Rod lo gèp

Rod lo gèp (en français la chasse des nids de guêpes) est une pratique regroupant les savoirs et savoir-faire relatifs à la recherche et au prélèvement de nids de guêpes papetières, la consommation de leurs larves voire leur vente, sur l’île de La Réunion.

La pratique Rod lo gèp concerne l’ensemble des Réunionnais-ses sans distinction communautaire ou culturelle. Même les personnes qui ne consomment pas ou qui ne vont pas à la chasse sont au courant, en parlent et associent la pratique à l’univers du patrimoine culturel de La Réunion.

Rod lo gèp (en français la chasse des nids de guêpes) est une pratique regroupant les savoirs et savoir-faire relatifs à la recherche et au prélèvement de nids de guêpes papetières, la consommation de leurs larves voire leur vente, sur l’île de La Réunion. C’est une pratique sociale ancienne et populaire. Elle fait partie de l’univers du patrimoine culturel de l’île. Une patrimonialisation qui s’est faite au fil du temps pour devenir un des aspects de l’identité culturelle réunionnaise, notamment dans le champ plus vaste de la gastronomie. Rod lo gèp ne relève pas directement d’une réglementation spécifique. Ce sont des passionnés, le plus souvent des amoureux de la nature qui détiennent les savoirs.

La période pour la pratique est celle où les nids sont à maturité c’est-à-dire courant janvier jusqu’au plus tard, fin avril. Durant cette période, les Rodèr lo gèp (les chasseurs) sont en action.
Cette recherche nécessite des connaissances variées, notamment sur la bonne période par rapport au site de recherche, les zones à prospecter ainsi que les techniques de repérage et de prélèvement des nids susceptibles de contenir des larves. C’est une activité qui peut se faire en solitaire et aussi entre membres d’une même famille ou encore entre amis. La phase de recherche des nids est surtout le fait des hommes, de tous âges et majoritairement issus de milieu populaire ancré dans la ruralité réunionnaise. Les femmes y sont assez rares pour cette phase. On les retrouve davantage présentes pour les moments de partage et de communion en famille et pas nécessairement pour la préparation qui là encore, est plutôt le fait des hommes. Mets prisés des familles réunionnaises, les larves de guêpes sont considérées comme une nourriture délicieuse et sont affectées du nom de « caviar réunionnais ». Une grande partie des habitants-es apprécient ces larves principalement en friture et accessoirement en rougay et kari (manière de cuisiner associant des tomates, des oignons voire du poivre et du sel et d’autres épices). Pour satisfaire cette consommation, les Rodèr lo gèp partent en quête des nids et déploient ainsi tous leurs savoir-faire et savoir-être.

La chasse (autre manière de dire « rod ») est décrite par les Rodèr comme étant raisonnée à savoir que les « bons » chasseurs ne tuent pas les guêpes adultes qui, après l’enfumage, peuvent construire de nouveaux nids à proximité. Ils limitent leurs ponctions aux nids matures (principalement des nids secondaires bien développés), laissant les plus petits nids pour la saison prochaine. Traditionnellement associée à la période du Carême, la chasse aux guêpes suit la consommation et est limitée dans le temps. Cependant, si de nombreux consommateurs cherchent les nids par et pour eux-mêmes, dans leur environnement proche, beaucoup n’ont pas le temps et en achètent à des chasseurs motivés par un revenu substantiel. Il est ainsi fréquent de voir pendant les semaines du Carême, sur le bord des routes, des nids vendus sous forme de guirlandes de nids - les « filets » - au prix avoisinant les 200 € le kilo.

La pratique est répandue sur toute l’île, à basse et moyenne altitude, et se fait en milieu urbain, dans les forêts, les ravines ou encore à flanc de falaise, et enfin dans les Cirques (il existe trois Cirques à La Réunion. Ce sont des résultantes d’effondrement de montagne, des caldeiras devenus pour deux d’entre-elles des communes, Cilaos et Salazie). La pratique est fortement associée à une observation de la nature, à une vie en extérieur, et souvent évoquée comme un lien avec les gramoun (les personnes âgées à La Réunion voire les ancêtres) et avec le tan lontan, période d’une société réunionnaise peu urbanisée (avant les années 1970, 1980 pour l’essentiel).

Concurrentielle dans certains secteurs très fréquentées, la pratique « souffre » de son succès et de la monétisation des nids. L’utilisation des produits chimiques, notamment dans l’agriculture, et une urbanisation trop peu attentive à l’environnement menacent les insectes et les guêpes en particulier. À ceci s’ajoute le dérèglement climatique qui semble modifier la distribution des guêpes (et les habitudes) des Rodèr.

Les guêpes de Rod lo gèp sont des Polistes olivaceus (De Geer, 1773) (Hymenoptera: Vespidae), des guêpes sociales (Polistinés) qui représentent avec les Vespinés, guêpes communes et frelons moins de 1 % des guêpes vraies (Vespidés). On compte plus de 300 espèces et sous-espèces identifiées de polistes dans le monde. Polistes olivaceus est présente sur les trois îles des Mascareignes (Maurice, Rodrigues et La Réunion) et à Madagascar.

La pratique Rod lo gèp concerne l’ensemble des Réunionnais-ses sans distinction communautaire ou culturelle. Même les personnes qui ne consomment pas ou qui ne vont pas à la chasse sont au courant, en parlent et associent la pratique à l’univers du patrimoine culturel de La Réunion. On peut présenter comme suit la communauté :

  • Les Rodèr lo gèp qui sont experts, en conscience et qui tissent un lien écologique avec la nature sont répartis sur l’ensemble de l’île. Ce sont nos interlocuteurs privilégiés. Ils connaissent très bien les comportements des guêpes et les lieux où les trouver de manière efficiente. Ce sont presque des puristes, soucieux des équilibres entre l’Homme et l’environnement. Ils pratiquent pour leur consommation. La pratique est un moment de connexion intime avec l’environnement, d’émulation, mais aussi de partage avec ses proches. Quelques-uns, une minorité, destinent une partie du fruit de leur chasse à la vente.
    Les Rodèr lo gèp sont majoritairement des hommes. La plupart chassent les guêpes depuis l’enfance. Chez les jeunes Rodèr (avant l’adolescence), on trouve indifféremment filles et garçons.

  • Les Rodèr lo gèp occasionnels. Cela concerne une plus grande tranche de la population. La pratique se fait lors d’un pique-nique ou tout simplement pour enlever un nid dans sa cour, son jardin. Les savoirs et savoir-faire sont variée, moins experts. Cette catégorie comprend des consommateurs, des acheteurs voire des vendeurs.

