Randonnées chantées, sonnées et contées en Bretagne

Elles permettent la pratique régulière d’un répertoire bien spécifique : les chants ou airs « à la marche » ainsi que la pratique du conte ou de chants à écouter.

Les randonnées chantées, contées, sonnées sont organisées régulièrement un peu partout en Bretagne, surtout en Haute‐Bretagne, depuis la fin des années 1980. Elles permettent en premier lieu la pratique régulière d’un répertoire bien spécifique : les chants ou airs « à la marche » (...) qui sont le plus souvent chantés, mais qui peuvent être aussi sonnés. Elles permettent de façon secondaire, lors de pauses aménagées, la pratique du conte ou de chants à écouter.

Les randonnées chantées, contées, sonnées sont organisées régulièrement un peu partout en Bretagne, surtout en Haute‐Bretagne, depuis la fin des années 1980. Elles permettent en premier lieu la pratique régulière d’un répertoire bien spécifique : les chants ou airs « à la marche » (voir la fiche d’inventaire sur les Chants à la marche) qui sont le plus souvent chantés, mais qui peuvent être aussi sonnés. Elles permettent de façon secondaire, lors de pauses aménagées, la pratique du conte ou de chants à écouter.

Description de la pratique

Déroulement :

La désignation la plus courante est celle de « randonnée chantée ». Elle est organisée le plus souvent par des associations, parfois par des collectivités locales, et parfois dans le cadre de festivals. Elle peut être gratuite ou payante selon les cas. La pratique consisite à organiser une randonnée pédestre, le plus souvent d’une longueur de 5 à 10 kilomètres, parfois jusqu’à 15 kilomètres, au cours de laquelle on chante des chants à la marche. Elle peut se faire sur une durée qui peut aller de deux heures à une journée complète. Les organisateurs s’assurent la participation d’un ou de quelques meneurs de chants à la marche compétents : soit ils engagent des chanteurs reconnus comme ils le feraient pour un fest‐noz, soit ils font appel à des chanteurs bénévoles, souvent membres ou sympathisants de l’association organisatrice. Beaucoup d’associations ayant dans leurs activités un atelier de chants traditionnels réguliers organisent par exemple annuellement une randonnée chantée qui donnera l’occasion aux chanteurs de cet ateliers de mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Pendant toute la durée de la randonnée, les meneurs de chants se relaient pour lancer les chants à répondre, et l’ensemble des participants est invité à « répondre les chants », aidés en cela le plus souvent par un petit noyau de chanteurs plus habitués et liés à l’association organisatrice.

Si la plupart des randonnées chantées se font exclusivement au chant, d’autres se font aussi avec la présence de sonneurs (musiciens traditionnels) qui peuvent, soit mener des airs uniquement aux instruments, soit accompagner les chants. Ainsi, le violon, l’accordéon et la vielle à roue se prêtent tout‐à‐fait à cet accompagnement, et c’était une pratique attestée et régulière dans la tradition, notamment pour mener les cortèges de noces. Le plus souvent, le sonneur est le meneur de la randonnée et chante en jouant. Il peut aussi se contenter d’accompagner d’autres chanteurs. Les airs peuvent aussi être uniquement sonnés, sans chant, ce qui est plus fréquent avec les instruments qui ne permettent pas de chanter en jouant et qui couvrent la voix : les clarinettes, la veuze et le couple biniou‐bombarde.

Dans certaines randonnées, on profite de l’organisation et de la présence du public rassemblé pour ajouter au fait central, qui reste la pratique du chant à la marche, d’autres aspects culturels liés au même fonds culturel : il s’agit le plus souvent de pauses pendant lesquelles on peut faire intervenir, soit des conteurs, soit des chanteurs qui vont chanter à ce moment là des chants « à écouter » (complaintes, gwerzioù, mélodies). D’autres pauses peuvent aussi être consacrées aux danses qui peuvent être menées par les chanteurs (chants dans la ronde) ou par les sonneurs. Enfin, certaines randonnées mettent en avant, parallèlement aux chants à la marche, le patrimoine bâti qui détermine alors en partie le tracé du parcours. Les pauses sont alors consacrées à des commentaires sur ce patrimoine bâti.

