La fête foraine constitue « un rassemblement itinérant » (ou revenant généralement à date fixe), en plein air, de forains indépendants, qui regroupe des attractions et manèges, ainsi que divers stands (jeux de tirs, vente de friandises, ...). Cette itinérance a également favorisé l’émergence d’une mystique, d’une spiritualité multiforme.

La communauté concernée se regroupe sous la dénomination de forains, d’artisans-forains ou d’artistes de foires. Le monde tsigane, « les gens du voyage », notamment les sinté piemontési et les manouches d’origine indienne, y jouent un rôle important dans la construction du modèle culturel. Ce groupe social se caractérise par son mode de vie résolument nomade, lequel a hérité de pratiques coutumières tsiganes, à l’instar des Ursari hongrois pour le dressage des ours ou des Lovari pour la sellerie des chevaux. Au sein de cette communauté, chacun se positionne notamment en fonction des métiers et des tournées exercées :

les petits métiers, correspondant aux petits manèges ;

les grands métiers, correspondant aux manèges à sensations ;

les gens de baraques, incarnés par les forains, qui disposent de loteries ou de stands de tir.

 

L’impact de l’itinérance sur la culture foraine

Les forains se distinguent de tous les groupes sociaux en Europe en formant la communauté des derniers grands nomades. À la différence des bergers, dont l’habitat a peu évolué, ou des mariniers, leurs verdines ont suivi les progrès techniques pour devenir les caravanes actuelles, parfois luxueuses et disposant d’un grand confort. Les forains sont conscients du lien qu’ils entretiennent avec le voyage : ils se désignent eux-mêmes comme « voyageurs », voire comme les tsiganes, « gens du voyage », les autres étant des « paysans », à l’instar des pierredots, paysans entrés dans le monde forain. Aussi est-ce d’abord par sa tournée que le forain existe au sein de sa communauté. Lorsqu’un forain met en vente son attraction, ce n’est pas tant le métier qui est important que la tournée qu’il suit et l’endroit précis des places qu’il occupe en foire.

En France, on distinguait les forains de la « tournée de Paris », qui disposaient du « carnet de Paris » jusque dans les années 1980. Ce carnet leur donnait l’exclusivité des places au sein de grandes fêtes parisiennes, au Trône, dans la « fête à Neu-Neu » ou jadis à Denfert-Rochereau. Les « nationaux » sont ceux qui se déplacent d’une grande ville à une autre en raison de l’importance de leur « métier », qui prend plusieurs jours de montage : grande roue, grand huit, voire Flume Ride. Les régionaux étaient ceux qui, traditionnellement, commençaient leur tournée annuelle dans une grande ville de province au printemps et la terminaient à l’automne dans cette même ville. Entre temps, ils circulaient d’une petite fête à l’autre. À cet égard, ils utilisent l’expression d’un « pays » à l’autre, pour désigner une région limitrophe de leur grande ville de départ. Ils constituent, aujourd’hui encore, la grande majorité des forains.

Enfin, il existe parmi eux des forains qui n’ont pas de tournée fixe, souvent d’origine tsigane et que l’on retrouve notamment sur des foires exceptionnelles, comme celle des ostensions de Saint-Junien, qui a lieu tous les sept ans.

Qu’il s’agisse des montagnes russes, des carrousels, des grandes roues ou des auto- tamponneuses, les industriels qui travaillent pour les foires ont conçu, avec les forains, des attractions adaptées au voyage. À titre d’exemple, tout sujet de manège de chevaux de bois se compose au minimum de soixante-dix pièces savamment assemblées pour limiter le poids et éviter la pesanteur d'une pièce monoxyle. L'ingénieux assemblage permet également de résister aux intempéries. Outre la science de l’adaptabilité au voyage, les forains ont également celle du rangement, ce qui leur permet d’occuper, dans leur convoi, un volume minimum dans un espace contraint, ainsi qu'on le voit notamment dans le film Jours de fête de Jacques Tati (1949).