  • Les vendeurs. Ils participent à la pratique en donnant de la visibilité et en faisant le lien avec le milieu urbain par leur vente sur le bord des routes ou vers des restaurateurs qui veulent satisfaire des clients locaux ou en visite dans l’île. Beaucoup sont des Rodèr lo gèp mais pas tous.

  • Les consommateurs. C’est la grande catégorie puisqu’elle concerne de nombreuses familles réunionnaises. Les larves de guêpes se consomment en famille, avec des amis, le plus souvent chez soi et aussi dans quelques restaurants de cuisine créole. Certains, qui ne peuvent chasser les guêpes ou les acheter fraîches, les achètent congelées.

  • Les restaurateurs. L’intérêt de mettre des larves de guêpes sur leur carte est d’offrir un plat prisé et identitaire, flattant des souvenirs d’enfance, entre autres. Certains restaurateurs vont jusqu’à proposer des larves de guêpes achetées à l’import en provenance de Madagascar et/ou d’Asie du Sud-Est (Vietnam). Sur la carte des menus du restaurant, le plat de larves de guêpes est très souvent dans les prix les plus chers (aux environs de 35 €).

Globalement, la majorité des Réunionnais-ses partagent cette pratique comme étant un élément du patrimoine culturel local, indépendamment des croyances religieuses même si, le Carême des Chrétiens constitue un moment particulier pour cette communauté d’amateurs, et même si certaines personnes peuvent être dégoutées ou tout simplement avoir peur des insectes et des guêpes en particulier.

Lieu(x) de la pratique en France

L’île de La Réunion

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

Île Maurice :

Cette pratique y semble récente et encore marginale (constat au moment de l’enquête en 2021) sur l’île Maurice. Les guêpes sont appelées « moutouk ». Des petits groupes de Rodèr réunionnais se rendent en vacances sur place pour les chasser.

Madagascar :

À Madagascar, les nids de guêpes sont également recherchés. Les larves sont consommées localement mais surtout collectées pour être vendues à des Réunionnais sur place ou de passage et exportées congelées vers La Réunion où elles sont commercialisées en supermarché.

Île Rodrigues :

Ces guêpes sont présentes à Rodrigues mais ne semblent pas consommées par les habitants. Ce sont les Rodèr lo gèp réunionnais qui s’y rendent et pratiquent sur place, dans le but de ramener les nids pour les consommer chez eux.

Asie du Sud et Est :

Les larves de guêpes polistes sont consommées et vendues dans leurs nids sur les marchés asiatiques (Chine, Inde, Japon). Peu d’informations sur les activités associées à la pratique (s’il y a recherche dans la nature ou élevage par exemple) sont disponibles.

Amérique du Sud :

Au Mexique, le miel (fait de nectar de fleurs et de miellat d’Homoptères) et le couvain de certaines espèces de polistes sont consommés. Dans le village de Cherán (Michoacán), les guêpes à miel (uauapu) font l’objet d’une grande manifestation rituelle et festive consacrant la nature et ses ressources.

L’essentiel des connaissances relatives à la description de la pratique nous a été transmis par les  praticiens lors d’entretiens individuels et/ou en les accompagnant sur le terrain. Certains  interlocuteurs ont choisi de contribuer tout en restant dans l’anonymat. Ce que nous avons  respecté. Leur position est réfléchie car la pratique oscille entre un fort intérêt patrimonial dû à la  valeur traditionnelle et une représentation approximative quant à sa légalité. Or, la pratique ne fait  l’objet d’aucune réglementation ni pour la réguler ni pour en interdire un quelconque aspect. De ce  fait, les praticiens ne sont nullement hors la loi.

Les nids de guêpes dans l’année

La construction des nids est l’œuvre des guêpes que l’on appelle localement les mères. Ce sont des  femelles sexuées et les premiers nids sont désignés en entomologie comme des « nids primaires ».  Ces nids peuvent comporter une seule fondatrice – dans le langage scientifique, le nid est alors dit  haplométrotique, ou plusieurs reines – la fondation est alors dite pléométrotique. Les nids  primaires sont compacts et peu étendus. On les appelle localement nids bouteilles. Les fondatrices  y pondent leurs premières ouvrières qui vont aider à la construction du nid.

On peut observer ces nids dès le mois de décembre. Plus tard, en janvier, apparaîtront les nids  « secondaires » que les praticiens nomment nids en vanne ou en tarpin. Ces nids sont plus étendus  et plats que les premiers. Ce sont les nids traditionnellement recherchés par les Rodèr. Formés à  partir d’une partie des colonies constituant les nids primaires, ils sont composés d’individus sexués  - une mère ou plusieurs mères - et par des ouvrières, lesquelles pondront des œufs de mâles.  Progressivement, les naissances passent d’une majorité d’ouvrières à une majorité d’individus  sexués, mâles et femelles. Les mâles s’accouplent peu après et meurent. La saison des guêpes se  poursuit en février. Elle est à son apogée au mois de mars et se termine fin avril. Le temps fort de la  chasse et de la consommation se situe dans la Semaine sainte et dans les jours du Carême qui la  précédent quand l’alimentation se doit d’être plus frugale. Les larves de guêpes ne sont pas  considérées comme de la viande. C’est la tradition de les chercher et d’en consommer à cette  période.  

Passée la période de Carême, la consommation et la demande en nids diminuent et les Rodèr  cessent peu à peu de chercher les nids. Parallèlement, les nids se désemplissent avec les naissances  et sont progressivement abandonnés. Fin avril-début mai les femelles sexuées partent hiverner à  l’abri des intempéries et des prédateurs. Elles fonderont les prochaines colonies une fois passée la  saison fraîche (juin à novembre).  

Les saisons peuvent être plus tardives, comme celle de 2021 où plusieurs Rodèr évoquent la  sécheresse de janvier comme la cause principale du retard de la construction des nids cette année là. Les saisons dépendent également des sites prospectés sur l’île. D’après les témoignages, la  saison des guêpes démarre tôt dans l’ouest (en janvier autour de Saint-Gilles, Saint-Leu et Saint Paul, bien que certains aillent aussi à Saint-Paul plutôt en fin de saison), pour n’arriver qu’en  février-mars dans l’est (Saint-Rose). Les chasseurs expliquent ce décalage par l’influence des  températures, en moyenne plus hautes dans l’ouest, et donc plus propices à un développement  rapide des nids que dans l’est qui est une zone tempérée à forte pluviométrie. Dans le nord, la  saison démarre juste après, en mars (principalement dans les Hauts de Saint-Denis et à Sainte Marie). Dans le sud, la saison est habituellement la même que dans l’ouest et donc relativement  précoce.

