, amenant la communauté traditionnelle des tizanèrs à tenir une place quasi centrale dans la vie quotidienne. Cependant, ces pratiques populaires sont jugées peu favorablement par le pouvoir en place, d’inspiration coloniale. La pratique est stigmatisée par la classe dominante, car considérée comme socialement archaïque, culturellement pauvre et opposant une résistance au développement et à la modernité par la survivance de pratiques et de mentalités ancestrales.

La modernisation de la société réunionnaise : le recul des pratiques et l’étiolement des connaissances des simples.

Avec la modernisation de la société réunionnaise s’orchestrent à partir des années 1980 plusieurs mécanismes créant une forte tension entre la société dite traditionnelle et le système dominant : recul de la société rurale, développement de l’urbanité (avec la disparition ou la mutation progressive de la kour, où pouvaient être plantées les plantes médicinales), mise en place d’un schéma métropolitain, fondé conjointement sur le développement du secteur tertiaire et l’augmentation vertigineuse de la consommation. Dans ce cadre formel, les soins s’orientent de plus en plus naturellement vers les médecins et le réseau pharmaceutique privé. Les établissements publics spécialisés couvrent peu à peu l’ensemble du territoire. Malgré la raréfaction des Tizanèrs, l’utilisation des simples est toutefois restée présente dans les familles, prenant tour à tour des formes de résistance culturelle ou de soin complémentaire aux médicaments.

De l’étude anthropologique à l’étude scientifique : le renouveau par la réglementation

En 2005, l’épidémie du chikungunya à la Réunion a révélé les limites de l’approche biomédicale face aux souffrances de la population, qui s’est retournée naturellement vers les plantes médicinales et les simples pour calmer les multiples maux physiques et psychiques véhiculées par le moustique. Médecins et pharmaciens de l’île se sont alors intéressés aux résultats probants des quelques Tizanèrs encore en activité sur l’efficacité de certaines plantes et savoir-faire empiriques. Ce microphénomène local croise un engouement international pour les soins naturels, la culture bio et le « retour aux sources ». Devant une demande et un marché en forte extension, la pratique culturelle des simples à la Réunion devient de plus en plus complexe.

Ces dernières décennies, il s’opère un transfert :
- de la sphère publique à la sphère privée (du patrimoine commun à la privatisation) ;
- de la connaissance empirique, orale et de transmission intergénérationnelle, à une connaissance scientifique et institutionnelle (de la transmission culturelle à la protection par la réglementation) ;
- d’un statut de plante naturelle à celle de médicament (du soin gratuit pour tous à la notion de santé publique et de sécurité sanitaire de la population) ;
- d’un statut social et culturel du tizanèr à une valeur monétaire d’un produit vendu sur le marché au même titre que d’autres (de la polyvalence à la spécialisation) ;
- d’une richesse culturelle partagée à une captation privée et monétaire.

Située à 800 km de Madagascar, l’île de la Réunion forme, avec Maurice et Rodrigue, l’archipel des Mascareignes, au sud-ouest de l’océan Indien. Connue des navigateurs arabes dès le XIIe siècle, comme l’atteste la carte du géographe Al Idrisi (1182), l’île de La Réunion rencontra les pays européens aux XVe-XVIe siècles et c’est seulement dans la seconde moitié du XVIIe siècle que commença son peuplement pérenne. En colonisant l’île, le roi de France attribua des terres à titre gratuit pour inciter les migrants à venir essentiellement travailler la terre. La gestion de l’île fut confiée à la Compagnie française des Indes orientales, qui développa une société paysanne traditionnelle, remplacée ensuite par une société de plantation.
L’île d’origine volcanique abrite une flore exceptionnelle de plantes endémiques ou importées par les différents migrants depuis les débuts de son peuplement. Les cirques et les hauteurs, refuges des esclaves en fugue, refusant la servilité, étaient les lieux de cueillette des plantes à vertu thérapeutique.
Les vagues successives de populations venues d’Europe, d’Afrique, de Madagascar, d’Inde, de France et de Chine apportèrent avec eux pratiques et connaissances sur les plantes médicinales communément appelées simples ou tisanes. Les origines des simples à la Réunion remontent au début du peuplement, dans la période de l'esclavage. Les femmes, peu nombreuses par rapport aux hommes, étaient le plus souvent affectées à des activités domestiques. Elles s'occupaient avec leurs maîtresses des soins relatifs à la naissance, au corps, aux maladies. Point de médecine biomédicale alors, mais des savoirs traditionnels venus d'Europe et des pays de l'océan Indien à la fois. La pratique se nourrit dès alors des divers apports culturels qui ont façonné le peuplement de l’île. Selon l’anthropologue Jean Benoist [Anthropologie médicale en société créole, 1993] : « les connaissances de ceux qui étaient arrivés comme esclaves et celles de leurs maîtres, celles des engagés de l’Inde et des commerçants de Chine se sont disposées comme un inventaire à la portée de tous ».

