Le rakontaz zistoir est une forme de la pratique des contes et légendes spécifique à l’île de la Réunion, en lien avec son peuplement dès la fin du XVIIe siècle par des arrivants de divers statuts et diverses origines géographiques, qui ont créé et utilisé la langue créole.
Le rakontaz zistoir est une forme de la pratique des contes et légendes spécifique à l’île de la Réunion, en lien avec son peuplement dès la fin du XVIIe siècle par des arrivants de divers statuts et diverses origines géographiques, qui ont créé et utilisé la langue créole. Il s’agit d’une tradition, au sens étymologique, des mots latins tradere et transdare (transmettre).
La pratique implique un rakontèr et un public formant une unité, en interaction autour de l’expression de divers ethnotextes : zistoir (mythes, contes, légendes), proverbes, chants, sirandane (devinettes). Le conteur utilise des techniques de base du schéma bouche-oreille, auquel s’ajoute la vue : voix, mi - miques, gestuelle, déplacements. Les zistoir ont une structuration : début et clôture avec une phrase rituelle, cassures, interjections… Leurs personnages se présentent sous la forme d’êtres fantastiques, d’animaux ou de simples êtres humains.
Cette pratique du rakontaz ouvre sur plusieurs dimensions : la collecte, l’écriture, l’édition, le spectacle vivant, l’événementiel, la pédagogie et la recherche. Aujourd’hui, après une phase de déclin dans les années 1960-1970 et le travail de plusieurs individus et institutions pour sa sauvegarde, sa transmission et sa valorisation, de nombreux signes témoignent de l’importance et de la vitalité de cet élément patrimonial : accroissement des praticiens, production importante de documents écrits, audiovisuels et numériques ainsi que le nombre de manifestations publiques autour du conte.
Lieu(x) de la pratique en France
Île de la Réunion
Pratique similaire en France et/ou à l’étranger
La pratique du conte est assez universelle : partout et depuis toujours, on écrit et on raconte. En particulier, le rakontaz zistoir a des points communs avec le conte traditionnel aux Antilles et dans les îles de l’Océan Indien.
Le conte oral est l’ancêtre des deux arts majeurs de la parole : le théâtre et la littérature. La base même de la pratique du rakontaz zistoir est le spectacle vivant (le conte oral), qui regroupe plusieurs activités autour du conte traditionnel. Celui-ci est fait en langue créole, mis en scène, avec le conteur à proximité de son public placé en demi-cercle ou trois-quarts de cercle. L’émetteur et le récepteur sont à portée de voix. Le rakontèr utilise des techniques de base : gestuelle, voix, mimiques, déplacements pour porter ses zistoir, dotées d’une structuration propre :
L’introduction
Traditionnellement, le conteur réunionnais entre en contact avec son public par des formules phatiques. Ce mode de communication joue un rôle essentiel dans l’entretien de la structure sociale dans et par le discours, où les actants font des réaffirmations répétées de leurs propres statuts et de ceux de leurs interlocuteurs, ainsi que de leurs identités et positions sociales (Riley). Cette accentuation du contact −la fonction phatique −peut donner lieu à un échange profus (abondant) de formules ritualisées, voire à des dialogues entiers, dont l'unique objet est de prolonger la conversation (Malinowski et Jakobson). Lors d’une interaction sociale, les participants négocient leurs rôles respectifs, c’est-à-dire sélectionnent les facettes de leurs identités particulièrement saillantes. Le rakontèr lance « kriké ! » ou « krik ! » et l’auditoire répond « kraké ! » ou bien « krak ! » ou encore « shass ! ». Cela correspond à une demande du conteur : « Es-tu prêt, public ? Me donnes-tu l’autorisation de te raconter une histoire ? ». Et la réponse du public a valeur d’accord. Il arrive que le conteur demande simplement si le public est là par un court dialogue : « La sosiété lé là, lé pa là ? » - « Lé là ! » (« Public es-tu là ? - Oui ! ») – « La sosiété lé paré, lé pa paré ? » - « Lé paré ! » (« Public, es-tu prêt ? - Oui ! »). On peut rencontrer des formules de lancement impliquant le temps incertain tels que « lavé in kou », « lavé in foi », « nana lontan, lontan minm »... ou des formules impliquant le temps historique (période esclavagiste, fêtes religieuses...). De même, la notion d’espace peut être incertaine comme « dan in péi déor » (« dans un pays hors Réunion »). Il en est de même pour le contexte historique (nom d’une ville, d’un bassin...).