Les participants :

On peut distinguer deux types de participants à ces randonnées chantées : les meneurs‐ chanteurs et le grand public.
Tout d’abord, les randonnées chantées fournissent aux chanteurs confirmés la seule occasion d’exercer leur talent sur le répertoire bien spécifique qu’est celui du chant à la marche. Tout comme le chant à danser ne prend son véritable sens qu’avec des danseurs, le chant à la marche ne prend toute sa dimension qu’en marchant. La plupart des chanteurs traditionnels confirmés en Haute‐Bretagne participent plus ou moins régulièrement à des randonnées chantées, au moins à un moment de leur parcours. En même temps, l’un des grands intérêts de ces randonnées chantées est de donner, comme les veillées de café (voir la fiche d’inventaire consacrée aux veillées de café en pays gallo) une occasion de pratique régulière à beaucoup de chanteurs non confirmés, ou en cours d’apprentissage. Même lorsqu’un chanteur confirmé est programmé, l’usage est que de temps en temps au moins, l’un des chanteurs non programmés qui constituent le noyau des « répondeurs » prenne son tour pour mener un chant. Beaucoup de chanteurs débutants se lancent plus facilement à chanter en public au cours d’une randonnée chantée que dans un contexte de veillée ou de fest‐noz : l’enjeu apparaît moins important, l’attention du public moins concentrée sur le meneur, du fait que tout le monde marche et regarde dans la même direction, et non vers le chanteur, sans compter que le fait de marcher en chantant apporte probablement aussi une certaine détente qui peut aider à dépasser l’appréhension.

En ce qui concerne le public qui vient assister à ces randonnées chantées, on peut distinguer :
- un public de randonneurs curieux de découvrir une autre forme de randonnée, ou un aspect culturel qu’ils connaissent mal tout en pratiquant la randonnée, 

- un public connaisseur de « culture bretonne » souhaitant découvrir ou pratiquer l’un des aspects de la culture de tradition orale de leur région (le chant à la marche) 

- le grand public local curieux de découvrir, 

- le public des touristes en période estivale.
Il est frappant de remarquer que quelque soit la catégorie de public (elles sont d’ailleurs le plus souvent mêlées), la participation aux réponses dans le chant est toujours très bonne, à condition toutefois que le ou les meneur(s) soi(en)t suffisamment expérimentés. À ce titre, on peut dire que la randonnée chantée est sans doute le contexte de pratique le plus apte à initier le grand public à la pratique du chant traditionnel. 
Répartition géographique et organisateurs : 
Si la tradition de chants à la marche concernait traditionnellement une zone bien précise en Haute‐Bretagne, la pratique actuelle des randonnées chantées, sonnées et contées dépasse aujourd’hui ce cadre. La Haute‐Bretagne est incontestablement la région où il s’en organise le plus, mais la pratique est reprise dans d’autres régions, même là où la tradition n’existait pas, notamment en Haute‐Normandie, en Basse‐Bretagne, et même au Québec. Dans ces régions, le concept de randonnée chantée a été repris notamment pour les raisons évoquées ci‐dessus : occasion de pratique favorable pour encourager des chanteurs ou sonneurs non confirmés, et surtout pour intéresser et impliquer le public. Les organisateurs dans ces régions peuvent, soit faire appel à des chanteurs de Haute‐Bretagne qui détiennent le répertoire adapté et le savoir‐faire, soit adapter le répertoire local. 


Le plus souvent, les organisateurs sont des associations. On peut distinguer : 

        ‐  les associations de collecte et de transmission du patrimoine oral qui ont été à l’initiative des randonnées chantées (Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine en pays de Redon, La Bouèze en nord Ille‐et‐Vilaine, Dastum 44 en Loire‐ 
Atlantique notamment), 

        ‐  les associations locales qui ont une activité d’enseignement de la musique et du 
chant traditionnel, et qui souvent organisent une randonnée chantée par an (ainsi qu’un fest‐noz), notamment pour permettre à leurs élèves de mettre en pratique ce qu’ils ont appris, 

        ‐  des associations locales n’ayant pas de rapport direct avec la culture traditionnelle, mais qui considèrent la randonnée chantée comme un moyen d’animation locale, et qui font appel à des chanteurs locaux ou plus réputés pour mener les chants, 

        ‐  des associations qui organisent des festivals de plusieurs jours entièrement consacrés à la culture traditionnelle, dans lesquels la randonnée chantée devient souvent un élément fixe de la programmation (souvent le dimanche matin, mais aussi parfois en nocturne). 

 
Il faut ajouter à ces organisateurs associatifs un certain nombre de collectivités locales (communes ou communautés de communes) qui organisent eux‐mêmes un événement ou une série d’événements sur la culture traditionnelle et qui considèrent désormais la randonnée chantée, au même titre que le fest‐noz, comme un outil possible d’animation locale ou touristique.