Cibles de maladies, telles que le paludisme, le scorbut, la variole et la dysenterie, les esclaves connaissaient des conditions de vie déplorables. C’est essentiellement par les plantes qu’ils cherchaient la guérison. Malgré les devoirs imposés par la législation coloniale du XVIIIe siècle, soigner leurs esclaves n’était pas la priorité des maîtres. Selon Robert Chaudenson (1992), les esclaves malgaches et africains exploitaient leurs connaissances et utilisaient les simples locaux. L’île Bourbon offrait une flore similaire à celle de leurs pays d’origine et, à l’instar des esclaves afromalgaches, les engagés indiens apportèrent savoirs et pratiques de la médecine ayurvédique.

En 1828, arrivèrent les premiers Indiens munis d’un contrat d’engagement de trois ans. L’ethnologue Christian Barat [Nargoulan, culture et rites malbar à la Réunion (1989)] rappelle la manière dont les engagés malbar mettent en commun un savoir propre à leur communauté :
« Lorsque les engagés indiens arrivent dans l’île, leurs croyances et leurs rites ne sont pas exactement les mêmes. Regroupés dans les camps à proximité des usines à sucre dans les espaces de plantations de canne à sucre, Laskar, Telinga, Kalkuta et Malbar partagent leurs savoirs et leurs savoir-faire, construisent des koylou, mettent ensemble les diverses représentations de leurs divinités et s’associent pour organiser et mettre en acte leurs rituels. »

À la fin du XIXe siècle, la population réunionnaise s’est enrichie de l’arrivée de commerçants chinois (auparavant, intégrés dans un processus d’engagisme), de marchands indiens musulmans originaires du Gujrat, puis de migrants en provenance de l’archipel des Comores. Cette confluence de migrants, en contact les uns avec les autres dans des situations variées et souvent marquées par une histoire douloureuse (colonisation, esclavage, engagisme, maronnage, immigration forcée...), forme aujourd’hui une société créole pluriculturelle et multireligieuse, donnant lieu à un syncrétisme que l’on retrouve dans les savoirs et pratiques des simples.
Dans la première moitié du XXe siècle, les savoirs sur les plantes médicinales sont pleinement inscrits dans le quotidien des Réunionnais à titre préventif ou curatif. Ils sont généralement transmis au sein des familles, mais aussi par des tizanèr, qui occupent une fonction sociale reconnue. En 1945, le père Raimbault collecte, inventorie et décrit des plantes médicinales de l’île de La Réunion. Les connaissances sur les plantes indigènes sont souvent complétées par des rituels et cultes religieux : dans le Journal d’un exorciste (1995) du père Franck Dijoux, exorciste de l’Église catholique, les prières sont accompagnées de la prescription de tisanes associées à l’eau bénite. Avant la départementalisation (1946) et jusque dans les années 1970, les simples étaient une source de thérapie essentielle dans une île isolée géographiquement et peu développée. Les Réunionnais vivaient dans une grande précarité et les plantes locales, contrairement aux médicaments vendus en pharmacie, étaient à la portée de tous. De nos jours, les infrastructures sanitaires sont de plus en plus développées, de nombreuses études sur la pharmacopée à la Réunion ont vu le jour, dans le contexte d’un phénomène de retour vers les remèdes naturels. Les travaux de l’ethnobotaniste Roger Lavergne ont permis à beaucoup de Réunionnais d’étendre leurs connaissances sur les plantes médicinales et de découvrir des tizanèr de renom. Le titre Zarboutan Nout Kiltir (ZNK) a permis de (re)donner un regard valorisant sur la pratique. Ce titre honorifique a été remis par le Conseil régional de la Réunion de 2004 à 2009 à des passeurs de culture, à la fois transmetteurs et gardiens, dans le cadre des actions de préfiguration de la réalisation du musée et centre culturel La Maison des Civilisations et de l’Unité réunionnaise (MCUR). Six femmes, en majorité âgées de plus de 70 ans, bénéficiant d'une véritable reconnaissance populaire, ont été ainsi honorées en 2006 en qualité de tisaneuses. De nouvelles formes de légitimité s’articulent autour des tisanes et interrogent l’avenir de la fonction de tizanèr dans la société réunionnaise et, plus globalement, la transmission et la sauvegarde des savoirs locaux d’une société créole qui ne cesse de connaître des mutations à un rythme accéléré.