L’interaction
La présence d’un auditoire est indispensable : on ne raconte pas sans public. Cette forme de littérature orale instaure une interaction entre émetteur et un ou des récepteur(s) qui doivent manifester leur présence. À la différence d’autres conteurs, le rakontèr de La Réunion transmet ses contes, ses histoires au travers des sons de sa gorge, mais aussi au travers des roulements de ses yeux, de son ventre, les gestes portés par ses mains, ceux du public et les silences. Il est dans le mouvement, la discussion, l’interaction. Dans un bon conte créole, les gens peuvent entrer dans l’histoire. Le « kriké kraké » est fait pour ça… « Kriké… » (« Madame, qu’est-ce qu’il y a ? »). C’est une formule pour que le conteur aussi puisse faire une digression, sortir de son histoire et pouvoir y retourner ensuite.
La relance
En cours de rakontaz, l’échange des formules phatiques permet de casser le rythme du conte, d’éviter que s’installe la monotonie, de créer un certain suspense ou encore de réveiller ceux qui ont laissé leur imaginaire sommeiller ou s’égarer. Parfois, c’est un moyen pour le conteur de faire une pause ou de remettre de l’ordre dans sa trame. Ces formules créent l’interactivité avec le public. Ainsi, au milieu du récit, on peut entendre « Alor kriké kraké ?». Ce sont des formules que l’on retrouve ailleurs (« cric crac », en Haïti), dans les contes africains, malgaches, et les autres contes créoles. En fait, ce sont des formules pour relancer, réveiller les gens aussi. On peut aussi entendre « koton mayi i koul, morso savon i flote » (« Le rafle de maïs coule et le savon flotte »). Ou bien, on a des formules : « Ben, je suis allé… demander un morceau de viande et on m’a flanqué un coup de pied au derrière ; j’ai fait sept roulades, trois sans-touches, et je suis tombé devant toi, et c’est pour ça que je suis venu te raconter cette histoire-là ».
Lorsque l’on raconte des histoires, il est fréquent de dire aussi des sirandane, ou zedmo, formes de devinettes pratiquées en langue créole, dans les îles telles que Maurice, les Seychelles, Rodrigues et La Réunion… Elles se pratiquent aussi en commençant par des formules du genre Sampek ! à Maurice ou Kosa in soz ? (« Quelle est cette chose ? ») à La Réunion. Le mot sirandane pourrait être d’origine makwa, au Mozambique : cirandani, de cira (= biographie) et n’dani (= dans la cour, la chambre ou la maison), qui pourrait signifier zistoir la kour. Les sirandane - kosa in soz ? - évoquent principalement la nature et ses éléments. Le conteur peut lancer quelques rappels de « faits culturels » ou des faits historiques pour insérer une sorte de trait d’union intergénérationnel et pour permettre la compréhension et donc l’intérêt des nouvelles générations pour ces récits.
La fin
La fin de l'histoire à La Réunion est nécessairement heureuse ; elle se justifie par le fait que, par le passé, les Réunionnais vivaient dans le dénuement et trouvaient dans le conte une échappatoire à leur condition. La fin de l’histoire permet aussi d’expliquer, avec de nombreuses variantes, comment le conteur est arrivé au milieu de l'assemblée pour leur raconter l'histoire. Parfois, le conteur place une petite leçon de morale à la fin de son histoire. Il peut aussi lancer une formule du genre : Si zistoir lé mantèr, la pa moin lotèr (« Si l’histoire est fausse, je n’en suis pas l’auteur ») ou Si zistoir lé mantèr, la pa moin lotèr, granmoun lontan lotèr (« Si l’histoire est fausse, je n’en suis pas l’auteur, ce sont les anciens qui en sont les auteurs »). À la fin du conte, on entend souvent la phrase suivante : Bann-là la done amoin in koudpié dan mon dèrièr, moin la fé in voltaz, moin la tonm tèr-là pou rakonte azot... (« On m’a donné un coup de pied au derrière, j’ai fait un vol plané et suis retombé là pour vous raconter... »). Cette phrase annonce traditionnellement la fin de l’histoire. Elle est le plus souvent amenée par un événement festif, des agapes auxquelles le conteur, se mettant en scène, voulait participer en vain. Elle veut, peut-être aussi, affirmer que le rakontèr a été un témoin de tout le zistoir, qu’il a vu ces événements de ses propres yeux. Les personnages des contes créoles sont appelés à vivre de multiples aventures et se présentent sous la forme d’êtres fantastiques, animaux ou simples êtres humains. On voit aussi apparaître quelques éléments naturels, tels que l’eau, le feu, le bois, la terre... ou des objets merveilleux, mais aussi des lieux empreints d’histoire et de culture, tels que le volcan, les bassins, les rivières, les cavernes, les intersections (kroizé shemin). Enfin, certains personnages sont des personnages fabuleux, tels que bébèt (bête, monstre), mové zam (mauvaises âmes), ... Dans le conte, en général, tous les personnages sont bien typés.
