La ville de Bayeux s’identifie à un arbre dans une étroite association entre le monument végétal et l’édifice urbain. Ses espaces verts, qu’il s’agisse de la place De Gaulle, du jardin botanique, du jardin Reporters Sans Frontières, ou du grand platane qui s’élève auprès de la cathédrale, dessinent un ensemble de lieux dont le signifié commun est une véritable ode à la Liberté. Le végétal joue ainsi un rôle dans l’affirmation d’une singularité Bayeusaine, il participe à l’harmonie de l’ensemble social, et sécrète la mémoire d’une ville aujourd’hui tournée vers la défense des valeurs démocratiques dans le Monde.

Ville d’environ 15 000 habitants, capitale du pays du Bessin, Bayeux est généralement renommée pour sa Tapisserie retraçant la conquête de l’Angleterre par Guillaume-le-Conquérant, et pour son patrimoine bâti (XVe-XVIIIe siècles) qui fut remarquablement épargné par les bombardements associés au Débarquement Allié de juin 1944. Au-delà de cette image traditionnelle, plus méconnu, l’intérêt de cette ville réside également dans ses jardins publics et places arborées dont la fonction symbolique dans l’espace urbain est si fondamentale qu’on peut les appréhender sous l’angle du patrimoine culturel immatériel. On considèrera plus particulièrement dans cet inventaire :

- Le jardin botanique / hêtre pleureur du jardin botanique
- Le platane de la Liberté
- La place Charles De Gaulle
- Le jardin "Reporters sans Frontières"

