Besta Berri (littéralement « Fête nouvelle ») désigne en basque la fête-Dieu.
Besta Berri est une fête mobile (calculée par rapport à la Pentecôte), située entre le 21 mai et le 24 juin. Elle se déroule sur deux dimanches consécutifs (le deuxième et le troisième après Pentecôte) et dure toute la journée avec messe le matin et vêpres l’après-midi.
Besta Berri (littéralement « Fête nouvelle ») désigne en basque la fête-Dieu, fête catholique qui célèbre le Saint-Sacrement durant deux dimanches consécutifs (deuxième et troisième) après la Pentecôte. Elle est célébrée dans deux des trois provinces du Pays basque nord (Labourd et Basse-Navarre) et a son corollaire dans certaines localités du Pays basque sud (versant espagnol) sous la dénomination de Corpus Christi.
La jeunesse masculine, habillée pour l’occasion en garde nationale, joue un rôle important à Besta Berri. Aspects militaire et religieux cohabitent donc généralement, mais pas toujours. La procession, qui se déroule le matin (après la messe) ou l’après-midi (après les vêpres), constitue le point central de la célébration religieuse. La danse est également un élément important de la fête profane mais aussi religieuse (danse dans l’église et pendant la procession).
Une pluralité d’interprétations accompagne cette fête depuis ses origines, car elle agglomère plusieurs éléments syncrétiques. Sa particularité au Pays basque tient autant à sa permanence qu’à ses caractéristiques.
Pratiques sociales, rituels ou événements festifs.
Même si l’observation de terrain, associée aux témoignages anciens, laisse apparaître que Besta Berri est en réelle mutation, cette fête mobilise encore beaucoup de composantes de la communauté villageoise :
- Les enfants (filles et garçons) des écoles primaires du village, vêtus de blanc, participent à la messe et à la procession du Saint-Sacrement pendant laquelle ils jettent des pétales de roses ; à Mendionde (Pyrénées-Atlantiques), les garçons font plutôt une haie de bâtons.
- La jeunesse masculine intègre la garde militaire après la grande communion, dès l’âge de 12 ans. Les jeunes filles font partie des fidèles. L’une porte plus particulièrement la bannière qui précède les petites filles vêtues de blanc.
- Les hommes mariés occupent les fonctions qui exigent un degré de maturité (porteurs de dais, garde d’honneur du Saint-Sacrement, porteur de la bannière précédant les petits garçons vêtus de blanc). Les autres font partie des fidèles (et parfois des musiciens).
- Les femmes mariées décorent l’église, participent à la confection et à l’entretien des costumes, encadrent les jeunes enfants pendant la messe et la procession, font partie de la chorale ou tout simplement des fidèles.
- Les représentants de l’autorité civile et religieuse (curé, maire, voire adjoints) sont associés en étant généralement escortés. Le curé est l’administrateur du culte (il célèbre la messe, porte le Saint-Sacrement pendant la procession) et offre à boire aux acteurs du défilé.
- Les musiciens occupent également une place importante dans ce rituel. À Mendionde, la plupart ne sont pas originaires du village, mais de villages voisins (Briscous, Mouguerre, Bayonne).
- Le reste du village est présent à la messe et dans la procession. Toutefois, le nombre des participants à Besta Berri s’amenuise d’année en année, ce qui contraint aujourd’hui les organisateurs à recruter une garde militaire (officiers et soldats) de plus en plus jeune.
Besta Berri est encore célébré avec un faste particulier au Pays basque nord (versant français), dans les provinces de Basse-Navarre (communes de Hélette, Iholdy, Saint-Esteben, Saint-Martin d’Arberoue, Beyrie, Orsanco, Ossès, Bidarray) et du Labourd voisin (Saint-Pée-sur-Nivelle, Espelette, Cambo, Itxassou, Louhossoa, Macaye, Mendionde), en Pyrénées-Atlantiques. Basse-Navarre (environ 30 000 habitants), Labourd (environ 250 000 habitants) et Soule (environ 15 000 habitants) constituent le Pays basque nord, administrativement regroupé depuis janvier 2017 au sein de la communauté d’agglomération Pays basque, ou Euskal Hirigune Elkargoa (300 323 habitants).
Le Pays basque sud (versant espagnol), formé des quatre provinces basques restantes : Biscaye, Guipuzkoa et Alaba (formant la Communauté autonome basque) et Navarre (formant la communauté forale de Navarre), célèbre lui aussi Corpus Christi dans certaines localités. Le Corpus Christi d’Oñate (Guipuzkoa) est l’un des plus représentatifs.
Le présent inventaire se cantonne au Besta Berri pratiqué au Pays basque nord, avec un village plus particulièrement observé en 2017 : Mendionde.
La fête-Dieu est encore pratiquée de nos jours en Pays basque, en France, en Europe (tradition forte en Espagne, en Italie du Sud (Calabre) et au Portugal) et dans d’autres continents (surtout en Amérique latine). Elle est même un jour férié dans certains pays catholiques : Monaco, Croatie, Pologne, Autriche, Allemagne (certains Länder), Suisse (certains cantons), Brésil, Colombie, Saint-Marin. Lors des trente dernières années, elle a toutefois connu de nombreuses fluctuations (arrêts et reprises). Ainsi, Burnhaupt-le-Haut (Haut-Rhin) a renoué avec cette tradition depuis 1996.
L’aspect militaire de cette fête est aussi à prendre en compte. En France et plus particulièrement en Wallonie (Entre-Sambre-et-Meuse), des marches militaires sont organisées en l’honneur des saints patrons, mais aussi de la fête-Dieu. Au Pays basque sud, les traditions d’escortes militaires (alardeak) de Irun, Fontarrabie et Antzuola (Espagne) ne sont pas sans rappeler la garde nationale de la fête-Dieu.