Trouver le nid

Les connaissances diffèrent selon les individus mais aussi selon les zones prospectées et les  biotopes. De même la présence des nids varie en fonction des années et des lieux. Les Rodèr  habitant le littoral ne chassent pas dans les Cirques (en particulier celui de Mafate), et vice-versa.  Un chasseur du littoral possède des connaissances sur les saisons sur sa commune et les communes  de son littoral, voire plus loin s’il se déplace, alors qu’un chasseur de Mafate connaît surtout les  caractéristiques de son Cirque.

Les nids de guêpes polistes se trouvent surtout en basse altitude, sur le littoral. La majorité se situe entre 0 et 650m d’altitude, bien que d’autres peuvent se rencontrer à plus haute altitude. D’après  les informations recueillies, des nids ont été chassés à la Plaine des Palmistes (1050m) ou dans les  différents Cirques de l’île : Mafate (au Piton Cabris à 1435m, à côté d’Aurère au-dessus de 900m),  dans celui de Salazie (à Bé-Cabot au-dessus de 1000m) et dans celui de Cilaos (à Cilaos autour de  1000-1200m ou à Palmiste Rouge à 900m). En fonction de l’altitude concernée, l’abondance et la  taille des nids varieront. En basse altitude, par exemple au nord-ouest du cirque de Mafate (vers  l’îlet Aurère à 900m, Cayenne et la Rivière des Galets autour de 500m), les nids sont réputés plus  gros et abondants. Lorsque l’altitude augmente, il a été constaté que les nids se font plus petits et  plus rares, la limite étant Roche-Plate à 1100m, d’après certains habitants de cet îlet. Plus haut (au  sud-est du Cirque, vers Marla, à 1645m), les guêpes et leurs nids paraissent absents. 
Outre le facteur de l’altitude, les nids se trouvent dans tous les milieux et reliefs de l’île : en forêt,  sur les falaises, dans les ravines et aussi en milieu très anthropisé tels que dans les jardins ou  accrochés aux bâtiments (gouttières, plafonds de terrasses et balcons, blocs de climatiseurs).

Trouver les nids nécessite donc, selon l’endroit, de grimper des falaises, de marcher dans les  champs de canne, les ravines, la forêt ou la savane, ou de visiter des jardins de particuliers et de  s’adapter également aux conditions météorologiques, qui peuvent changer d’une année à l’autre et  à tout instant dans la journée compte tenu de la multitude de micro-climats sur l’île. Selon un  Rodèr lo gèp de la côte ouest (Saint-Leu), l’année 2019 a été particulièrement chaude, et « cette  année-là, [les guêpes] sont montées un peu plus haut que d’habitude ». Un autre Rodèr en a  observé jusqu’aux Makes (800m) en 2018. Ce qui n’avait jamais été observé auparavant.

Plusieurs paramètres sont évoqués par les chasseurs pour trouver les nids de guêpes.  Premièrement, il y a le lieu prospecté. Celui-ci est souvent connu à l’avance et les Rodèr  fréquentent des sites qu’ils visitent d’une saison à l’autre, depuis des décennies pour certains. Le  lieu de fixation du nid peut être sous une roche, une branche, un buisson, un arbre. Si leur  interprétation de ces sites s’appuie sur des connaissances et des observations empiriques cumulées  sur plusieurs années, la présence des nids ne dépend pas complètement des pratiques de collecte,  comme on le verra. Elle demeure toujours incertaine. Certains sites comptent de nombreux nids  d’une année sur deux, ou sur trois, sans que les chasseurs puissent l’expliquer. La présence des  guêpes et de leurs nids est aussi une question de ressenti individuel (Landrwa ousa i san lo gèp, « l’endroit où on sent la présence des guêpes »), souvent partagé collectivement quand ils chassent  à plusieurs. Les Rodèr sont attentifs à de nombreux indices. Observer une guêpe ne suffit pas. Il  faut croiser les observations. Saisir un ou plusieurs vols directs vers le nid, ou ces vols « lourds » décrits par beaucoup de chasseurs. La guêpe doit être « chargée » avec « au niveau de sa tête une  petite boule avec les aliments qui vont au nid », ce qu’ils nomment de la gomme ou crasse, c’est-à dire du bois gratté sur les troncs pour la construction du nid (sur le nid, ce matériau transformé en  pâte à papier est appelé paille). Le repérage des nids s’appuie sur des observations patientes et  méticuleuses de l’environnement alentour. Mais il faut avoir « le truc », « le coup d’œil » pour voir  les guêpes. Des qualités et des dispositions qui s’apprennent avec l’expérience.  

Le soleil est très souvent évoqué. Les Rodèr observent la zone de chasse, généralement en hauteur,  et cherchent à se placer face au soleil. C’est sous cet angle que les guêpes sont plus facilement  repérables car le soleil fait « briller les mères ». Filantes, leurs silhouettes jaunes se détachent sous  la lumière rasante, idéalement le matin ou le soir. Le vent, à l’inverse, complique la chasse : les  guêpes sortent moins, ou lorsqu’elles sortent elles sont plus difficiles à repérer. Boucaner le nid,  l’enfumer, est également plus difficile et le risque d’un départ de feu peut être jugé élevé. Une fois  aperçues, les guêpes polistes sont difficiles à suivre. Il ne faut pas les quitter du regard lorsqu’elles  descendent dans la végétation, puis essayer de retrouver l’endroit où elles ont disparu en gardant  un œil attentif à leur déplacement. Dans la végétation, il faut les suivre sur un terrain souvent  accidenté, s’arrêter fréquemment pour guetter leurs allers-retours entre le nid et une ressource.  Pour trouver les nids, l’œil doit être exercé et les conditions météorologiques réunies. Cela  nécessite de la patience, de la persévérance, et un peu de chance car il faut être là au bon moment,  certains nids étant dissimulés sous ou dans la végétation. Tous les sens sont tournés vers la chasse  et la concentration est extrême.  

Choisir le nid

Une fois un nid trouvé, il dépend des chasseurs de le prendre ou non. Ce choix dépend de facteurs  d’ordre biologique et socio-économique qui interviennent différemment si le Rodèr chasse le nid  pour en consommer les larves ou pour le vendre. Pour être intéressant, le nid doit comporter assez  de larves. Ce remplissage s’observe avec les larves apparentes dans les loges de papier, mais aussi  au regard du nombre de loges non-ouvertes, les loges dites cachetées. 