- Le Jardin Botanique de Bayeux : D’une superficie de 2,6 hectares, localisé en périphérie Nord de la ville sur la route de Port en Bessin, le jardin botanique de Bayeux est inscrit depuis 2007 à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Ouvert au public en 1864, il est une création d’Eugène et Denis Bühler – "les Frères Bühler" - architectes-paysagistes qui se sont illustrés sous le Second Empire à travers, entre autres commandes, la conception de parcs tels que celui de la Tête d’Or (Lyon, 1856) ou du Thabor (Rennes, 1868).
L’importante renommée des frères Bühler explique en partie le prestige patrimonial qui entoure le jardin botanique de Bayeux, et le très grand soin apporté par la Ville afin de maintenir son aménagement le plus fidèle à sa conception initiale par les deux architectes-paysagistes. Depuis 150 ans sont en effet préservés les allées et perspectives dessinées, les doux reliefs des pelouses centrales ; et on retrouve dans une proportion équivalente les principales essences végétales (marronniers, pins, platanes, houx, érables, tilleuls, sophoras, ifs, hêtres, catalpas, abies, épicéas, cèdres, noyers) déjà présentes dans l’œuvre originale du milieu du XIXe siècle1. Au-delà de l’intérêt inhérent au travail de composition paysagère des frères Bühler, la portée patrimoniale du jardin botanique de Bayeux réside cependant également dans la façon dont celui-ci s’inscrit dans le territoire Bayeusain.
L’inscription du jardin dans la ville est d’abord mémorielle. Le projet originel de jardin botanique à Bayeux remonte à la Révolution lorsqu’il s’est agit de sauver des collections végétales laissées par des citoyens en fuite ou arrêtés. L’entreprise fut abandonnée en 1797 mais une partie des essences fut installée dans un jardin près des rives de l’Aure2. Elles s’y trouvaient encore lorsque, en 1849, un riche Bayeusain membre du conseil municipal nommé Jacques Charlemagne Jean Delamare tenta d’acquérir pour la Ville cette propriété afin d’y faire aménager un jardin botanique. Sa tentative se concluant par un échec lors d’une vente aux enchères, il finança en 1851 l’achat d’un terrain en périphérie Nord, le long de la Route de Port, afin d’y concrétiser son projet. Ce dernier s’inscrivant dans une démarche didactique concernant la botanique, Jacques Charlemagne dut néanmoins subir une résistance de la municipalité qui défendait la réalisation d’un jardin d’agrément. Ce n’est donc qu’après sa mort en 1858 que conformément à ses desseins la Ville fit appel à des architectes-paysagistes. La sollicitation des frères Bühler pourrait s’expliquer du fait qu’ils étaient les concepteurs des aménagements des abords des gares de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest. Ils étaient aussi en étroite relation avec Napoléon III qui, lui-même, avait inauguré en 1858 la ligne Paris-Cherbourg passant par Bayeux. Plusieurs remarques surgissent de la manière dont le jardin botanique s’inscrit dans la mémoire urbaine Bayeusaine. D’abord, dans la mesure où il s’agissait initialement de sauver des essences végétales susceptibles d’être détruites au cours des troubles Révolutionnaires, sa création répond historiquement au souhait d’assurer la transmission d’un patrimoine par delà une rupture. Le jardin fut donc voulu en premier lieu pour "faire relai". Bien entendu ce projet connu à ses débuts quelques vicissitudes : sa vocation strictement botanique et didactique fut abandonnée pour privilégier la dimension sociale que revêt un jardin d’agrément. Pourtant, il est intéressant d’observer que l’espace conjugue encore aujourd’hui ces différentes fonctions : Il est effectivement botanique parce qu’il conserve une collection d’essences végétales extrêmement diversifiées, dont certaines exotiques sont entretenues avec soin pour les acclimater. Et il est pédagogique, social et patrimonial parce que sa mise en valeur procède d’une volonté de cultiver une relation forte entre la ville, sa population, et le monde végétal. À ce propos le "parcours botanique" inauguré en 2006 assure un rôle clef : il opère en effet à travers ses panneaux d’information un aller et retour constant entre le jardin, le patrimoine bâti et l’histoire de Bayeux.
Ainsi les compositions végétales offrent-elles à leurs visiteurs une lecture de la ville qui expose les caractères propres au territoire. Elles sont voulues porteuses de l’identité sociale Bayeusaine et, partant, de tout ce qui doit être transmis aux futures générations. Le jardin botanique poursuit alors la fonction de relai auquel il était voué dès ses origines. La différence est qu’il ne s’agit plus désormais de transmettre des essences végétales pour elles-mêmes, mais de pérenniser l’"essence" d’un collectif ayant pour médiateur un prestigieux paysage végétal.
S’associant à la dimension mémorielle, il est intéressant de souligner que le jardin botanique de Bayeux s’inscrit d’une façon singulière dans l’espace urbain. Certes sa localisation en entrée / sortie de ville sur la route de Port-en-Bessin fut un second choix par rapport au souhait initial de Jacques Charlemagne qui l’aurait voulu aménagé sur les rives de l’Aure. Cependant cet emplacement est significatif dans la mesure où la création des frères Bühler agit comme une mise en relation entre Bayeux et l’extérieur. Composé d’essences exotiques venues des cinq continents, contrairement au projet initial qui prévoyait surtout des variétés régionales, le jardin participe d’une mise en contact avec l’altérité : il ouvre la ville sur le Monde autant que le Monde entre dans cet espace métaphore du territoire Bayeusain. Une nouvelle lumière éclaire alors l’implication des frères Bühler, architectes-paysagistes responsables des aménagements des gares de la Société des Chemins de Fer de l’Ouest, pour réaliser ce jardin botanique : dans la mesure où les gares constituaient au milieu du XIXe siècle la mise en relation par excellence d’une localité avec l’ailleurs, on peut suggérer que la sollicitation de ces personnalités a pu relever du signifié de l’ouverture, du souhait de créer une porte symbolique entre le territoire local et son extériorité.