La pluralité des expressions et des interprétations semble accompagner cette fête depuis ses origines. Selon l’anthropologue Antoinette Molinié, l’Église catholique donne dès le départ peu d’instructions sur le mode de célébration de cette fête, ce qui a laissé une grande liberté aux cultures populaires et permis une « amplitude importante des rituels dans le monde catholique ». Elle donne l’exemple des communautés indiennes des monts péruviens du Qoyllurit’i qui, à cette occasion, se reconstituent en « nations » à travers un mélange de rites indiens et catholiques (glace recueillie dans la montagne et transformée en hostie), ou celui du village de Camuñas dans la Mancha (Espagne) où ceux qui s’habillent pour la fête-Dieu sont divisés en danseurs et pêcheurs, chaque groupe ayant son interprétation différente de la fête.
La description qui suit se fonde sur :
• des éléments recueillis sur le village de Mendionde (province du Labourd), situé géographiquement au centre de la zone ayant conservé la pratique :
- observation participante menée le dimanche 18 juin 2017 (jour de Besta Berri), avec séquences filmées de la fête (en partenariat avec Kanaldude, télévision participative locale);
- séquences filmées par Thierry Truffaut (Besta Berri 2006) et Jean-Dominique Lajoux (Besta Berri 1974) ;
- photographies de Thierry Truffaut (Besta Berri 2006) et de Véronique Mogabure, habitante de Mendionde (Besta Berri 2017) ;
- témoignages audiovisuels recueillis le 22 juin 2017 (soit la semaine après Besta Berri, dans le cadre du programme de collecte orale du Pays basque nord Eleketa) ;
• des documents relatifs aux Besta Berri d’autres communes du Labourd et de Basse Navarre :
- témoignages audiovisuels collectés à Louhossoa, Macaye, Hélette, Iholdy et Saint-Esteben entre 2012 et 2017 ;
- photographies et séquences filmées de Besta Berri 2006 à Saint-Esteben ;
- descriptions ethnographiques issus d’ouvrages et articles (cfr. bibliographie infra).
Jean-Marie Guilcher (La Tradition de danse en Béarn et Pays Basque français, 1984) distinguait dans la célébration de Besta Berri trois composantes : la décoration du village assurée par toutes les composantes de la population, un cérémonial d’inspiration militaire, la danse comme élément majeur de la fête religieuse.
La présente description reprend ces trois composantes et fait également apparaître d’autres éléments constitutifs de cette pratique, moins visibles, mais non des moindres.
a) Le temps de Besta Berri
Besta Berri est une fête mobile (calculée par rapport à la Pentecôte), située entre le 21 mai et le 24 juin. Elle se déroule sur deux dimanches consécutifs (le deuxième et le troisième après Pentecôte) et dure toute la journée avec messe le matin et vêpres l’après-midi. On appelle fête de l’Octave (Otaba) celle du deuxième dimanche (cérémonial identique au premier dimanche). La procession, temps fort de la célébration, relie l’église, la place du fronton et le reposoir. Elle se déroule le matin de Besta Berri (après la messe) et l’après-midi de la fête de l’Octave (après les vêpres). Aujourd’hui, par manque de prêtres, les villages de Mendionde et Macaye se partagent la fête-Dieu et l’Octave : en 2017, la fête-Dieu a été célébrée à Mendionde, la fête de l’Octave à Macaye.
b) La préparation de Besta Berri
L’organisation de Besta Berri incombe généralement à la jeunesse masculine du village. Jusque dans les années 1970, celle-ci demandait au curé l’autorisation de l’organiser et il pouvait refuser de la leur donner (cfr. Xabier Itçaina).
La jeunesse doit ensuite constituer la garde nationale, c’est-à-dire répartir les rôles. Autrefois, un certain nombre de règles étaient observées. Les chargés d’autorité (capitaine, lieutenant, suisse) étaient choisis parmi ceux qui avaient fait leur service militaire.
« À la fin du XIXe siècle, les postes de premier plan étaient autrement convoités. Le Journal de Saint- Palais, dans un article consacré en 1894 à ces processions de la fête-Dieu, note que le commandement de la garde d’honneur "est fort recherché, disputé même quelquefois par les influences rivales des premu (fils aînés) de village" ; à Hélette, au lendemain de la Première Guerre mondiale encore, le capitaine et le lieutenant étaient nécessairement des fils de "très bonnes familles", c’est-à-dire de familles à la fois honorables et pourvues de bien » (Jean-Michel Guilcher, op. cit., p. 437). Le capitaine tenait ce rôle pendant plusieurs années, les sapeurs aussi (témoignage de Etcheberry-Larramendy, à Saint-Esteben, collecte Eleketa - 19AV467). C’est encore le cas aujourd’hui. C’est lui qui choisissait les autres postes. Selon un témoin d’Iholdy, il se faisait conseiller dans son choix par le curé et cela créait parfois des problèmes (témoignage de Anbrox Franchisteguy, collecte Eleketa - 19AV480).
Aujourd’hui, à Mendionde, l’attribution des postes se fait plutôt à la suite d’une délibération commune ou bien quelqu’un reconnu comme compétent s’en charge.
Des postes tels que sapeurs, coqs ou tambour-major nécessitent des compétences reconnues en danse ou dans le maniement du bâton. Ceux de capitaine et de lieutenant demandent une certaine autorité.
À Mendionde, le capitaine mène les répétitions, gère les relations avec le curé, la jeunesse, les musiciens (à l’église comme sur la place du village), le maire et les restaurateurs si besoin. Les répétitions de danse débutent trois semaines avant la fête-Dieu. à cette même date, les couturières commencent elles aussi à s’affairer.
En 2012 à Macaye, deux couturières se partagent la tâche. La plus ancienne est Maddi Claverie, née en 1928 dans un bar-restaurant du village. Elle a été initiée dès son plus jeune âge (12 ans) par sa tante à la confection et à l’entretien des costumes de la fête-Dieu. L’initiation a été progressive : couture des garnitures des sandales des danseurs, puis des fanions des lances et enfin des galons des pantalons. En 2012, à 84 ans, elle a en charge douze costumes (coqs, garde d’honneur, caporaux et sergents), les douze autres sont à la charge de Marie-Odette Bidegaray, tenancière du second bar-restaurant du village (témoignage de Maddi Claverie, collecte Eleketa - 19AV428-448).
