Les savoir-faire, les pratiques et valeurs de la cueillette dans le massif des Bauges sont un héritage vivant des communautés locales. Une mémoire longue s'exprime dans la connaissance des plantes spontanées, fleurs, racines et champignons. Salades, soupes, ragoûts, tisanes, liqueurs et autres préparations sont le fruit de connaissances du milieu naturel, soins aux pratiques de cueillette, de transformation et de conservation au fil de saisons.

Les savoir-faire, les pratiques et valeurs de la cueillette dans le massif des Bauges sont un héritage vivant des communautés locales. Une mémoire longue s'exprime dans la connaissance des plantes spontanées, fleurs, racines et champignons. Salades, soupes, ragoûts, tisanes, liqueurs et autres préparations sont le fruit de connaissances du milieu naturel, soins aux pratiques de cueillette, de transformation et de conservation au fil de saisons. Apportant une revalorisation des gestes locaux de cueillette, ancrés dans les mémoires et le vécu social, ces pratiques sont aujourd’hui réappropriés par les anciens et nouveaux habitants, ainsi que par l’implantation d’une filière professionnelle dynamique.

Plusieurs communautés, groupes et individus ont été identifiés sur le massif des Bauges comme porteurs des savoirs et savoir-faire de cueillette : cueilleurs particuliers, amateurs et personnes expérimentées, professionnels-producteurs-cueilleurs de plantes aromatiques et médicinales ou accompagnateurs en montagne, associations et autres organismes.

Chaque communauté locale a ses cueilleurs expérimentés, tels Frédéric Pegeot, Raymond Berthoud à Bellecombe-en-Bauges ; Bernard Collombo à Arith ; Christiane Fressoz à La Compôte-en-Bauges ; Chantal Rabaud à Curienne ; Marisie Moine à La Motte-en-Bauges. Ces habitants pratiquent systématiquement cueillette et ramassage des plantes, fruits sauvages ou champignons, préparés en cuisine ou conservés en bocaux, tisanes et liqueurs.

Depuis la fin des années 1990, plusieurs producteurs et/ou cueilleurs de plantes aromatiques et médicinales se sont progressivement installés sur le massif et y ont développé une filière dynamique. La création de ce réseau de praticiens et d'experts marque un renouveau des pratiques de cueillette. Tisanes, liqueurs, apéritifs, sirops, confitures, baumes, huiles, macérats et hydrolats sont fabriqués dans ces exploitations. On compte actuellement une dizaine de professionnels sur le territoire du massif des Bauges : L’Herbier de la Clappe au Noyer, Le Sanglier philosophe à Cusy, Les Oréades des Bauges et Label’Ortie à Jarsy ; l’Asinerie et Plantes du Cul-du-Bois à Doucy-en-Bauges ; Artémisiane à La Compôte ; À l’Aunée des Bois à Aillon-le-Vieux ; les Plantes du Puits des Fées à Curienne ; Florizane à Cléry ; le Domaine des Anges et le Jardin d'Arclusaz à Saint-Jean-de-la-Porte.

 

Le réseau des producteurs est particulièrement fort et soudé au sein du massif. Il a eu un rôle moteur dans la reconnaissance des savoirs et du métier de cueillette en Savoie grâce à son engagement, on pense notamment à son implication dans la publication de l’ouvrage Cueillette de mémoires. Histoire d’hommes et de plantes (2012) ainsi que dans la création du Syndicat des producteurs de plantes de Savoie. La majeure partie de ces producteurs est regroupée au sein de ce syndicat, créé en 2004, qui réunit des acteurs travaillant dans de petites structures installées en zone de montagne dans les départements de Savoie, Haute-Savoie, Ain et Isère. Le syndicat est un lieu important d’échange entre producteurs et œuvre pour la reconnaissance du métier.

D'autres professionnels, tels que les accompagnateurs en montagne, sont porteurs de savoirs naturalistes et acteurs de leur transmission.

Le massif des Bauges est enfin le lieu d'activité de diverses associations, créées dans l’objectif de préserver l'environnement et mieux connaître les milieux naturels, les plantes et leurs utilisations. Ainsi, l'association Calenduline s’intéresse aux plantes et à leur utilisation dans notre quotidien (santé, alimentation, jardin, teinture, etc.). Elle propose une formation complète, animée par Françoise Philidet, pour apprendre à observer et reconnaître les plantes spontanées et leurs propriétés médicinales. Elle organise également des ateliers de découverte et de cuisine des plantes sauvages comestibles, avec Solange Regnaud, Sophie Dodelin ou Muriel Lallée, au Gite des Landagnes, à École.

L’association « Jardin du Monde Montagnes », à Entremont-le-Vieux (Savoie), œuvre pour la sauvegarde et valorisation des pharmacopées traditionnelles et du patrimoine ethnobotanique des territoires de montagne. Elle a collaboré avec les producteurs-cueilleurs de plantes aromatiques et médicinales des massifs des Bauges et de Chartreuse pour des travaux de recherche et l’édition du livre Cueillettes de mémoire. Histoires d’hommes et de plantes (PNR du Massif des Bauges / PNR de la Chartreuse, 2012).

Lieu(x) de la pratique en France

Massif des Bauges (Savoie et Haute-Savoie, région Auvergne-Rhône-Alpes)

 

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

Les pratiques de la cueillette constituent un héritage attesté dans tout l’arc alpin et, de manière plus générale, appartiennent à l’histoire des différentes civilisations. Grâce aux cueillettes, l'homme a vécu et survécu depuis son apparition sur terre : il s’agit donc d’un patrimoine culturel immatériel majeur des sociétés rurales, dans les plus différents milieux naturels. Ces anciennes pratiques communautaires trouvent un sens social fort et renouvelé dans la société contemporaine, en quête de nature et de nouveaux modèles de vie et de développement durable, au sein des Alpes et plus généralement en Europe.

« Avant, c'était la nature, ils marchaient qu'avec la nature… ». Dans le massif des Bauges, les activités de cueillette ont permis de vivre en lien étroit avec la nature et les saisons : cueillir des herbes, feuilles, racines, fleurs, ramasser des fruits des bois et des champignons, se soigner, soigner les animaux ou préparer des traitements pour le jardin. Au fil de l’histoire, les pratiques de cueillette perdurent et de nouvelles activités apparaissent et se développent. Loin des activités étroitement soumises aux logiques de rentabilité, la cueillette dessine des espaces-temps de liberté, en lien avec la nature. Les cueillettes suivent le rythme des saisons. Le printemps est une saison propice aux herbes, jeunes pousses et feuilles, l'été aux fleurs et fruits, l'automne aux fruits, racines et champignons. Le cueilleur détient les connaissances liées à la période de cueillette de chaque espèce végétale. Les activités de cueillette, par le contact avec le vivant, favorisent le développement de sensibilités, capacités et facultés mobilisant tous les sens : savoir détecter les changements suivant le rythme des saisons, connaître et reconnaitre la diversité des milieux naturels. Se faire experts des aléas climatiques, implique une attention constante aux changements.

