Mbiwi de Mayotte

Le mbiwi est un art musical et chorégraphique féminin du patrimoine immatériel mahorais.

Ce sont les deux bâtonnets en bambou, mbiwi, utilisés comme instruments de percussion en les faisant entrechoquer, qui donnent leur nom à cette pratique.

Le mbiwi est un art musical et chorégraphique féminin du patrimoine immatériel mahorais. Ce sont les deux bâtonnets en bambou, mbiwi, utilisés comme instruments de percussion en les faisant entrechoquer, qui donnent leur nom à cette pratique. Il anime par excellence les cérémonies de mariage. Le mbiwi en ponctue les différentes étapes : de la remise d’argent et de cadeaux par la classe d’âge féminin dont fait partie la mère de la mariée, à l’accompagnement du marié vers sa nouvelle demeure familiale le dernier jour des festivités des noces1. Il s’agit d’un défi chorégraphique entre deux femmes qui piétinent sur place de manière très rétrécie et leste. La danse mobilise principalement le bassin et les hanches dans un mouvement vibratoire et sensuel qui doit être aussi rapide que possible. Le reste du corps reste presque impassible. La gagnante est celle qui danse le plus longuement. Les chants profanes qui accompagnent la danse sont à la fois traditionnels et transmis d’une génération à l’autre et composés par les pratiquantes elles-mêmes en fonction des événements. Ils parlent de joie, d’amour, mais aussi des difficultés que l’on peut rencontrer dans la vie de famille et de couple. Autrefois menées par les femmes mariées du village, les animations sont aujourd’hui assurées par des associations fondées sur des liens d’amitié et de parenté. C’est une pratique apparentée à d’autres danses et chants similaires pratiquées en Afrique, notamment aux Comores et à Madagascar.

1. La société mahoraise suit une règle de résidence uxori-matrilocale. C’est donc la mariée qui met sa maison à disposition pour accueillir le nouveau foyer familial.

Le mbiwi est une pratique exclusivement féminine. Si dans le temps, il s’agissait de toutes les femmes du même village de l’épouse dont on célébrait les noces, de nos jours les pratiquantes s’organisent en association shama (pl. zama). Ce terme vernaculaire veut dire « groupement ». Les zama sont des associations locales qui fonctionnent comme des tontines. Elles peuvent désormais prendre la forme d’associations loi 1901, enregistrées à la préfecture. Mais cette formalisation n’est pas une nécessité à l’organisation des événements. Elles se constituent sur la base du volontariat et rassemblent des femmes liées entre elles par des relations diverses d’affinité, de voisinage et de parenté. Ces groupes se caractérisent par une dynamique de solidarité et l’entraide.

Dans tous les villages, les Mahorais.es sont organisé.e.s en associations informelles appelées zikao (sin. shikao). Ils fonctionnent comme des groupes d'âge basés sur la coopération et l'entraide. Ces regroupements sont nécessaires pour l'organisation des cérémonies les plus importantes dans la vie des gens (mariages, naissances, funérailles) et pour le bon déroulement des événements. Chacun d'entre eux représente une génération. Tous.tes appartiennent à un shikao. Il peut être masculin ou féminin. Les membres contribuent régulièrement à un fonds commun. Ils.elles se mettent d'accord sur les montants à verser et les biens à partager : argent, nourriture, boissons, jasmin. À son tour, l'un.e des membres bénéficie de tout l'argent versé ou de l’aide reçue pour financer l'événement qui le.la concerne. L'objectif est de s'entraider dans des circonstances importantes de la vie qui nécessitent une logistique importante, un financement conséquent et la mobilisation de grands réseaux, comme un mariage ou la circoncision d'un enfant.  
Lors de ces évènements, pour réjouir les participantes, les femmes font du mbiwi. Lorsque les femmes apportent leurs contributions – mutsango - , à la future épouse, lorsqu’elles lui offrent des cadeaux durant la cérémonie du manzaraka lorsqu’elles fêtent la circoncision d’un enfant, lorsque les femmes de la famille de l’époux apportent leurs dons à la future mariée avec ce qu’elles appellent « la valise », elles médiatisent leur action par des cortèges ostentatoires et des performances artistiques au cours desquelles elles chantent et dansent le mbiwi. Le terme manzaraka est polysémique : il indique le cortège pendant lequel les invités.es de la famille du marié accompagnent ce dernier à la maison de son épouse. Cette procession fait partie des cérémonies de mariage et par extension le terme manzaraka indique le festin lors de ces célébrations (voire plus en détail dans "Description détaillée").

Quand les pratiquantes sont organisées en shama, leur pratique est plus performative et moins improvisée que celle des zikao. Les femmes des zama se réunissent régulièrement pour répéter les chants afin d'assurer la qualité de leurs prestations lors des différentes cérémonies. Quand les zama sont constitués sous forme juridique d’association loi 1901, les adhérentes peuvent disposer d’un local mis à disposition par la municipalité pour effectuer leur entraînement. Sinon, le groupe se rassemble dans une maison ou sur la terrasse d’une des membres, ou dans la maison des associations locales, ou réserve un créneau horaire dans une MJC.  Il faut donc distinguer ces différents types de groupements. En fait, les zama se déplacent pour se produire dans les mariages, sur demande. Leurs prestations sont généralement rémunérées. Tandis que les femmes qui font partie du shikao sont obligées de participer aux évènements impliquant l’une d’entre elles, à titre de solidarité. 

Les zikao et des zama existent également en France métropolitaine et à la Réunion. Cependant, leur fonctionnement est quelque peu différent de ceux de Mayotte. En effet, en métropole et à la Réunion les zikao sont en réalité tous des zama. C’est-à-dire qu’il s’agit de groupements simples. Les membres n’appartiennent pas à des classes d’âge spécifiques. Ce sont des collectifs qui fonctionnent exclusivement comme des tontines. Certains groupes se déclarent à la préfecture afin d’avoir plus de visibilité et accéder à d’éventuels financements. Ces associations sont généralement situées dans les villes de tailles moyennes, là où la présence des Mahorais.es est plus importante (Rennes, Poitiers, Clermont-Ferrand, Saint Denis de la Réunion, Le Port etc.). En 2013, par exemple, dans son mémoire de Master 2, Mathilde Soubry recense quatre groupes de mbiwi dans la seule ville de Poitiers : Association Décide, Association Crimador, Association Acem et Association Acom (Soubry 2013, 14).

Alors qu’à Mayotte, tous ces groupes sont exclusivement féminins, on retrouve en métropole des hommes dans les bureaux des associations qui, en qualité de frère, mari, neveu, aident les femmes dans l’organisation et la gestion de leurs activités (Soubry 2013, 13).

Il est cependant difficile de faire un recensement exhaustif de ces associations. Des groupes se forment et se dissolvent régulièrement en fonction des besoins. Le mbiwi étant très important pour réjouir les noces, des équipes informelles peuvent se constituer ponctuellement lorsqu’une des membres de la communauté se marie. Même lorsque les groupes sont plus stables, ils ne sont pas systématiquement répertoriés dans les registres de la préfecture, des MJC, des services culturels ou des médiathèques. Le nombre des adhérents est également très variable. Une quinzaine de personnes peuvent suffire, mais il existe aussi des groupes beaucoup plus importants, pouvant compter jusqu’à soixante membres, voire plus.