En 2017 à Mendionde, chacun garde et entretient son costume (les femmes de la maison y veillent). Mais lorsque la tradition a repris en 1970 après une quinzaine d’années d’arrêt (témoignage de Battitta Amorena, collecte Eleketa - 19AV1618), c’est toute une garde-robe vestimentaire qu’il a fallu coudre, emprunter ou acheter.
Le vendredi précédant la fête-Dieu, la coutume était que les jeunes se confessent : un témoin de 43 ans (Jérôme Etchebarne, né en 1974) a connu cette pratique disparue depuis peu.
c) Le cortège militaire : les participants et leurs costumes (à Mendionde en 2017)
Le cortège de jeunesse masculine, universellement appelé garde nationale, se présente généralement sous l’apparence d’une troupe militaire disposée en deux colonnes avec :
• les coqs, oilarrak, au nombre de deux, placés côte à côte ;
• les sapeurs, zapurrak, au nombre de quatre (six autrefois) ;
• les tambour-major, makilariak, au nombre de deux (l’ancien et le plus jeune) ;
• les musiciens : au nombre de sept (grosse caisse, tambour, saxophone, trompettes (deux), trombone, contrebasse). Le tambour (André Curutchague) et la grosse caisse (Jean-Michel Mugica) sont originaires du village ;
• le suisse, suisa ;
• le capitaine, kapitaina, et le lieutenant, ofizierra ;
• la garde d’honneur du Saint-Sacrement, aldare aintzinekoak (littéralement « ceux qui sont placés devant l’autel »), composée de six soldats, portant une baïonnette ou fusil ;
• les deux porte-drapeaux religieux, banderariak ;
• le porte-drapeau français ;
• les soldats, soldadoak (seize) ;
• les caporaux, kaporalak (deux), et les gendarmes (deux).
d) Le déroulement du cérémonial (exemple de Mendionde en 2017)
> Préparation, répétition et défilé vers l’église
À Mendionde, le dimanche matin, la troupe déjeune à partir de 8h30 au restaurant Dermit, se met en tenue dans les deux restaurants Dermit et Etchebarne, avant de se rassembler sur la place du village.
Après quelques répétitions menées par le lieutenant (exécution d’ordres successifs), la garde s’élance avant 10h30 sous les commandements du capitaine vers l’église du village, où sont rassemblés les paroissiens qui attendent l’arrivée de la parade. Autrefois, la garde allait chercher le curé pour l’amener à l’église.
> Arrivée et entrée à l’église
La troupe s’arrête devant le porche de l’église. Le suisse se rend alors à la sacristie obtenir du curé l’autorisation que la garde entre dans l’église. Il revient ensuite vers le cortège.
Le capitaine commande une première fois, la musique joue, puis une deuxième fois, la musique joue encore ; un troisième commandement déclenche à la fois la musique et l’avancement de la colonne. Coqs, sapeurs et tambour-major avancent alors en dansant, suivi des musiciens et du reste de la troupe, qui marche très lentement, au rythme de la musique.
Coqs et sapeurs se placent progressivement (les premiers à l’autel, dos à l’assistance ; les seconds, de part et d’autre de la plus haute marche, tournés vers leur gauche ou leur droite) ; le premier tambour-major reste en bas, face à l’assistance.
Tous s’arrêtent de danser, jusqu’au commandement : « Compagnie, halte, premier peloton, deux ou trois pas en avant, marche ! », à la suite duquel :
• le premier-tambour major monte sur la plus haute marche, dos à l’assistance ;
• les deux coqs descendent sur cette même plus haute marche, à la hauteur des sapeurs ;
• les musiciens se placent sur le premier banc à gauche, au bas du chœur ;
• tandis que le suisse et les gardiens du Saint-Sacrement, sur l’ordre « à droite et à gauche » lancé par le capitaine, s’installent de part et d’autre de l’autel.
Le capitaine ordonne de rompre, sapeurs et coqs se tournent à ce moment-là vers l’autel.
Au commandement « Deuxième peloton, deux ou trois pas en avant, marche ! », tout le reste de la troupe avance et se positionne de part et d’autre de l’allée : d’abord tournés vers l’autel, puis face à face.
Le suisse tape alors trois coups de sa hallebarde. Le premier tambour-major se tourne vers l’assistance et commande le deuxième morceau de musique sur lequel il exécute ses prouesses, tandis que les deux porteurs de drapeaux religieux tournent leurs étendards, l’un en direction de l’autre.
Le deuxième tambour-major, situé derrière eux, suit l’exemple du premier. Le curé et les enfants de chœur entrent à ce moment-là. La musique s’arrête et la messe commence.
> Messe
La messe commence sur l’air de Agur Eliza, Jaunaren egoitza, joué par l’organiste du village et chanté par les paroissiens. Le prêtre bénit ensuite l’assemblée.
Dans les travées de la nef se trouvent, de blanc vêtus, à gauche de l’allée centrale (derrière les musiciens), les petites filles avec des paniers remplis de pétales de roses et, à droite, les petits garçons munis de bâtons décorés.
À chaque morceau de musique joué pendant la messe et la procession, ceux-ci hissent au-dessus de leur tête, en le tenant des deux mains, le bâton décoré, tandis que les filles (uniquement pendant la procession) jettent des pétales de roses.
Le reste des bancs est occupé par les femmes ; les hommes, eux, sont placés dans les tribunes ou galeries. Les musiciens jouent à deux temps importants de la messe : l’offertoire et l’élévation. Chacun de ces moments donne lieu au même scénario : après le commandement, à l’attention du premier peloton par le capitaine et du second peloton par le lieutenant, la musique s’enclenche, les drapeaux tournoient, les deux makilari dansent bâton en main (celui placé au niveau du chœur se tourne vers les musiciens pendant le morceau et se retourne vers le chœur aux trois derniers temps), les jeunes garçons lèvent leur bâton au- dessus de la tête. à la fin du morceau, les hommes sont mis au repos par le capitaine et le lieutenant.
Ainsi, à plusieurs moments de la messe, la musique et les commandements militaires alternent avec l’harmonium et les chants d’église. Le déroulement des chants donnés pendant la messe de la fête-Dieu à Mendionde en 2017 est le suivant :
1 - Agur Eliza
2 - Urrikal (prière pénitentielle)
3 - Aintza zuri Jauna
4 - Zeru lurrak zoin diren ederrak (psaume)
5 - Alleluia
6 - Sinesten dut, sinesten dut !