Jean Benoist, « À la Réunion, la plante entre tisane et prière », Ethnopharmacologia, bulletin de la Société française d'ethnopharmacologie et de la Société européenne d'ethnopharmacologie, dossier « Île de la Réunion », n° 37, juin 2006, p. 6-12 :

« À la Réunion, l’univers végétal fait littéralement partie de la société. Comme on parle des « animaux de compagnie », on pourrait véritablement y parler de « plantes de compagnie » ; elles sont familières, aimées, soignées, elles ont une personnalité, des humeurs et des exigences. Il est aisé d’observer la profusion des fleurs autour de la plus modeste case des Hauts, mais chaque jardin héberge aussi d’autres plantes, moins visibles mais tout aussi essentielles : celles qui soignent, celles qui éloignent les esprits, celles qui détournent les regards maléfiques. »

Daniel Honoré, Kroyans (superstitions à la Réunion), Saint-Denis, Éditions UDIR, 1994 :

« Certaines personnes ont le pouvoir de guérir de petites maladies (verrues-dartresdouleurs-...) grâce à leur fluide magnétique. Elles font des passes à mains nues ou en utilisant des objets simples (aiguilles, …) ou des pommades à base de plantes médicinales et en récitant des prières. » « Voici un moyen de lutte contre les verrues (poro) : cueillez une branche de Jean Robert (zanrobèr) et laissez-la goutter son latex sur la verrue (si la tèt poro). Renouvelez le traitement 3 jours de suite. Le poro tombera de lui-même. »

Jean Albany, notice « Tisaneur », P’tit glossaire. Le piment des mots créoles, Hi Land Océan Indien, 1997 :

« Chercheur d’herbes pour tisanes et c’est aussi le pharmacien volant. Dans les campagnes, on était accoutumé à entendre le cri chanté : Ah la tisane, la tisane ! Jeté par un vieux p’tit blanc ou un noir, venu de la forêt ou des Hauts, vendre ses simples, fahame, tisane tabave, bois cassant, fleurs jaunes… Il agrémentait son cri : Tisane pour jeunes filles, tisane pour jeune femmes, tisane pour jeunes gens. Sa pratique était fidèle, confiante et les femmes en crainte de mal d’enfant attendaient de lui la tisane qui préludait à la « pilule » (bois tricolore). Malgré la départementalisation et le progrès, le tisaneur n’est pas mort ».

Jean-François Sam-Long, Magie des arbres de La Réunion, Éditions Page libre, 1990 :

« Bois de senteur blanc : arbuste qui est devenu d’une rareté inquiétante à La Réunion et possédant, semble-t-il, des vertus extraordinaires. Il est plus connu sous l’appellation étrange de « bois de chanteur ».
Une offrande et un « dialogue » avec l’arbre permettent de cueillir son écorce, qui garde ainsi toute sa puissance : « Quand on arrive, il faut demander à l’arbre, en précisant de quelle maladie il s’agit, si c’est une maladie du Bon Dieu ou une maladie « arrangée ». Alors on lui demande une branche ou un morceau d’écorce, mais il faut payer auparavant. Après, quand vous vous servez, si vous avez payé, ça va. Sinon le rempart s’écroule derrière vous ! »

Franswa Tibère, interviewé lors de l’émission « La télé de Lilou Macé » [https://www.youtube.com/watch?v=vFbyLPQMNM8] « La nature est abondance, elle nous a toujours nourris, elle nous a toujours amenés vers la connaissance, mais l’homme, dans cette abondance, il gaspille ; l’homme ne tient pas compte et ne remercie jamais la terre, l’environnement. »