La construction des loges par les ouvrières se fait au fur et à mesure de la ponte de la reine. Le  développement du nid est centrifuge. Le couvain (et le nid) au centre est plus âgé qu’en périphérie.  En fin de saison, il en résulte que le centre est vide lorsque les côtés comportent encore des  nymphes, des larves, voire des œufs. La différence entre ces stades se fait visuellement. Les œufs  (ils ne se consomment pas) sont beaucoup plus petits que les larves. D’abord blanches, les larves  prennent une coloration jaune en grossissant. Elles resteront ouvertes jusqu’à la nymphose, puis  seront fermées par un opercule de soie tissé par la larve elle-même. Ces loges et ses opercules  diffèrent selon que l’individu est : un mâle (la taille de la loge est alors maximale), une femelle  sexuée (de taille intermédiaire et blanche) ou une ouvrière (de taille plus petite et grise).

Les Rodèr recherchent les nids les mieux pourvus en larves et en nymphes. Les premières comme  les secondes sont consommées. Les guêpes prêtes à naître sont laissées vivantes, dans le nid la  plupart du temps, puis abandonnés avec celui-ci. Pour qu’un nid soit considéré comme mature, il  faut donc qu’il soit cacheté au centre, c’est-à-dire que ses cellules soient operculées, pour former ce  que certains chasseurs nomment des cigarettes, et donc comporter des larves mais aussi quelques  nymphes visibles (non-operculées).

La taille du nid est un paramètre important, mais pas pour tous les Rodèr. Certains évoquent la  nécessité de laisser grandir les nids pour pouvoir les prendre, ceci selon deux objectifs : avoir assez  de larves à consommer dans le nid mais aussi permettre la résilience de la colonie, par la présence  d’un nombre important d’ouvrières déjà présentes en capacité de reconstruire des nouveaux nids à  côté ou à proximité de l’ancien emplacement. D’autres ne sont attentifs qu’au seul remplissage du  nid, moins qu’à sa taille, comme on le verra.

La forme du nid est un autre critère important pour le prélèvement. Les nids en bouteille,  précédemment évoqués, sont prélevés par certains Rodèr afin de stimuler la formation de nids  secondaires, plus grands et plats. La forme de ces nids secondaires, plus évasés sur les côtés,  pourrait s’expliquer par le plus grand nombre d’adultes ouvrières disponibles. Plus nombreuses  pour un nid secondaire que pour un nid primaire, elles démarreraient plus vite sa construction.  Pour être considérés comme matures, les bords du nid doivent être repliés. C’est pour certains  Rodèr le signe d’un arrêt de la croissance du nid, l’indice qu’il a atteint sa taille maximale.

Noms en créole réunionnais pour les différents stades de développement des guêpes (de droite vers  la gauche) : Zèf → Tit’ gèp → Mwayinn gèp → Gran gèp → Gèp dir 

Concernant la taille des nids, les praticiens utilisent les termes suivants pour les décrire (ici, du  plus petit au plus grand) : croc/dent, ti’ni, mwayin ni, lo ni normal, lé pa vilin (pour dire ce n’est  pas mal du tout), zoli ni, gro ni, tarpin/vanne, planèt. Tous les Rodèr n’utilisent pas ces descriptifs  mais certains termes sont connus sur toute l’île (vanne, gro ni), tandis que d’autres sont des  expressions plus personnelles (lé pa vilin, la planèt), soulignant souvent la satisfaction du  chasseur.  

Outre ces critères biologiques, des motivations plus socio-économiques entrent en jeu lors de la  chasse. En saison, le grand nombre de Rodèr actifs suscite une course aux nids et des collectes  précoces. Quand certains Rodèr choisissent de laisser grossir les nids secondaires qu’ils estiment  trop petits pour pouvoir les prélever quelques jours plus tard ou les laisser pour la prochaine saison  (comme le faisait dans les deux cas les anciens), d’autres, plus opportunistes, préfèrent les prendre  pour les ajouter à leur filet et les vendre. Au regard des prix de vente des nids et de certaines  pratiques peu adaptées, la résilience des colonies dans les secteurs les plus fréquentés par les  chasseurs interroge. La concurrence en saison est telle que chacun garde précieusement ces coins  et préfère chasser seul ou avec un parent.

Technique de prélèvement du nid

Lorsqu’un nid est trouvé et qu’il est considéré comme bon à prendre, il faut le prélever, voire le  décrocher de son support. Gardé par les guêpes adultes, gare à celui qui s’approche du nid sans  précaution ! « Qui s’y frotte s’y pique », avertit un Rodèr. Il faut se préparer à les boucaner, les  enfumer. Les méthodes et matériaux utilisés sont multiples. Il peut s’agir d’un bricolage sur site, ou d’un élément fabriqué chez soi à partir d’une méthode éprouvée, voire « traditionnelle ». L’outil est  formé à partir d’un élément long, la golèt (gaulette ou gaffe en français), qui permet d’agir à  distance du nid (un bâton en bois, une perche, un manche à balai, une manivelle de store, etc.) et  d’un élément inflammable susceptible de produire une fumée épaisse sans flamber (qui « boucane  bien »). Cet élément était souvent un morceau sec de la tige florale d’un choka (ou matchoka, Furcraea foetida (L.) Haw.), un goni (des bouts de sac de jute) ou un chiffon roulé et bien attaché,  mais peut maintenant être très différent (simple bout de carton, récupéré à partir d’une boîte  d’œufs par exemple, ou un tissu comme une vieille pièce de jean roulée en mèche). D’autres Rodèr  enfument les guêpes en soufflant de la fumée de cigarette sur le nid, ou encore à l’aide d’un  enfumoir d’apiculture. Enfin, certains évoquent la possibilité de faire fuir les adultes sans même  avoir besoin de fumée soit en soufflant directement sur le nid soit en passant d’abord leur main  sous leurs aisselles puis en soufflant dans cette main odorante vers le nid. Cela peut sembler suffire  à faire partir les guêpes. Il ne reste plus qu’à prélever le nid sans risque.

Devant le nid, le rôdeur allume la partie inflammable, étouffe les flammes puis approche le  combustible du nid en le plaçant à quelques centimètres. Les guêpes s’envolent alors, affolées. Elles  tournent autour du nid cherchant à fuir ou à attaquer l’agresseur et peuvent former un essaim  impressionnant autour de la zone prélevée. Si le nid est accessible, le chasseur le prend rapidement  à la main ou coupe la branche sur laquelle il est attaché. Lorsque le nid est trop en hauteur, le  Rodèr peut soit grimper à l’arbre, soit utiliser une golèt équipée d’un crochet qui permet de  détacher le nid tout en restant à distance. Le nom de gaulette vient du bois utilisé par certains pour  cet outil, du bois de gaulette Doratoxylon apetalum (Poir.) Radlk., 1887, originaire de Madagascar.  Ce bois pousse très droit et peut servir d’instrument de mesure : une gaulette équivaut à 5m. Une  fois le nid décroché, les Rodèr s’éloignent rapidement du site. 