Carte des villes de Mayotte où sont situés les groupes qui ont participé à la rédaction de cette fiche
Carte des villes de Mayotte où sont situés les groupes ayant participé à la rédaction de cette fiche d'inventaire.

 

Voici donc la liste des associations que nous avons répertoriées mais qui n’est pas toutefois exhaustive de tous les groupes existants :

  • « Alliance de m’biwi de Nyambadao » de Bandrélé
  • « Ylang Flera Dapani » de Bandrélé
  • « Tsara Mayotte Français » de Bandrélé
  • « Association Choc-choc » de Chiconi
  • « Solidaire à Mramadoudou » de Mramadoudou (Chirongui)
  • « Wahadi à Miréréni et Mawa d'Or » Miréréni (Chirongui)
  • « Association Roses » de Combani
  • « Association Family d'Iloni » de Dembeni
  • « Fleurs des îles » de Dzaoudzi
  • « Association de Mbiwi » de Hagnoundrou
  • « Fleurs des îles » de Kahani
  • « Belle Rose de Doujani » de Mamoudzou
  • « Zamantalouha de Mayotte » de Mtsamboro
  • « Rity » de Mtsangamouji
  • « Nia Rose » de Tsararano
  • « Association -Ylang » et « Association Maoua » de Tsimkoura
  • « Association Fleur d’Ylang » de Tsingoni
  • « Association Yasmine » de Tsimkoura
  • « Nema-Imania » de Vénissieux (France métropolitaine)

Lieu(x) de la pratique en France

Mayotte

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

Le mbiwi appartient à la famille des chants et des danses de réjouissance féminins liés aux cérémonies de mariage mais aussi aux fêtes agraires et villageoises pratiquées dans l’Afrique australe (chakacha et lelemama à Zanzibar, lelemama, mbiu, shakasha aux Comores et ambio et katoko à Madagascar, pour en citer que quelques-uns).

« Mbiwi » est un terme polysémique. Il désigne : « les bâtonnets utilisés comme percussion par les femmes ou les filles, dans leurs danses et leurs chants » (Blanchy 1996, p. 86), mais aussi la danse, la musique, la cérémonie et le cadre social à l’intérieur duquel se déroulent ces performances musico-chorégraphiques. Comme mentionné précédemment, ce sont principalement des chants et des danses qui agrémentent les cérémonies de mariage. Toutefois, ces représentations peuvent également avoir lieu à d’autres occasions : fêtes agraires et de village, rencontres entre différentes associations, concours, manifestations d’intérêt public, social et récréatif.

De manière générale, les spectacles de mbiwi sont des moments de convivialité et d'échange à travers des animations musicales et chorégraphiques. En montrant leur savoir-faire, les femmes témoignent des valeurs fondatrices de la société mahoraise, à savoir l'entraide, la participation, le don de soi dans une dimension collective. En partageant leur joie de manière évidente, elles donnent à voir un modèle de savoir-faire traditionnel aux jeunes générations, qui est très apprécié.

La danse du mbiwi est effectuée par deux femmes qui se tiennent face à face. C’est une sorte de défi chorégraphique. Les danseuses sont debout. Elles gardent les jambes plus ou moins rapprochées, les bras légèrement fléchis dirigés vers les côtés, le tronc légèrement penché vers l’avant et le sternum étiré vers le haut. Elles tiennent un bâtonnet dans chaque main. Le défi consiste à mobiliser les articulations du bassin le plus vite possible en piétinant très vite sur place, en gardant le buste immobile et détendu.

À travers la danse du mbiwi les femmes se mettent à l’épreuve. Il y a une évidente exigence de performativité et d’endurance. Les femmes montrent leur expertise dans la mobilisation du corps, leur plasticité, leur aisance mais aussi leur faculté à affronter une concurrente face au public. En dansant, elles expriment également leur musicalité, leur capacité à dialoguer avec les percussions : « On peut se laisser aller aux sensations. C’est comme si on n’avait pas d’os. Le mbiwi c’est plus difficile à danser. Ça fatigue plus. Le mbiwi c’est de l’endurance, du challenge, il faut garder le rythme. Quand on va à un manzaraka et que l’on doit chanter les mbiwi et danser pendant des heures, à la fin on rentre à la maison et on est KO. Mais on n’est pas obligée de danser. On peut rester assise et taper pendant des heures, sans danser. Ce n’est pas mal vu. Si je n’ai pas envie, je n’ai pas envie. Il y a des gens qui dansent et des gens qui restent assis à chanter et faire le rythme. Il y a aussi des gens qui viennent vous inciter « allez on danse ! ». Je peux danser un peu et retourner m’asseoir. C’est vrai c’est fatigant, avec la chaleur. Chanter et danser en même temps, ce n'est pas du tout une chose facile. C’est épuisant. Si je chante, je donne le rythme. Il faut que les autres sentent que j’ai changé de rythme (accéléré). Il faut que moi je ne me trompe pas à changer de rythme pour que les autres puissent me suivre. » (Anymati du groupe de Mbiwi de Hagnoundrou)

Dans la danse, il y a toujours du défi, de l’effort, de la résistance à la fatigue, du dépassement de soi, de la mise à l’épreuve. Il faut donc participer, accepter l’invitation. C’est une danse qui ne peut pas être réalisée individuellement. On se lève pour défier quelqu’un. L’invitation à danser s’adresse à une personne à l’extérieur de son propre groupe. Dans le cas du shikao, le défi est adressé aux femmes de la famille de la mariée appartenant à d’autres générations. Lors du manzaraka, le défi est lancé aux femmes de la famille alliée. À l’occasion d’une rencontre entre associations, l’invitation vise les femmes des autres groupes. « Avec celles qu’on ne connaît pas c’est plus difficile. Est-ce qu’elle danse mieux que moi ? Est-ce qu’elle va me battre ? Est-ce que j’arriverais à la faire danser ? » (Anymati)

Si personne ne répond à l’appel, une danseuse de la même équipe se lève afin de ne pas laisser la défiante seule sur la piste. Dans ce cas, le défi est moindre, car au sein d’un même groupe les relations sont plus complices. Les femmes se connaissent et la compétition est plutôt une affaire de camaraderie : « Quand je me lève pour danser, je cherche quelqu’un qui vient danser avec moi. Si j’ai envie de danser je me lève, quelqu’un se lève aussi. On va danser ensemble. On ne peut pas danser toute seule, on se donne le rythme et si je suis fatiguée je m’arrête ».

Pour désigner la gagnante, c’est la fatigue qui l’emporte. Celle qui montre le plus d’endurance est considérée comme la championne.  
Danser ensemble est aussi un moyen de se stimuler et de se soutenir mutuellement. Cependant, le défi est toujours bienveillant : « Il faut que je la [l’autre danseuse] mette à l’aise ». Certaines danseuses parlent d’ailleurs de compétitions et non de rivalité. Cependant, il peut y avoir une rivalité certaine lors de concours ou de mariages où plusieurs associations sont invitées.