Les contes et légendes réunionnais impliquent des personnages humains tels que Granmèrkal, Ti- Zan, Grandiab, Madam Débasin (Madame Debassyns), Sitarane, le kondané (prisonnier évadé), Zite, l’autostoppeuse de la route de La Corniche, la danseuse de la boîte de nuit, Namkuitkuit, Tié 7- blès 14 ... R. Chaudenson classifie les contes créoles de la Réunion en trois grandes catégories :
• Le cycle de Petit Jean et de Grand Diable
Celui de Ti-jean est le plus répandu parmi les personnages humains. Il a souvent le même rôle que compère Lièvre. Ce petit garçon malin, débrouillard, pauvre, « patte à terre », malin se sort de toutes les situations avec ingéniosité. Il n’hésite pas à affronter plus puissant que lui, le roi, son oncle, grandiab ou Granmèrkal. Il utilise pour forcer la chance des procédés quelquefois réprouvables. Ainsi, dans Ti-Jean et la queue du boeuf, il n’hésite pas faire tuer la femme du roi. Ce héros important se retrouve dans d’autre pays créoles (Maurice, les petites Antilles, Seychelles, Rodrigues), au Québec et même aux Comores.
• Le cycle des contes d’animaux
Chacun est centré sur les aventures d’un héros à morphologie animale. Lièvre est le plus populaire. Il est rusé, malin, le plus débrouillard. Quelques animaux sont aussi présents localement, tels la tortue, le coq, le tangue (genre de hérisson), la couleuvre... On peut même retrouver le singe.
• Le cycle des contes merveilleux et romanesques
Aujourd’hui, le conte de tradition orale garde tout son attrait, son originalité, sa vitalité, parce que, sous son aspect ludique, il aborde des questions existentielles, philosophiques ou morales et met en éveil des fonctions mentales importantes, comme la compréhension, l’imagination, la mémoire. Les thèmes des contes créoles sont universels et se retrouvent dans tous les contes du monde : les sentiments affectant l’être humain en positif et en négatif, l’amour, l’évolution amoureuse de la naissance jusqu’au déclin, l’évolution de l’individu, les rapports de force, la promotion sociale, la faim, la peur, la défaite, les moyens utilisés à cet effet (la ruse, la débrouillardise, la méchanceté…).
L’universalité des contes
La logique des zistoir créoles ressemble à celle des contes d’ailleurs : transformations des personnages, transfigurations, utilisation d’objets magiques. L’impossible devient facile, d’un seul coup, car l’obstacle, d’abord invincible, cède soudain sans qu’il y ait proportion entre le travail et l’effort. Le héros ne combat jamais à proprement parler. En outre, les contes d’animaux sont plus proches des fables. En effet, en dépit de la fiction, tout se termine selon les lois naturelles. Le monde extérieur ramène aux réalités physiques. Dans les contes, ainsi que dans les proverbes, des éléments du contenu dépassent le cadre de référence de l’aire culturelle créole de la réunion. L’opposition entre force et faiblesse, bêtise et intelligence, crédulité et ruse n’est pas spécifiquement créole. En outre, les caractères des personnages sont généralement durcis et immuables dans leurs vertus et leurs vices. Le monde des contes paraît tranché entre les bons et les méchants. Cependant, dans le monde moral des contes créoles, ce n’est pas tant l’opposition entre bons et méchants qui semble primordiale, mais celle qui apparaît entre débrouillards et puissants.