Transporter le nid 

Pour transporter les nids, les Rodèr utilisent un sac plat tressé en fibres de vacoa, le bertel (ou  bertelle), ou un sac à dos. Certains rapportent les nids chez eux pour dépiauter le nid, c’est-à-dire  pour en extraire les larves. D’autres préfèrent le faire sur place et les conservent alors dans un  récipient, souvent une bouteille en plastique. Cette dernière pratique est surtout liée aux trajets  inter-insulaires, lorsque les Réunionnais chassent à l’île Maurice, à Rodrigues ou à Madagascar.  Les larves sont ramenées à La Réunion, de façon officieuse, par avion ou bateau.

Au cours d’une journée, les Rodèr de guêpes peuvent capturer plusieurs dizaines de nids, en  fonction de leurs motivations et de leurs objectifs. Rod lo gèp demande de l’observation et de  l’endurance tant dans la quête des nids que pour leur capture ou leur transport.

Un autre type de transport est effectué par certains Rodèr : c’est « la transhumance » ou la  translocation des nids et des guêpes. Le nid (et ses occupantes) est transporté seul ou sur sa  branche. L’objectif est de rapporter le nid dans son jardin pour le laisser croître afin d’en  consommer les larves ultérieurement, mais aussi de s’assurer que personne d’autre ne le prenne si  son emplacement initial est fréquenté. La motivation (ou le prétexte) peut être de le déplacer pour qu’il ne gêne plus, s’il est installé trop près d’une habitation, si la personne vivant à proximité est  allergique ou juste gênée par sa présence. Après repérage, il faut revenir la nuit quand les adultes  sont rentrés et immobiles sur le nid. Le nid est décroché au niveau de son pétiole ou transporté sur  sa branche. C’est le moment le plus délicat car les mouvements trop brusques réveillent les guêpes.  Celles-ci peuvent s’activer et remonter sur le bras du porteur. Le nid peut être transporté à pied  vers son nouvel emplacement, ou en véhicule, cette dernière option nécessitant de mettre le nid  dans un sac. 

Conserver les larves 

Les larves sont meilleures fraîches. Lorsqu’elles sont chassées, le Rodèr ne conserve les larves que  très peu de temps. Le plus souvent, elles sont mangées le soir même, en famille. Lorsque les larves  sont destinées à être vendues, les nids sont proposés à la vente le midi ou l’après-midi ou au plus  tard le lendemain. Pour les conserver plus longtemps, on peut mettre les larves, comme les nids, au  réfrigérateur. Les larves subiraient toutefois une perte de saveur.

La consommation étant directement liée à la chasse, son produit peut être consommer sur place, en  forêt, généralement après cuisson au feu de bois. Ce type de consommation ne semble cependant  plus réalisé aujourd’hui. 

Les larves dans l’assiette

La préparation des guêpes fait relativement l’unanimité. Elles sont consommées frites par la  plupart des chasseurs et des consommateurs car « c’est en friture que l’on sent mieux le goût ». Les  larves sont extraites du nid et mises dans un récipient, le plus souvent un bol. Cette étape est  délicate et se fait surtout à la main. Les larves ne sont pas écrasées mais le nid est souvent abimé  par l’extraction. Ceux qui veulent garder les gros nids comme trophée et/ou comme objet de  décoration utilisent un pince pour sortir les larves. 

Pour les frire, certains cuisiniers versent un fond d’eau dans une poêle et attendent que l’eau  s’évapore pour y mettre les larves, une étape qui permet de les chauffer sans les éclater. Une fois  l’eau évaporé, de l’huile de friture est versée et chauffée. Les larves sont retirées de la poêle  lorsqu’elles prennent une couleur marron orangée. Elles sont ensuite égouttées sur un tissu  absorbant. La texture un peu croustillante recherchée nécessite environ 10 minutes de cuisson. Les larves sont aussi mangées crûes. Certains agrémentent les larves de fromage ou d’autres  accompagnements, ce qui « gâte le goût », d’après certains. Aujourd’hui, ceux qui consomment les  larves en forêt le font surtout pour l’expérience plus que pour répondre à un réel appétit. 
Le goût est souvent évoqué comme se rapprochant de celui de la noisette. D’autres l’évoquent  comme simplement « le goût de guêpe », un goût unique. La texture des larves crûes est assez  particulière, l’intérieur étant laiteux lorsque la peau est percée. Le goût se répand alors dans la  bouche. Une fois frites, le premier goût de friture est identifiable, puis s’efface progressivement  pour laisser place au même goût constaté avec les larves crûes, qui reste longtemps en bouche. 

Le créole réunionnais et le français.

Patrimoine bâti

Non concerné

Objets, outils, matériaux supports

Golèt (gaulette) : L’outil est formé à partir d’un élément long, qui permet d’agir à distance du nid  (un bâton en bois, une perche, un manche à balai…). 
Matchoka : tige du choka vert (Furcraea foetida).  
Bertel : sac en feuilles de vacoa. Technique du tressage croisé à deux brins. 

L’apprentissage se fait par la famille et le voisinage, par l’oralité voire l’observation et le  mimétisme. Très souvent, cet apprentissage commence dès le plus jeune âge car la pratique peut  revêtir une forme d’émulation pour le jeune enfant et se prolonger vers l’adolescence. Il s’agit, la  plupart du temps, de souvenirs lointains, souvenirs d’initiation dans le jardin, la forêt voire  l’immeuble. Une initiation qui est associée à la figure masculine (le père, un aîné, un oncle ou le  grand-père voire même un parrain, quelqu’un du voisinage proche de la famille).

L’initié accompagne sur le terrain. Il apprend également en écoutant les récits de chasse. Il apprend  à « lire » la nature, à la comprendre et à la respecter à la fois pour sa propre survie, sa réussite dans  l’entreprise Rod lo gèp et pour développer sa curiosité voire sa passion pour les questions de  biodiversité.

Plus grand, l’initié va mener ses propres chasses et constituer son réseau et ses terrains.

Les Rodèr lo gèp ne sont pas organisés sous forme d’association ou même de collectif. Les Rodèr  échangent entre amis ou en famille et le cercle de transmission n’est généralement pas très étendu.  De père en fils, les connaissances sont bien communiquées. Les femmes semblent moins  impliquées dans ces pratiques.