De plus, lors des concours, les femmes ressentent plus d’émulation à devoir montrer leur expertise. Parfois, il y a aussi des disputes entre les groupes. Les femmes sont très exigeantes les unes envers les autres. Les critiques sont toujours aux aguets. Ainsi, chacune se sent responsable de toujours faire de son mieux.

L’organisation d’un mbiwi demande beaucoup d’efforts en termes de temps, d’énergie et d’argent. En effet, le mbiwi constitue un élément important d’un important système d’échanges économiques qui s’appuie sur un réseau de solidarité et d’entraide. Ce système est fondé sur une redistribution rotative à travers des festins organisés à tour de rôle avec des rituels qui garantissent également la reproduction sociale des individus au sein du groupe (Blanchy 2010, 2012; Lambek 1980 et 1990 ; Soubry 2013).

Déroulement d’un chant

Le chant est de type responsorial. Il est divisé en trois parties : la première partie est composée de phrases chantées alternativement par la soliste et l’ensemble du collectif a cappella, c’est-à-dire sans accompagnement instrumental. Ensuite, la partie centrale est composée de phrases plus courtes toujours chantées en alternance. C’est à ce moment-là que les pratiquantes commencent à jouer les bâtonnets. Et enfin, la dernière partie, plus rapide et entraînante, dont le chant n’est composé que de quelques mots répétés et qui est introduite par un appel rythmique appelé « cassure ». En passant d’une partie à l’autre, les phrases chantées deviennent ainsi de plus en plus courtes et le rythme s’accélère. « À la fin, on ne chante qu’un bout de la phrase, mais la mélodie change aussi » m’explique Amina.

MAMBO LEO MAMBO

1ère partie

Soliste :    Mambo leo mambo, Aya yehehe (Aujourd’hui c’est la bonne ambiance, c’est la joie collective)
        Wami tsika ha mayangu (J’étais chez ma mère)
        Tsa Kola muhogo (je ne mangeais pas de manioc)
        Mambo leo mambo, Aya yehehe  (Aujourd’hui c’est la joie)
        Rangu na hulola, tsi trendreha munyongo (Depuis que je tu m’a épousée, je suis devenue comme une plume (Explication de la chanteuse : J’ai maigri car dans le mariage il n’y a que des problèmes, au début c’est bien mais après ça se gâte)

Éventuelle personnalisation :
        Anymati ulodza (Anymati marie sa fille)
        Yi Maore pia iri waswilia (tout Mayotte est venue)

2ème partie   

Soliste :     Wasi nawanyu riwonana (on est toutes ensemble, nous et vous on se rencontre et dansons ensemble)
Refrain :    Leo riwonana (aujourd’hui on se rencontre)

3ème partie    

Soliste :     Riwonana leo (on se revoit aujourd’hui)        
Refrain :     Riwonana (on se revoit)

« Mambo Leo Mambo » est un chant de mbiwi parmi les plus connus. Il est donc représentatif de ce répertoire. Les groupes peuvent le chanter tel quel ou le personnaliser avec des phrases composées pour l’occasion. Dans l’exemple ci-dessus, l’auteure a ajouté une phrase supplémentaire pour honorer Anymati qui marie sa fille. Dans le texte original, le chant parle autant de la joie de cette journée particulière que les chagrins qui peuvent survenir après le mariage : « À l’époque de nos grands-mères, tout ce qu’il n’allait pas dans la vie on le mettait en chanson. Le jour du mariage c’est un jour de joie, alors qu’autrefois les mamies parlaient aussi des problèmes liés au mariage. Nous maintenant, c’est la vie en rose. Mais nous choisissons d’autres moments pour faire passer le message », m’explique Anymati. « Notre association est très récente. Nous n’avons pas encore composé des chansons propres à nous. Nous nous inspirons de vieilles chansons en les transformant un peu. », précise-t-elle. En revanche, il existe désormais des groupes qui privilégient la création. Par exemple Zily du groupe Fleur d’Ylang est connue pour sa capacité à innover, à improviser et à créer des phrases sur le vif en nommant toutes les personnes présentes à un mariage et qu’il faut honorer : les mariés, leurs parents, les belles-mères, les belles-sœurs, les cousines. C’est au cours du refrain que ces personnes sont nommées. « Une telle personne marie son enfant, elle est heureuse », par exemple.

Les textes sont souvent métaphoriques. La joie et la tristesse peuvent être mélangées dans une même chanson. Ce procédé s’apparente à un autre genre poétique et musical mahorais appelé utende, une forme d’art oratoire élogieuse. Il s’agit de textes poétiques qui sont utilisés pour résoudre des problèmes par une personne interposée. C’est le poète qui incarne la voix du plaignant. Mais les chants du mbiwi appartiennent aussi à un autre genre qui sublime l'art de la parodie, appelé fumbo, une manière ludique et poétique de louer et de critiquer. Autrefois, le fumbo était utilisé entre coépouses pour calmer les conflits de rivalité et de jalousie. Fumbo est un substantif issu du verbe ufumba, « parodier ». Il s’agit d’un chant accompagné ou non d’instruments et dont l’objet est la parodie, la critique ou au contraire l’éloge. Pratiqué dans les cérémonies nuptiales profanes (shigoma, mlelezi, mbiwi, etc.), il permet de louer les époux ou, au contraire, de dénoncer les attitudes néfastes au mariage. Mais son chant couvre aussi la critique de la société, le dénigrement d’un candidat aux élections, ou la défense de causes. Il est caractérisé par l’usage de beaucoup d’allusions, de métaphores et de messages indirects. Un dicton dit à cet effet : fumbo la fumbiwa mjinga mwendza ankili udzi yeledza, « une parodie adressée à un sot, est un message à l’intention d’une personne intelligente ».

Lorsqu’ils ne sont pas improvisés, les nouveaux chants sont appris pendant les répétitions qui précédent les évènements.

L’expertise est généreusement récompensée par des billets de banque. Cela permet aux excellentes interprètes de gagner beaucoup d’argent.

Déroulement de l’accompagnement instrumental

L’accompagnement instrumental est produit par la percussion des bâtonnets les uns contre les autres. Les mbiwi appartiennent à la famille des idiophones. Il existe deux rythmes de base et ils sont de type ternaire. L’orchestration est le résultat de la superposition de ces deux rythmes différents, qui se caractérisent par une qualité musicale de type ostinato. Le caractère ostinato est donné par un « bref motif mélodico-rythmique répété tout au long d’une pièce musicale. La combinaison de plusieurs ostinatos est appelée multi-ostinato » (« Glossaire: Termes ethnomusicologiques et termes organologiques » 2004). L’un des deux rythmes est appelé « deux/deux ». Il est composé de deux croches pointées. L’autre rythme est appelé « trois/trois » et il est composé d’une noire et une croche. Le tempo de la partie centrale s’établit autour de 120 pulsations la minute et peut augmenter jusqu’à 140 pulsations la minute dans la troisième partie appelée « fulaka » qui, en kibushi, une des langues vernaculaires de Mayotte, signifie « cassé, brisé ». Pour passer à cette dernière partie, une percussionniste experte joue ce que les femmes appellent « la cassure », des frappes beaucoup plus sonores censées avertir l’ensemble des pratiquantes qu’il faut changer la phrase chantée et accélérer.