7 - Erakuts guri Jauna zure bihotz ona (prière universelle) Offertoire : morceau de musique
8 - Saindua (prière eucharistique)
9 - Aintza zuri Jesus ! Aintza Jesus ! (chant de louange, prière eucharistique)
10 - Gure Aita
11 - Jainkoaren Bildotsa
12 - Oi mirakuilu guziz espantagarria (eucharistie)
13 - Aingeru batek Mariari (angélus)
Durant la messe, le suisse et les gendarmes circulent dans les galeries pour contrôler que tout se passe bien. Dehors, trois hommes disposent, entre l’église et la place, une jonchée d’herbe fraîchement coupée, tandis que le voisinage de la place décore le reposoir.
> Procession, fin de la messe et de la matinée
La messe finie, la troupe sort (à Mendionde en marchant ; dans d’autres villages, en dansant de la même façon qu’elle est entrée) en se reconstituant dans l’ordre initial.
L’ordre de sortie de la procession en 2017 à Mendionde est le suivant (visiblement sur plusieurs années d’observation, la disposition des acteurs dans le cortège a subi des changements, qui laissent penser à une déperdition de sens quant à la fonction des personnages) :
• le porteur de la croix processionnaire (dans certains villages, des croix processionnaires, à grelots suspendus aux bras de la croix, ont été conservées, pratique attestée et décriée au début du XVIIe siècle par Pierre de Lancre) ;
• les occupants des tribunes (essentiellement des hommes: en tête, l’un porte une bannière Mendionde, 2006. © Thierry Truffaut. représentant d’un côté le Christ, de l’autre saint Cyprien, patron de la paroisse ; il est encadré de deux jeunes garçons habillés de blanc, qui tiennent les pompons de la bannière) ;
• les occupants des bancs (essentiellement des femmes) ;
• ledébutdelagardemilitaire,c’est-à-direlesdan- seurs (coqs, sapeurs et makilari) ;
• les musiciens ;
• les enfants (en tête, une jeune fille portant une bannière représentant d’un côté la Vierge Marie, de l’autre, Jeanne d’Arc) ;
• le reste de la garde militaire ;
• les chanteuses de la chorale ;
• un dais (protégeant le prêtre tenant l’ostensoir et le Saint-Sacrement), porté par quatre porteurs (pabillunketariak) et précédé de quatre enfants de chœur.
Pendant la procession qui descend jusqu’à la place du village, le chant des cantiques (1) Adora dezagun ; 2) Laudatua, maitatua ; 3) Laudorio ohore, Jesus maiteari !) alterne avec la musique. Quand celle-ci joue, la procession s’arrête : coqs et sapeurs dansent, tambour-major et porte-drapeaux font leur prestation, les petites filles jettent leurs pétales et les garçons lèvent leurs bâtons. La procession redémarre et arrive ainsi lentement, après plusieurs arrêts, à la place. Une fois la procession sur la place, le prêtre porteur du Saint- Sacrement s’avance sous son dais, puis en sort pour se diriger vers le reposoir. Au moment où il élève le Saint-Sacrement, le commandant ordonne « Compagnie, armes, genou à terre ! », la garde et les porteurs de dais s’agenouillent. La musique se met à jouer ; les coqs, sapeurs et makilari, à danser. Un cantique est donné devant le reposoir : Sakramendu handi huni.
Après cette bénédiction, le cortège se reforme dans le même ordre pour retourner à l’église (alternances chants/musique) où chacun regagne sa place. Un cantique est donné en entrant à l’église (Kristo Erregeri), un second une fois installé dans l’église (Sakramendu handi huni). Entre les deux, le curé procède sur un air de musique à une dernière bénédiction du Saint-Sacrement. La sortie de l’église se fait en dansant.
Une fois sortie de l’église, la troupe va boire l’apéritif (longtemps été donné au presbytère, il se déroule aujourd’hui à la maison des Jeunes, gaztetxea), revient sur la place du village et en fait le tour en dansant et en marchant au pas.
Selon un témoin de Mendionde, né en 1974 et filmé en 2017, trois espaces constituaient la fête de Besta Berri : l’église, la place et le presbytère.
> Vêpres
L’après-midi, les vêpres donnent lieu, comme pour la messe, aux entrées et sorties dansées. Pendant la cérémonie, les airs de cantiques joués par l’harmonium (1) Nere Jaunari Jaunak dio ; 2) Aipatuko dut Jainkoa; 3)Jaunaren haurrek; 4)Kantuz ari zait nere Arima; 5)Dugun aipa; 6)Eskerrak eman; 7)Laudorio ohore Jesus maiteari; 8)Kristo erregeri), et les morceaux des musiciens (plus d’une quinzaine) alternent, toujours précédés de commandements. La sortie des vêpres laisse place à la réjouissance (défilés dansants sur la place du village, danses collectives, apéritif), et la fête se prolonge dans la soirée.
Le cérémonial du dimanche de l’Octave est le même, à la seule différence que la procession a lieu l’après- midi.
Il est très important de souligner que, comme dans toute tradition populaire, la participation de la garde nationale aux offices de la fête-Dieu présente beaucoup de variantes en fonction des villages et des années.
Les lignes générales sont toujours les mêmes (entrées et sorties dansées, distribution des principaux figurants dans le chœur et la nef, escorte du célébrant, présentation des étendards et des armes, alternance de la musique et des chants de l’assistance), mais, dans ce cadre, les différences sont nombreuses. Pour ne citer que quelques variantes :
• À Saint-Martin d’Arberoue, à l’arrivée devant le porche de l’église, le suisse quitte la troupe, entre et conduit le maire et les conseillers à leur place, s’assure que l’assistance est au complet et ressort pour reprendre place dans le cortège qui l’a patiemment attendu (observé par Jean-Michel Guilcher en 1972).
• À Saint-Esteben, les gendarmes ont une fonction spéciale en début de messe et de vêpres : celle « d’arranger » la tenue de chaque soldat en redressant cravate, béret, etc. (témoignages de Tristant Larramendy et J.-L. Etcheberry, collecte Eleketa - 19AV464).