Dans un pays riche de sa flore diversifiée et dans l’évolution permanente des styles de vie, ce patrimoine fait l'objet d'un renouveau. Une filière professionnelle est aujourd’hui présente dans le massif. Ses acteurs combinent cueillettes sauvages et cultures de plantes aromatiques et médicinales. De par leur activité même, mais aussi grâce à des ateliers qu'ils mettent en place, et à leur présence sur les marchés, ils sont aussi responsables d’un important travail de sensibilisation aux savoirs et usages de la nature.

Les cueilleurs du massif sont praticiens traditionnels, amateurs ou professionnels. Chaque cueilleur et producteur a ses « plantes fétiches » et leurs connaissances les emmènent dans des longs parcours à travers différents milieux naturels. Jean-Luc Neyret sait où trouver les framboises. Jacques et Isabelle Vial-Dury suivent les chemins vers les lieux de floraison de l'aspérule odorante. André Gallice connaît le moment et les lieux où poussent les cressons. Philippe Durant est passionné par l’arquebuse, Louis Petit-Barat raconte la magie des rosés des près, bien présents dans la mémoire locale : « les rosés des prés, c'est… dans le temps, quand il y avait la foudre, le tonnerre, les éclairs. La foudre, elle tombait jusque par terre et, là où elle tombait, ça faisait des cercles noirs. L'herbe, au lieu d'être claire, elle était un peu foncée, et bien là-dedans, il y avait plein de champignons … » [témoignage de Louis Petit-Barat, Aillon-le-Jeune, 15 juillet 2016].

Plantes, fruits et champignons de la montagne vivent au sein d'écosystèmes façonnés par les activités humaines. Au fil du temps, le processus de domestication a brouillé les frontières entre sauvage et domestique. Le jardin, espace domestiqué et intimement lié à l’homme, est un lieu de médiation. Ici, peuvent être cultivées des plantes spontanées ramassées en nature, dans des milieux bien spécifiques. C’est le cas du ramponnet communément appelé mâche. Difficiles aujourd’hui à trouver dans les champs, on les retrouve semés dans les jardins.

Les herbes cueillies aux alentours des villages et parfois repiquées dans le jardin étaient et sont fortement présentes dans l’alimentation traditionnelle, dans une savante alternance de cru et de cuit. Mâche sauvage, pissenlits, bourrache et cresson se mangent en salade. « Le cresson, ça pousse dans l'eau, dans les marécages. Il y a une petite source, elle court lentement dans le champ, ça pousse des cressons. Il y a eu un moment, il faut laisser le temps de pousser, je ne sais pas, début mai… ils allaient ramasser le cresson » [témoignage d’André Gallice, La Motte-en-Bauges, 16 juin 2016]. L’on retrouve orties, chénopode Bon-Henri, renouée bistorte, oseilles et plantains comme « épinards sauvages » dans les soupes traditionnelles et les ragoûts : « on faisait la soupe avec des orties, des pissenlits, voilà. Je le fais toujours ». Les prairies sont un espace de cueillette, on y ramasse les pissenlits, le plantain ou la reine des près.

 

Les forêts sont lieux privilégiés de cueillette des fruits des bois et des champignons. Les enquêtes menées pour l’inventaire ont permis de relever une variété d’utilisations actuelles des fruits et champignons, ainsi que d’une multitude de plantes non cultivées, feuilles et racines aux usages diversifiés : herbes aromatiques, herbes à tisanes, herbes à manger en salade, herbes à cuire ou à conserver dans l’huile…

Ces activités suivent le rythme de saisons, déterminant un patrimoine de savoirs : moments propices à la cueillette selon les saisons et les horaires de récolte, mise en culture de plantes spontanées du massif, connaissances approfondies de chaque espèce végétale, usages culinaires et médicinaux.

« Moi les champignons, j'aime autant les ramasser que les manger. C'est mon plaisir de les ramasser, c'est une passion… » [témoignage de Raymond Berthoud, Bellecombe-en-Bauges, juillet 2016]. Si les champignons étaient considérés comme un mets précieux, destiné à la vente ou que l'on cueillait pour le donner en cadeau au curé et à l'instituteur, au fil du XXe siècle beaucoup de plats à base de champignons ont été élaborés pour les touristes, tels que le gâteau de foie aux champignons de la « Dédée » Châtelain à La Compôte. La passion de la cueillette se transmet aujourd’hui dans une relation de plaisir, par des passionnés, comme Raymond Berthoud de Bellecombe-en-Bauges, agriculteur et montagnard à la retraite.

Pour les professionnels des plantes aromatiques et médicinales, le printemps est le temps de la récolte de feuilles pour préparer les tisanes, les sirops, les liqueurs, les aromates. C’est le temps de sécher les plantes au séchoir. Pour les praticiens, c’est le début de la saison des morilles et le moment de ramasser l’ail des ours et autres herbes comestibles. Les jeunes pousses de sapin sont utilisées pour en faire des liqueurs ou sirops. La fleur de sureau est appréciée dans le massif pour la préparation de sirops et apéritifs.

L’été, c’est principalement le moment des fleurs, utilisées en médecine traditionnelle pour les tisanes, baumes, huiles, ou en cuisine en salade. En été, on ramasse les fruits de bois, on prépare des confitures, on peut encore ramasser des feuilles et des champignons. Dans la cuisine quotidienne, on retrouve framboises, fraises et myrtilles, servies au sucre et au vin ou en garniture sur de grandes tartes et gâteaux, comme l'épogne aux myrtilles d’Entrevernes (Haute-Savoie). La fin de l’été et l’automne sont des moments fort de cueillettes. Champignons, racines de consoude, guimauve et gentiane pour les liqueurs, fruits comme les cynorhodons et les châtaignes.

Les activités de cueillette impliquent de nombreuses compétences de conservation et transformation de plantes, fruits et racines, champignons. Les pratiques de séchage des plantes pour en faire des tisanes sont populaires, leurs vertus médicinales bien connues : le tilleul pour le sommeil et contre l'angoisse, le thym pour les problèmes respiratoires et intestinaux, les feuilles de ronces contre le mal de gorge ou la grippe, la camomille contre les problèmes digestifs et inflammations, les racines de chiendents sont diurétiques, la pensée sauvage ouvre l'appétit, le serpolet ou thym sauvage œuvrent contre les rhumes, le pissenlit et l’ortie sont reconnus pour leurs vertus diurétiques et dépuratives. Certaines croyances sont bien vivantes. Ainsi, on conseille, lorsque l’on est malade, d’infuser un nombre impair de fleurs pour que la tisane soit efficace. « On a des fleurs de camomille pour faire la tisane, si des fois je suis gênée. Il faut mettre un nombre impair de fleurs, trois ou cinq » [témoignage de Marie-Louise Challamel, Entrevernes, 22 juillet 2016].