L’élément est pratiqué sur l’ensemble du territoire national et européen. Il n’est donc pas aisé, au regard de sa nature même, de pouvoir le localiser géographiquement. Les associations représentatives, qui sollicitent l’inscription à l’inventaire national du Patrimoine culturel immatériel, insistent à cet égard sur le caractère universel de la fête foraine et la volonté des forains de générer de l’enchantement auprès de l’ensemble de la population. La culture foraine, art populaire par excellence, fédère et rassemble l’ensemble de notre société autour des idéaux de partage, de féerie et d’émotion.

Des différences sensibles sont à signaler entre l’Amérique et l’Europe. Si en Europe, tout particulièrement en Grande-Bretagne, en Belgique en Allemagne, en Italie et en France, les forains forment des foires par accrétion d’attractions appartenant chacune à des familles différentes, aux États-Unis, par exemple, la fête foraine demeure généralement la propriété d’une seule personne qui la fait itinérer, souvent en même temps qu’un chapiteau de cirque.

En Europe, le forain est donc le chef d’une petite entreprise et c’est ainsi qu’il se désignait dans son journal professionnel, intitulé L’Industriel forain, organe de la Chambre syndicale des voyageurs forains, devenu au XXe siècle L’Interforain.

Au regard de sa nature même, la culture foraine est universelle et très présente sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne ; une Union foraine européenne a d’ailleurs été créée. Il existe donc dans la communauté foraine européenne un fort sentiment d’appartenance culturelle commune qui transcende les frontières. De façon plus générale, l’on retrouve les pratiques foraines en Belgique, en Italie et en Allemagne.

La fête foraine constitue « un rassemblement itinérant » (ou revenant généralement à date fixe), en plein air, de forains indépendants, qui regroupe des attractions et manèges, ainsi que divers stands (jeux de tirs, vente de friandises, ...). Cette itinérance a également favorisé l’émergence d’une mystique, d’une spiritualité multiforme.

Ces pratiques coutumières ont été en partie adoptées par les anciens sédentaires qui forment l’essentiel des forains d’aujourd’hui, qui se sont mélangés aux tsiganes par mariage, adoptant même parfois, de ces derniers, le mariage par rapt. La langue des tsiganes, issue de l’Inde, est parlée par les sinté et les manouches en foire. Elle a influencé aussi le vocabulaire de l’ensemble des forains. Toutes ces pratiques forment une culture du voyage très spécifique.

Les forains se distinguent entre eux par leurs métiers et leurs tournées. Par métier, il faut entendre non seulement l’attraction proprement dite, mais l'ensemble des éléments qui l’accompagnent sur la tournée : caravane, groupe électrogène, remorques… L’abolition du « carnet de Paris », l’amélioration des techniques de montage des attractions et l’évolution des tournées, notamment avec l’effacement de nombreuses petites fêtes de village, l’éviction des grandes foires de nombreux centres-villes et l’établissement de luna-parks près des plages en été, ont contribué à modifier les tournées et les rapports internes du monde forain.

Les forains revendiquent l’oralité quant à la transmission de leur culture et de leur savoir-faire, le caractère autodidacte de leur apprentissage et la volonté de transmettre aux plus jeunes ce patrimoine. Le mode de transmission de cette culture multiséculaire est donc oral, intrafamilial et intergénérationnel. Cette culture spécifique reste ouverte au monde extérieur en intégrant, par mariage, de nouveaux membres. Les forains insistent également sur l’excellence qu’ils valorisent, au regard notamment des constantes innovations technologiques utilisées et mises en œuvre. La caractéristique essentielle de cette communauté de voyageurs est sa perméabilité aux inventions et aux progrès techniques de notre société. Hier, les forains diffusaient le cinéma ; ils utilisent aujourd’hui le CINAX. Rappelons que les simulateurs utilisés dans le domaine cinématographique sont issus des forains. La culture vivante de la fête foraine se manifeste de façon multiforme par une culture du voyage, une histoire et un patrimoine liés à la fête, conduisant de la foire aux fêtes foraines. La fête foraine rassemble et fédère autour de ses valeurs : le respect de la parole donnée (un homme véritable est une personne qui tient parole) ; la solidarité, notamment avec tout autre forain qui a besoin d’un « coup de main » ; la capacité à être suffisamment habile et informé pour répondre à toute situation de difficulté de quelque nature qu'elle soit. La mécanique, la construction ou la négociation impliquent une exaltation quotidienne de la « débrouillardise » et de l’individu. La spécificité des coutumes foraines constitue un patrimoine immatériel auquel se rattache également un patrimoine matériel fécond. C’est la raison pour laquelle cette communauté souhaite que son patrimoine soit reconnu, valorisé et préservé, dans le cadre d’une inscription à l'inventaire national du Patrimoine culturel immatériel.