• Le village d’Iholdy organise quant à lui depuis 1946 la fête-Dieu des Petits (Besta Berri Ttipi) : une trentaine d’enfants défilent dans les mêmes tenues que les adultes, pendant la procession de la fête-Dieu (et uniquement pendant la procession).
e) La décoration (toujours à Mendionde en 2017)
Celle du reposoir est assurée, pendant la messe, par les habitants de la place : tapis, jonchée de fougères, fleurs, chandeliers, arceaux décorés du reposoir. Au même moment, trois hommes parsèment le parcours de la procession de fourchées d’herbe (transportées dans le coffre d’une camionnette) qu’ils ramasseront une fois la procession achevée. Des témoins comme Henri Dunat, né en 1931, évoquent les décorations connues pendant leur jeunesse : draps suspendus aux fenêtres des maisons, installation sur la place en terre battue de cloisons parées entre lesquelles passait le cortège (piquets plantés en deux lignes parallèles avec, d’un piquet à l’autre, des cordes auxquelles on accrochait des draps décorés de fleurs et feuillages), draps blancs déroulés par les jeunes filles sur le passage du dais, puis enroulés pour les dérouler à nouveau plus loin, etc. Après la guerre, le goudronnage de la place, les draps difficiles à blanchir (notamment ceux de la jonchée), le changement des mœurs, ont rendu la décoration du chemin, des maisons et de l’autel plus sommaire. Alors et jusqu’il y a peu, une procession se faisait aussi l’après- midi de la fête de l’Octave. Selon Henri Dunat, jusqu’à la fin des années 1990, cette procession se rendait à la maison Hodia, où un autel et un reposoir étaient érigés.
f) La danse et la musique
La danse est un élément majeur de la fête-Dieu dans sa partie religieuse (à l’église, pendant la procession) et profane (lors du défilé, hors des offices religieux, sur la place du village). Processionnelles, les danses des cérémonies religieuses sont utilisées pour entrer dans l’église, en ressortir et pendant la procession. La danse d’entrée, solennelle et très simple, est faite de mesures à 4 temps : le danseur avance sur 2 mesures à 4 temps, recule (ou reste sur place) sur 2 autres mesures à 4 temps, et ainsi jusqu’à arriver à l’autel.
La procession, elle, alterne des moments de marche lente et de danse. Les musiciens peuvent jouer jusqu’à sept morceaux de musique pendant la procession (aller-retour), selon la longueur du cortège. Selon Patrick Sabarots, saxophoniste à la fête-Dieu d’Iholdy depuis 1987, les airs joués dans l’église et pendant la procession sont des airs anciens de Besta Berri (non religieux), donnés nulle part ailleurs.
Un dénommé Aguerre, du village, a autrefois écrit ces partitions et leur a donné un titre. Patrick en sélectionne chaque année un certain nombre, trois jours avant Besta Berri.
Les airs des défilés, en revanche, donnés hors des offices religieux, sur la place du village ou pour se déplacer d’un endroit à un autre, sont aussi joués dans d’autres villages et d’autres circonstances, tout comme les airs de sauts basques, fandango et autres danses donnés sur la place du village.
g) Les finances
L’entretien des costumes, la rétribution des musiciens, les repas des participants (quand ils sont pris en charge par l’organisation générale) entraînent des frais, justifiant l’existence d’une caisse de la fête-Dieu, dont la gestion revient au capitaine. Elle est alimentée par la quête faite après la messe et/ou les vêpres. à Mendionde, les caporaux sont chargés de la faire. Cette quête n’empêche généralement pas que le curé fasse la sienne pendant la messe.
À Saint-Esteben, la quête effectuée pendant la messe par le suisse revient à la caisse de la fête-Dieu et donc aux jeunes qui, durant deux dimanches consécutifs (fête-Dieu et Octave), invitent le curé au restaurant avec les musiciens.
À Ossès, la quête est organisée de maison en maison, en dehors de Besta Berri.
Même si la contribution la plus spectaculaire est celle de la jeunesse masculine, Besta Berri reste une fête regroupant les villageois de tout âge. C’est une fête attendue depuis l’enfance. Ainsi, voit-on de jeunes enfants imiter les plus grands (en marge du cortège ou sur la place du village) ou des adultes de la garde nationale prendre leur progéniture par la main et l’intégrer au défilé d’après-messe. « Besta Berri, c’est une tradition depuis pas mal d’années ; il y a de beaux costumes, tout est bien organisé ; c’est droit, c’est carré, c’est joli à voir... La seule chose qu’on attend quand on est enfant, c’est de le faire. Dès qu’on a 12 ans, on peut donc commencer et les jeunes viennent d’eux-mêmes aux répétitions » (Franck Mendiburu, capitaine à Mendionde en 2017).
« On se retrouve tous et on passe un bon moment » (Maxime Landaboure, sapeur à Mendionde en 2017). Aujourd’hui, les répétitions s’échelonnent sur trois semaines, à raison d’une fois par semaine. La réflexion du capitaine (« c’est droit, c’est carré, c’est joli à voir ») laisse entrevoir une certaine admiration, qui perdure, de l’aspect militaire du rituel : « Le prestige de l’uniforme, la musique et l’ordonnancement militaire ont longtemps structuré les imaginaires en Pays basque, y compris et peut-être surtout dans les zones les plus rurales et les plus bascophones », écrit Xabier Itçaina (La Fête-Dieu face à ses interprétations en Pays basque nord, 2000).
Un autre élément de cohésion de la fête-Dieu est la danse, dont l’importance a été soulignée par les travaux de l’ethnologue Jean-Michel Guilcher et du père bénédictin Marcel Etchehandy. Une danse sublimée pendant la procession par l’adresse du makilari, les rues jonchées de verdure, les draps blancs aux fenêtres, etc. Pour Marcel Etchehandy, il n’y a là rien d’étonnant : au Pays basque, on danse dans ou hors de l’église (dans les ermitages lors de veillées nocturnes, dans la cathédrale lors de spectacles religieux) depuis au moins le XVIe siècle. La première preuve documentaire date de 1531 à Pampelune.