- Le Hêtre pleureur du Jardin Botanique de Bayeux : Bien que le jardin botanique de Bayeux se compose d’environ 400 arbres, entre tous, c’est un hêtre pleureur qui jouit de la plus grande notoriété. Planté à l’époque de la création du jardin, classé "Monument Naturel" en 1932, sa remarquabilité surgit de ses caractéristiques
botaniques et de la fonction qu’il occupe sur le plan symbolique.
Au niveau botanique ce hêtre pleureur se singularise d’abord par ses dimensions. Il mesure 17 mètres de hauteur et le diamètre de sa couronne est d’environ 40m, ses frondaisons couvrant alors une superficie considérable puisqu’estimée à 1250 m2. Une autre particularité de l’arbre provient de la forme de sa ramure : haubanée pour son entretien pour éviter qu’elle tombe au sol sous l’effet de son poids, elle se caractérise par des branches tortueuses jaillissant d’un tronc de hêtre commun. Cette architecture pourrait être le résultat d’un greffage avec la variété rare dite "Faux de Verzy" (ou "hêtre tortillard").
Maintenue par un haubanage métallique sa ramure constituée de branches tortueuses couvre un espace d’une superficie de 1250m2 formant, l’extrémité des branches retombant vers le sol, une coupole végétale. L’intérêt du hêtre pleureur de Bayeux en tant qu’élément de patrimoine immatériel se mesure à l’aune de la place singulière qu’il occupe dans le jardin botanique, tout en considérant également celle du jardin botanique dans l’espace urbain Bayeusain. De l’un vers l’autre les changements d’échelles ne s’accompagnent effectivement d’aucun changement de fonction : tandis que le jardin botanique peut être considéré comme une métaphore végétale du territoire Bayeusain, il en va de même du hêtre pleureur qui est à la fois un haut-lieu du jardin botanique et une représentation végétale de la localité. À ce propos il est intéressant de rappeler que cet arbre est le produit d’une greffe ; tout comme le jardin assure une rencontre et une mixité entre les essences végétales locales et exotiques ; et tout comme la ville – ou n’importe quelle société – ne peut subsister qu’en intégrant les apports extérieurs. C’est ainsi que le hêtre renvoie à l’ "être" et donc à l’identité ; une identité qui suppose une attention tournée vers l’altérité, et l’existence d’une limite entre soi et l’Autre, la présence d’une enceinte sécurisante. Cette protection, le hêtre pleureur la procure à ses visiteurs qui se laissent volontiers envelopper par sa coupole. Il faut d’ailleurs noter que les jeunes mariés s’y font photographier : il s’agit alors d’une rencontre entre deux êtres radicalement différents (l’homme et la femme), créatrice d’un foyer, faisant reconnaitre leur union sous les frondaisons d’un arbre signifiant l’ensemble social.

- Platane de la Liberté : Au milieu de ce qui fut l’ancienne cour de l’ensemble épiscopal de Bayeux, auprès de la cathédrale pousse un platane haut de 33 mètres appelé "platane de la Liberté". Planté le 30 mars 1797 à l’occasion d’une fête de la Jeunesse, classé Monument Naturel en 1932, cet arbre est le seul survivant des quatre "arbres de la Liberté" qui furent érigés à Bayeux pendant la période Révolutionnaire. Initialement rue Tardif, ce spécimen fut replanté sur la place de la Liberté en remplacement d’un précédent arbre mort prématurément. Par la suite, l’attachement que lui vouent les Bayeusains l’aurait sauvé à deux reprises : en 1830, ayant donné l’ordre de le détruire, un sous-préfet fut contraint de renoncer à son exécution devant les protestations de la population. En 1852, le préfet qui avait projeté son abattage aurait cédé à l’intervention du maire de Bayeux et d’un conseiller général.
Ces récits de sauvetages sont intéressants à interpréter car ils renseignent sur la place occupée par le platane dans la territorialité Bayeusaine. Pour cela il importe de conserver à l’esprit que l’arbre fut planté auprès de la cathédrale, c'est-à-dire le centre symbolique de la ville destiné à mettre en relation la localité avec le divin, le pouvoir universel. De part sa position dans l’espace le platane répond donc à la cathédrale, représentation minérale de l’ensemble social, en tant qu’incarnation végétale de la localité. De surcroit, tandis que la cathédrale signifie le pouvoir spirituel religieux, l’arbre renvoie quant-à-lui au pouvoir civil. Il assure une mise en relation de la localité avec des pouvoirs civils plus globaux : en changeant d’échelle, on part en effet des habitants vers les édiles (la commune à travers son maire), les conseillers généraux (le Département), et vers une territorialité nationale manifestée dans le récit par la mention du sous-préfet ou du préfet. C’est ainsi que le platane de la Liberté revêt dans la capitale du Bessin une fonction hautement symbolique qui ne se réduit pas à la revendication Révolutionnaire opposée au despotisme monarchique. Il apparait comme un monument végétal qui célèbre la liberté de Bayeux vis-à-vis des ensembles territoriaux plus vastes au sein desquels s’inscrit cette ville. Il exprime une aspiration de la société locale à la plus grande autonomie possible, d’où sans doute la farouche protection dont il a bénéficié de la part des édiles comme de la population Bayeusaine.