Rogers Teters, journal Réunion Première, 26 août 2016
« L’ayapana marron est venu de Madagascar. Une plante qui pousse partout dans l’île. Il est conseillé de planter dans une lune montante, selon les ancêtres. L’ayapana soigne toutes les maladies en infusion. »

Frantz Ledoyen alias Kakouk [site Île de la Réunion Tourisme : https://www.youtube.com/watch?v=ex0vVeExglg]

« Je suis tisaneur de père en fils, j’ai commencé à partir en forêt à l’âge de 8 ans avec mon père. À l’époque, on partait du village à pied. On partait à 4 h du matin, des fois 2 h du matin, pour remonter les sentiers. On a évolué dans la « tisanerie » à la Réunion, on va dire, parce que ça a permis de faire reconnaître certaines plantes à la pharmacopée française. De connaître réellement les molécules de nos plantes. Ça a été une aubaine pour nous de faire valoir les plantes médicinales de la Réunion. Le message que j’aimerais faire passer, c’est partager cette passion tout en restant respectueux de la nature, surtout bien travailler dans ce milieu forestier, comme je le fais depuis mon plus jeune âge. »

Marie-André, tizanèr, membre de l’association Sans-Souci de Saint-Paul (entretien lié à l’enquête préparatoire à la fiche) « Je suis fille et petite-fille de tizanèr. C’est ma mère qui m’a appris tout ce que je sais et j’ai continué à développer mon savoir-faire avec d’autres plantes. Je soigne uniquement les membres de ma famille et les proches avec les 45 tizanes de la kour et des passes [prières transmises par la mère]. Je suis spécialisée dans la grippe, les maux de tête et les entorses, mais je soigne toutes sortes de maladies. Certaines plantes peuvent soigner et donner la mort, comme le piment, dont les feuilles soignent, mais les racines tuent, ou encore le fruit à pain, qui nourrit, mais dont les racines peuvent tuer. D’autres sont considérées comme une peste végétale qu’il faut détruire, alors qu’elles prodiguent un soin : c’est le cas avec la vigne marone pour le diabète. Je transmets mon savoir à ma fille qui prendra le relais et qui veut faire un herbier pour ne rien oublier. »

Dicton populaire « Bondié la di, na in piédbwa pou tout maladi » [Dieu dit qu’il y a une plante pour chaque maladie].

Selon Édouard Glissant [La Société morbide, 1977], « un peuple qui dispose d’un « arrièrepays culturel » où s’embusquer (coutumes ancestrales, religion, langue, mythes...) peut résister longtemps à la non productivité. (…) Pour un pays qui n’est pas sûr de son passé, la non-productivité est une carence irrémédiable. Elle frappe l’être de stérilité. Elle déclenche une non-créativité mortelle, renforcée en l’occurrence par la consommation passive de « produits culturels » extérieurs. Pire, les valeurs culturelles, accumulées dans le cadre du système de plantation (traditions orales, contes, pratiques et coutumes, gestuel, folklore…) ont tari ou disparu avec l’émiettement de ce système. Un pays qui est voué à recevoir des touristes sans pouvoir leur « opposer » des valeurs culturelles est un pays à l’abandon. » Comme toute activité pratiquée au sein d’une économie de survie populaire avec un maillage profond du cultuel, du culturel et du social, les connaissances et pratiques des simples subissent pleinement l’évolution moderne des sociétés, où seul le système dominant régit et impose les règles du jeu. Pour cela, il dispose de tout un arsenal de réglementations, d’interdictions, de protections, de normes (et par défaut d’a-normalité) et d’alertes à la santé, à l’hygiène et au bonheur [Michel Foucault, Surveiller et punir]. Même si les populations de la Réunion composent comme toujours avec les systèmes (notion de créolisation) et tentent de s’aménager des espaces de respiration (notion de maronaz), où l’étau se desserre et où la reconstruction de soi est primordial (notion de lignes de fuite ou de lignes souples de Félix Guattari et Gilles Deleuze), même si elles métissent les pratiques et les connaissances, et résistent consciemment ou inconsciemment, en continuant des usages traditionnels transmis de génération en génération, la fragilité de cet héritage commun fondé sur l’utilisation et la transformation d’un bien commun (la nature) est aujourd’hui une évidence.