Les praticiens sont nombreux. Nous mentionnons ici ceux que nous avons rencontrés et qui font  autorités par leurs connaissances :

  • Jean-Claude CLAIN, Le Guillaume, pratique depuis 50 ans dans l’ouest de l’île
  • Inel MOREL, Saint-Joseph, pratique depuis 50 ans, toutes zones de l’île
  • Wilfried MOREL, Saint-Joseph, pratique depuis 50 ans, toutes zones de l’île
  • Georges-Marie SUZANNE, Saint-Louis, pratique depuis 30 ans, zone ouest de l’île
  • Hermann THOMAS, Saint-Paul, a pratiqué pendant 10-20 ans dans l’ouest de l’île 

Notre échantillon est représentatif, notamment géographiquement. Il couvre l’ensemble des  territoires de La Réunion. Les profils correspondent au cœur de la communauté : les pratiquants de  longue date attachés aux valeurs de respect des rythmes de la nature.

D’autres Rodèr lo gèp que nous avons rencontrés et interviewés, notamment ceux qui couvrent les  Cirques, n’ont pas souhaité figurer dans l’inventaire de façon explicite mais leur témoignage a été  d’une grande richesse, mettant en évidence leur singularité. Ils ont estimé qu’il était préférable  qu’ils restent dans la discrétion.

Les institutions, Office National des Forêts (ONF) et Parc national de La Réunion (PNR), ont été  contactées mais ont estimé que pour elles cette pratique n’était pas un sujet. La guêpe étant  supposée « exotique » à La Réunion et la pratique majoritairement dans les Bas, peu de mesures  sont mises en place par ces institutions. Elles restent attentives à deux phénomènes, l’impact des  pénétrations dans la zone du Parc et les risques d’incendie. Il n’y a pas d’incendie majeur, à notre  connaissance, qui aurait été imputable à un Rodèr lo gèp dans la zone du Parc ou dans les forêts. 

La pratique Rod lo gèp n’a pas ou très peu intéressé la recherche académique. On dénombre une  thèse en biologie et un roman autobiographique. On retrouve mention de la pratique dans certains  ouvrages. La presse de l’île en parle régulièrement comme d’une pratique à visée surtout  économique, une tradition que l’on « agite » de temps en temps à l’occasion de dossier sur le  patrimoine. Or, la pratique est ancienne et encore régulière. La Réunion ayant connu une  colonisation de peuplement (en l’état des savoirs, l’île était vierge de toute population au moment  des premières installations de population dans la deuxième moitié du XVIIe siècle), c’est dans cette  singularité que nous essayons de trouver des pistes sur l’histoire de la pratique sur l’île.

Les publications mentionnant une consommation de guêpes (Vespidae) dans le monde sont  nombreuses, notamment en contexte asiatique (Japon, Chine, Corée, Inde, Birmanie, Laos,  Thaïlande, Malaisie, Indonésie). Les frelons (Vespa) y sont particulièrement prisés (13 espèces sur  22, Jongema 2017). En Chine et au Japon, les frelons adultes et le couvain sont infusés dans de  l’alcool et consommés pour leurs vertus médicinales. Quant aux guêpes polistes, elles sont aussi  consommées dans un grand nombre de pays (en Amérique latine et au Mexique en particulier, en  Asie, comme en Inde, au Japon et en Chine, voir Jongema 2017). Dans le « Ling Biao Lu Yi » (Liu  Xun, écrivain chinois du XIXe siècle, 1900), il a été rapporté qu’un texte composé entre 895 et 915 après J.C décrivait les paysans de l’actuel Guangdong comme friands des nids de Polistes dont ils se  nourrissaient des larves (Métailié dans Motte-Florac et Le Gall 2016). Pendant la période Yuan Ming (1250-1308/1308-1644), le médecin naturaliste chinois Li Shizhen évoque dans le « Bencao  gangmu » que la consommation d’hyménoptères (les larves manifestement) était courante chez «  les gens du Sud ». Les hyménoptères concernés sont les abeilles Apis cerana et les xylocopes, un  bourdon, et une espèce de guêpe poliste (Métailié dans Motte-Florac et Le Gall 2016). La grande  majorité des guêpes sociales ne fabrique pas de miel mais en Amérique du Sud, certains Polistinés  collectent du nectar de fleurs et des excrétas sucrés d’Homoptères, miellat qu’elles accumulent  dans des logettes de leur nid de papier. Les galettes remplies de couvain et de cette sorte de miel  sont consommées par les hommes dans la région du Michoacán au Mexique (Argueta Vilamar &  Castilleja González 2012).

La consommation de guêpes polistes est également évoquée à Madagascar et sur les autres îles des  Mascareignes (île Maurice et Rodrigues). L’espèce étant originaire de Madagascar et apparemment  invasive à La Réunion (son arrivée sur l’île est assez peu documentée), il pourrait s’agir de  pratiques malgaches étendues à La Réunion. Le début de la population pérenne sur l’île se fait avec  l’arrivée de douze personnes originaires de Fort dauphin (deux Français et dix Malgaches dont  trois femmes qui donneront les premières naissances réunionnaises). Les esclaves fugitifs, les  Mar(r)ons, majoritairement des Malgaches (plus de 90% au XVIIIe siècle), ont pu pour survivre, et  entre autres consommations (nous pensons également aux larves de longicornes, les zandèt),  continuer à consommer des larves de guêpes. Ce processus historique se serait perpétué tout au  long du XXe siècle. Nos interlocuteurs, pour beaucoup, sont nés dans les années 1950, 1960 et ont  hérité de la pratique Rod lo gèp de leurs parents (pères, oncles) voire grands-parents,  potentiellement nés dans les années 1930, 1940 et avant. Aujourd’hui, cette consommation semble  plus ancrée dans la communauté réunionnaise que dans les communautés malgaches,  mauriciennes ou rodriguaises. À La Réunion, la pratique ne faiblit pas et connaît même un regain  du fait de l’intérêt patrimonial et de la dimension pécuniaire.  

Comme toute pratique dite traditionnelle, celle-ci évolue avec son temps.

L’aménagement et l’urbanisation impacte les zones de chasse. Le cadre plus local qui existait  lorsque la production des nids était omniprésente n’est plus très répandu, et les Rodèr lo gèp  peuvent, mais surtout doivent aller rôder de plus en plus loin. La survalorisation du produit  conduit à une sur-chasse décriée par certains Rodèr dits modérés. L’appât du gain que représente  le prix de vente des larves, appelées le « caviar réunionnais » représente une forte motivation pour  certains.

Les Rodèr sont aujourd’hui plus mobiles. Sur l’île, ceux du Sud peuvent aller dans le Nord, y aller  pour la journée entière dès les aurores. Ceci est rendu accessible par les grandes routes récemment  construites. Dans les Mascareignes, le développement du transport aérien permet aux Rodèr de  voyager plus facilement à Maurice ou à Rodrigues, où les nids de guêpes se trouvent également.  Outre les avions, les échanges peuvent aussi s’effectuer par hélicoptère. Dans le cirque de Mafate,  des nids sont échangés d’un îlet à l’autre (Aurère jusqu’à Marla) par ce moyen.