- La place De Gaulle : Située à environ 200m de la Cathédrale, la place De Gaulle se singularise par son paysage verdoyant en plein coeur de ville. Il faut dire qu’elle fut plantée en 1840 d’une centaine de tilleuls dessinant aujourd’hui une double enceinte d’arbres monumentaux. Ce rempart végétal délimite une étendue gazonnée de forme carrée, laquelle est occupée en son centre par une fontaine où, sous les traits de Popée Béranger – une Bayeusaine qui fut prise pour épouse par Rollon duc de Normandie – trône une figure allégorique représentant la ville de Bayeux. Cette fontaine a été édifiée en 1888 avec les fonds d’une donation de Louis-Eugène Niobey (1808-1895), ancien maire de la commune.
Dans la mesure où il dessine une impressionnante enceinte végétale, l’aménagement de la place De Gaulle rappelle la fonction antérieure du lieu. Jusqu’en 1788 se tenait à cet endroit une forteresse médiévale qui fut détruite sous l’ordre de Louis XVI à la requête des édiles Bayeusains. Le "Château" - d’après sa désignation traditionnelle – se situait à l’angle Sud-Ouest des remparts ceinturant la ville, et c’est après sa disparition que fut décidé de transformer l’espace vacant en place publique ; place dont le nom a régulièrement changé au fil de l’histoire en épousant les contextes politico-historiques : ainsi fut-elle appelée successivement "place de la Liberté" sous la Révolution en 1792, "Saint-Sauveur" en 1809, « Bourbon-Berry » lors de la Restauration de 1814, à nouveau "Saint-Sauveur" en 1830, "place du Château" en 1870, puis "place de Gaulle" depuis 1946.
En termes de mémoire son nom actuel est destiné à rappeler que c’est ici que le Général De Gaulle a prononcé le 14 juin 1944, dans l’une des premières villes Françaises arrachées à l’Occupant, son célèbre discours clamant l’ancrage de la France dans le camp des libérateurs. Une stèle gravée du contenu du « discours de Bayeux » est érigée du côté Est de l’enceinte de tilleuls. Elle fut inaugurée à l’occasion d’un nouveau passage de Charles de Gaulle en 1946, lors duquel il énonça ce qui devinrent les principes fondateurs de la future Ve République.
À la lumière de ces éléments qui rapportent l’essentiel de ce qui se dit – et s’écrit – à son sujet, plusieurs remarques surgissent sur la portée symbolique de la place De Gaulle. D’abord ce lieu apparait indissociable de la notion de "libération" : elle se manifeste à travers le récit de la destruction d’une forteresse Médiévale, comme du fait de l’étroite relation entre cette Place, juin 1944 et le discours du Général de Gaulle. Dans un cas il s’agit de briser une muraille de pierre, tandis que l’autre renvoie à la fin d’une oppression. Devient alors évocatrice la statue de Popée Béranger qui trône sur une fontaine dans cet espace ceint d’un rempart de tilleuls : à travers cette représentation c’est la ville de Bayeux qui s’avère symboliquement emprisonnée dans ses limites et en appelle implicitement à sa libération. Fort justement, cet acte de délivrance se produit chaque année à l’occasion des "fêtes médiévales" ; lorsque s’élance depuis la place De Gaulle vers celle de la Liberté et son platane, édiles municipaux en tête, une grande procession porteuse des clefs de la ville.
Il s’agit sans doute ainsi de sortir Bayeux de son enceinte, avec toutes les connotations de renaissance et de renouvellement de la territorialité que contient un tel rituel. Soulignons d’ailleurs qu’à travers les changements de noms successifs qui émaillent l’Histoire du lieu, ces renouvellements sont signifiés par les récits se rattachant à la place De Gaulle. Ces derniers indiquent, tout comme la Bayeusaine Popée fut unie au duc de Normandie, que la société locale – bien que revendiquant sa liberté – sait aussi épouser les cadres territoriaux du moment ; l’altérité à partir de laquelle se construit son identité.