Enfin, les savoir-faire de macération pour la fabrication de liqueurs et distillation des racines fermentées, comme la gentiane, impliquent des compétences et des outils particuliers. On peut faire macérer des plantes et fruits dans la gnôle. « Ils mettaient beaucoup de plantes dans la gnôle : le genépi, la vulnéraire, les prunelles, les myrtilles. Ils disaient : "J'ai mal au ventre aujourd'hui, il faut que je prenne un peu de myrtilles !" ».

Le français est désormais parlé couramment dans la pratique. Le patois local est parlé par certains cueilleurs et est fortement relié aux connaissances traditionnelles locales. Aller cueillir est sans aucun doute une pratique qui contribue à la transmission et revitalisation du patois et langues locales. Le latin est aussi utilisé pour les noms des plantes, entre professionnels, quand il s'agit d'être précis sur le partage d'une connaissance.

Patrimoine bâti

Autrefois, les granges, utilisée pour stocker le foin, étaient également le lieu pour faire sécher et conserver les plantes. Aujourd’hui, les producteurs et cueilleurs professionnels sont équipés d’un séchoir électrique et d’un lieu où conserver les stocks.

 

Objets, outils, matériaux supports

Pour la cueillette, les praticiens utilisent un ensemble d'outils : paniers, couteaux, ciseaux, bâtons de marche, séchoirs ou cadres de séchage sont les instruments simples et nécessaires au cueilleur. La boîte à outil du cueilleur n’a pas évolué avec la mécanisation et les nouvelles technologies. Les mains, le corps et les sens du cueilleur demeurent en contact direct avec son environnement. Il existe des outils spécifiques à certaines cueillettes, comme le peigne pour les myrtilles, interdits à certaines époques pour éviter d’abîmer les plantes et de sur-cueillir. Des paniers en osier, paille, frêne, noisetier ou autres essences sont souvent utilisés. À la suite de la disparition des lieux traditionnels d’apprentissage et échange de la vannerie par tradition orale, comme les veillées, des ateliers et stages de fabrication de vannerie s’organisent depuis quelques années dans le massif.

Les savoir-faire de macération pour la fabrication de liqueurs et la distillation des racines fermentées, comme la gentiane, impliquent des outils particuliers, tel que, entre autres, l’alambic. Chez Yves Charvat à Broissieux, par exemple, tous les ans, le rituel de la récolte de la gentiane pour en faire la liqueur se renouvelle entre amis. Des anciens sacs de la poste, une vieille bétonnière pour laver les racines, un broyeur, des paniers et des tonneaux sont recyclés pour la préparation des racines.

Traditionnellement, les savoir-faire et connaissances de la cueillette se transmettaient au sein du cadre familial et de voisinage, par voie orale et par l'expérience. Les adultes transmettaient aux enfants les savoirs naturalistes dès le plus jeune âge. Les enfants apprenaient à reconnaître une plante, ses bienfaits, où la trouver et comment l'utiliser. Ils partaient ramasser des fruits des bois, des champignons et des escargots autour de la maison. La génération des anciens du massif témoigne d'une époque où les parents et grands-parents détenaient de nombreux savoirs. Certaines pratiques se sont transmises entre les générations et au sein des communautés. La génération âgée de 40 à 50 ans transmet le souvenir de balades en famille pour aller cueillir champignons et fruits de bois. Aujourd'hui, certains cueilleurs partagent leurs connaissances dans le cadre familial. Frédéric Pegeot, habitant de Bellecombe-en-Bauges et passionné de cueillette, emmène régulièrement son fils aux champignons. Comme son père l'avait fait pour lui à l’âge de 20 ans, il a offert à son fils un bâton de marche gravé, dans un geste symbolique de transmission. La transmission des savoirs sur les plantes, leurs vertus médicinales et leurs utilisations semble avoir été plus difficile, du fait de l'évolution des modes de vie et du développement de la pharmacopée moderne. Certaines pratiques récentes, comme la cueillette de l'ail des ours, viennent s'ancrer dans la mémoire longue des communautés locales et dans l'histoire intime de pratiques familiales. Dans le langage diffus, on parle souvent de « plantes sauvages », pour les distinguer des plantes cultivées.

Ainsi, au côté des « nouveaux cueilleurs », on recense un nombre important de baujus et d'anciens baujus ayant appris à reconnaître et utiliser les plantes grâce à leurs aînés. Suzanne Petit-Barat, à Aillon-le-Vieux (Savoie), explique comment elle a connu les bienfaits de la camomille : « Oh ben ça, c'est les grands-mères, puisque la camomille, quand autrefois il y avait des vaches qui ne ruminaient pas, elles faisaient une décoction de camomille et ça marchait » [témoignage de Suzanne Petit-Barat, Aillon-le-Vieux, 15 juillet 2016]. Solange Fantin à Sainte-Offenge raconte : « Moi, je me souviens, c'est vieux. J'étais gamine, je m'étais fait une entorse au pied. Et puis, les personnes âgées elles m'ont dit, tu prends la racine de feu et tu te frottes avec » [témoignege de Solange Fantin, Sainte-Offenge, 17 mai 2016]. On ne peut « parler de cueillette » sans affectivité. Ces savoirs sont à la fois support de mémoire et objet de continuité et de réappropriation permanente. Les praticiens de la cueillette ont donc acquis les savoirs et savoir-faire tantôt dans un cadre traditionnel et familial, tantôt grâce au renouveau actuel d’intérêt pour le monde végétal et la sensibilité écologique de ces dernières décennies.

Des nombreuses actions de sensibilisation et de transmission des savoir-faire de cueillette sont proposées par les producteurs de plantes aromatiques et médicinales, accompagnateurs en montagne ou associations locales : visites de ferme, ateliers de sensibilisation, balades d’observation, stages de découverte ou formations. Dans le cas des professionnels, la transmission peut également se faire dans le cadre familial. À L'Asinerie et Plantes du Cul du Bois à Doucy, Cloé, fille de Jacques et Isabelle Vial-Dury, a appris le métier de producteur-cueilleur aux côtés de ses parents et a été embauchée comme salariée de l'exploitation. Les professionnels échangent aussi entre eux, savoirs et plantes. Véronique Riondy, accompagnatrice en montagne a offert à Jacques et Isabelle un plant de serpolet citronné qu'elle a trouvé sous la montagne du Trélod, lors d'un accompagnement de groupe. Après plusieurs essais, ils ont finalement réussi à le mettre en culture sur leur terrain à Doucy et sont aujourd'hui les seuls à en vendre dans le massif. Isabelle a produit une année plus de semis de sauges que nécessaire pour ses plantations, elle les a offerts à Véronique pour qu’ils puissent être repiqués par des écoliers lors d'une sortie de découverte. Chaque enfant est alors reparti avec sa petite sauge en godet.