Marcel Etchehandy précise que c’est surtout à la fête-Dieu qu’on dansait dans les églises.
Enfin, Besta Berri, c’est aussi un village qui se met en scène. La répartition des rôles de la garde nationale, l’ordre de la procession, l’origine sociale ou géographique des porteurs de dais donnent une image de la communauté dans son ensemble. L’itinéraire de la procession marque les espaces constitutifs du village.
La considération portée aux représentants de l’ordre civil et religieux (prêtre, maire : on va les chercher, on les raccompagne, on boit un coup chez eux, on danse les sauts basques) témoigne de l’attachement à une certaine tradition.
Cet ensemble de symboles, qui s’entremêlent consciemment ou inconsciemment dans la tête des acteurs ou spectateurs, font que la fête de Besta Berri se transmet encore de nos jours en Pays basque, alors qu’elle a disparu d’autres contrées de France et d’Europe.
a) Repères historiques
La fête-Dieu apparaît dans le monde catholique au XIIe siècle, bien que l’Église ne l’institue officiellement qu’en 1264. Elle connaît son apothéose au XVe siècle. Michel Duvert résume ainsi son origine et son évolution, au Pays basque en particulier :
« C’est au XIIIe siècle que sainte Julienne (une religieuse du monastère de Mont-Cornillon près de Liège) eut une vision au cours de laquelle elle acquit la conviction qu’il fallait honorer tout particulièrement l’Eucharistie ou Corps du Christ. Rome acquiesça. Alors le Corps du Christ, sous forme d’Hostie dans l’ostensoir, fut montré dans les rues et places publiques. En 1264, le pape Urbain IV qualifie la fête de Officium novae solemnitis, soit l’office de la Fête nouvelle, que les Basques continuent d’appeler Besta Berri (Fête nouvelle). En 1318, le pape Jean XXII officialisa le rite qui prit forme : on le connaît désormais sous le nom de Corpus Christi ou fête-Dieu ou fête du Saint-Sacrement. Sous l’autorité d’Arnaud de Barbazan (1318-1355) fut créée à Pampelune une confrérie du Saint-Sacrement. Les cortèges qui parcouraient les rues des villes navarraises atteignirent leur apogée au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (Usunariz Garayoa, 1996), sous forme de processions, musiques et danses (dans et hors des églises, y compris dans la cathédrale en présence de l’évêque (X. Itçaina, 1997), de chants y compris de chorales, le tout dans un contexte de décorations de rues, de confection d’autels, de représentations de pièces écrites pour la circonstance (et jouées dans la cathédrale), de figures de géants (attestés au XVIe siècle), de tarasques et de nains, au milieu de tirs de fusils, y compris dans les églises... Ajoutons que ces manifestations réunissaient les autorités civiles, les confréries et associations paradant avec leurs emblèmes. » (Urbeltz, 1995 ; X. Itçaina, 2000).
Les coqs sont d’ailleurs, d’après les dernières recherches de Thierry Truffaut, ce qu’il reste des rois de la jeunesse (chefs de la classe d’âge, organisateurs de tous les défilés), nommés à la suite de la capture ou de la décapitation d’un volatile (coq, canard ou oie).
« À partir de la fin du XVIIIe siècle, poursuit Mikel Duvert, ces vastes scénarios baroques ne cesseront de se simplifier. Ce sont les souvenirs lointains de ces spectacles accompagnés de diverses prouesses, que notera Violet Alford dans les premières décades du XXe siècle. Elle observera des cortèges de Besta Berri en Basse-Navarre et verra "un sacristain ressemblant fortement à un Fou des Morris" (elle fut la première à se rendre compte que les Morris dancers anglais et les kaskarot basques "sont aussi semblables que possible" (page 180), un tambour-major défilant à reculons et enfin deux jeunes gens dansant sans arrêt avec forces extravagances. À une époque, il y avait aussi une Madeleine comique qui taquinait les hommes, incarnée par une vraie fille, ce qui est tout à fait inusité... (...). Elle rapporte ainsi toute une journée de danses, dans et hors de l’église, et une parade où, souligne-t-elle, "Monsieur le curé est prisonnier de ses jeunes fidèles". Ces débordements finirent par importuner. Elle notera ainsi qu’à Iholdy, un curé fit disparaître toute danse durant Besta Berri, mais lorsqu’un autre curé fut nommé, tout réapparut intégralement ».
Les Besta Berri ont connu des éclipses dans le temps, souligne Jean-Michel Guilcher : « À celles qu’imposaient les guerres s’en sont très généralement ajoutées d’autres, en particulier celles qui résultaient autrefois des dissensions intérieures des communes. À Saint-Martin-d’Arberoue, les habitants les plus âgés se souviennent d’une première suppression décrétée en 1912 par leur curé, en conséquence de l’hostilité qui s’était manifestée entre "rouges" et "blancs" au cours de la fête patronale. La reprise n’eut lieu qu’en 1922. La seconde guerre mondiale entraîna un nouvel arrêt de 1939 à 1946-1948. Il devait s’en produire d’autres plus brefs, suivis de nouveaux départs, en 1961 et 1970. Iholdy a reconstitué sa garde nationale en 1932, après une interruption de plus de trente années, qui n’était pas la première. »
Le contenu de la tradition s’en ressent nécessairement. Xabier Itçaina, à propos des célébrations de la fête-Dieu et de l’Octave à Itxassou, écrit « qu’elles ne se sont interrompues que pendant 4 ou 5 ans à la fin des années 1960, pour reprendre de façon ininterrompue depuis, au prix cependant d’altérations importantes, qui vont toutes dans le sens d’une réduction des éléments du rituel (suppression des vêpres à la fin des années 1980, célébration occasionnelle du second dimanche de l’Octave) ».
b) Les récits liés à la pratique et à la tradition
Une interprétation très répandue dans les villages labourdins et bas-navarrais est que les costumes, les personnages et la musique de Besta Berri sont un legs de l’époque napoléonienne.
Xipri Alberbide réfute cette hypothèse, en disant que les sapeurs sont antérieurs à l’Empereur ainsi que les hallebardiers et autres lanciers qui n’existaient plus en 1800. Pour lui, ce qui caractérise Besta Berri, c’est la danse durant la procession et à l’église : « quand on sait la guerre menée par l’Église jusqu’à une époque assez récente, ces danses surprennent ».