- Le Jardin "Reporters sans Frontières" : Fruit d’un étroit partenariat entre la Ville de Bayeux et la Fondation "Reporters sans Frontières", ce jardin situé en périphérie de la ville fut inauguré en mai 2007. Il jouxte le cimetière militaire Britannique au niveau du By-Pass3, le cimetière de Bayeux au niveau de la rue de Verdun, et se trouve relié par une passerelle au musée de la Bataille de Normandie. Aménagé en un chemin gazonné piqueté de fleurs blanches, le jardin est jalonné de stèles rectangulaires de couleur identique où sont gravés les noms des reporters tués dans l’exercice de leur métier. Chaque année depuis 19944 se tient une édition du "Prix Bayeux-Calvados des Correspondants de Guerre", et c’est à cette occasion qu’une nouvelle stèle est solennellement érigée. L’espace ainsi aménagé est pensé comme un lieu de recueillement. Le cheminement souligné par les stèles disposées chronologiquement de 1944 à nos jours suggère aux visiteurs un travail de mémoire.
Célébrant la Liberté, le jardin "Reporters sans Frontières" se rattache en fait à deux autres lieux du patrimoine végétal Bayeusain que sont la place De Gaulle et le platane. Cependant, tandis que les deux entités végétales du centre-ville signifient la liberté de la société Bayeusaine, le jardin "RSF"5 extériorise cette revendication – lui retire ses frontières – en lui donnant un rayonnement à l’échelle mondiale, d’ambition Universelle, à travers la défense de la liberté d’information. C’est ce message que porte en vérité la citation de Simone de Beauvoir gravée à l’entrée du jardin : "Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres". Elle insinue que le combat engagé par les Bayeusains pour la défense de leur liberté expliquerait leur engagement altruiste en faveur de la Liberté. Le végétal apparait alors ici mobilisé comme un média qui ouvre la localité vers la société globale, d’où la cristallisation du lieu autour de la "presse" et du "journalisme" qui sont des vecteurs de la diffusion des valeurs pour le développement d’un monde libre et démocratique. En retour, à travers le signifié "démocratie", le jardin "RSF" se révèle l’espace d’une rencontre ambivalente entre un pouvoir (global, universel) et la Liberté (locale).
À plusieurs titres, la double inscription spatiale et temporelle du jardin "Reporters sans Frontières" est tout très révélatrice de sa puissance symbolique : Tout d’abord, les stèles qui jalonnent ce jardin à partir de l’année 1944, le parcours dessiné débouchant vers une passerelle communiquant avec le musée de la Bataille de Normandie, font que la promenade effectue un cycle qui renvoie à l’épisode de la Libération comme évènement fondateur. Le chemin réalisé resitue ainsi le présent dans une trajectoire historique entièrement dédiée au combat pour la défense et la diffusion de la Liberté. Mémorial cultivant le souvenir des reporters disparus, le jardin jouxte le Mémorial des soldats Britanniques. De part et d’autre auprès du By-Pass sont donc mis en parallèle les journalistes-reporters avec ces combattants de la Libération que furent les militaires Alliés en 1944. Cette disposition est renforcée par la présence de l’autre côté de la rue de Verdun, face au jardin "RSF", du cimetière de la ville de Bayeux. De ce point de vue c’est l’existence de tous les Bayeusains qui s’avère impliquée dans une même trajectoire de combat pour la Liberté. Le site du jardin "RSF" et son environnement immédiat redonnent alors un sens collectif à la multitude des trajectoires individuelles.
Dans ce contexte le By-Pass est dotée d’une portée symbolique spécifique. Tracé par les Alliés pour faire circuler autour de la ville leurs chars qui ne pouvaient emprunter des rues étroites, il renvoie à l’incroyable sauvegarde de Bayeux des intenses bombardements qui ont marqué l’épisode de la Libération. En contraste avec la multitude des morts auxquels font référence le cimetière Britannique, le jardin "RSF" et le cimetière civil de Bayeux, cette voie parait alors évoquer la pérennité du corps social dont la liberté sort indemne de ces luttes. Enceinte séparant l’intérieur de l’extérieur, tracé circulaire qui rappelle le dessin d’entrée du jardin entourant la stèle – citation de Simone de Beauvoir, cette avenue contient l’ensemble social tout en lui signifiant une limite protectrice.

1 D’après Antoine Verney, conservateur du musée Baron Gérard, avec la collaboration de Régis Gallois, Directeur du Service des espaces verts de la Ville de Bayeux, in Parcs, promenades et jardins publics de Basse-Normandie, Art de Basse-Normandie n°104, 1995, p14.

2 La rivière traversant Bayeux

3 Route périphérique créé en 1944 par les Alliés pour faciliter le passage de leurs chars qui ne pouvaient emprunter les rues étroites de Bayeux.