Au premier chef, les habitants du massif et passionnés de la cueillette transmettent au sein du cercle familial et amical les savoirs de la cueillette.

Les associations locales jouent également un rôle important. L’association Calenduline, à École (Savoie), propose des ateliers, stages et formations de reconnaissance, cueillette et utilisations en lien.

L’association « Jardins du Monde Montagnes » a œuvré à la transmission et valorisation des savoirs traditionnels et actuels de cueillette au sein du massif à l’aide d’études ethnobotaniques en collaboration avec les Parcs naturels régionaux des massifs des Bauges et de la Chartreuse. Ce travail a permis la publication du livre Cueillettes de mémoire. Histoires d’hommes et de plantes (2012).

Il est important de mentionner le rôle de la vente en direct, moyen d’échange et partage entre les producteurs et les consommateurs. Dans cet esprit de partage, certains producteurs de plantes aromatiques et médicinales, en particulier l’Herbier de la Clappe et l’Asinerie et Plantes du Cul du bois, ont crée des jardins pédagogiques où ils proposent des visites et des ateliers.

Solange Regnaud partage ses savoirs et pratiques de cueillette avec les randonneurs et touristes lors de repas préparés de ses cueillettes au sein du gîte et centre de rencontre des Landagnes, à École.

Des accompagnateurs en montagne sensibles aux plantes spontanées comestibles de la région partagent les savoirs naturalistes de cueillette lors de balades avec les randonneurs.

« C'est des plantes qui ont accompagné l'humanité pendant tout ce temps et elles continuent de nous accompagner même s'il y a eu cette rupture d'il y a 50-60 ans ». Au fil de l'histoire, les habitants du massif des Bauges ont acquis une grande connaissance de la nature et du végétal, couplée à des savoirs acquis lors des périodes de mobilité et de migration. Avant 1950, les montagnards des Bauges, en régime de propriété privée, partielle autosubsistance et pratiquant diverses formes de polyculture, avaient une connaissance approfondie de toutes les ressources naturelles essentielles à la survie de leur communauté. Dès le plus jeune âge, les enfants étaient chargés des activités de cueillette, souvent pratiquées durant le temps consacré à la surveillance des troupeaux ou autres activités agricoles.

Jusqu'au XXe siècle, ces savoirs sont transmis oralement, par l’expérience et la pratique, de génération en génération, dans le cadre familial et de voisinage. Au cours du XXe siècle, de nombreuses pratiques disparaissent, du fait de l'évolution de la société et des modes de vie. Les anciens témoignent d'une parallèle disparition des variétés végétales, avec la transformation des milieux naturels liée à la spécialisation pastorale et à la progressive décadence des vergers et champs qui entouraient les villages. Tout comme pour les herbes, beaucoup d'anciens remarquent une baisse de fruits des bois. La baisse de fruits dans les zones de cueillette serait liée à la moindre fréquence des coupes en forêt, aux transformations dans la gestion et les usages de la forêt. La châtaigneraie bien fauchée, « comme un jardin », était le lieu privilégié de cueillette de champignons.

Localement, ces changements sont perçus comme des dysfonctionnements. L’abandon des pratiques traditionnelles, les nouveaux modes de gestion intensive des espaces et des ressources engendrent une perte de biodiversité. Les anciens revendiquent le modèle traditionnel d'une nature généreuse, façonnée par les activités de l’homme. Comme dans bien des contextes ruraux européens, les activités de cueillette peuvent constituer un revenu complémentaire non négligeable, dans des formes d’échange et commerce informel, échappant aux logiques des revenus déclarés. Dans certains cas, tel que celui des champignons, les circuits locaux d’échange et petit commerce entretiennent des liens forts de solidarité qui traversent les classes sociales et les frontières ville-campagne.

Ces ressources et activités ont un rôle important dans le développement touristique de la région, depuis le XIXe siècle. Elles contribuent à l’économie touristique et à la qualité de l’offre de la montagne, une certaine clientèle touristique choisissant les Bauges pour la cueillette. Les fruits sont vendus, offerts aux touristes, préparés en conserves et confitures.

En 1995, la création du Parc naturel régional du Massif des Bauges a permis d'inscrire le territoire dans une perspective de développement durable, à la recherche d’un équilibre entre vocation agricole, économique, touristique et patrimoniale.

Depuis les années 2000, plusieurs producteurs de plantes aromatiques et médicinales, ainsi que des associations et une filière d'acteurs dynamiques favorisent la connaissance et l’utilisation des plantes aromatiques et médicinales. Aujourd’hui, une dizaine de productions de plantes aromatiques et médicinales sont installées sur le territoire. La création de ce réseau de praticiens professionnels marque une continuité, mais aussi un renouveau des pratiques de cueillette. C'est ainsi que tisanes, liqueurs, apéritifs, sirops, baumes et confitures, produits localement, se retrouvent sur le marché. Ce mouvement vers une cueillette professionnelle concrétise un choix de vie, un « retour à la nature ».

Dans l’évolution permanente des styles de vie, ce patrimoine fait l'objet d'un renouveau depuis les années 2000. Une filière professionnelle est aujourd’hui présente dans le massif, elle est particulièrement sensible au devoir de transmission et de revalorisation des savoirs naturalistes, dans la conception d’une nature bienfaisante et compagne de l’homme. Comme analysé dans la littérature scientifique, « les productions artisanales de plantes aromatiques et médicinales, associant généralement des activités de culture et de cueillette de ressources végétales spontanées, sont indissociables d’un mouvement de contestation et de résistance vis-à-vis des schémas de développement auxquelles se réfèrent l’agriculture conventionnelle, le système de santé et le monopole pharmaceutique » [Pinton, Julliand, Lescure, 2015]. C’est aussi à partir des années 2000 que la reconnaissance de ce métier œuvre en coopération avec les politiques publiques locales, le Parc naturel régional du Massif des Bauges a été particulièrement proche des cueilleurs et producteurs locaux. De la même manière, la sensibilité et consommation de plantes spontanées connait un fort regain et touche de plus en plus les jeunes générations.

Au fil des saisons, des nouvelles pratiques accompagnent les transformations du massif : en forêt, on va cueillir au printemps l’ail des ours, dont le pesto est rentré ces dernières années dans les usages locaux. L’ail des ours est un exemple significatif de renversement des valeurs : pour les anciens, un poison (car la feuille ressemble au muguet, à un arum et au colchique, tous trois très toxiques) ; pour les contemporains, il est une préparation bienfaisante. « L'ail des ours, j'en ai plein autour de chez moi et j'en fais depuis déjà une dizaine d'années ».