Les spécificités
On trouve dans les zistoir créoles l’univers physique et quotidien d’une société rurale : le monde tropical avec ses plantes spécifiques (bananier, manguiers, champs de canne à sucre...), ses animaux domestiques (cochon, chien, cabris…) en toile de fond. Le sens profond des contes créoles, malgré l’intégration dans le corps du récit d’éléments procédant à la fois des contes populaires européens et africains, se réfère à l’histoire particulière des sociétés esclavagistes et coloniales de La Réunion. Le conte a un aspect symbolique. Il traduit les relations de pouvoir : les petits et les faibles contre les forts et les maîtres, la revanche des opprimés par des actes non conformes au système dominant… Les histoires peuvent être considérées comme une possibilité d’évasion par la parole, une réponse à une situation contraignante de dominant-dominé. Le personnage est confronté à des épreuves parfois à caractère initiatique pour mettre à jour une morale. Ce que le spectateur ne peut pas vraiment faire dans la vie, il peut le faire symboliquement dans le conte. Ainsi, Ti-Jean, un peu faible, devient plus fort que le Grand-Diable qui représente, soit le Gros-Blanc à l’époque de l’esclavage, soit le patron ou le père, la mère qui peut jouer un rôle de persécution, mais à qui on ne peut pas répondre. Le conte représente le dominant face au dominé, mais on peut y renverser le système. On peut voir émerger un nouveau système de valeurs où l’identification au Blanc, au maître, n’est plus de mise. Les héros qui se tournent vers la solution de ruse sont des éléments médiateurs, situés entre la nature sauvage et la culture réglementée des maîtres. On trouve souvent dans les contes une critique sociale ou un contenu avertisseur. C’est aussi une réponse à une situation contraignante de misère et de famine. Il y a souvent à manger dans les histoires car celles-ci ont pris naissance au temps de l’esclavage où les dominés étaient rationnés (il a fallu une loi, une ordonnance, une circulaire ministérielle et un arrêté du gouverneur en 1845-1846 pour que le maître donne à chacun de ses esclaves 6 livres de farine de manioc et 1,5 kg de morue par semaine). Même après l’abolition de l’esclavage, beaucoup de gens souffraient de malnutrition. Ils mangeaient du manioc, mais rêvaient de viande. Dans le conte, la viande devient réalité. On décrit la nourriture, « cette obsession des ventres vides » (Aimé Césaire). On raconte avec force détails des repas plantureux.
On dit « Ah, on avait de quoi manger hein ! On avait quoi ?... On avait des saucisses, on avait du boukané (viande fumée), on avait des langoustes… ». En fait, on exagérait souvent, mais la nourriture apparaît comme un élément magique, qui permet au faible de triompher du fort et d’oublier sa peur.
Très majoritaire est l’utilisation de la langue créole par les conteurs de La Réunion, surtout quand ils pratiquent à La Réunion. En général, ils accordent un grand respect à la langue créole, à sa syntaxe, à ses expressions, jouant ainsi un rôle important dans sa transmission. Le projet de plusieurs écrivains et conteurs d’aujourd’hui est de créer les conditions de développement d’une littérature en créole. La langue créole s’exprime avec une nouvelle génération de « raconteurs et écriveurs » qui ont réveillé tant d’expressions créoles longtemps délaissées. Toutefois, des contes créoles peuvent être racontés en français devant des publics non créolophones, mais en respectant les codes et spécificités du rakontaz kréol.
Le créole réunionnais
Patrimoine bâti
Sans objet
Objets, outils, matériaux supports
Accessoires, tels que chapeau de paille et bertel (sac à bretelles), et instruments de musique, traditionnels ou non, livres de contes, CD et films, clips sur plateformes numériques.
Aux origines, le souci de la transmission est une question de survie pour les individus et les groupes déracinés voulant, après avoir sauvé une partie de leurs liens mémoriels avec la civilisation d’origine, transmettre ceux-ci à leur postérité. Cela se passe donc dans les familles et dans les groupes de même origine par mimétisme. Les futurs conteurs apprennent en copiant les anciens.