4 Année du 60ème anniversaire du débarquement allié en Normandie.

5 Appellation qui lui est communément attribuée.

Le site de Bayeux présente l’exemple marquant d’une ville où le végétal n’est pas seulement appréhendé comme une donnée environnementale mais aussi – et peut-être surtout – comme un "patrimoine humain". Les arbres et les espaces verts s’avèrent en effet pleinement impliqués dans le fonctionnement et l’existence de cette localité dans le sens où ils expriment un rapport au territoire, et donc une relation à l’altérité, qui contribue à façonner l’identité de la société Bayeusaine tout en participant à son maintien et son renouvellement.
Du point de vue de l’inventaire du patrimoine culturel immatériel, on soulignera alors :
- Le système des arbres et espaces verts comme traduction d’une territorialité urbaine ;
- Les célébrations associées à ce patrimoine végétal que sont les fêtes médiévales de Bayeux et, dans un autre registre, la semaine du prix Bayeux-Calvados.

Afin d’identifier le patrimoine culturel immatériel se rattachant au végétal à Bayeux il importe d’appréhender les arbres et principaux espaces verts de la ville comme un ensemble cohérent qui exprime une territorialité urbaine.
Cet ensemble dessine en réalité un système de lieux dont les significations profondes surgissent de l’interprétation des relations des éléments qui le composent et qui, pris individuellement comme dans la totalité, constituent un "patrimoine". Celui-ci est vivant, non figé, et il s’est enrichi au fil du temps : en témoignent l’inauguration en 2007 du "jardin Reporters Sans Frontières", comme auparavant celle du jardin botanique (1864), l’aménagement de l’actuelle place De Gaule (1840), ou même la plantation d’arbres de la Liberté pendant la période Révolutionnaire dont le dernier spécimen pousse depuis 1797 auprès de la Cathédrale.
On peut suggérer que la relation de la société Bayeusaine vis-à-vis du monde végétal serait très antérieure à la Révolution. Bien qu’à ce sujet aucune preuve irréfutable ne puisse être apportée, il faut souligner que la place singulière du platane de la Liberté auprès de la Cathédrale rappelle à maints égards ces arbres poussant auprès des églises de certains villages, qui souvent perpétuent la présence d’autres sujets depuis longtemps disparus qui furent vénérés jusqu’à la conversion d’ancienne croyances païennes lors de l’évangélisation. En pareils sites, l’arbre se révèle être une incarnation préchrétienne de la localité, transportant sa sacralité de génération en génération, tout en assurant la mise en relation du corps social avec le pouvoir universel (la dimension spirituelle religieuse ayant été quant-à-elle déplacée à l’intérieur de l’église au cours de l’évangélisation). Bien qu’il faille se garder de tout parallèle qui négligerait la spécificité du cas Bayeusain, l’identification manifeste de cette ville à un arbre, la présence d’un platane porteur d’une valeur à célébrer – la liberté – à proximité immédiate de la Cathédrale, l’association de l’individu végétal avec l’expression du pouvoir civil tandis que le religieux est contenu dans le proche édifice minéral, mettent sur la voie d’un rapport (hérité et) sacré de la société Bayeusaine vis-à-vis de l’arbre. La plantation d’un platane de la Liberté en 1797 pourrait alors traduire la résurgence sur le territoire Bayeusain d’une sacralité primitive liée à l’arbre incarnant la localité ; laquelle aurait trouvé un contexte favorable à son expression au cours de la période Révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle.