Le massif est aussi le théâtre d’échanges de plantes, de savoirs et d’inspirations culinaires entre cueilleurs et producteurs du monde entier. Philippe Durand, ayant vécu au Sénégal et inspiré par les guérisseurs autochtones, a créé au sein de sa production une connexion entre le massif et ce pays en organisant des échanges et des initiatives de commerce équitable.

Les principales menaces identifiées touchent à la transformation de l’environnement et des modes de vie, à l’évolution des formes de l’alimentation et de la médecine en lien avec le développement des industries et de la grande distribution, au cadre légal et normatif et enfin aux mauvais comportements des populations, de plus en plus éloignées de la nature.

Pour les communautés locales, la cueillette est un puissant outil de monitorage du milieu naturel. Les personnes impliquées dans le travail d’inventaire dénoncent la diminution de la diversité et de la quantité des plantes, fruits et champignons présents sur le massif, du fait de changements des modes de gestion des espaces naturels (coupes en forêt et défrichements moins fréquents, utilisation de produits chimiques, pollutions diverses, forte présence de l’homme, de l’agriculture, développement de l’habitat, des routes, des infrastructures).

Les témoignages d'anciens vivant aujourd’hui sur le massif évoquent les fruits des bois, qui se ramassaient en très grande quantité, alors qu'aujourd'hui fraisiers et framboisiers sauvages sont plus rares. André Corboz à Entrevernes explique : « Maintenant, il y en a plus. Si tu veux, à l'époque, pour que les myrtilles soient belles, c'était fauché, les feuilles de châtaigniers étaient ramassées, c'était nickel propre. Donc après, ça s'est mis à pousser des arbustes, ça a dégénéré. Avant, il y avait que des gros châtaigniers et les myrtilles dessous, alors que maintenant... ».

La diminution de la biodiversité s'explique également par la pollution liée à l'utilisation d'intrants chimiques. « Les pissenlits, oui ! Au printemps, on allait dans les prés, il n'y avait pas eu d'engrais, de pesticides, ni de rien, et on ramassait de ces salades de pissenlits ! On ose plus maintenant, on en mange plus… ».

 

Armande Mugnier à Saint-Ours explique que l'on ne trouve plus la même flore qu'autrefois : « Tout disparaît. Il y a la pollution et tout ». Selon de nombreux témoignages, la présence de certaines fleurs et plantes aurait diminué sur le territoire. Huguette Pienne à La Thuile raconte : « Avant il y avait le thym sauvage, le serpolet ils appelaient ça, sur les murs, le long des routes comme ça ».

Enfin, pour ce qui est des champignons, la perte de certaines variétés serait aussi due à l'ignorance des bons comportements de cueillette, par des urbains de plus en plus nombreux. Suzanne Prisset à Arith raconte : « Maintenant, il faut bien marcher pour en trouver, d’une certaine sorte (…). Au lieu de les cueillir bien comme il faut, ils sont arrachés jusqu’aux racines ! ».

Les savoirs et savoir-faire de la cueillette ont régressé avec la disponibilité des ressources de la pharmacopée moderne et le développement de l’industrie pharmaceutique. La disponibilité et l’usage excessif de médicaments fait partie de réflexes des contemporains. Une méfiance généralisée envers les savoirs naturalistes populaires a délégitimé ces savoirs. Ce risque est toujours d’actualité, même si un respect pour ce patrimoine se renforce à l’heure actuelle.

Enfin, la législation française concernant le commerce de plantes médicinales est restrictive, faisant obstacle au travail des petits producteurs de plantes. En France, bien que la liste des plantes commercialisables ait évolué il y a une dizaine d'années, beaucoup de plantes restent interdites à la vente, alors qu'elles sont autorisées dans d'autres pays d'Europe. Les petits producteurs de plantes aromatiques et médicinales du massif des Bauges revendiquent la mise en conformité de la législation française avec la législation européenne. Isabelle Vial-Dury,

L’Asinerie et Plantes du Cul du Bois à Doucy, explique que, si un producteur de plantes aromatiques et médicinales souhaite revendiquer son droit de vendre une plante, pour éviter une amende ou simplement continuer à cultiver cette plante, il est obligé d'effectuer de longues démarches auprès du tribunal de Strasbourg. En septembre 2018, une loi a été proposée au Sénat afin d'améliorer le statut des « herboristes de comptoir » (personnes qui vendent des plantes dans une boutique).

Modes de sauvegarde et de valorisation

Dans chaque commune du massif des Bauges, des habitants passionnés, groupes et individus transmettent les savoirs de la cueillette. Ces pratiques coutumières, vivantes dans le quotidien des communautés au fil des saisons, comportent des secrets jalousement protégés par les experts-praticiens. Ces savoirs se transmettent dans le cadre familial et villageois. Le massif voit naître en son sein un enthousiasme fort pour les savoir-faire de cueillette, de plus en plus valorisés par les habitants et acteurs locaux. « Ce début de XXIe siècle voit fleurir pléthore de stages et d’ouvrages visant à réapprendre à consommer du végétal sauvage » [Aubert, Girard, Mercan, 2014]. Ces initiatives permettent à ce patrimoine de vivre et de transmettre à travers les générations.

Plusieurs associations, comme l’association Calenduline citée précédemment, mettent en place des projets forts autour de la transmission des savoirs, en proposant des stages-découverte et des formations sur les plantes sauvages comestibles et médicinales et leurs usages.

Comme déjà évoqué, les professionnels aussi sont acteurs de la transmission puisque, parallèlement à la vente de leurs produits, ils proposent tous des activités de sensibilisation. L'Asinerie et Plantes du Cul du Bois, à Doucy, propose d'avril à novembre, des visites guidées des cultures, de l'atelier et du séchoir, ainsi qu'une dégustation de tisanes. L’Herbier de la Clappe, au Noyer, propose des visites guidées de l'exploitation et du jardin pédagogique, à destination d’adultes et d’enfants, des conférences, des stages de découverte des plantes médicinales ainsi que des ateliers culinaires autour des produits de la ferme. Le Domaine des Anges au Cœur Rouge, à Saint-Jean-de-la-Porte, organise des visites lors de la récolte du safran en octobre et novembre, avec la projection de films, visite de la safranière et cueillette des fleurs, dégustation de produits safranés.

Des accompagnateurs en montagne, comme Véronique Riondy, proposent des randonnées pédestres à la découverte des milieux naturels et des plantes médicinales et culinaires. Un important volet de son activité est voué à l'éducation à l'environnement des jeunes publics.