Les gramoun [anciens] disent souvent pour parler du tan lontan « Nou té pov mé té pa mizèr » [On était pauvres, mais pas dans la misère]. Au-delà de l’interprétation nostalgique de ce dicton, ce message fait référence à une pauvreté matérielle réelle, compensée par une richesse culturelle, une petite histoire de petites gens dans la grande Histoire officielle, un surplus de dignité humaine se rapprochant d’un rapport au monde particulier, une philosophie de la vie rendant perméables les frontières du profane et du sacré. À travers la fragilisation, voire la disparition relative de la connaissance populaire et de la pratique familiale des simples, on assiste sans doute, comme pour tant d’autres aspects culturels de la Réunion et d’autres territoires, à la réalisation du présage d’Édouard Glissant et des gramoun : une double peine se caractérisant par une pauvreté matérielle et une misère culturelle.

Plusieurs facteurs concourent à sa fragilisation de la pratique des simples à la Réunion :
- la rupture de transmission en cours d’une connaissance qui se fait par l’oralité, l’observation et l’action, ces facteurs étant à croiser avec les éléments décrits ci-dessous ;
- la volonté de structuration d’une filière et de spécialisation de la pratique, qui pèse fortement sur la pérennisation à terme de l’activité au sein de la population. Les enjeux financiers et la captation de l’offre auprès d’un public demandeur produisent des cadres administratifs, règlementaires et juridiques contraignants, qui font glisser la connaissance et la transformation des plantes de la sphère empirique et populaire à la sphère scientifique et commerçante. Citons, en illustration, la directive européenne Traditional Herbal Medicinal Products Directive (THMPD), entrée en vigueur le 30 avril 2011 et réglementant l’utilisation des plantes médicinales (liste des plantes autorisées, principe de précaution pour la santé publique, sécurité sanitaire, libre circulation des produits autorisés, basculement de la plante médicinale vers le statut de médicament, élargissement du champ pharmaceutique, procédure d’autorisation de mise sur le marché…)
- l’urbanisation, qui entraîne la disparition ou le changement d’usage des « communs » (mutés en espaces publics structurants) et celui de la kour kréyol, où la kour arrière offrait un espace de plantation ;
- a contrario la protection d’espaces naturels, qui réduit les possibilités de pratique par interdiction d’utiliser la ressource, créant inévitablement une tension entre droits de propriété et droits d’usage : des règles coercitives figent l’administration face à des pratiques traditionnelles qui ne peuvent plus s’exercer librement, de la chasse au ramassage de bois mort, en passant par l’utilisation des ressources de l’espace, la pêche, la cueillette… Ce facteur est à ramener au risque de muséification et par conséquence de folklorisation.
- la stigmatisation de ces pratiques populaires enfin et l’absence de valorisation, qui amènent peu à peu à un transfert de la transmission vers des professionnels de la vente de médicaments, fort éloignés de la relation entre le patient et le guérisseur et excluant les aspects spirituels et culturels.

Modes de sauvegarde et de valorisation

 

La sauvegarde et la valorisation des simples doit relever d’une vision politique du développement qui accompagne les traces culturelles encore vivantes pour consolider les soubassements d’une société et d’un peuple, sans lesquels l’individu et le collectif sont voués à une errance, à une non-productivité (donc une non-créativité) et à une forme d’inutilité sociale.
Engager une telle démarche est faire le pari de plusieurs hypothèses :
- celle de la forte influence de l’histoire collective de l’île sur les comportements contemporains : notion de déterminisme historique particulièrement développé en espace insulaire postcolonial, comme l’ont montré les travaux de Françoise Vergès, d’Édouard Glissant, de Laurent Médéa, de Loran Hoarau et d’Éliane Wolff…
- celle de la stratégie d’adaptation systématique de la population vulnérable à un système dominant pour en retirer une plus-value minimale pour le bien-être et d’un dialogue consenti et silencieux entre deux systèmes, l’un fondé sur l’emploi et l’autre sur l’activité : notion de maronaz de clandestinité et de créolisation (travaux d’Édouard Glissant, de Dénétèm Touam Bona et de Jean Yves Rochoux…)
- celle de la coexistence au sein d’un même territoire d’une culture populaire de l’invisible fragile, vivante, codifiée et stratégique, et d’une culture de représentation, du visible et du statutaire, prôné par le modèle dominant (notion de négritude sociale et de la société du fénwar d’Alain Lorraine).