L’étroitesse du rapport entre l’arbre / le végétal et la territorialité est parfaitement soulignée à Bayeux par la valeur centrale que portent transversalement les principaux parcs et arbres de la ville : de fait, "La Liberté" et la "Libération" qu’ils célèbrent ne sauraient se réduire au renvoi à des épisodes historiques d’envergures nationale et / ou internationale (La Révolution Française, la bataille de Normandie,….), ni même seulement à l’enjeu contemporain visant à la liberté de l’information. Elle est aussi ce par quoi se définit fondamentalement toute territorialité ; à savoir qu’il s’agit d’un ensemble de pratiques par lesquelles un collectif cherche à accéder à la plus grande autonomie possible. Jamais aboutie, cette quête s’exprime dans l’espace Bayeusain à travers la plantation régulière d’arbres / l’aménagement de parcs. Ceux-ci sont mobilisés pour signifier l’existence du collectif sur sa terre, sa pérennité étant intrinsèquement conditionnée par une capacité à toujours se démarquer, se différencier, se singulariser, sortir de sa dépendance vis-à-vis des cadres sociétaux globaux, mais sans pour autant s’en déconnecter. C’est pourquoi les arbres et jardins Bayeusains ont aussi vocation à tisser un fil symbolique entre la localité et les dynamiques qui ont agité / et agitent toujours le Monde. En même temps que la thématique de la « liberté » unit les arbres et parcs remarquables de Bayeux, il apparait que la territorialité qu’ils manifestent s’exprime à travers un langage dont les mots sont les éléments végétaux eux-mêmes. Cela revient à dire qu’on ne saurait considérer ces parcs et arbres, ni indépendamment, ni comme un ensemble d’un seul tenant, mais les uns par rapport aux autres. C’est en effet à travers la lecture de leur inscription dans l’espace, tout autant qu’en étudiant avec minutie le discours se rattachant communément à ces lieux, qu’il devient possible de mettre en lumière la signification du message qu’ils portent.
Un premier exemple illustrant ce propos peut être fournit à travers le lien existant entre le platane de la Liberté (planté sur la place éponyme) et la place De Gaulle. Chaque année, ces deux haut-lieux du centre-ville sont en effet unis au moment des fêtes médiévales par une procession porteuse des clefs de la ville qui, édiles municipaux en tête, s’élance depuis la place de Gaulle vers le grand platane poussant auprès de la Cathédrale : si on considère l’existence, au milieu de la place de Gaulle, d’une fontaine où la statue de Popée représentant Bayeux apparait comme enserrée dans l’enceinte des tilleuls délimitant cet espace, il semble que le rituel annuel de la procession puisse s’interpréter comme une libération / ouverture de la ville sortant de ses murs ; Bayeux partant ainsi à la rencontre de l’Autre, du vaste Monde, vis-à-vis desquels – via le Platane – elle est mise en relation. Cette hypothèse sort renforcée quand on se souvient que la Bayeusaine Popée fut prise pour épouse par Rollon, premier duc de Normandie : est alors ici signifiée l’alliance de Bayeux à la Normandie comme cadre territorial au sein duquel cette ville s’inscrit ; en d’autres termes, il y a le "contenant" - la ville – et "le contenu" – le(s) territoire(s) auquel(s) elle appartient ; mais apparait également de façon sous-jacente la question majeure de la relation à l’altérité posée par l’union d’un homme et d’une femme.
Il est intéressant de noter que les signifiés de l’altérité territoriale et de l’altérité homme / femme ne sont pas seulement présents dans le "couple de lieux" place de Gaulle – platane de la Liberté. On les retrouve aussi dans le jardin botanique de Bayeux ainsi qu’à travers son spécimen phare, le hêtre pleureur. Plusieurs indices mettent sur la voie d’une telle interprétation : La localisation du jardin botanique en périphérie de la ville le place dans une position de seuil entre l’intérieur et l’intérieur. D’autre part, son peuplement en essences exotiques (contrairement au projet initial qui privilégiait les plantes locales) associé à la diversité végétale n’est pas non plus anodin : il marque la primauté de l’accueil de l’Autre au sein d’un espace délimité qui s’avère être en réalité une métaphore du territoire Bayeusain ou, plus justement, le pendant végétal de la ville minérale. Cela explique sans doute pourquoi les édiles municipaux insistent pour que la création des frères Bühler soit ouverte à la diversité des Bayeusains (enfants, sportifs, personnes âgées, etc.…) et leurs pratiques spécifiques. On se situe dans le champ de l’harmonie des territorialités sur laquelle repose toute ville en paix. Mais ce Jardin signifie au sens global l’accueil de l’étranger : qu’il s’agisse des Bayeusains entre eux (pour vivre ensemble ils doivent reconnaitre leur altérité), des étrangers à la ville6, ou des hommes et des femmes. Ce n’est pas un hasard si le hêtre pleureur sert très fréquemment de théâtre aux photographies de mariages qui, de facto, consacrent la relation de deux sexes fondamentalement étrangers l’un pour l’autre.
À travers ces remarques on devine que la symbolique associée aux principaux arbres et parcs de Bayeux secrète un remarquable emboitement des échelles : on part en effet d’un homme et d’une femme célébrant sous un hêtre leur union et la faisant reconnaitre au regard de la société; puis, à travers le platane et la place De Gaule la société Bayeusaine affirme son appartenance à des entités territoriales plus vastes (la Normandie, le Calvados, la France). Au-delà, elle sublime sa territorialité en l’investissant dans un combat en faveur du développement de la démocratie dans le Monde, ce que traduit la création du jardin Reporters sans Frontières.
De fait, les principaux arbres et ensembles végétaux de Bayeux assurent un seuil entre l’intériorité et l’extériorité parce qu’ils sont avant tout mobilisés dans la réalisation d’une identité : c’est en s’unissant à une femme que l’homme réalise sa masculinité, et inversement ; ceci étant également valable pour le collectif Bayeusain qui ne saurait se construire sans rapport à l’altérité, sans s’inscrire dans des ensembles plus globaux. Bien entendu cette identité se réalise en s’appuyant sur une filiation, une mémoire collective, dont il s’avère que les ensembles végétaux Bayeusains sont également porteurs : il suffit de songer au parcours botanique qui établit un parallèle entre le passé de Bayeux, le patrimoine bâti du centre ville et les essences qui peuplent la création des frères Bühler. Cette mémoire se manifeste également via le platane de la Liberté qui renvoie à la période Révolutionnaire, mais aussi à travers la place de Gaulle qui évoque la Libération de la France après la victorieuse Bataille de Normandie. Le renvoi à ces évènements appelle à un combat toujours actuel et nécessaire contre l’oppression et la défense des valeurs démocratiques signifié par le jardin Reporters Sans Frontières.
Dans la mesure où la défense de la Liberté et la symbolique de la libération expriment avant tout la territorialité Bayeusaine, la mémoire portée par les arbres et ensembles végétaux remarquables de cette ville est censée impliquer ses habitants dans une même lutte, c'est-à-dire à vouer – (voire sacrifier) – leur existence pour le maintien de cette liberté. Elle rappelle par ailleurs aux visiteurs de Bayeux le combat incessant dans lequel est engagé ce territoire pour assurer sa pérennité. C’est pourquoi le combat de la société Bayeusaine ressemble en quelque sorte à une lutte contre le temps, à une bataille pour que son identité perdure à travers son renouvellement. Or ce renouvellement passe justement par la rencontre avec l’Autre, la prise en compte de l’altérité, tout comme un homme et une femme s’unissent pour assurer leur descendance.