De la même manière, les producteurs et cueilleurs œuvrent pour une cueillette respectueuse et consciente de son environnement. Les savoirs de cueillette s’attachent à ramasser des quantités de plantes spontanées qui permettent leur préservation. Jacques Vial-Dury ne cueille que des plantes qu’il observe avoir « un esprit de conquête » permettant la reproduction et préservation de ce patrimoine naturel.

Des tensions peuvent émerger entre les praticiens amateurs, les professionnels installés dans le massif et les propriétaires du foncier où se pratiquent les activités de cueillettes. Un code d’éthique pourrait aider dans la gestion de ces conflits d’usage.

Les producteurs de plantes contribuent aussi au développement de la filière des plantes aromatiques et médicinales, au travers du Syndicat des producteurs de plantes des Savoie. Jacques Vial-Dury, aujourd'hui président du syndicat, explique les objectifs qui ont motivé sa création : « Les objectifs, c'était de se connaître, de se rencontrer régulièrement [...], d'exister sur le territoire en tant que profession, par rapport aux instances administratives, territoriales, etc. [...], d'avoir un espace de suivi par rapport à l'évolution juridique de notre métier [...], puis d'échanger entre nous aussi [...], de partager nos expériences, nos essais, nos ratés, nos réussites [...] et puis, après de mutualiser un peu les achats ». Jacques relate la prise de conscience de la part des producteurs du massif, de la nécessité de sensibiliser les instances publiques, afin de faire reconnaître leur métier. Ce travail « presque de lobbying » a été capital pour la filière, et n'a pas été réalisé sur d'autres territoires : « Il y a de plus en plus de plantes aromatiques et médicinales, sur la Maurienne, sur la Tarentaise, sur le Beaufortain, et il faudra à un moment que leurs territoires aussi soient sensibilisés à ça. » [témoignage de Jacques Vial-Dury, Doucy-en-Bauges, 24 août 2018].

 

Actions de valorisation à signaler

L’association Jardin du Monde Montagnes a réalisé un travail de recherche et d'enquête autour des usages des plantes en coopération avec les PNR du Massif des Bauges et du Massif de Chartreuse. À l'issue de ce travail, a édité un ouvrage co-édité intitulé Cueillettes de mémoires. Histoires d’hommes et de plantes en Bauges et Chartreuse. L’exposition itinérante « Dis-moi que faisais-tu, que fais-tu, que ferais-tu avec ces plantes ? » a été réalisée à l’issue de ce travail de collecte, en 2012. Elle continue à circuler sur le territoire, lors d’événements ou accueillie dans des musées et bibliothèques.

Le réseau de praticiens de la cueillette, particulièrement structuré dans le massif des Bauges, met en synergie les compétences et ressources de chacun à l'occasion de l'événement « Simples en fête », journée autour des plantes aromatiques et médicinales organisées par les producteurs des Savoie tous les deux ans depuis 2012. Le 16 septembre 2018 a eu lieu la 4e édition de la manifestation à Alby-sur-Chéran. Plusieurs animations ont été proposées : grand marché des producteurs, exposition ethnobotanique, atelier culinaire de plantes sauvages proposé par Calenduline, atelier découverte pour les enfants, balades botaniques, conférence sur le métier de producteur de plantes aromatiques et médicinales, distillation de plantes.

Les stages et formations de l’association Calenduline permettent une large transmission et valorisation des savoirs de la cueillette au sein du massif : de leur reconnaissance, à leur cueillette, à leur préparation culinaire et/ou médicinale.

 

Modes de reconnaissance publique

Sans objet

Récits liés à la pratique et à la tradition

Le patrimoine de savoirs lié aux cueillettes et usages des plantes, fleurs, fruits, racines et champignons est très vivant dans les mémoires locales. Ce patrimoine est transmis par les femmes, dont les tisanes soignaient la famille, hommes et animaux :

« Mon arrière-grand-mère, elle ramassait des fleurs toute l'année, elle les faisait sécher et elle se faisait des tisanes tout l'hiver… Je sais qu'elle avait une valise là-bas à la grange. Il y avait plein de sacs avec des fleurs dedans » [témoignage de Louis Petit-Barat, Aillon-le-Vieux, 15 juillet 2016].

« On buvait les tisanes quand on était malade, autrement on ne buvait pas de tisane. Il avait du tilleul, il y avait … On avait toutes les plantes médicinales à la maison, la reine des prés, la violette, la pensée sauvage. On avait un grand carton, on ramassait en été toutes les plantes et on buvait la tisane quand on était malade. » [témoignage d’Elina Blanchin, Arith, 1995].

Pour lutter contre les « coups de froid » et maladies, on utilisait communément l'expression « tirer le mal ». Eaux-de-vie, décoctions, fleurs et plantes étaient consommées ou appliquées en cataplasmes pour soigner toux et maux de gorge : primevère, bourrache, reine des prés, frêne, fleurs de sureau, serpolet, génépi ramassé en Tarentaise, fleurs de tussilage ou encore feuilles de ronce. Pour soigner les coups et blessures dus aux travaux des champs et du bois, on utilisait arnica, fleur de mauve ou guimauve, bourgeons et sève de pins et de sapins, frictions à l'eau-de-vie, emplâtres de chou et cataplasmes de miel ou de résine de sapin. On appliquait sur les brûlures des fleurs de souci et de millepertuis macérées dans l'huile. Au printemps, on faisait des cures dépuratives avec des salades et tisanes de pissenlit, oseille, ortie, racines de gentiane, pensée sauvage, feuilles de noyer et de frêne. Les problèmes de digestion étaient traités avec arquebuse, mélisse, verveine, camomille, fenouil, menthe et confiture de myrtille. Les femmes avaient leurs propres plantes : achillée, armoise vulgaire, mélisse, sauge. Les animaux étaient nourris et soignés par les plantes. On ramassait des glands et des faines pour compléter leur alimentation et soignait leurs blessures avec l'arnica, le souci ou le plantain ; les troubles digestifs avec la camomille ou la gentiane ; les rhumatismes avec la reine des prés. L'eau-de-vie était aussi utilisée.

Les femmes et grands-mères étaient souvent les détentrices de nombreux savoirs sur les plantes sauvages et leur préparation culinaire. Dans la mémoire d’un mode de vie rural et paysan, la cuisine se voulait alors reliée directement à l’extérieur, d’aller-retours entre le fourneau et le jardin et les plantes sauvages proches :

« Elles n’avaient pas trop le temps d'aller en forêt. Elles regardaient autour de la ferme. Elles n’avaient pas beaucoup de temps, elles étaient dans leur cuisine. Elles prenaient ce qu'elles avaient ici, parce qu'il fallait s'occuper de la ferme, traire les vaches, faire à manger » [témoignage de Robert Millet, La Thuile, 5 juillet 2016].