Notation rythmique de "la cassure" dans la musique du mbiwi © Elena Bertuzzi
Notation rythmique de la "cassure" ©Elena Bertuzzi
Notation des rythmes du mbiwi © Elena Bertuzzi
Notation des rythmes du mbiwi 

 

L’orchestration jaillit donc du mélange des deux rythmes. Chaque personne fait le rythme qu’elle veut. Elle peut aussi passer d’un rythme à l’autre. C’est une question d’oreille. Chacune a une perception personnelle de l’ambiance sonore produite et intervient avec le premier ou le second selon sa préférence et de ce qu’elle estime être la meilleure manière de contribuer à créer l’atmosphère festive et joyeuse souhaitée qui donne envie de danser. « Si tout le monde fait le même rythme, on sent tout de suite qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Il faut mélanger les deux pour avoir un bon son », explique Amina de l’association Chok Chok. Mais changer de rythme est aussi un moyen de dynamiser la technique instrumentale. En effet, la répétition d’un même rythme fatigue les bras, tandis que passer d’un rythme à l’autre permet de donner de l’énergie, de l’entrain et de soutenir la pulsation : « Si une personne commence avec le premier, moi je vais faire le deuxième. Pour qu’on puisse se mélanger » (Amina). L’idée est de travailler ensemble pour créer un rythme agréable et exaltant. « Un bon son donne tout de suite envie de danser. C’est le rythme qui te donne envie de danser. Quand c’est bien fait, quand c’est chaud chaud chaud, tu as envie de danser. » affirme Adidja du groupe Chok Chok.

Ainsi, chaque pratiquante exécute le rythme qu’elle préfère en fonction de son ressenti, de son désir et de sa compétence. L’alternance des rythmes crée une fluctuation musicale permanente : tantôt on entend davantage le rythme « deux/deux », tantôt le « trois/trois », tantôt les deux se fondent dans un seul rythme harmonieux et régulier. « Il faut faire les deux rythmes d’abord et ensuite il y a « la cassure ». C’est là que l’ambiance explose » confirme Adidja. Dans cette partie, la mélodie change également afin que les paroles puissent s’adapter au rythme : « Il faut que la mélodie colle avec la partie rapide. Il faut que la mélodie se marie bien avec les mots. Il faut que les deux parties se marient bien. », précise Amina.

L’accompagnement orchestral de ces deux rythmes principaux peut être enrichi par des solos réalisés par des musiciennes expérimentées. Actuellement, les femmes ajoutent aussi d’autres rythmes appris avec des musiciens locaux. L’objectif est de devenir toujours plus performantes afin de concurrencer les autres groupes en faisant preuve d’originalité.

Déroulement de la danse

La danse suit le déroulement du chant. Au début, les danseuses sont assises au sol sur des nattes, djavi. Elles sont disposées en cercle. Le chant a cappella est réalisé en restant assises. Pendant la partie centrale, les femmes commencent à se hisser sur les genoux et à amplifier leurs gestes pour frapper les mbiwi. Progressivement, elles se lèvent pour danser en se positionnant au milieu du cercle. Par le regard, elles invitent les autres femmes à danser en entrant dans le cercle.

La danse de la partie centrale et celle de la partie finale sont légèrement différentes.

D’un point de vue stylistique, il y a toutefois certaines constantes :

Les jambes sont toujours fléchies. Le piétinement est réalisé avec les muscles du métatarse, les orteils sont légèrement soulevés. L’action de piétiner devient ainsi soignée, attentive dans une sorte d’action de presser le sol très rapidement. L’utilisation de cette surface du pied donne du tonus aux bas des jambes et engendre une poussée vers le haut de la colonne vertébrale.

Le tronc est légèrement penché vers l’avant, mais le sternum est étiré vers le haut et la région scapulaire est enroulée vers l’arrière. Par conséquent, le buste et la tête restent droits. La flexion des jambes et l’inclinaison du tronc décalent légèrement le poids du corps vers l’avant. Ce déplacement permet de libérer les articulations des hanches qui peuvent ainsi se mouvoir aisément. Le résultat est un mouvement dansé délicat, gracieux, léger et contenu, même si le piétinement doit être puissant et vigoureux.
Lorsque les femmes commencent à danser, le piétinement dure toute la mesure de 3/8. Les hanches suivent l’action des pieds, se déplaçant dans la même direction (le pied droit se pose, la hanche de déplace vers la droite, le pied gauche se pose, la hanche se décale vers la gauche). Les bras sont près du corps. Les avant-bras, dirigés vers les côtés, d’une part et d’autre, dessinent des petits cercles.

Après « la cassure », le piétinement devient plus rapide, s’appuyant sur le rythme 2/2. Les bras s’ouvrent légèrement. Les hanches ondulent d’un côté à l’autre en résonance avec le trépignement des pieds. Les danseuses n’ont rien à faire de particulier pour provoquer le mouvement des hanches, dont les articulations demeurent libres. Le haut du corps accompagne le mouvement avec des légères courbes hélicoïdales en dessinant des huit. Le corps semble flotter par-dessus le mouvement percussif des pieds. Anymati explique avec ses mots qu’« Il faut piétiner rapidement et laisser libre les hanches et aussi on peut bouger les hanches volontairement » et elle ajoute : « Le haut du corps doit être libre. Il ne doit pas bouger. Il faut maintenir le haut du corps. Comment on sait qu’une personne danse bien ? Elle a le rythme. Ça bouge tout seul. Ça dépend de la technique, pas de la forme du corps ». 

Notation chorégraphique en Cinétographie Laban des motifs dansés de base de la danse du mbiwi. A gauche notation du motif de la partie centrale. A droite notation du motif de la partie finale.  © Elena Bertuzzi
Notation chorégraphique en Cinétographie Laban des motifs dansés de base de la danse du mbiwi. A gauche notation du motif de la partie centrale. A droite notation du motif de la partie finale.  © Elena Bertuzzi


La danse rapide est appelée manguta, qui veut dire « danser rapidement ». Les femmes s’apostrophent les unes les autres pour s'inciter à danser vite en disant : « Rema manguta, rema manguta ! » (« Frappe rapidement ! » qui signifie « Danse plus vite ! » (Anymati)). Parfois, les femmes chantent le rythme pour donner envie de danser davantage. Elles s’encouragent mutuellement à faire de leur mieux, se corrigeant si nécessaire. Les mères, par exemple, disent à leurs filles : « Retiens ton haut du corps ! ». Les filles apprennent de leurs mères. « Mais, il arrive aussi que les mères apprennent des filles », admet Amina.

Les femmes dansent par deux, face à face. De temps en temps, elles tournent vers la droite ou vers la gauche en miroir et continuent à danser de profil. Elles peuvent également faire des tours complets sur elles-mêmes. Elles se regardent réciproquement. Elles s’observent pour s’imiter, voire même se provoquer en essayant d’être plus rapides, plus performantes, plus sensuelles que les autres. Nonobstant le déhanchement, la danse reste sobre, digne, contrôlée. Rien ne déborde, rien n’est provoquant. C’est l’aisance, la rapidité, le charme, la sensualité, l’endurance que les femmes affichent et défient. Comme déjà mentionné, c’est celle qui résiste le plus à l’effort qui est considérée comme la gagnante.