6 Le Hêtre Pleureur du Jardin Botanique de Bayeux est une curiosité très prisée des touristes visitant Bayeux. On viendrait, dit-on, parfois de l’étranger spécialement pour le contempler et passer du temps sous ses frondaisons.

Personne(s) rencontrée(s) / Qualité(s)

- Dominique Adam / Jardinier en chef du jardin botanique de Bayeux

- Régis Gallois / Responsable du service espaces verts de la Ville de Bayeux

- Michèle Mouchel/ Adjointe au maire chargée du développement durable, de l’environnement et de l’urbanisme

- Jeannine Zavaterro / Retraitée (ancienne institutrice) / Guide bénévole du patrimoine de Bayeux

Localisation (région, département, municipalité)

Région : Basse-Normandie
Département : Calvados (14)
Commune : Bayeux

(Platane de la Liberté)
Longitude : 0°42’10’’O
Latitude : 49°16’32’’N

Municipalité, vallée, pays, communauté de communes, lieu-dit…
Commune de Bayeux
Communauté de Communes Bayeux Intercom
Pays du Bessin

Adresse : Service espaces verts de la Ville de Bayeux, 112 rue St-Loup
Ville : Bayeux
Code postal : 14 400

Téléphone : Mairie / 02 31 51 60 60
Fax : Mairie / 02 31 51 60 70
Adresse de courriel : Direction du service espace verts / rgallois@mairie-bayeux.fr
Site Web

Dates et lieu(x) de l’enquête : Mai 2009 – Bayeux (14)
Date de la fiche d’inventaire : Janvier 2010
Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs : Yann Leborgne, Chargé de mission CRECET de BASSE-NORMANDIE
Nom du rédacteur de la fiche : Yann Leborgne, Chargé de mission CRECET de BASSE-NORMANDIE

 

N° d'inventaire Ministère Culture :  2010_67717_INV_PCI_FRANCE_00134
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2zn

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrimoine_vegetal_de_Bayeux

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