« Mon mari, il allait bien au Revard, ils ont vendu des tonnes de framboises… ». La cueillette permettait de créer un revenu d'appoint. Les habitants du massif cueillaient la gentiane, le génépi en Tarentaise, les fraises, myrtilles et framboises pour les liquoristeries des villes des piémonts, comme la maison Dolin à Chambéry. Ils vendaient fruits des bois, champignons, escargots et grenouilles aux pâtissiers et restaurants, ainsi que sur les marchés. En alpage, on mangeait des fraises et des framboises avec du sucre et de la crème.

Les fruits des bois sont ancrés dans les souvenirs berçant l’enfance et permettant un revenu d’appoint au sein des familles, ils étaient alors abondants :

« A. : Parce qu'on allait tous entre le village qui est plus bas, le village des Maisons, et la commune de Duingt, dans le bois qu'il y a en haut, il y avait plein de myrtilliers. Tous les gamins, on descendait après l'école, le jeudi.

T. : Et il y en a qui venaient avec leurs chèvres, alors il fallait qu'on suspende nos seaux de myrtilles à des branches. Si on laissait les seaux par terre, les chèvres venaient manger les myrtilles dans le seau.

A. : Maintenant, il y en a plus. Si tu veux, à l'époque, pour que les myrtilles soient belles, c'était fauché, les feuilles de châtaigniers étaient ramassées, c'était nickel propre. Donc après, ça s'est mis à pousser des arbustes, ça a dégénéré. Avant, il y avait que des gros châtaigniers et les myrtilles dessous, alors que maintenant... » [témoignage de Thérèse Lièvre et André Corboz, Entrevernes, 22 juillet 2016].

Les enfants cueillaient aussi les fleurs et notamment des cyclamens qui étaient envoyés en parfumeries à Paris, ou vendues aux touristes sur le bord des routes pour se constituer l'argent de poche. Certains se spécialisaient dans la cueillette et arrivaient à vivre de ces petits revenus. Des herboristes venaient cueillir dans le massif et faisaient sécher leur récolte dans les chalets d'alpage avant de les vendre en ville :

« Les gosses, dans le temps, on vendait même des pissenlits, des cyclamens, à qui voulait en acheter, peut-être pas des gens du pays. Mais on ramassait tout ce qu'on pouvait, les fleurs (…) Vous savez, on n’osait pas demander aux parents de l'argent pour aller s'acheter du shampoing, c'était du luxe. Puis les cyclamens, l'été, on les vendait au bord de la route »

[témoignage de Suzanne Petit-Barat, Aillon-le-Vieux, 15 juillet 2016].

« Mon mari était un grand ramasseur de champignons. Alors, je leur disais : "moi, je les fais cuire", mais on voyait souvent sur la terrasse les clients (de l’hôtel-restaurant) qui préparaient les champignons. (…). On prenait que les grandes variétés, les cèpes, les chanterelles. Et puis, à l'automne, il y avait une petite craterelle qui pousse à foison. C'est une chanterelle modeste. Et puis la trompette de mort, qui lui ressemble mais qui est toute noire. Ils sont très comestibles. Alors chez nous, les gens qui voulaient manger des champignons, ils venaient manger des champignons voilà. Il en a ramassé, hein ! (…).

- Et vous les cuisiniez comment ?

- Oh ben, tout simplement. Je mettais un peu de gras et puis je les faisais perdre l’eau. (…) Et puis ils perdent de leur eau, ça donne beaucoup d'eau. Après je les accommodais avec une persillade, un peu de crème, puis c'est tout. Ou en garniture de viande quoi. Les gens me parlent encore des poêlées de champignons qu'ils mangeaient, les enfants de nos clients. Parce que malheureusement, il y en a beaucoup qui sont partis de cette génération » [témoignage de Simone Moine, La Motte-en-Bauges, 16 juin 2016].

 

Inventaires réalisés liés à la pratique

Inventory of traditional Alpine Food, dans le cadre du projet européen « AlpFoodWay » (en ligne sur le site « Intangible Search » : http://www.intangiblesearch.eu/search/show_ich_detail.php?db_name=intangible_search&lingua=francese&ich_mc=1491 ) : fiche d’inventaire « Les savoirs de la cueillette dans le massif des Bauges ».

 

Bibliographie sommaire

Dupérier (Juliette), « Les activités de cueillette. Des façons d’être à la façon du patrimoine. Patrimoines culturels immatériels alimentaires au Parc naturel régional du Massif des Bauges », mémoire de Master 2, Expertise ethnologique du patrimoine immatériel, dir. Nicolas Adell, Toulouse, Université Jean-Jaurès, 2018, p. 74-82.

Fabre (Daniel), « Le sauvage en personne », Terrain, n° 6, 1986, en ligne : http://journals.openedition.org/terrain/2891  [consulté le 18 avril 2019]

Lapiccirella Zingari (Valentina), « Il bosco nella memoria dei mezzadri. Una ricerca con le fonti orali: contadini, boscaioli e carbonai tra prossimità e distanza. Il multiculturalismo nella società toscana tra tradizione e modernità », dans Il museo del Bosco-Orgia, dir. G. F. Molteni, Florence, Protagon, 1993.

Lapiccirella Zingari (Valentina), Des espaces en récit, Parcours du temps à La Compôte-en-Bauges. Réflexions sur l’interprétation du patrimoine rural, rapport d’étude ethnographique au PNR du Massif des Bauges, 2002, 110 p.

Lieutaghi (Pierre), La Plante compagne. Pratique et imaginaire de la flore sauvage en Europe occidentale, Paris, Actes du Sud, 1999.

Loyrion (Maïté), « Le patrimoine culturel immatériel, une nouvelle ressource pour le développement territorial. Le cas de l’inventaire des "savoirs et pratiques alimentaires et culinaires" dans le Parc naturel régional du Massif des Bauges », mémoire de Master 2 Patrimoine rural et Valorisation culturelle, dir. Claire Delfosse, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 2016, 206 p.

Mercan (Aline), Girard (Isabelle) et Aubert (Serge), « Ces bonnes choses que l’on mange en Haut-Oisans. Ethnographie de l’alimentation en Haute-Romanche (La Grave et Villard d’Arène) », Les Cahiers illustrés du Lautaret, n°6, 2014, 79 p.

Parc naturel régional du Massif des Bauges / Parc naturel régional de Chartreuse, Cueillette de mémoires. Histoires d’hommes et de plantes en Bauges et Chartreuse, Chambéry, Jardin du Monde Montagnes, 2012, 272 p.

Pinton (Florence), Julliand (Claire) et Lescure (Jean-Paul), « Le producteur-cueilleur, un acteur de l’interstice ? », Anthropology of food, n° 11, 2015, 18 p. [en ligne : https://journals.openedition.org/aof/7902 , consulté le 18 avril 2019]

Renaux (Alain), « Le savoir en herbe, autrefois la plante et l'enfant », dans Alimentation traditionnelle en montagne (actes de colloque), s.l., 2004, p. 275-282.