Le rakontaz zistoir naît au sein des familles. Un granmoune (ancien), un adulte conte devant un auditoire plus ou moins large selon les moments de la vie familiale (veillées, enfermement à cause des cyclones, couchage des enfants…).
La pratique est perpétuée au sein de cercles familiaux ou de voisinage pendant la période de la colonisation, avant et après l’esclavage. Les années 1960 et la généralisation de l’audiovisuel amènent un déclin de cette tradition qui est, toutefois, pratiquée par quelques rares conteurs. Puis les collectes faites par les universitaires permettent une transmission par les enregistrements sonores des zistoir suivis de leur transcription par des écrivains animés soit par un esprit de recherche identitaire, soit par nostalgie du temps passé ou encore par l’anti modernité. Dans les années 1970, ces quelques pionniers sauvent cette tradition orale grâce à une collecte de contes, à leur enregistrement sur bandes magnétiques puis à leur transcription.
À partir des années 1980, l’activité trouve un regain. Plusieurs conteurs et écrivains sortent le conte du cadre familial pour l’amener dans la sphère publique à travers des spectacles vivants, des manifestations et des publications écrites. Le souci de renouveler et d’augmenter le cercle de praticiens-rakontèr a amené la codification de la pratique, la création de référentiels pédagogiques et la mise en place de sessions de formation spécifiques.
Les précurseurs de ce renouveau, Anny Grondin, Daniel Honoré et Sully Andoche, mettent en place des formations qui élargissent le cercle des pratiquants, notamment vers la sphère des activités périscolaires et de vacances. Ils organisent depuis douze ans, avec le soutien de l’UDIR, un stage annuel pour « initier des jeunes et moins jeunes » poussés par le besoin de transmettre en créole l’héritage de cette facette essentielle de la culture réunionnaise. Ces stages ont pour objectifs principaux :
- l’acquisition de techniques de base (travail de la voix, des déplacements, du regard, de la gestuelle, de la mémorisation…) ;
- le contact avec les sources originelles du conte réunionnais (Madagascar, Afrique, Inde, Chine, Océan indien) ;
- l’ouverture culturelle autour du conte, en liaison avec les aspects de la tradition orale (proverbes, devinettes…). Cette ouverture a pour but de permettre aux stagiaires de retrouver les pratiques des anciens. Ils sont amenés à revivre certains moments de contes autour des grands-mères et des grands-pères, assis sur le rebord du lit le soir, ou sur un petit siège bas (ti-ban), dans la cuisine devant un feu de bois. Ces granmoune ne se déplaçaient que très rarement, n’élevaient guère la voix, n’usaient presque pas de gestes forcés.
Dans ces stages, on n’encourage pas à copier les contes d’ailleurs en les adaptant au contexte réunionnais, mais on incite à rechercher les repères du conte réunionnais, à découvrir, entendre, de la bouche même d’un rakontèr, des zistoir de La Réunion et d’ailleurs (Inde, Madagascar, Chine…), avant de passer à une phase de création. Des formations de parents conteurs ont été mises en place à Salazie (Mare à Citrons) et Saint-Benoît (Girofles et Bras fusil) et ont fait naître des associations. La fédération Kozé Conté a aussi - en particulier Josie Virin, Daniel Bergeault et Daniel Lauret - le souci de la transmission. Leur projet est de mettre le conte dans les écoles. Aussi, ils ont fait inscrire au Plan académique de formation 2017-2018, destiné aux enseignants titulaires des 1er et 2nd degrés, un stage intitulé « De l’oral à la littérature locale », qui aborde : la découverte de l’oralité, la matière et les symboles des contes, leur structure et leurs personnages, les supports en créole réunionnais. Dans ce Plan de formation, deux modules contribuent à la transmission du rakontaz : « Écriture, poésie et conte » et « Réaliser un conte multimédia ».
De son côté, Isabelle Hoarau, qui a débuté le conte en 1986 et écrit Contes de la Réunion, anime aussi des stages de conte. Des modules spécifiques ont aussi été mis en place pour des guides péi, tandis que de nombreuses formations de lutte contre l’illettrisme prennent comme support le conte traditionnel.