Xabier Itçaina essaie de comprendre la persistance de la lecture militariste en évoquant le patriotisme des basques. « Un patriotisme qui ne se référait pas forcément à la République, longtemps perçue comme un régime anticlérical, mais plutôt à la Nation française. On sait, dans ce domaine, quel fut le rôle de l’Église basque, en particulier au moment de sceller cette alliance par la légitimation du sacrifice de 1914. La mentalité "ancien combattant" a été très forte en Pays basque intérieur et il n’est pas rare, dans certains villages, de voir s’exhiber à l’occasion de la fête-Dieu, les drapeaux tricolores renvoyant aux trois conflits de 1914-1918, 1939-1945 et d’Afrique du Nord. Dans un tel climat, on comprend mieux la genèse et le succès d’une lecture militariste du rituel ».
Cette interprétation militariste est d’ailleurs multiple :
• Un témoin d’Iholdy, Anbrox Franchistéguy, donne la sienne : « C’est une belle tradition qui, si elle existe, a sa raison d’être. J’ai entendu ou lu quelque part que Napoléon l’aurait mise en place en remerciement à Dieu d’une victoire militaire ».
• Depuis peu, une nouvelle lecture se répand en Pays basque. Les hommes armés qui encadrent la procession seraient le souvenir des milices provinciales et urbaines d’Ancien Régime (cfr. Marcel Etchehandy, op. cit., p. 22-26), et les preuves archivistiques abondent en ce sens. Dans cette interprétation, les soldats ne sont plus le souvenir d’une armée française conquérante, mais des « hommes francs » du Labourd et de Navarre (portant lances et arbalètes, puis plus tard des fusils) qui, avant la révolution de 1789, veulent défendre leur pays.
La prégnance de Besta Berri trouve également une explication dans la ferveur pratiquante des Basques : « Je n’ai pas honte de dire que je suis catholique, dit Anbrox Franchisteguy, et en tant que catholique, c’est une fête que je respecte et apprécie ». Ainsi coexistent des interprétations différentes transmises depuis plus ou moins longtemps.
Néanmoins, l’attachement de tous n’est pas le même et la fête ne fait pas l’unanimité. Besta Berri est également vue aujourd’hui, de l’intérieur comme de l’extérieur, comme un rituel franchement gênant, qui ne colle plus avec l’idée qu’on se fait de la culture basque : son aspect religieux et militariste français est vécu comme pesant, dépassé et contradictoire avec les expressions culturelles actuelles.
La permanence de Besta Berri génère aujourd’hui de plus en plus d’interrogations autour de sa signification. Selon le père Marcel Etchehandy, la fête a perdu sa signification liturgique (collecte Eleketa - 19AV410). Son rapport au militaire est dénué de sens (« ces officiers, sous-officiers, fusils, commandements militaires, cette musique militaire dans l’église, tout cela n’est-il pas vraiment trop marqué par une époque de militarisme exacerbé surtout après la défaite de 1870 ? »), voire tellement gênant que certains décident de s’y soustraire (exemples : Besta Berri « démilitarisé » d’Espelette, soldats sans armes de Macaye). En 1989, le moine bénédictin concluait une conférence prononcée à la maison diocésaine de Bayonne sur les questions suivantes : « N’est-il pas choquant de constater l’absence totale de la femme dans cette manifestation ? L’homme, et lui seul, est magnifié. Plus de la moitié de la population est ignorée. De plus, c’est l’aspect le moins sympathique, le moins humain de l’homme qui est exalté : le guerrier. L’homme n’a-t-il donc rien de mieux à exhiber que la force brute ? Cette sublimation du militaire est récente. Nous avons vu qu’il en allait bien autrement encore au milieu du XIXe siècle, d’après ce que nous en dit l’abbé Dupanloup au sujet de la fête-Dieu à Saint-Jean-Pied-de-Port : les jeunes filles figuraient en bonne place et en grand nombre dans le cortège. Autre catégorie pratiquement absente dans la plupart des Besta Berri : les enfants. Ils sont loin d’occuper la place qu’ils tiennent dans la société et les préoccupations des adultes ».
Xabier Itçaina a lui aussi recueilli des réflexions par rapport à la participation quasi nulle des jeunes filles aux costumés de la fête-Dieu : « La fête-Dieu, c’est une fête de garçons, ça on leur laisse », entendit-il de la bouche d’une jeune habitante du Labourd. Les filles ont aujourd’hui investi les autres grands rites dansés du Pays basque nord (carnavals, charivaris, danses souletines), à l’exception de Besta Berri, ce qui risque à terme de lui porter tort.
La baisse de la pratique religieuse et le manque de prêtres constituent aussi des menaces à la pérennisation de cette fête qui, si elle veut perdurer et intégrer les nouveaux arrivants, doit retrouver sa signification intrinsèque originelle. Pour Marcel Etchehandy, ce « retour aux sources » passe entre autres par le lien perdu à la nature (collecte Eleketa - 19AV409), la dimension spatiale et cosmique (collecte Eleketa - 19AV413-414). Assurément, un certain nombre de questions restent posées quant à l’avenir de Besta Berri.
Besta Berri a fait l’objet de nombreux articles (cfr. bibliographie infra). Une fiche inventaire intitulée « Besta Berri. La fête-Dieu à Armendaritz » a été réalisée en 2012 par Cendrine Lagoueyte (laboratoire ITEM, EA 3002, programme de recherches Inventaire du Patrimoine culturel immatériel en Aquitaine, Université de Pau et des pays de l’Adour), incluse depuis à l’Inventaire national du PCI [http://www.culturecommunication.gouv.fr/Thematiques/Patrimoine-culturel-immateriel/L-inventaire-national/Inventaire/Fiches-de-l-Inventaire-national-du-PCI/Pratiques-rituelles, réf. 2010_67717_INV_PCI_FRANCE_00078]. Les télévisions locales filment également l’événement de manière régulière. Mais, à notre connaissance, Besta Berri ne fait l’objet d’aucune démarche officielle de sauvegarde, d’aucune aide financière extérieure, d’aucune politique publique. La raison pourrait être celle qu’invoque Xabier Itçaina : « dans un contexte d’uniformisation culturelle, y compris au sein de la sphère identitaire basque, la fête-Dieu fait figure d’exception, de survivance, s’ajustant mal à la nouvelle codification culturelle basque. L’univers symbolique de la fête-Dieu est saturé de sens, de messages et de signes qui ne sont pas politiquement corrects : la fête reste d’abord un rituel religieux (...) ; deuxièmement, l’arsenal militariste français reste omniprésent durant le rituel. Le regard extérieur peine parfois à cadrer ce qu’il perçoit comme une grande contradiction organisée ».