Société savoisienne d’histoire et d’archéologie / Parc naturel régional du Massif des Bauges, Les Bauges entre lacs et Isère, Chambéry, La Fontaine de Siloé, 2004, 350 p.

Viazzo (Pier Paolo), « Comunità alpine. Ambiente, popolazione, struttura sociale nelle Alpi dal XVI secolo a oggi », Il Mulino, Bologna, 1990.

 

Filmographie sommaire

« Versants secrets », émission de Radio Mont-Blanc :

https://radiomontblanc.fr/mblivetv/replay/versants-secrets-[s1][e7]-1888

 

Sitographie sommaire

Site de l’inventaire “Intangible Search” du projet Alpfood Way

http://www.intangiblesearch.eu/search/show_ich_detail.php?db_name=intangible_search&lingua=francese&ich_mc=1491

Site « Producteurs des plantes des Savoie »

https://www.producteurs-plantes-savoies.fr/

Site de l’association Calenduline

https://calenduline.jimdo.com/

Site de l’association Herb’amies

https://herbamies.fr/

Site de l’association Jardin du Monde Montagnes

http://jdmmontagnes.org/

Raymond et Raymonde BERTHOUD, agriculteurs retraités, Broissieux, Bellecombe-en-Bauges, 04 79 63 34 99

Benoît CLAUDE, producteur de plantes aromatiques et médicinales, Le Sanglier philosophe, Cusy

Bernard COLLOMBO, ancien restaurateur, Prérouge, Arith, 04 79 63 35 93 / 06 18 74 64 89

Sophie DODELIN, association « Aux herbes ! », productrice de plantes atypiques et nourricières, formatrice en cuisine bio et plantes sauvages, cueilleuse, membre de l’association Calenduline, Le Noyer, auxherbes@laposte.net

Philippe DURAND, producteurs de plantes aromatiques et médicinales, L’herbier de la Clappe, Le Noyer

André GALLICE, écrivain-paysan, La Motte-en-Bauges (décédé en 2019)

Muriel LALLEE, animatrice nature et formatrice membre de l’association Calenduline, Bellecombe-en-Bauges, mu.lallee@hotmail.fr

Simone MOINE, ancienne gérante de l’hôtel-restaurant à La Motte-en-Bauges, et sa fille Marisie, experte en cueillette de champignons, moinemarisie@gmail.com

Jean-Luc NEYRET, cueilleur de plantes et pâtissier, gérant des Oréades des Bauges, Jarsy, jarsy_jeanluc@yahoo.fr

Fred PEGEOT, cuisinier au restaurant « Les Clarines », expert de cueillette de champignons, chef-lieu, Bellecombe-en-Bauges, fredpegeot@aol.com

Solange REGNAUD, hôte du gîte des Landagnes, membre de l’association Calenduline, École, 04 79 34 29 06

Véronique RIONDY, accompagnatrice en montagne, Doucy-en-Bauges, 04 79 52 28 40, contact@veroniqueriondy.fr

Jacques et Isabelle VIAL-DURY, producteurs de plantes et gérants de L’Asinerie et Plantes du Cul du bois, Doucy-en-Bauges, 04 79 54 82 81

Des consentements et des soutiens ont été reçus de toutes les personnes rencontrées et citées dans la présente fiche.

Rédacteurs de la fiche

 

Ala, Silvia, chargée de mission Patrimoine culturel et immatériel, Parc naturel régional du Massif des Bauges, s.ala@parcdesbauges.com

Dupérier, Juliette, anthropologue, chargée d'étude pour l'enquête, analyse et rédaction de fiches d'inventaire sur le patrimoine alimentaire, j-dup@hotmail.fr

Lapiccirella Zingari, Valentina, anthropologue experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le Parc naturel régional du Massif des Bauges, vzingari@gmail.com

Loyrion, Maïté, consultante, conseil et animation pour la valorisation de la culture et du patrimoine en milieu rural, maite.loyrion@outlook.fr

 

 

Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé

 

Ala, Silvia, Chargée de mission patrimoine culturel et immatériel, Parc naturel régional du Massif des Bauges

Lapiccirella Zingari, Valentina, Anthropologue experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le Parc naturel régional du Massif des Bauges

Loyrion, Maïté, Consultante, conseil et animation pour la valorisation de la culture et du patrimoine en milieu rural

 

Lieux(x) et date/période de l’enquête

 

Arith (Savoie), entretiens auprès de Bernard et Annie Collombo sur leurs savoirs de cueillette et préparations culinaires en tant qu’anciens restaurateurs locaux (1er juin 2016)

Bellecombe-en-Bauges (Savoie), entretien auprès de Raymond et Raymonde Berthoud sur leurs savoirs sur les plantes et leurs usages (5 juin 2016)

Bellecombe-en-Bauges (Savoie), table-ronde des savoirs et pratiques alimentaires et culinaires des Bauges en compagnie de Marie-Louise Pricaz, Jeanne Mugnier, Claude et Flora Exertier, Madeleine Brunier-Collet, Nadine Bouvier, Marie-Françoise Bouvier, Bernard et Annie Collombo, (6 juin 2016)

La Motte-en-Bauges (Savoie), entretien auprès d’André Gallice et de Simone Moine sur les traditions alimentaires et paysannes des Bauges (16 juin 2016)

École (Savoie), journée d’observation lors d’un stage de cueillette et de cuisine de plantes sauvages organisé par l’association Calenduline et animé par Solange Regnaud (27 avril 2017)

Lescheraines (Savoie), entretien auprès de Jean-Luc Neyret sur sa profession de cueilleur de plantes et cuisinier (5 mai 2018)

Doucy-en-Bauges (Savoie), entretien auprès de Jacques et Isabelle Vial-Dury sur leur profession de producteurs-cueilleurs de plantes (24 août 2018)

Le Châtelard (Savoie), table des savoirs partagés autour de la fiche d’inventaire « Les savoirs de cueillette dans le massif des Bauges » (Maison du Parc, 15 mai 2019)

Aillon-le-Jeune (Savoie), table ronde « Des savoirs naturalistes vivants. Pratiques de la cueillette dans le massif des Bauges et dans les Alpes », dans le cadre de la rencontre internationale « Patrimoine alimentaire alpin. Expériences et enjeux dans le massif des Bauges et dans les Alpes » (Chartreuse d’Aillon, 1er octobre 2019).

 

 

Données d’enregistrement

 

Date de remise de la fiche : 7 février 2020

Année d’inclusion à l’inventaire : 2020

N° de la fiche : 2020_67717_INV_PCI_FRANCE_00455

Identifiant ARKH : ark:/67717/nvhdhrrvswvk25q

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer

Accéder à la fiche sur Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Massif_des_Bauges

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