La transmission du patrimoine s’élabore de façon orale et coutumière. Comme exposé supra, il existe une grande importance de la transmission intergénérationnelle dans un cadre familial. Ce patrimoine possède un caractère résolument multiculturel au regard de la multiplicité de des attractions foraines, favorisant ainsi la mixité familiale et sociale. Mais il demeure fragile : il importe de le préserver et sa reconnaissance en tant que Patrimoine culturel immatériel serait de nature à en assurer la protection. Une telle reconnaissance apparaîtrait également, pour les artistes-forains, comme le témoignage et la reconnaissance de traditions sociales, culturelles et artistiques uniques et multiséculaires.

Les forains indiquent que la nature même de leur activité nécessite de mettre en place des stratégies d’adaptation. Ils insistent sur l’appropriation des découvertes technologiques, qu’ils intègrent de façon systématique à leurs attractions, renouvelant ainsi la féerie de la fête. Ils ajoutent qu’ils associent à leurs pratiques artisanales et artistiques le nécessaire respect de l’environnement (bonne gestion des fluides, économies d’électricité) et sont attentifs à veiller de façon stricte aux normes de sécurité imposées par l’État et l’Union européenne.

Les artisans-forains sont vecteurs d’innovations technologiques, comme en témoigne notamment la grande quantité de brevets déposés pour améliorer le fonctionnement des attractions.

Outre le cinéma, les forains, constamment à l’avant-garde, ont également diffusé les effets spéciaux. De même, dès leur invention, les moteurs électriques ont été intégrés aux attractions. Au début des années 1980, la technologie hydraulique est apparue, permettant une amélioration qualitative des attractions. Les nouvelles technologies des années 2000 ont généré la création de nouveaux moteurs, ainsi que la possibilité de procéder à certaines réparations en ligne. Selon eux, la création d’un enseignement spécifique des techniques foraines n’est pas envisageable à une échelle institutionnelle, au regard de la multiplicité des compétences qu’un forain doit acquérir et du caractère non-sédentaire de l’activité.

Les forains ont enfin largement participé à la diffusion de traditions culinaires régionales : la crêpe bretonne régale les Français du Midi, la gaufre se partage à Bordeaux, le cannelé réjouit le palais des Strasbourgeois et la barbe à papa est universellement partagée.

Du Dit de l’Herberie, rédigé par Rutebœuf au milieu du XIIIe siècle, à Pierrot mon ami de Raymond Queneau (1942), en passant par les théâtres de foire au XVIIIe siècle et le Capitaine Fracasse de Théophile Gauthier (1863), les « fêteux » qui amènent dans nos villes les fêtes foraines, littéralement les fêtes en voyage, nourrissent depuis des siècles notre imaginaire [voir les textes de Pierre Catel, Gisèle Rocha-Silva et Jean-Paul Favand sur le site internet www.arts-forains.com ].

Aux grandes foires commerciales du Moyen Âge, seules deux professions, en dehors des marchands, étaient autorisées à installer leur banc : le peseur d’or changeait l’argent, il deviendra le banquier ; le saltimbanque montrait ses tours, il deviendra le « banquiste ». Le « banquiste », ou bonimenteur, draîne le public vers les attractions spectaculaires de la foire. Jusqu’au XVIIIe siècle, les jongleurs, le théâtre et le théâtre de marionnettes étaient les activités principales du spectacle forain.