Répertoire

Il existe un corpus de chants anciens qui se transmettent d’une génération à l’autre. D’autres chants sont des nouvelles compositions originales créées par des pratiquantes particulièrement talentueuses. Certains groupes mélangent également des vieilles chansons avec de nouvelles compositions. Il arrive aussi que les femmes écrivent de nouveaux textes sur des airs anciens ou inventent de nouvelles mélodies à partir de textes existants. « Parfois, ça nous arrive aussi de chanter les chansons anciennes que nos mamans chantaient. Des fois, je crée des chansons et des fois, je mélange les deux. […] Il y a les paroles, les rythmes ... [sous-entendu les mélodies] », explique Amina.

Les thèmes

Le thème privilégié des chants du mbiwi est celui de l’amour. Une vieille chanson dit ceci : « usulaleee, usulaleee, wamokiya  lada yamwana usulaleee » (Ne reste pas couché quand résonne la joie d’un enfant (mariage).

Souvent les anciennes chansons commencent par parler d’amour mais finissent par rappeler les problèmes, les incompréhensions et les tensions qui peuvent caractériser le mariage, comme nous l’avons vu dans les paroles de « Mambo leo mambo ». Un chant de mbiwi contient toujours un message. Certains textes parlent aussi de la vie de tous les jours. Tandis que, lors des noces, les associations préfèrent chanter des mots d’amour - « Il ne faut pas gâcher l’ambiance », disent-elles - lors des concours et des rencontres entre groupes, les pratiquantes profitent pour parler d’autres thèmes. Les chants peuvent alors porter sur la violence à l’égard des femmes, les mariages forcés, les problèmes de jalousie. Les sujets peuvent également être en relation avec les thématiques des manifestations auxquelles les groupes sont invités à se produire. Les chants peuvent alors traiter de la prévention du diabète ou du sida ou de la protection de la nature.

C’est un véritable art de la composition dont font preuve les pratiquantes du mbiwi: « Pour écrire une chanson, je me mets à la place de la mère de la mariée. Le sentiment qu’elle éprouve dans ce jour de mariage de sa fille ou de la mariée elle-même. […] Tu dois éprouver des émotions. Se mettre à la place de la mariée ou de la mère de la mariée. » témoigne Jacqueline de l’Association Chok Chok. C’est comme ça qu’elle trouve les mots justes qui l’inspirent. « Le mbiwi est une sorte de message à l’intention de l’autre. - Moi je suis belle, regarde-moi. C’est une manière de se mettre en valeur, de montrer sa beauté, son aisance, son charme », explique Amina.

Une fois le texte composé, il est proposé au groupe. La chanson est ensuite affinée par un travail collectif pour lui donner sa forme finale et définitive. C’est donc un travail collaboratif qui suit le travail personnel. « Des fois j’ai besoin d’avoir l’avis des autres pour ajuster la chanson. S’il y a quelque chose à modifier ou rajouter », avoue Jacqueline. Voici un texte de chanson qu’elle a composée, en kibushi :

AYE AYE AMBILA ZAHU

Ayeaye, ambila zahu (Eh toi laisse-moi tranquille)
Aye aye, ambila zahu (Et toi laisse-moi tranquille)
Azambara uandi zahu ambila zahu (Ne me mens pas, je t’ai vu hier)
Hitaku ano nimwali azabora dalazahu (Ne me prends pas pour une gourde, je t’ai vu hier)

Misengi an ovale amba ano (Tu vois une belle fille)
Bogosi mahitan vohwu vohwu (Tu te crois beau, tu mens à l’ancienne)
Mankadala ninfayela faninyenina (Le regret ne vient pas maintenant)
Shavi aluha fo ziu havi afara (Le regret vient après) 

Aka favuwa tso kuyni kaza (Quand tu vas t’en rendre compte)
Havi itu mwanyi (Ne viens pas pleurer)

Cette chanson a été enregistrée sur un CD et passe maintenant à la radio. Les pratiquantes racontent avoir reçu de nombreuses félicitations pour ce texte : « Des femmes nous disent se reconnaître. Même un homme nous a dit avoir imaginé que cette chanson avait été écrite pour lui ».

Circonstances qui font appel au mbiwi :

Comme déjà évoqué, le mbiwi est la danse et le chant par excellence des cérémonies du mariage. À Mayotte, on distingue le petit et le grand mariage, appelé harusi. Ce dernier ne concerne que les filles vierges. Si une femme peut se marier plusieurs fois dans sa vie, elle ne peut célébrer qu’un seul grand mariage. Cette cérémonie, qui consiste à : « Faire manger les membres de son groupe lors du mariage de sa fille » est l'occasion pour une femme d'éteindre une dette qu'elle a contractée en allant ''manger dans les mariages'' précédemment célébrés par les autres membres [de son shikao][…]. Le harusi est une démonstration de la capacité d'un groupe de parenté, représenté par la mère qui, elle-même, incarne la maison, à amasser une somme importante d'argent. En mariant toutes ses filles, une femme met au défi son groupe de commensalité et ainsi assied son autorité, » (Soubry 2013). Il s’agit donc d’un événement fastueux composé de plusieurs cérémonies, dont la plus importante, comme nous l’avons déjà souligné, est le manzaraka. Mais le harusi consacre également la capacité des parents, en particulier de la mère, à relever le défi d'élever leur fille selon les règles de la société. C'est un moment d'affirmation sociale pour la mère et la fille. Il associe la reconnaissance des valeurs éducatives à celle des valeurs économiques.

Manzaraka

Le manzaraka, au sens strict, est un cortège pendant lequel, les invités.es de la famille du marié, accompagnent ce dernier à la maison de son épouse. Le cortège est constitué de deux parties, une masculine l’autre féminine. Une fois arrivés à la maison de la mariée, les parents et amis masculins partagent le repas nuptial à l’intérieur de la maison alors que les femmes s’assemblent sous une tente montée à l’extérieur. Le terme manzaraka tire son origine du poème chanté lors du cortège nuptial le tari la mulidi, - cérémonie du mulidi - : « Man zara kabura Muhammadi », et qui donne le nom à toute la cérémonie. Cependant, les femmes parlent de manzaraka en faisant également référence au pendant de cette cérémonie, c’est-à-dire le grand festin organisé au cours duquel la mère du marié et toutes les femmes de sa famille, au sens large, découvrent la mariée par le rituel du « dévoilement » en contrepartie d'offrandes de bijoux, de cadeaux personnels et de beaucoup de billets de banque. Cette réception spectaculaire a lieu sous le bandra-bandra (abris), une grande tente érigée pour l'occasion sur une place du village, où les femmes sont accueillies. Cette coutume d’occuper de l'espace public pour célébrer le mariage est assez récente. C'est l'une des conséquences de la transformation sociale et urbaine de Mayotte depuis une vingtaine d’années. Autrefois, tout se passait dans la maison de la mariée. Aujourd’hui, au lieu de rester chez elle, après avoir accueilli les hôtes masculins, la mariée est accompagnée en cortège sous le bandra-bandra.Les autres hommes qui participent à la cérémonie, parents et amis plus éloignés, qui ne font pas partie des invités d’honneur, prennent place dans un autre espace dédié, généralement en plein air, souvent à côté du bandra-bandra.