Cette hypothèse d’analyse pose les bases d’un dilemme sur le développement intégré d’un territoire. Soit celui-ci est composé d’interpénétration des différents systèmes qui le composent en visant une élévation par le haut et des échanges vertueux, soit il se limite à la gestion des points de tension par la réglementation et l’interdiction qui verra un glissement des activités culturelles vertueuses vers des activités déviantes et condamnables. Mais la sauvegarde et la valorisation des simples pourraient être le croisement de plusieurs actions de médiation culturelle qui viseraient à faire sortir la pratique de l’illégalité actuelle (tradition devenue marone, sous la pression de la réglementation et du fait du secret qui entoure la pratique), afin de la partager comme une source de bien-être accessible à tous et comme un patrimoine commun à connaître et préserver. Comme dans tout schéma économique (puisque l’angle abordé par l’évolution de la pratique par le modèle dominant est celui-ci), le mécanisme à mettre en marche serait de stopper la rareté organisée dans la connaissance et les lieux de production des plantes, afin de les démultiplier dans des espaces d’origine et/ou aménagés, de parer aux marchés parallèles et aux pillages des sites, de permettre à tous d’accéder aux soins des simples gratuitement ou à moindres frais ; en d’autres termes, organiser un schéma en rhizomes, où chaque tête serait pensante et responsable, plutôt qu’un schéma monopolistique détenant, par l’intermédiaire de l’interdiction et de la réglementation, le savoir et les produits moyennant finances.

 

Actions de transmission

- médiatisation des tisanèr pour revaloriser l’image des porteurs de ce savoir traditionnel ;
- interventions en milieu scolaire des personnes reconnues pour leurs savoir-faire et leurs transmissions ;
- développement des marchés aux tisanes et vente (troc ?) de plants ;
- création d’une université populaire où une partie des cours serait dispensée sur le sujet ;
- lancement d’initiatives associatives cherchant à inventorier les plantes par quartier et les pratiques associées (collecte de paroles et de savoir-faire, repérage des lieux).

 

Actions sur le territoire

- médiation entre le propriétaire et les usagers par la mise à disposition à la population en milieu urbain de pieds d’immeubles, de plates-bandes, espaces publics) et en milieu protégé (parcs nationaux) des espaces de plantation des plantes médicinales avec un accompagnement du collectif sur la gestion et la redistribution (notion d’îlet et d’économie de survie) ;
- médiation pour favoriser l’évolution de la culture d’entreprise des aménageurs, des gestionnaires de parc et des bailleurs sociaux par la mise en place d’observatoires du territoire concerné par leurs interventions, de diagnostics sur les pratiques populaires existantes et de traductions sur ce qui doit être préservé et accompagné dans l’image du futur territoire (notion d’archéologie préventive obligatoire appliquée au patrimoine immatériel).

 

Actions de valorisation à signaler


• Nombreuses initiatives citoyennes : collectifs et associations, tels le Kolektif fruiyapin et l’association Avenir de Sans Souci et leurs actions d’inventaire, de collecte, de livret et de site internet :
- projet de valorisation de l’association Avenir de Sans Souci sur les tizane la kour, adossé aux tizanèr de ce quartier de Saint-Paul, dans un contexte de changement radical de l’environnement local avec une urbanisation et une densification du quartier classé RHI-ZAC.

- projet Mové zerb de réalisation d’un livret de présentation de 10 plantes médicinales poussant dans la kour, associé à un site internet en cours de construction, géré par l’association et valorisant l’utilisation des plantes médicinales. L’enjeu est de faire perdurer une transmission populaire dans un contexte de disparition de la kour traditionnelle.
- projet de transplanter la kour tisane des pratiquants amateurs du quartier menacé par l’urbanisation afin de les replanter en lieu sûr, dans l’attente d’un nouveau terrain.

• Identification et accompagnement des petites pratiques populaires en milieu urbain utilisant l’espace public pour planter des tisanes, des épices dans le cadre du programme Étude urbaine et sociale des quartiers Ariste Bolon et SIDR Haute dans la ville du Port.
• Sensibilisation des touristes par des gîteurs (gérants de gîtes) à Mafate, qui proposent des tisanes, tel les gîtes privés de Jean-René Hoareau à Roche Plate, Jean-Jules Morel à Grand- Coude (ville de Saint-Joseph).
• Initiatives individuelles de tizanèr, tels Franswa Tibère, Kako, Fabrice Thémyr, qui apparaissent très souvent dans les médias pour promouvoir les bienfaits des simples et des tisanes.
• Concours Zerbaz Péi organisé par l’association APLAMEDOM, impliquant milieux scolaires et tizanèr depuis 2005.
• Ateliers et formations de l'École du Jardin planétaire, visant au partage des connaissances, en particulier pour rendre autonomes les personnes qui veulent prendre soin d'elles-mêmes par les plantes médicinales (https://www.ecoledujardinplanetaire.re/)