Par la suite, les bonimenteurs ont diversifié leurs attractions : physique amusante, science populaire, musées d’art, musées de cire, musées historiques et ethnographiques, ménageries foraines, baraques de lutteurs, phénomènes, musiques... et enfin le cinéma. Toute cette tradition est à l’origine du spectacle moderne sous diverses formes : le théâtre de boulevard, le sport spectacle, le cabaret, le music-hall, l'illusionnisme...

Artistes et marchands, les forains redonnent tout son sens à la pratique du commerce. Ils ont très vite intégré la notion de publicité. La communication foraine utilise toutes les techniques visuelles, sonores et scéniques, faisant appel à tous nos sens, à différents niveaux de perception, ce qui la rend interactive et d’autant plus efficace. C’est le cas notamment des parades, qui sont au monde forain ce que les défilés sont à la mode. La fonction du bonimenteur est complémentaire de celle de la parade. L’aspect spectaculaire de la parade et l’éloquence du bateleur doivent décider le public à « passer à la caisse » avant qu’il ne soit attiré par un concurrent.

Les enseignes foraines se démarquent de celles du commerce sédentaire par un traitement graphique plus baroque et chatoyant. La publicité par affiche a aussi été utilisée très tôt et à grande échelle, en raison du caractère événementiel des fêtes foraines, pour avertir les populations locales. Il en va de même de l’utilisation du cinéma pour des reportages tournés sur place et diffusés comme actualités locales à la Fête, ancêtre des informations télévisées. Les forains ont toujours appliqué de manière empirique les techniques de la fascination comme moyen d’attraction et d’animation, en utilisant le son, le foisonnement des lumières et la propagation des goûts et des odeurs.

Espace privilégié d’échanges et de commerce jusqu’au XVIIIe siècle, la foire devient au XIXe siècle un lieu festif, consacré essentiellement au divertissement : la fête foraine. Cette transformation est le reflet du changement de régime politique et économique opéré dans la société. D’abord avec la Révolution française, qui insuffla sa nouvelle idéologie de liberté et de laïcité aux grandes manifestations populaires, succédant aux fêtes religieuses puis avec la Révolution industrielle, qui provoqua le déplacement en masse des populations rurales vers les centres industriels des grandes villes. Avec la création des fêtes foraines, on commence pour la première fois à faire la « fête pour la fête ».

Entre 1850 et 1900, elle devient le canal privilégié pour véhiculer une nouvelle image du bonheur, née de l’idée du progrès dans une société qui aspire au Paradis moderne. Outre la diffusion des nouveautés de l’ère industrielle, la fête foraine offre à ces populations, victimes de l’industrialisation, une échappée dans un univers de liberté, d’excès et de rêverie baroque. À son apogée, à l’ère de la Belle Époque, la fête foraine apparaît comme le miroir des désirs de tous ceux qui veulent s’émerveiller ou s’encanailler.

Après la Seconde Guerre mondiale, on constate la disparition progressive de la plupart des théâtres, musées, ménageries, cinématographes et autres : ces spectacles nomades quittent la scène foraine pour se sédentariser. Sur le champ de foire subsistent encore les jeux (loteries et tirs), mais on observe le développement d’attractions où dominent les sensations de vertige et de vitesse.

De l’étonnement et de l’invitation au voyage immobile d’autrefois, la fête foraine actuelle est passée à la proposition d’une aventure physique, avec des attractions mettant le public dans des situations extrêmes et capables de susciter chez lui l’esprit de performance et d’exploit sans risque.

Les forains ont été très longtemps des banquistes, autrement dit des montreurs de spectacle, ce qu'ils ne sont que très rarement aujourd’hui. Ils ont cependant conservé de cette tradition une aptitude à animer les grands manèges, les baraques et les loteries afin de faire participer les visiteurs de la foire à une ambiance festive.