Sous le bandra-bandra, la mariée est assise sur un podium sur lequel est recréé un petit salon, comme une sorte d'extension de sa maison. En chantant et en dansant, les invitées lui offrent l'argent, les bijoux et les cadeaux, en avançant les unes après les autres en file indienne. Cette cérémonie publique est devenue la cérémonie de mariage la plus importante pour les femmes, car elle met à l’honneur la mère du marié, par l'ostentation de sa richesse, mais aussi de ses réseaux d'amitié et de connaissance. Des centaines de personnes y participent. C'est la famille de la mariée qui l'organise et paye le somptueux banquet. Les invité.e.s sont tous.tes convié.e.s par la famille du marié. Chacun doit faire des offrandes à la mariée. Tout ce qu'elle reçoit à cette occasion lui appartient. Elle n’a pas à le partager avec son mari et le conserve en cas de divorce.

Au cours du manzaraka la danse et les chants de mbiwi sont présents de différentes manières. Tout d’abord, dans la maison de la mariée, les jeunes filles dansent de temps en temps pendant le repas des hommes. Ces derniers sont habillés comme des dignitaires avec djoho (longs manteaux décorés de broderies dorées). Longtemps réservé aux femmes mariées, il est aujourd’hui permis aux jeunes filles de faire du vent sur les hommes et tout particulièrement sur le marié et ses valets pour les soulager de la chaleur, munies d’éventails. Ces sont des filles de la famille de la mariée ou des amies qui appartiennent à son shikao. Après le repas, les invités d’honneur défilent un par un dans la chambre de la mariée, allongée sur son lit depuis le début de la cérémonie. Ils lui offrent de l’argent en échange du privilège de la voir et, en prime, de se faire photographier à ses côtés.

Pendant ce temps, les jeunes filles qui l’assistent chantent et dansent du mbiwi. Ensuite la mariée rejoint le bandra-bandra en cortège. Ses accompagnatrices peuvent avancer an chantant et en dansant le mbiwi. Si la famille a engagé des associations de mbiwi, celles-ci se relaient également pour chanter et danser afin d’entretenir l'ambiance festive. Comme mentionné précédemment, dans le passé, toutes les classes d’âge du village dansaient et participaient aux festivités d’un mariage et à leurs préparatifs. Il existe deux façons différentes de participer à un manzaraka. Lorsqu’un garçon se marie, sa famille est invitée au banquet. Lorsque qu’il s’agit d’une fille, sa famille doit préparer le repas. Les femmes invitées au mariage et toutes celles qui dansent le mbiwi, ainsi que les filles du shikao et celles qui font partie du cortège nuptial sont rigoureusement habillées en saluva, la tenue traditionnelle des femmes mahoraises. Elles montrent ainsi l’attachement à la tradition mahoraise. Elles ont d’ailleurs tendance à se coiffer et à s’habiller comme les mariées d’antan. L’épouse, quant à elle,  autrefois  habillée de manière traditionnelle, est aujourd’hui de préférence vêtue d’un sari. C’est une nouvelle mode. De nos jours, l'image de la femme indienne est très appréciée à Mayotte.

L'accompagnement instrumental des chants et des danses peut être assuré exclusivement par les femmes elles-mêmes ou par un orchestre d'hommes qui jouent la musique, sur laquelle les femmes exécutent leur rythme avec les bâtonnets. La famille du marié peut également organiser une soirée spéciale de mbiwi pour honorer les femmes en engageant un groupe musical local. Si un orchestre est présent, la disposition des danseuses est un peu différente. Elles laissent un grand espace centrale vide.
Elles se disposent face à face en rangées très ordonnées et espacées, alors que dans la maison les femmes sont très proches. Le mbiwi se danse dans un espace beaucoup plus rétréci et circulaire.

Mais avant le manzaraka, il y a aussi d’autres cérémonies qui sont animées par le mbiwi. Dans le passé, avant même l’introduction du manzaraka, ces autres cérémonies étaient les occasions principales pour danser et chanter le mbiwi.

Le Mutsango (Cotisation)

Quelque temps avant le mariage, le shikao de la future mariée lui apporte les cotisations du groupe ainsi que des cageots de cannettes de boissons gazeuses. Pour se rendre chez elle, les femmes se déplacent en cortège en chantant du mbiwi, sans nécessairement danser. Toutefois, en marchant, elles marquent le rythme créé par l’accompagnement instrumentale des bâtonnets. Elles peuvent s’arrêter de temps en temps pour danser. Elles portent les cadeaux sur la tête, de manière ostentatoire, afin qu’ils soient bien vus par les villageois.es qu’elles rencontrent en chemin.

Une fois arrivées à destination, les femmes de la famille de la mariée doivent danser et offrir des billets pour « faire descendre les cadeaux ». Petit à petit, tout le monde danse. Les femmes du shikao défient les femmes de la famille de la mariée. Elles partagent ensuite un repas ou un goûter avant de recommencer à danser.

Mavindzo (cadeaux de la belle-famille)

Le cortège des « cadeaux de la belle-famille » fait aussi partie des cérémonies de mariage. Ce sont les femmes des familles des affin.e.s qui offrent à la future mariée ses mavindzo. Là encore, il s’agit d’un cortège qui sert à porter des cadeaux à l’épouse : tissus, chaussures, produits de beauté, bijoux, argent mais aussi ustensiles de cuisine. Traditionnellement ces parures, ces costumes, ces ustensiles et ces offrandes variées lui reviennent de droit, tout comme la dot.

Autrefois, ces cadeaux étaient placés dans des valises, ce qui a donné le nom à la cérémonie. Lorsque la remise des cadeaux est une cérémonie à part entière, elle est surtout une affaire de femmes. Mais, il s’agit d’une cérémonie mixte. La file des femmes est précédée par les hommes de leur famille qui chantent généralement des chants du mlelezi ou mshogoro (autres arts musico-chorégraphique mahorais) ou bien du mulidi (rituel masculin d’inspiration soufie). Derrière les hommes et tout au long de la déambulation, les femmes chantent du mbiwi. Le contraste entre les chants féminins et masculins est saisissant. Alors que les chants des hommes sont sérieux, les chants des femmes évoquent, de manière sarcastique et souvent avec humour, les problèmes qui dégradent les relations de couples, ce qui provoque parfois des éclats de rire.

Les cadeaux d’aujourd’hui sont beaucoup plus imposants et plus impressionnants que par le passé. Les « valises » sont désormais remplacées par des panneaux et des coussins sur lesquels sont accrochés les bijoux et l’argent, afin qu’ils soient bien visibles pour tous et toutes ceux et celles qui croisent le cortège. Les femmes escortent également un camion avec d’énormes cartons contenant des appareils ménagers : four, chaîne hifi, téléviseur plasma. La robotique complète désormais la liste des dons d'ustensiles de cuisine d’antan tels qu'un balai et une chaise à râper les noix de coco.

Une fois dans la maison de la mariée, les femmes des deux familles s’affrontent dans la danse du mbiwi. Cette fois, un somptueux repas s’impose, avant que la danse ne reprenne.