Les échanges entre Rodèr économiques et consommateurs évoluent, eux aussi. Les réseaux sociaux  et le développement de la téléphonie permet aux Rodèr de trouver des acheteurs autrement que par  le bouche-à-oreille (qui est cependant toujours utilisé). Les contacts entre propriétaires de jardins  qui sont gênés par les nids et les Rodèr peuvent également passer par ces moyens d’information.

L’essor de l’apiculture à La Réunion fait également évoluer les techniques. Certains apiculteurs  utilisent leur matériel professionnel pour rôd lo gèp, en particulier l’enfumoir, utilisé pour  boucaner le nid à la place des outils dits traditionnels.

La consommation des larves ne se limite plus à la stricte sphère familiale. Elle s’est étendue dans  les restaurants. Les pratiques traditionnelles dans la dynamique de patrimonialisation, après un temps d’oubli, de déni, réapparaissent comme des richesses exceptionnelles et sont valorisées par la voie des activités commerciales ou encore ce qui se répand fréquemment, celle de l’attractivité  touristique. Ce qui ne se vendait pas se vend. Ce qui « appartenait » aux pauvres devient le  privilège des riches. 
Rod lo gèp évolue dans cette même trajectoire empruntée par la vannerie du vacoa, la pêche bisik. 

 

Vitalité

La pratique continue d’avoir une forte vitalité aujourd’hui même s’il s’agit, en majorité, d’une  communauté de Rodèr âgée.

Des familles dans lesquelles la pratique est très importante existent à La Réunion. Le côté  traditionnel est mis en avant, et Rod lo gèp est pratiqué tous les ans. Le côté économique et le prix  des nids de guêpes, en augmentation, est une motivation pour les Rodèr économiques. Si cette  pratique est différente de la pratique traditionnelle, elle représente une part importante du Rod lo  gèp aujourd’hui.

Menaces et risques

Menaces écologiques

Premièrement, des menaces écologiques semblent exister. Les nids sont moins nombreux et plus  petits, d’après les Rodèr. Ceci peut s’expliquer par différents facteurs : 

  • La destruction de l’habitat, via l’urbanisation en général et l’élagage brutal dans les ravines  associées à la destruction des foyers de moustiques ;
  • L’emploi de pesticides et d’insecticides, dans le cadre de l’agriculture conventionnelle,  notamment de la canne à sucre, très présente sur le territoire participe à la dégradation de  l’environnement ;
  • La sur-chasse où la patience et le respect des cycles naturels sont de moins en moins pris en  compte au profit d’une approche immédiate, à court terme. L’Homme se dissocie de la  nature et développe une pratique utilitariste.

Menaces sociales

Deuxièmement, des menaces sociales. Certains types de pratiques, en particulier traditionnelles,  sont de moins en moins transmis au profit d’un côté plus économique, ce qui est regretté par les  Rodèr traditionnels. Parmi ces derniers, il est également mis en avant le manque d’intérêt des  jeunes. Les représentations sur les guêpes ne sont pas de nature à rendre attractif la pratique. Les  guêpes font peur. Le basculement depuis la départementalisation dans une éducation occidentale  participe à éloigner de pratiques qui paraissent d’un autre temps. Peuvent ainsi se manifester du  dégoût. Or, de plus en plus arrivent sur l’île les insectes déshydratés à consommer en apéritif (là  encore c’est pour suivre des courants de comportement importés). Un autre facteur de  déconsidération, les Rodèr lo gèp sont de temps en temps montrés du doigt par rapport au risque  d’incendie que présente cette pratique, suite à de mauvais usages d’un outil pour boucaner même si  dans les faits aucun incendie majeur ne leur a été attribué.

Modes de sauvegarde et de valorisation

Il existe plusieurs reportages diffusés à la télévision réunionnaise et/ou sur les réseaux sociaux

Actions de valorisation à signaler

La pratique ne fait pas l’objet d’une valorisation spécifique. Il y a régulièrement des articles de  presse visant à rappeler son existence. Nous constatons que l’angle est souvent passéiste voire un  regard folklorisant. Or la pratique est vivante, présente, tout en étant traditionnelle, et met en jeu  de nombreux savoirs en liens avec la nature : connaissance du cycle biologique de la guêpe, de son  comportement, connaissance de la topographie, observation des érosions, des modifications des  écosystèmes, compréhension des comportements de consommateurs, impact de l’aménagement  sur les guêpes. Les Rodèr sont des érudits.

Modes de reconnaissance publique

Nous ne recensons aucun mode de reconnaissance publique à ce jour. 

  • Une reconnaissance de la pratique via sa patrimonialisation, avec une fiche inventaire de  patrimoine culturel immatériel (PCI) à verser dans l’INPCI ;
  • La réalisation d’un documentaire sur la pratique Rod lo gèp avec ses pratiquants pour  mettre en avant les détails de la pratique dans les liens qui unis les Rodèr à leur  environnement, les savoirs et savoir-faire comme les connaissances sur la topographie, sur  l’état des terrains, l’érosion, l’évolution du comportement des guêpes... Un projet en  discussion avec le service régional de l’inventaire (SRI) comme partenaire principal ;
  • La création d’une bande-dessinée décrivant la pratique ;
  • Certains Rodèr préconisent qu’il y ait une régulation par les pouvoirs publics par une sorte  de période de chasse officielle avec permis ou encore qu’il y ait un moratoire d’une à deux  années pour laisser les guêpes respirer ;
  • Certains ont évoqué l’envie d’organiser une fête, un moment de rassemblement des  praticiens pour partager, faire communauté et échanger sur les enjeux. Ce sera l’objet de la  restitution après le versement de la fiche dans l’INPCI, en espérant que la communauté  réédite l’action les années suivantes. 