Jusqu'à l'orée du XXIe siècle, Jackson alias Jacques Cherrer présentait à la foire du Trône sa parade de catch (métier conservé par Marcel Campion). Des primes étaient proposées, parmi la foule venue assister à la parade, à ceux qui triompheraient des catcheurs gonflant leurs muscles, soulevant des haltères ou esquissant des mouvements de lutte. Des « barons », ou complices, répondaient à ces défis de façon truculente, une jeune femme se proposant, par exemple, de faire manger « au gitan ses moustaches en forme de guidon de vélo ». Ce dernier répliquait alors en sortant de son justaucorps la multitude de petites culottes arrachées aux imprudentes qui avaient eu l'outrecuidance de l'affronter.

Raymond Queneau, dans son ouvrage Pierrot mon ami (1942), a parfaitement retranscrit l'atmosphère festive et transgressive de la foire en décrivant, en incipit, les « philosophes », attentifs à regarder sous les jupes des filles sortant du Palais du Rire en affrontant une soufflerie.

Tewe, qui fut le grand patron des forains avant Marcel Campion, au moment où la foire du Trône quitta la place de la Nation, à Paris, pour s'installer au bois de Vincennes, a gentiment raillé les fantasmes et les stéréotypes engendrés par la foire et les gens du voyage. Ainsi, quand un journaliste de l'unique chaîne de télévision l'interrogea sur ses rapports avec les tsiganes, il répliqua que « beaucoup de bruits courent sur la foire et que l'on accuse même les gens du voyage de voler les enfants ». Souhaitant « rassurer les spectateurs », il ajoutait que « depuis quelque temps, ils avaient appris à les faire eux-mêmes ! ».

Mais c'est sans doute dans le domaine des « entresorts », ces petits musées itinérants où l'on entre par un côté pour ressortir par un autre, que le génie forain s'est exprimé avec le plus de talent. Les musées où l'on pouvait admirer l'épée de Damoclès, la baignoire de Marat et le tonneau de Diogène voisinaient, au XIXe siècle, avec les musées académiques, où des personnes prenant la pose reproduisaient des tableaux et des sculptures du Louvre. « - Et le marbre devint chair ! », s'exclama un jour le bonisseur découvrant l'œuvre de Pygmalion, au cœur de sa galerie.

C'est normal, tout augmente. », lui répondit alors, pince-sans-rire, le Titi. Parmi les « entresorts », ceux dits « à arnaque » rivalisèrent alors dans une toute poétique inventivité. Les libidineux, qui avaient payé pour voir « le trou du bas » ou la « belle Hollandaise toute nue dans son bain », n'avaient, finalement, pour seul plaisir que la contemplation d'un trou dans un bas ou celle d'un fromage de Hollande immergé dans une bassine. Plus sioux était l'entresort des « trois derniers Peaux rouges », qui offrait aux curieux ayant pénétré dans la baraque, le spectacle de rangées de pots de peinture, les trois derniers de la rangée du bas étant… rouges. Enfin, presque rimbaldien, l'entresort du « Grand Hiver », présenté par un forain chaudement vêtu d'un anorak, donnait à voir à la « pantraille »1 un grand drap sur lequel un beau I était peint en vert.

Aujourd'hui encore, si les forains mettent en avant leur aptitude à animer et à faire participer leur clientèle au fonctionnement de leurs attractions, ils n'ont pas oublié les autres traditions. Récemment, un panneau faisait l'historique d'un beau manège anglais des années 1900, montrant un authentique souci de préservation du patrimoine, poussé plus loin encore que dans les musées. On y expliquait comment ces « chevaux de bois » avaient été ramenés d'Angleterre dans des conditions rocambolesques et l'on proposait également à la clientèle d'admirer « le tour de mât », réalisé à partir du fût d'un canon de la guerre de 1870. À côté, une foraine tenait une baraque où le client devait, au milieu d'un enchevêtrement de fils, trouver la bonne ficelle pour tirer son lot. Le public s'approchait régulièrement de l'attraction en la prévenant en ces termes :

« - Madame, vous avez fait une faute dans le titre de votre baraque, tire-ficelles ne s'écrit pas « tire-fisselles » avec deux « s ».