Tous les praticiens-formateurs défendent à la fois les valeurs universelles et celles du Viv an kréol, fait de sagesse, de solidarité, de partage, d’accueil et d’hospitalité.
Mais la meilleure promotion et transmission du conte s’effectue par le spectacle vivant, les manifestations culturelles et l’événementiel, qui montrent la pratique en situation idéale. Les dates-clés où on fait appel aux rakontèr sont : les journées européennes du Patrimoine, le vin désanm (fête de l’abolition de l’esclavage en 1848), la Semaine créole, Noël… Certains médias contribuent à la transmission. La télévision locale RFO a diffusé de 1990 à 1992 une séquence de contes, Kriké Kraké dans l’émission « Fil Rouge », animée par Anny Grondin, puis a passé le relais à la radio (Marmay la di ; « La tête dans les étoiles »), média plus adapté au rakontaz. Hémisphère Prod a réalisé en 2009 l’émission « kosa i rakont ?», avec des contes de 12 minutes filmés dans une cour (Anny et Sully/Véronique et Sergio Grondin). Une dizaine d’entre eux a été diffusée.
Le lieu privilégié de la transmission demeure l’école. Depuis les années 1970, des réflexions sont menées autour de la place du créole dans l’école. Des enseignants et des pédagogues agissent dans un milieu peu propice à cette prise en compte. Depuis la reconnaissance officielle du créole comme langue régionale de France en 2000, la politique des instances académiques concernant le développement progressif des dispositifs de sensibilisation ou d’enseignement de la Langue et Culture régionales favorise pleinement la reconnaissance du rakontaz zistoir sur le plan de la transmission patrimoniale ou comme outils supplémentaire au service de la réussite des élèves.
Pour le moment, moins d’un quart des élèves bénéficie de ces dispositifs, mais les actions telles que « enfants conteurs » laissent présager une réelle progression de la reconnaissance des contes créoles dans les écoles réunionnaises. Les Rencontres académiques des élèves-conteurs ont pour objectif de valoriser le conte, la création, l’art de la parole en français ou en créole de La Réunion.
Elles encouragent les élèves à écrire ou travailler un conte existant, puis à l’oraliser. Elles s’adressent aux élèves de CM1, de CM2 et de 6e dans le cadre du cycle 3. Les enseignants peuvent travailler le conte avec leurs élèves en classe entière, en groupe, en atelier ou en club dans le cadre d’une pratique artistique et culturelle en classe ou en atelier. Ils peuvent bénéficier d’un conteur ou d’un intervenant artistique et culturel dans le cadre d’un parcours d’éducation artistique et culturelle (lecture, écriture et oralité).
L’université de la Réunion propose une Licence de créole ainsi qu’une unité d’enseignement préprofessionnel « Langue et culture créoles dans la formation des enseignants ». Un certificat d'aptitude au professorat du second degré (CAPES) créole existe depuis 2002.
La pratique du conte comporte deux courants : l’un, traditionaliste, sur les thématiques et les personnages ; l’autre, plus innovant, s’inspirant de pratiques exogènes. Cette tendance est favorisée par l’ouverture créée par les festivals ou rencontres, où sont régulièrement invités des conteurs de la zone Océan indien ou d’ailleurs.
L’évolution de la pratique
Le conte est passé de la cour, de l’espace privé à l’espace public. Les conteurs se sont adaptés en utilisant des techniques de mise en scène ou issues des arts de la parole et adaptées à ces nouveaux lieux ouverts. On assiste à la conquête de nouveaux espaces (expositions, médiathèques, piknik, sentiers…), avec un retour vers le privé (TNT).
Les lieux et moments de contes ayant changé, la nouvelle génération de conteurs a évolué dans sa pratique de rakontaz, même si la référence reste celle des anciens. Ainsi, les contes traditionnels, que l’on croyait disparus de la mémoire des Réunionnais au profit de la télévision et des nombreuses autres technologies de l’information et de la communication, continuent à être valorisés et transmis.
Le conte vient du passé, mais va vers le futur en recherchant de nouvelles formes d’expression. Il veut être résistant, caméléon. On ne parlait pas avant de spectacle de contes. On mélange aujourd’hui le conte avec le numérique (dessins animés de Pipangay…) ou avec d’autres arts : dessin, peinture, danse, musique…
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