Fréquence et fréquentation :

S’il n’existe à ce jour aucune étude permettant de donner des chiffres précis, on peut donner des ordres de grandeur. On peut situer la fréquentation moyenne d’une randonnée chantée entre 100 et 200 personnes. On peut considérer un chiffre inférieur comme une randonnée vraiment petite. Des randonnées chantées regroupant entre 300 et 500 personnes ne sont pas rares (probablement une dizaine par an), et certaines peuvent atteindre le millier de personnes, voire plusieurs milliers, dans la région de Redon (dans ce cas, les organisateurs sont amenés à répartir les chanteurs et le public en plusieurs groupes).
En ce qui concerne la fréquence, il est difficile d’avancer des chiffres précis, d’autant plus que la désignation «randonnée chantée» ou «balade chantée» est désormais parfois reprise pour des événements de nature assez différente, certains notamment n’intégrant aucune pratique de « chant à la marche » mais consistant simplement en une promenade agrémentée de chansons, même pas forcément traditionnelles, lors de pauses, ou même en marchant mais sans lien « fonctionnel » entre le chant et la marche. Malgré cela, l’on peut établir de façon certaine qu’il s’organise chaque année en Bretagne depuis environ 1995 au moins 30 à 50 randonnées chantées mettant véritablement en œuvre des airs de chants à la marche recueillis en Haute‐Bretagne. Le chiffre moyen véritable, variable selon les années, se situe probablement pour cette période plutôt au‐delà de 50.

Les randonnées chantées sont généralement organisées sur des chemins de randonnées ou sur des petites routes de campagne, presque toujours en milieu rural. Il existe toutefois quelques cas de randonnées chantées régulières en milieu urbain, notamment à Rennes. Certaines ont lieu également le long de la côte, sur des chemins côtiers.

En ce qui concerne la transmission du répertoire et de la pratique de chants à la marche, la transmission se faisait autrefois par transmission orale et par imprégnation, elle se fait aujourd’hui beaucoup plus par le biais d’ateliers de chant et par des stages (voir la fiche d’inventaire « chant à la marche ». )

En ce qui concerne la pratique d’organisation de randonnées chantées, la transmission se fait évidemment de façon informelle, par imitation : le succès des premières randonnées chantées organisées à la fin des années 1980 et au début des années 1990 par des associations de collecte et de transmission orale a peu à peu incité d’autres associations, mais aussi des chanteurs, à organiser ailleurs des événements sur le même principe.

Ces randonnées chantées sont aujourd’hui à peu près les seules occasions régulières de pratique des répertoires de chants ou d’airs « à la marche ». Même si une partie de ces airs peuvent être chantés dans d’autres circonstances comme simples chants à répondre (lors de veillées, de concours ou de repas notamment), la randonnée reste le seul contexte ou l’on peut véritablement utiliser l’ensemble du répertoire d’airs à la marche et surtout le seul contexte où l’on peut mettre en œuvre le savoir‐faire particulier qui consiste à bien entraîner le mouvement de la marche, à faire « lever le pied» en maîtrisant les subtilités rythmiques et stylistiques. À ce titre, on peut dire que la randonnée chantée est actuellement un lieu de transmission essentiel d’une partie importante du répertoire de tradition orale de Bretagne.

Historique général de la pratique

Historique de l’entreprise, de la personne ou de l’organisme, de la forme d’expression ou de l’espace culturel :
Dans la société traditionnelle, en Bretagne comme ailleurs, les déplacements à pied, collectifs ou individuels, étaient quotidiens (déplacements de la ferme ou du hameau aux champs, déplacements d’une ferme à l’autre pour l’entraide, déplacements au bourgs pour la messe ou le marché, déplacements aux foires, cortèges de noces...). C’est dans ce contexte que se pratiquait le chant à la marche (voir la fiche d’inventaire « Chant à la marche » pour plus de détails).