Merci de me le signaler, répondait alors la foraine, on va corriger cela. En attendant, vous tirerez bien une ficelle ? »

Les arts forains, arts populaires par excellence, ont irradié la littérature et le cinéma de leur féconde spécificité. Ray Bradbury en a exploré les ressorts dans deux ouvrages : la nouvelle The Black Ferris (1948), traduite en français (La Grande Roue) en 1981, et le roman Something Wicked this Way comes (1962), traduit en français (La Foire des ténèbres) en 1964. Le 7e Art s'est lui-même très fortement nourri de l'univers forain : La Dame de Shangaï d’Orson Welles (1947) rejoint Le Troisième Homme de Carol Reed (1949) et Un jour de fête de Jacques Tati (1949)... Nombreux sont les cinéastes inspirés par cette tradition festive multiséculaire et fascinante.

Les forains déplorent qu’il semble y avoir de moins en moins d’espaces publics pour la fête foraine. Les municipalités semblent plus réticentes qu’auparavant pour favoriser ou autoriser de telles festivités. Ils constatent qu’il y a moins de place pour la promotion de leur culture et de leur patrimoine, en raison peut-être de considérations économiques.

Les plus jeunes, conscients du caractère unique et féerique de leur patrimoine culturel, entendent poursuivre leur activité et préserver les traditions festives, artisanales et artistiques de la fête foraine. Ils sont particulièrement conscients de l’importance de leur histoire et du patrimoine culturel dont ils sont détenteurs et qu’ils souhaitent faire reconnaître. Ils rappellent le caractère « démocratique » et gratuit de la fête, puisque nul ne s’acquitte d’un droit d’entrée, contrairement aux parcs d’attraction.

La culture que les gens du voyage portent en eux-mêmes et qu’ils donnent à partager à travers les « fêtes foraines », lesquelles signifient, étymologiquement les « fêtes venues d’ailleurs », est en danger de disparaître définitivement. Selon les enquêtes menées par Zeev Gourarier, conservateur général du patrimoine, dans les années 1980, sur les fêtes foraines de Bordeaux, bien des tournées régionales n’existent plus et des forains ont quitté la profession pour cause de manque à gagner. Ainsi, les villages ne sont plus seulement privés de leur postier, de leur instituteur ou de leur pharmacien, mais aussi de leur petite fête foraine. Quant aux grandes fêtes foraines, tout est fait pour les écarter des centres des villes, en un cycle mortifère : les fêtes éloignées des centres-villes deviennent les terrains de jeu de plus en plus exclusifs des adolescents. Dès lors, les familles hésitent à s’y rendre, les autorités municipales sont saisies des nuisances entraînées par les fêtes et songent à les éloigner davantage, voire à les supprimer.

Si les fêtes foraines venaient à disparaître, nous perdrions une part de rêve et de magie qui touche l’ensemble de notre société. Aussi apparaît-il urgent de prescrire les mesures demandées par les forains pour rendre toute leur vitalité à nos fêtes itinérantes, et notamment de :

laisser les caravanes près des attractions. La caravane et l’attraction sont intimement liées. L’ensemble forme un métier. Toute une vie foraine existait à l'intérieur même de la fête qu'il faut préserver ;

si les caravanes ne peuvent accompagner les métiers, il serait judicieux de prévoir un campement proche de la foire disposant de toutes les commodités ;

laisser en centre-ville des espaces où des équipements forains puissent s’installer, en évitant les bancs, les parterres et les plantations qui les rendent impossibles ;

assurer, en foire comme en campement, les arrivées des fluides nécessaires ;

maintenir les fêtes en centre-ville ;

retrouver la dimension initiale de « spectacle total », en réintégrant la banque et les spectacles à la fête foraine.