De l’intérieur pourtant, depuis les années 1990, certains villages réfléchissent à la revivification de Besta Berri par des formes nouvelles et autres que militaires. Ainsi, à Espelette, Xan Ipharaguerre (à l’origine de la création du groupe de danse Ezpela en 1968, de la txaranga vers 1990, acteur de Besta Berri depuis son plus jeune âge) et Frantxoa Garat, curé du village (1988-1997), ont réfléchi à la manière de lui insuffler une dynamique nouvelle. Ils décidèrent alors d’abandonner les soldats et d’accorder une place prépondérante à la danse, aux costumes, aux symboles (soleil, astres, végétaux), au chant également (création du chant Besta-Berriko eskaintza par le moine bénédictin Iratzeder sur un air de Juan Urteaga).
Comme le souligne Marcel Etchehandy, Besta Berri est bien une fête solaire, proche du solstice d’été, une fête de la lumière, symbolisée par l’ostensoir-soleil (en basque iduzki saindua = le saint soleil). C’est ce sens originel que certains villages tentent de redonner aujourd’hui à Besta Berri, en éliminant ou atténuant la présence militaire (à Macaye, les armes à feu des soldats sont remplacées par des lances enrubannées). Ce revivalisme suffira-t-il à faire perdurer Besta Berri ?
Cette fiche a été élaborée en 2017 par l’Institut culturel basque et notamment par Terexa Lekumberri (anthropologue chargée du patrimoine oral et immatériel), et Marion Lastiri (chargée de mission).
Elle s’est enrichie des témoignages de toutes les personnes citées en début de fiche (cfr. filmographie), ainsi que d’une très riche bibliographie. Les personnes interrogées, jeunes ou d’âge mûr, éprouvent encore aujourd’hui de la fierté à transmettre leurs expériences et souvenirs de ce rituel dansé.
Enfin, la fiche d’inventaire a bénéficié du travail de relecture et du regard scientifique de Thierry Truffaut, anthropologue spécialiste des traditions festives et dansées en Pays basque, membre associé du laboratoire interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (LISST-UMR 5193) de l’université Toulouse Jean-Jaurès.
Les auteurs de cette fiche rappellent que les informations qu’elle contient ne constituent qu’une description partielle de la pratique à un instant T.
ALFORD, Violet. Some Pyrenean folk customs. Folklore, vol. 41, n° 1, 1er mars 1932.
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DUVERT, Michel. Contribution à l’étude de la vie religieuse en Iparralde : Ainhoa. Bulletin du Musée basque, 2009, en ligne.
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Lekorne, Kabalkada eta Besta Berri. 1962-1978-1995-1996-2006, réal. : Thierry Truffaut, Xabier Itçaina, Jean-Dominique Lajoux, Monique et François Rousseau. Aldudarrak Bideo ; prod. : Comité des fêtes de Mendionde. mairiedemendionde@wanadoo.fr / 05 59 29 62 53.
Fonds Eleketa collecté par l’Institut culturel basque, sous maîtrise d’ouvrage du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques (consultable aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, ainsi qu’au siège de l’ICB à Ustaritz) :
- Etchehandy Marcel (père). Collecte Eleketa. Juillet 2012. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales - 19AV387-388, 406-414.
- Claverie Maddi. Collecte Eleketa. Octobre 2012. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales - 19AV428-448.
- Franchisteguy Anbrox. Collecte Eleketa. Octobre 2012. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales - 19AV480-495, 497-500.
- Garat Frantxoa et Ipharaguerre Xan. Collecte Eleketa. Octobre 2012. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales - 19AV558, 560-562, 564-570, 573-580.
- Etcheberry Jean-Louis et Larramendy Tristant. Collecte Eleketa. Octobre 2012. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales - 19AV457, 462-469, 471-473.
Fonds Foulon
- Fête-Dieu à Arbonne (extrait messe et procession), 1993. Fonds sonore et audiovisuel de Raymond Foulon. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales - 5NUM26/77.
Institut culturel basque
www.eke.eus
Bilketa, portail des fonds documentaires basques
www.bilketa.eus
Musée basque et de l’histoire de Bayonne
www.musee-basque.com
Personnes rencontrées en 2017 à Mendionde (Pyrénées-Atlantiques) :
Jérôme Etchebarne, Battitta Amorena, Xalbat Eyherachar, Henri Dunat (anciens participants de Besta Berri), Maialen Curutchet (ancienne servante du curé), Maitexa Curutchet et Marie-Hélène Biscay (chanteuses), Patrick Sabarots (musicien). Beaucoup d’autres témoignages ont été collectés à Mendionde, Gréciette, Louhossoa, Macaye, Hélette, Iholdy et Saint-Esteben (Pyrénées-Atlantiques), entre 2006 et 2017 par Terexa Lekumberri (programme de collecte Eleketa) et Thierry Truffaut. Cfr. filmographie infra.
Localisation de Besta Berri :
Nouvelle-Aquitaine, Pyrénées-Atlantiques, Pays basque.
Institution porteuse du dossier :
Institut culturel basque / Euskal kultur erakundea
Pôle ethnologie et patrimoine
Château Lota
64480 Ustaritz
05 59 93 25 25
www.eke.eus
info@eke.eus
Date de remise de la fiche : 26 février 2018
Année d’inclusion à l’Inventaire national du PCI : 2018
N° d'inventaire Ministère Culture : 2018_67717_INV_PCI_FRANCE_00397
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2l3
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
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