Actualisation de la pratique ou du lieu

L’habitude des déplacements à pied importants ayant peu à peu quasiment disparu dans le courant du 20 ème siècle, la pratique du chant à la marche a elle aussi failli disparaître. Dans les années 1960‐1970, on pouvait encore entendre quelques chants à la marche dans le contexte de la noce, sur des déplacements extrêmement réduits (de l’église à la mairie le plus souvent), mais c’était déjà devenu quelque chose d’exceptionnel à l’échelle de l’ensemble de la Bretagne dans les années 1980. C’est à la fin des années 1980 que quelques associations de collectage du patrimoine oral, conscientes de la richesse patrimoniale que consistuaient le vaste ensemble des chants à la marche, inventent le concept de la randonnée chantée. Les premières « randonnées chantées » naissent dans le pays de Redon, l’une des régions les plus riches en chant à la marche, à l’initiative du Groupement Culturel des Pays de Vilaine. Cette association qui se consacre à la collecte et à la transmission du patrimoine oral s’efforce, comme quelques autres, de réinventer sans cesse de nouveaux lieux ou contextes d’expression qui soient adaptés à l’évolution de la société et qui permettent au patrimoine oral hérité des générations précédentes de retrouver de nouvelles fonctions, de nouveaux usages. Le chant à la marche n’a besoin pour exister que de chanteurs, de répertoire, et d’occasions de marche en groupe. Le répertoire recueilli était alors déjà immense, les collectes toujours en cours ; les chanteurs et sonneurs habitués à mener des airs « à danser » dans le contexte du fest‐noz et capables de mener des airs « à la marche » étaient nombreux : il ne restait plus qu’à recréer des occasions de marcher en groupe. Or, ces occasions existaient finalement déjà car la randonnée « loisir » était déjà bien développée. Il ne restait donc plus qu’à proposer et promouvoir un type spécifique de randonnée : la « randonnée chantée ». Des associations de collecte comme le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, La Bouèze, Dastum 44, mais aussi un certain de nombre de chanteurs ont beaucoup fait pendant les années 1990 pour répandre et développer les randonnées chantées.

L’intérêt patrimonial majeur de la randonnée chantée réside essentiellement dans le fait que celle‐ci constitue actuellement quasiment la seule occasion régulière et publique de pratique du chant et des airs sonnés « à la marche », qui constituent un pan important du patrimoine oral de Haute‐Bretagne. Au‐delà de la conservation d’un répertoire, la randonnée chantée permet surtout la sauvegarde d’une pratique vivante, collective, largement partagée, d’un savoir‐faire concret, d’une compétence de chant et de musique « fonctionnelle ». Au‐delà de cet aspect principal, la randonnée chantée constitue un contexte d’expression convivial, favorable à la découverte du patrimoine oral en général par le grand public, y compris par l’ajout de pauses, de repas permettant la découverte du conte, de la danse, du chant à écouter, etc.
Les randonnées chantées connaissent des modes de valorisation communs à d’autres types de rassemblement : affichage, presse, internet. Elles bénéficient aussi selon les cas de réseaux de diffusion spécifiques : le monde de la randonnée, les circuits touristiques, ou encore le milieu des passionnés de musique traditionnelle.

On peut considérer que la « randonnée chantée » est en elle‐même une mesure de sauvegarde du « chant à la marche », tout comme le fest‐noz peut‐être considéré comme une mesure de sauvegarde de la danse et des répertoires à danser. Reste que la randonnée chantée, comme le fest‐noz, est devenu en soi une pratique à part entière qui mérite d’être considérée pour elle même. Elle n’a pas fait l’objet jusqu’à présent de mesures spécifiques de sauvegarde. On peut considérer que son avenir dépend essentiellement de la bonne santé générale des associations organisatrices, des festivals, mais aussi des structures d’enseignement de la musique et du chant traditionnel.

‐ Auneau (Jean‐Louis), « Randonnées chantées. La tradition en marche », Musique Bretonne, n°181, novembre 2003, p.9.
‐ Chants à la marche. En Loire Atlantique, édition Dastum 44, 2003 [CD].

Nom de la personne, de l’organisme, de la forme d’expression, de l’espace culturel

La rédaction de la fiche est basée sur la rencontre régulière, depuis 1992, avec plusieurs dizaines, voire centaines d’acteurs de la pratique (chanteurs, organisateurs, public), ainsi que sur l’observation et l’implication directe à tous les stades de cette pratique (participation à plus d’une centaine de randonnées chantées à la fois en tant que chanteur, sonneur et organisateur).

Localisation générale :
Région administrative : Bretagne et Pays de Loire (Loire‐Atlantique).

 

Nom de l’enquêteur ou des enquêteurs : Vincent Morel
Supports audio :
        ‐  Victor Gauthier, Saint‐Julien (Chant de marche accompagné à la vielle), in Sonneurs de vielle traditionnels en Bretagne, édition Chasse‐Marée ArMen, 1993. 

        ‐  Anasthase Darcel, de Coëtlogon (air de marche joué à l’accordéon), in Sonneurs d’accordéon en Bretagne, édition Chasse‐Marée / ArMen, 1994. 


 

 

N° d'inventaire Ministère Culture :  2013_67717_INV_PCI_FRANCE_00309.
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2dk

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : ???

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