Il ne s’agit pas de préserver quelques pratiques singulières relevant de communautés isolées ou lointaines. L’objectif est ici de permettre à l’ensemble de la société de conserver le goût de la fête, du jeu, du défi, voire de la transgression du quotidien, en permettant aux forains de continuer à occuper épisodiquement nos places, nos carrefours et nos champs de foire.

Préserver des emplacements en centre-ville, permettre aux caravanes des forains de trouver des stationnements équipés en fluides proches du champ de foire, si ce n’est pas à côté des attractions, assurer correctement la publicité, la propreté, la sécurité et l’harmonie des attractions... C’est à ce prix seulement que l’on pourra perpétuer notre tradition des « fêtes en voyage ». Ces mesures de protection du patrimoine vivant de la fête peuvent s’accompagner d’enquêtes-collectes, qui prolongent les actions de sauvegarde déjà entreprises pour conserver des éléments du patrimoine de la fête foraine à la Belle Époque, quand elle connaît son apogée.

 

Modes de reconnaissance.

Le Gouvernement français a commencé à s'engager dans la défense de la culture des forains et des circassiens, à travers une Charte culturelle qui tend à valoriser et préserver les gens du voyage : la charte d’objectifs Culture-Gens du voyage et tsiganes de France (22 septembre 2016).

Ressources documentaires.

 

Il existe, de surcroît, d’importants fonds documentaires, épars et multiformes, notamment au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), à Marseille. L’Institut national de l’Audiovisuel (INA) dispose d’une multitude de documents sur les arts forains.

 

Bibliographie indicative et non-exhaustive.

 

Campion (Marcel), Une vie de combat, Paris, Éditions Lattès, 1999

Campion (Marcel), Gravil (Catherine), D'où viens-tu forain ?, Paris, Jacob Duvernet éditions, 2009

Dimbourg (Philippe), La Foire autrefois, Noir Dessin productions, 2005

Garnier (Jacques), Forains d'hier et d'aujourd'hui, Paris, chez l’auteur, 1968 Gourarier (Zeev), Manèges d'autrefois, Paris, Flammarion, 1983

Messen-Jaschin (Youri), avec Dering (Florian), Cuneo (Anne) et Sidler (Pete), Le Monde des forains du XVIe au XXe siècle, Lausanne, Éditions des Trois-Continents, 1986

Queneau (Raymond), Pierrot mon ami, Paris, Gallimard, 1942, rééd. 1972

Renard (Régis), Tous au cœur de l'Art, embarquement immédiat !, s.l., 2012

Solignac-Saint-Cernin (Hélène), dir., et alii, La Fête des Loges à Saint-Germain-en-Laye, 1880- 1914 [séminaire d'histoire de l'université libre de Saint-Germain-en-Laye], Presses franciliennes, 2013

La démarche visant à faire inscrire la culture vivante de la fête foraine à l’inventaire français du Patrimoine culturel immatériel, en vue de la faire reconnaître par l’Unesco dans le cadre de la convention pour la sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel de 2003, a été initiée par les forains et des associations solidaires. L’association Le Petit Cheval de bois a été créée à l'initiative des forains en 2014 pour faire reconnaître ce patrimoine spécifique. De nombreuses réunions de concertation ont eu lieu depuis, lors de rencontres trimestrielles à Paris et à Marseille.

À cette initiative s’associent la Fédération nationale des associations solidaires avec les tziganes et les gens du voyage (FNASAT), l’association France-Liberté voyages, ou encore l’Union de défense des artisans forains (UDAF), en leur qualité d’associations visant à promouvoir la culture des gens du voyage.

Toutes ces associations sont également les porte-voix des artistes-forains, dont l’avis a été très largement sollicité.

Fait à Marseille, le 28 mai 2017,

Zeev Gourarier

Renaud Le Mailloux

Jean-Claude Peillex

 

Année d’inclusion à l’inventaire : 2017

N° d’inventaire Ministère : 2017_67717_INV_PCI_FRANCE_00382

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : https://www.pci-lab.fr/images/pdf/Tutoriel.pdf

Contribuer Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fête_foraine

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