Hishima (Cadeau)

Le shikao peut offrir d’autres cadeaux à la mariée, en lien ou non avec une autre célébration. Il peut s’agir de bijoux, de produits cosmétiques, de tissus, de billets de banque, etc. Cette cérémonie s’appelle hishima, qui veut dire simplement « cadeau honorifique ».

La mariée peut également organiser un hishima pour remercier sa belle-mère.  Elle décide de lui offrir un cadeau car elle estime que pendant le manzaraka, elle a dû s’occuper de ses invité.e.s et n’a pas vraiment eu le temps de s’asseoir et de profiter de la fête.

Pendant donc toutes ces cérémonies caractérisées par des offrandes (mutsango, mavindzo, hishima), les femmes dansent du mbiwi. Il s’agit toujours de défier les femmes des familles alliées : « Dans le mavindzo et le hishima, c’est une histoire entre femmes, alors que dans le manzaraka, il y a plein d’hommes qui ne sont pas forcément de la famille. », explique une pratiquante.

Au cours de ces cérémonies, les femmes des deux familles dansent ensemble :

« Elles échangent leur joie. Elles vous reçoivent, elles viennent vous accueillir », affirme Jacqueline. Il s'agit donc autant d'un échange économique (d'or, de tissus, de marchandises, d'argent) que d'un échange d'éléments immatériels tels que la joie, l'émotion, la sensualité, la beauté. Ces richesses matérielles et immatérielles sont de bon augure pour une nouvelle union, prospère et harmonieuse. On peut également voir dans ces échanges, le don d’une fertilité potentielle, car dès que les femmes se marient, elles font des enfants. : « Je ne sais pas si ça vient de la danse, quand on danse on ne pense pas à ça, c’est juste pour montrer notre joie, nos émotions. Mais c’est vrai que dès qu’on est mariée on fait un enfant. », commente Adidja.

En dehors des cérémonies de mariage, il existe d’autres circonstances pendant lesquelles les femmes dansent et chantent du mbiwi. Lors des circoncisions, par exemple, les moments saillants sont similaires. Le shikao peut organiser un cortège pour apporter la cotisation à la mère de l’enfant pour qu’elle puisse financer la cérémonie de circoncision de son fils. Une fois arrivé à destination, le cortège des femmes danse et chante du mbiwi.

D’autres occasions plus récentes font désormais le bonheur des pratiquantes.

Les rencontres entre groupes

Les associations de mbiwi organisent régulièrement des rencontres entre différents groupes. Ces rencontres entre zama s'inscrivent dans une dynamique de compétition beaucoup plus marquée que celle observée lors des cérémonies de mariage. Le but est de gagner en prestige afin d’obtenir des invitations. Pour ce faire, le groupe organisateur doit assurer les moyens logistiques et financiers nécessaires à l'organisation de ces manifestations, qui nécessitent de financements considérables. Il faut louer une salle, un système de sonorisation, se procurer des chaises, des nattes et préparer un repas. Pour participer à une rencontre, il faut également louer un bus pour s’y rendre. Montrer ses capacités d’organisation permet de mettre en valeur les compétences, les relations et la richesse du groupe, ce qui apporte du prestige aux organisatrices. 

Plusieurs zama peuvent aussi se mettre d’accord pour organiser une manifestation ensemble. Dans ce cas, les participantes sont invitées à donner une contribution financière. Celle-ci ne représente que quelques euros. Par exemple, à Mayotte, certaines associations ont fixé la participation à 2 euros. Ce prix a même donné son nom à ces événements : il s’agit de « Mbiwi 2 euros ». En métropole et à la Réunion la cotisation est d’environ 5 euros. Ces manifestations sont de préférence appelées « Journées culturelles ». Ces rencontres durent tout l’après-midi. Elles sont ouvertes au public et organisées dans le but de promouvoir la culture mahoraise (Soubry 2013).

Les concours

Les associations de mbiwi organisent aussi des concours. Les meilleures équipes remportent des prix. Elles sont évaluées par un jury. À Mayotte, les jurys sont souvent composés de personnalités locales et de métropolitain.e.s vivant sur l’île. Les critères peuvent concerner le contenu des chants, l’ambiance sonore produite par les mbiwi, ainsi que les éléments suivants : la beauté des voix, la grâce, la dextérité et l’aisance des danseuses. D’autres éléments esthétiques contribuent à l’évaluation des concurrentes, tels que la tenue, la coiffure et les accessoires. Toutes les femmes appartenant à un même groupe sont habillées, coiffées et parées de la même manière. Chaque association se présente ainsi de manière uniforme et compacte. Chacune met en avant les compétences de ses membres en exploitant au mieux les capacités des meilleures chanteuses solistes, danseuses ou percussionnistes pour pouvoir imposer sa suprématie.

Les manifestations variées

Les groupes de mbiwi participent régulièrement aux manifestations locales qui mettent en valeur la culture mahoraise, telles que l’accueil de personnalités politiques et culturelles de métropole ou de l’étranger, les Journées du patrimoine, les festivals de musique, les journées thématiques concernant par exemple la sensibilisation à la prévention du SIDA, du diabète, la protection de la nature, les commémorations diverses comme l’abolition de l’esclavage, la départementalisation de Mayotte etc.

Le rôle des hommes

Bien que certaines associations métropolitaines aient des hommes dans leurs bureaux, leur rôle principal est d’assurer la musique qui accompagne la prestation des femmes. Toutefois, cette présence n’est pas indispensable, car avec les rythmes des bâtonnets, les femmes peuvent assurer leur propre accompagnement instrumental. Néanmoins, la présence d’un orchestre masculin et très appréciée, surtout si les groupes sont reconnus et médiatisés sur les réseaux sociaux. Ces orchestres sont présents aussi bien dans les manifestations organisées à Mayotte qu’en métropole. Les musiciens mahorais partent souvent en tournée dans l’hexagone, soit pour les mariages, soit pour les « Journées culturelles ». Leurs concerts sont rémunérés. Leur présence témoigne de la richesse de la famille ou de l’association organisatrice qui peut se permettre ces dépenses. Parmi ces groupes, les Vikings occupent une place de premier plan. Tama Music et Lathéral font également partie des groupes les plus réputés et appréciés. D’autres formations qui ont eu un rôle important dans le passé, comme Les Rapaces, Papa Joe, Scolopandre, ne sont plus actifs. La musique jouée par ces musiciens est du genre mgodro. Elle s’accorde particulièrement bien aux rythmes des bâtonnets de mbiwi.

Mais les hommes peuvent également participer aux animations des femmes en tant que spectateurs ou accompagnateurs. Comme déjà souligné, en France métropolitaine, les associations de mbiwi font appel aux hommes pour les aider à résoudre certains problèmes d’ordre administratif ou organisationnels.  