Plusieurs études universitaires sont consacrées aux plantes médicinales et à leur usage à la Réunion (cfr. bibliographie infra).
Certaines plantes ont été référencées par l’APLAMEDOM. Une base de données est disponible sur le site de l’association : http://aplamedom.org/base-de-donneesaplamedom/ recherche-amelioree.html

La Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (MCUR), sous tutelle de la collectivité régionale, a élaboré un inventaire sur la pratique des simples, non encore accessible.

En hommage à Thérésien Cadet, l'université de la Réunion poursuit le travail d'herbier de l'ensemble de la biodiversité réunionnaise, dont celui des plantes médicinales, en collaboration avec l'APLAMEDOM et le Conservatoire botanique.

Voir : https://www.mnhn.fr/fr/collections/programmes-infrastructures/reseau-botanique-erecolnat/ reu-herbier-universitaire-reunion

• Association des plantes aromatiques et médicinales de l’Outre-Mer, Zerbaz péi : pratiques et utilisations des tisanes à l'île de la Réunion, Sainte-Marie, Azalées éditions, 2011.
• Benoist (Jean), Les Carnets d’un guérisseur réunionnais, Saint-Denis, Fondation pour la recherche et le développement dans l’océan Indien, 1980.
• Benoist (Jean), Anthropologie médicale en société créole, Paris, PUF, 1993.
• Benoist (Jean), « À la Réunion, la plante entre tisane et prière », Bulletin de la Société d’ethnopharmacologie et de la Société européenne d’ethnopharmacologie, n° 37, juin 2006, p. 6-12.
• Chaudenson (Robert), Des îles, des hommes, des langues. Langues créoles, cultures créoles, Paris, L’Harmattan, 1992.
• Duchemann (B), « Les plantes médicinales », in Exposition universelle de 1900. Colonies et protectorats.
• Govindama (Yolande), Le Corps dans le rituel : ethnopsychanalyse du monde réunionnais, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2000.
• Guichard (Georges), « Acquisitions et transmissions du savoir en médecine traditionnelle : cas d’un guérisseur réunionnais », mémoire de sciences de l’éducation, Saint- Denis, Université de la Réunion, 2004.
• Lavergne (Roger), Le grand livre des tisaneurs et plantes médicinales indigènes : l’île de La Réunion, Paris, Orphie, 1999.
• Leclerc (J), Les Plantes médicinales de l'île de La Réunion, La Malle, Saint-Denis, 1864.
• Lucas (Raymond), Plantes de la Réunion, tisanes simples et savoir-faire populaire, Saint-Denis, Surya Éditions, 2017.
• Longuefosse (J.-L.), Guide de phytothérapie créole, Paris, Orphie, 2006.
• Pourchez (Laurence), « De quelques métissages autour de la santé. Thérapies et religion à l’île de la Réunion », dans Panser le monde, penser les médecines, Paris, Éditions Karthala, 2005.
• Pourchez (Laurence), Savoirs des femmes, médecine traditionnelle et nature. Maurice, Réunion, Rodrigues, Paris, Unesco, 2011.
• Raimbault (père), Les Plantes médicinales de l’île Bourbon, Saint-Denis, Congrégation du Saint Esprit, 1945.
• Sudel (Fuma) et Manjakhery (Barthélémy), Pharmacopée traditionnelle dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien [actes du colloque international de Tuléar (Madagascar)], Saint-Denis, Université de la Réunion, 2006. 