Récits liés à la pratique et à la tradition

Apiculteur 1 : « Le goût de guêpe ? Il faut goûter pour savoir. »

Anonyme 1 : Dabitid, kan mi di mi manz lo gèp, domoun i rouv gran lo zié é i kri Berk, ahhhhh.  Zot lé dégouté. La, i fé plézir ke domoun i vyin fé in kont « D’habitude, quand je dis que je mange  des guêpes, les gens disent aaah, et sont dégoûtés. Là ça fait plaisir de voir que l’on s’intéresse à  notre pratique ! »

Un ancien rôdeur : « J’étais vraiment tout petit, c’était une activité normale pour nous, on  visitait les arbres, le terrain. On cueillait les fruits et les guêpes. » 
« Avant, c’était la nourriture des pauvres. C’est ce que ma grand-mère me racontait, elle a 94 ans.  Quand elle était petite, ils allaient chasser le bichique, le tangue, les petits crustacés, les zandettes,  les guêpes. Ils mettaient des filets dans la rivière et récupéraient plein de trucs. »

Apiculteur 2 : « La guêpe c’est compliqué à maîtriser. Il n’y a pas trop de règles. J’aimerais bien  les domestiquer mais les guêpes c’est pas possible. Une fois dérangée, la guêpe elle s’arrête. Les  zones où elle s’installe ce n’est pas prévisible. Certains disent que c’est autour d’un point d’eau  permanent mais bon c’est compliqué »

« J’en ai un (un nid), je le laisse pour la Nature » 

Hermann Thomas : « Les guêpes font souvent le trajet nid-nourriture. Donc, tu te poses à un  spot et là, tu repères le va et vient des guêpes et tu les suis. Ensuite, tu prends un bâton avec un truc  enflammé au bout, et tu assommes les adultes avec la fumée. Puis tu récoltes le nid. »

« Il faut un matchoka sec, mort car il est alors spongieux et il boucane bien. »

Anonyme 2 : « Tu verras toujours le Rodèr la main comme ça, sur le front (façon visière). C’est  pour voir les mères au soleil. Il faut aussi toujours une bouteille d’eau, pour éteindre le choka. »

Wilfried Morel : « Avant il y avait des nids énormes. On appelait ça des tarpins, ou des vannes.  C’était à l’époque de mon grand-père ça. Mais maintenant, la taille elle réduit beaucoup, parce  qu’on n’attend plus assez. » 
« Il faut bien reconnaître le vol d’aller-retour au nid, qui est direct, lourd. Les autres vols sont plus  hésitants. »

Justinien sur Wilfried : « Lui, il se met sur un arbre, il va voir la bonne guêpe, le bon vol. Il a le  truc »

Inventaires réalisés liés à la pratique

Ceci est le tout premier inventaire lié à la pratique.

Bibliographie sommaire

− ARGUETA VILAMAR Arturo & CASTILLEJA GONZALEZ Aída. 2012. Las uauapu en la  vida de los P’urhépecha o Tarascos de Michoacán. Relaciones 131, 283-320. 
− JONGEMA Yde, Worldwide list of edible insects, 2017. , 100  https://www.wur.nl/upload_mm/8/a/6/0fdfc700-3929-4a74-8b69- f02fd35a1696_Worldwide%20list%20of%20edible%20insects%202017.pdf    
− LEBON Johny, Chasseurs de guêpes , Saint-Denis, Librinova, 2021.  https://www.librinova.com/librairie/johny-lebon/chasseur-de-guepes  
− THEODORA Pascal, « Étude biologique et comportementale de la guêpe Polistes  (Megapolistes) olivaceus de Geer à l’île de La Réunion » Thèse soutenue en 2001, Université  de La Réunion, Faculté des Sciences et Technologies. 
− MOTTE-FLORAC Elisabeth et LE GALL Philippe, Savoureux insectes. De l’aliment  traditionnel à l’innovation gastronomique, Rennes, PUR, Table des Hommes, 2016.

Filmographie sommaire

Non concerné 

Sitographie sommaire

- https://fb.watch/c3Qigl-boC/  une vidéo du Rod lo gèp de deux frères à la Saline-les-Bains (consulté le 26/01/2023). 
- https://fb.watch/c3QGd2t1R2/  une vidéo de Rod lo gèp en famille, suivie de la cuisine des  larves (Zot et compagnie production) (consulté le 26/01/2023). 
- https://www.facebook.com/watch/?v=703252727464022  une vidéo d’un spécialiste,  diffusée sur la chaîne de télévision Réunion la 1ère en 2022 (consulté le 26/01/2023). 
- https://www.linfo.re/la-reunion/societe/aldo-chasseur-de-guepe-depuis-l-age-de-7-ans-c-est-une-passion-de-pere-en-fils-un-nid-peut-couter-entre-100-et-200-euros-le-kilo   - un  article du journal Linfo publié en 2022, l’histoire d’un Rodèr depuis ses 7 ans (consulté le  26/01/2023). 

 

Praticien(s) rencontré(s) et contributeur(s) de la fiche 

Jean-Claude CLAIN ; Retraité (ancien agent de l’ONF) 
 Le Guillaume, commune de Saint-Paul 
 
Inel MOREL ; Retraité 
Commune de Saint-Joseph 

Wilfried MOREL ; Agriculteur
Commune de Saint-Joseph 

Georges-Marie SUZANNE ; Retraité  
Commune de Saint-Louis 

Hermann THOMAS ; Agent des eaux  
Commune de l’Etang-Salé 

Métadonnées de gestion : 

Rédacteur(s) de la fiche 

Eric ALENDROIT ; Chargé de mission à l’inventaire des patrimoines culturels et référent pour le patrimoine  immatériel – Région Réunion - Direction de la Culture et des sports - Service Régional de  l’Inventaire (SRI) 
alendroite@gmail.com 

Nicolas CÉSARD ; Maître de conférence en ethnoentomologie au Muséum National d’Histoire Naturelle (coordinateur  scientifique) 
ncesard@mnhn.fr  

Guillaume KERDONCUFF ; Étudiant en écologie et anthropologie à l’École Normale Supérieure et au Muséum National  d’Histoire Naturelle 
guillaume.kerdoncuff.1207@gmail.com  

Enquêteur(s) ou chercheur(s) associés ou membre(s) de l’éventuel  comité scientifique instauré 

Eric ALENDROIT ; Chargé de mission à l’inventaire des patrimoines culturels et référent pour le patrimoine  immatériel – Région Réunion - Direction de la Culture et des sports - Service Régional de  l’Inventaire (SRI) 
alendroite@gmail.com  

Nicolas CÉSARD ; Maître de conférence en ethnoentomologie au Muséum National d’Histoire Naturelle (coordinateur  scientifique) 
ncesard@mnhn.fr

Guillaume KERDONCUFF ; Étudiant en écologie et anthropologie à l’École Normale Supérieure et au Muséum National  d’Histoire Naturelle 
guillaume.kerdoncuff.1207@gmail.com

Lieu(x) et date/période de l’enquête

Saisons de 2019 à 2022 à La Réunion.  

Données d’enregistrement

Date de remise de la fiche : 08/01/2022 
Année d’inclusion à l’inventaire : 2023 
N° Ministère de la culture : 2023_67717_INV_PCI_FRANCE_00520 
Identifiant ARKH : <uri>ark:/67717/nvhdhrrvswvkswz</uri>

 

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Entomophagie

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