 

Filmographie sommaire

•.Portrait de Mr Renaud Hoareau, tisaneur, chez lui à Jean-Petit les Hauts (Ville de Saint- Joseph), 2' 30", extrait du magazine Horizon 2030, consacré aux espaces naturels sensibles, Betacam - 4/3 - définition standard, couleur, 2002, réal. Imago
• Anaïs Charles-Dominique, Le bon sens des hommes (et la folie du monde), Tiktak Production, 2017, 52 min.
Comme une envie de jardin, film sur le tizanèr Franswa Tibère sur France TV, 2017, 3'33, (https://www.france.tv/163133-les-tisanes-de-franswa-tibere.html )

 

Émission de radio Fabrice

Thémyr : https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/emissions-radio/les-experts/jeudi- 28-septembre-2017-bien-etre-plantes-medicinales-516533.html

Sitographie sommaire

• Association des plantes aromatiques et médicinales de l’Outre-Mer : http://aplamedom.org/
•.École du jardin planétaire : https://www.ecoledujardinplanetaire.re/

Le groupe de travail à l’appui de la réalisation de la fiche d’inventaire a élaboré un questionnaire afin d’analyser la pratique des plantes médicinales à la Réunion, composé de 8 questions et destiné à l’ensemble des Réunionnais. Il a été réalisé dans le respect de l’anonymat. Une cinquantaine de personnes ont apporté leur contribution (cfr. résultats en partie I.3).

Praticien(s) rencontré(s) et contributeur(s) de la fiche

Association Avenir de Sans-Souci, Saint-Paul
Fonction(s): Jerémy Gaze, président Jeanine Hoarau, vice-présidente
Commentaires: L’association travaille depuis les années 1980 au développement harmonieux du quartier de Sans-Souci. Avec les opérations d’aménagement RHI et ZAC, devant amener à la construction de 1500 logements, et l’urbanisation rapide de ce secteur, l’association a choisi de développer des actions de préservations de la pratique des simples au sein du quartier.

Association Tisane la kour, Saint-Paul
Fonction(s) : Herman Thomas, président Michelle Adolphe, vice-présidente

Fabrice Thémyr
Fonction: Tizanèr

Marie-André Lavigny
Fonction: Tizanèr, membre de l’association Sans-Souci de Saint-Paul

Mélanie
Fonction: Personne ressource tisane, membre de l’association Sans-Souci de Saint-Paul

Monsieur Zémia
Fonction: Personne ressource tisane, membre de l’association Sans-Souci de Saint-Paul

Madame Gaze
Fonction: Personne ressource tisane, membre de l’association Sans-Souci de Saint-Paul

Madame Augustine
Fonction: Personne ressource tisane, membre de l’association Sans-Souci de Saint-Paul

Janik Fontaine
Fonction: Curé de la paroisse de Savannah

Baraka
Fonction: Tizanèr
Commentaire : Originaire des Comores et âgée d’une cinquantaine d’années, Baraka soigne avec des plantes l’infertilité féminine. Elle pratique aussi des massages aux femmes ayant des difficultés pour procréer.

 

Soutiens et consentements reçus

Le projet de candidature des savoir-faire et pratiques des simples à la réunion a recueilli, par lettres, le consentement de quelques tizanèr et particuliers interviewés (cfr. V.1. et annexe I), du président de l’association Avenir de Sans-Souci et du président du Kolektif fruiyapin, et le soutien du président de l’Association des plantes aromatiques et médicinales de l’Outre-Mer (APLAMEDOM).

Rédacteur(s) de la fiche
Nom : Yakina Mohamed Djelane
Fonctions : enseignante
Coordonnées : yakinadjelane@gmail.com

Nom : Lionel Pannetier
Fonctions : médiateur culturel
Coordonnées : lionel.pannetier@icloud.com

Nom : François Elisien Beton
Fonctions : agent municipal au service Patrimoine de la commune de Saint-Louis
Coordonnées : elisien.beton@gmail.com

Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé
La fiche d’inventaire a été lancée lors du programme-pilote « Renforcement des capacités » pour mener des inventaires d’éléments du patrimoine culturel immatériel de La Réunion. Cette formation a été réalisée en deux sessions à La Réunion (Ministère de la Culture / Maison des Cultures du Monde-Centre français du Patrimoine culturel immatériel / Service régional de l’Inventaire de la Réunion) en octobre 2016 et juin 2017. L’enquête a été réalisée de juillet à décembre 2017.

Données d’enregistrement
Date de remise de la fiche :  27 juin 2018
Année d’inclusion à l’inventaire :  2018

N° de la fiche :  2018_67717_INV_PCI_FRANCE_00403
Identifiant ARKH ark:/67717/nvhdhrrvswvk2hk

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Phytoth%C3%A9rapie_%C3%A0_La_R%C3%A9union

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