Les textes des chants sont principalement en shimaore mais ils peuvent aussi être rédigés en kibushi et dans d’autres dialectes parlés à Mayotte. Certains mots ou expressions des anciennes chansons ne sont pas compris par les pratiquantes, car s’ils appartenaient à des dialectes qui ne sont plus utilisés ou qui se sont déformés avec le temps. Les principales langues vernaculaires parlées par les Mahorais.es sont le shimaore et le kibushi. Le shimaore est d’origine bantoue, au même titre que les autres langues comoriennes. De nombreux mots ont une étymologie commune avec le swahili (Blanchy 1996 : 9). Breslar définit le shimaore comme la lingua franca de l’île (Breslar 1979 : 37). Pratiquement comprise par tout le monde, les discours politiques ainsi que certaines émissions de radio et de télévision sont encore souvent prononcés dans cette langue. Le kibushi ou shibushi est, en revanche, le dialecte malgache parlé à Mayotte, également appelé kibushi-kimaore. Kibushi signifie « parler à la manière malgache ». Le malgache est une langue malayo-polynésienne originaire de l’île de Bornéo (SHIME 2016 : 30).

Les instruments de musique :

Les mbiwi, mbiu, mbiui

Catégorie instrumentale : idiophone par entrechoc

Procédé de mise en vibration : Frappement.

Il s’agit de deux plaques de bambous polies. Généralement, les femmes les fabriquent elles-mêmes. Les fillettes apprennent à les fabriquer dès leur plus jeune âge et c’est un jeu très amusant pour elles. C’est un instrument très populaire sur l’île. Actuellement, on trouve également des plaques créées à partir de bois divers. Ils peuvent également être achetés comme souvenir touristique ou comme cadeau à offrir. Depuis quelques années, cet instrument de musique est aussi utilisé comme un objet de décoration et comme support d’expression artistique de dessin et de peinture.

Pour jouer les mbiwi, on tient une plaque de bambou dans chaque main. On frappe une plaque contre une autre. Le timbre est très aigu et le volume sonore est assez impressionnant. Le geste de base est très simple. Cependant, les exécutantes peuvent faire des jeux polyrythmiques complexes. 

Objets

Bijoux, rosettes de fleurs de jasmin, masques de beauté mettent en valeur la beauté des femmes habillées en saluva, la tenue traditionnelle locale.

Le saluva

Le saluva est composé d’un tissu imprimé avec des motifs, généralement cousu sur un côté. Il est noué au-dessus de la poitrine et tombe jusqu'aux chevilles. Il est porté sur un jupon, le plus souvent de couleur blanche, orné de dentelle et un body assorti, qui est une sorte de justaucorps très moulant fabriqué en matière synthétique comportant également des inserts de dentelle. Il existe différents types de saluva à différents prix. Les tissus utilisés pour les confectionner peuvent coûter de quelques dizaines à quelques centaines d’euros. Selon l’occasion, les femmes s’habillent avec un saluva plus ou moins cher. La tenue complète se compose d’une deuxième pièce appelée kishali. Le kishali est souvent porté sur la tête faisant fonction de châle. Lors d’événements importants, comme les mariages, il est en revanche porté en écharpe sur une épaule. 

L’achat de saluva pour un événement est souvent entouré de mystère. Pour éviter le risque d’être habillées de la même façon, les femmes des différents groupes ont leurs propres fournisseurs. L’achat se fait alors dans le plus grand secret afin que personne, à l’exception des femmes concernées, ne soit au courant du choix effectué.

Le jasmin (ânfu)

Le jasmin est un accessoire indispensable pour les femmes mahoraises. Composé en rosettes appelées « kilabu», les femmes le mettent dans leurs cheveux ou l’accrochent au saluva ou au body au niveau de la poitrine. Beaucoup de maisons sont décorées de cette plante rampante et vivace, qui pousse sur les toits ou sur les palissades qui entourent les cours et clôturent les habitations. La cueillette des fleurs de jasmin se fait en fin d’après-midi, au coucher du soleil, pour préserver davantage leur parfum. Ce sont des fleurs délicates qui se fanent rapidement. Les femmes doivent donc les cueillir la veille. Pour composer les rosettes parfumées, elles enfilent les tiges des fleurs une à une dans des épingles à nourrice, quelques heures avant l’évènement.

Touanti du groupe de Tsimkoura insiste sur l’importance de la belle présence et de l’utilisation des fleurs pour se parfumer :

« Le jasmin c’est la fleur de Mayotte. Depuis que je suis petite, je me rappelle mes grands- mères, ma mère, elles allaient au mariage, elles mettaient les jasmins. Elles se tressaient les cheveux et elles mettaient les fleurs dedans. Un jour j’ai demandé à ma grand-mère pourquoi elle mettait beaucoup de jasmin comme ça. Elle m’a dit que comme première chose le jasmin, ça sent bon. Puis le jasmin, ça fait joli. Si tu mets les jasmins tu vas être belle. Si tu vas à un mariage tu mets du jasmin parce qu’il n’y a pas de parfum, il n’y a pas des marashi. Tu peux mettre le jasmin pour être belle et sentir bon. Pour le mariage, c’est obligé, on met le jasmin ».

Les femmes aiment particulièrement cette activité de cueillette. C'est une manière de montrer qu’elles font attention à leur féminité et qu’elles cultivent leur charme. Le jasmin étant le symbole de la beauté et de l'amour, elles avaient l'habitude d'en mettre quelques pétales sur le lit le soir, pour susciter le désir de leur mari.

Le jasmin est donc un symbole de beauté, de charme, de sensualité et de féminité.  

Aujourd’hui les femmes, par manque de temps, font de plus en plus appel à des associations et achètent des colliers et des rosettes de fleurs tous prêts. « Le jasmin c’est devenu de l’or », affirme Anymati. Comme elles n’ont pas le temps de les cueillir, les femmes doivent les acheter. Pour être belle, le jasmin est en effet primordial. Malgré le fait que ces traditions deviennent une contrainte, toutes y tiennent et font de leur mieux pour les respecter. « On se sentirait humiliée de ne pas se soumettre à ces contraintes, car on serait critiquée », avoue Anymati.

Une chanteuse et une danseuse particulièrement appréciées peuvent également recevoir du jasmin en signe d’appréciation et de reconnaissance. Recevoir du jasmin et offrir du jasmin « ça fait plaisir ». Ce sont des actes de réciprocité qui témoignent de l’attention portée aux autres. Il s’agit d’être honorée, être reconnue et pouvoir montrer plus tard d’avoir été honorée.

Les coiffures

Les cheveux des femmes mahoraises sont toujours tressés. Laisser les cheveux crépus est considéré comme une négligence. De ce fait, elles ont une incroyable expertise dans les techniques de tressage. Maintenant, il y a même des compétitions à la télévision. Ainsi, elles tressent les cheveux de différentes manières. Elles les soignent à l’huile de noix de coco matra ya nadzi. Pour faire du mbiwi, les femmes préfèrent les grosses tresses entrelacées de fleurs de jasmin. Ce sont les tresses traditionnelles de la mariée le jour des noces. Elles sont appelées matavwa. 

Aspect esthétique :

Le mbiwi est l’exhibition par excellence de la beauté de la femme mahoraise. C’est la mise en scène de sa féminité. Il ne s’agit pas de la capacité de séduction. La danse ne s’adresse pas directement aux hommes. Au contraire, elle s’adresse principalement aux autres femmes, comme le dit Amina : « C’est un message, adressé aux autres femmes ».  Et le message est : « Regarde-moi, comme je suis belle, sensuelle, raffinée et élégante ». C’est la présentation de la femme parfaite et de l’épouse idéale. La rivalité entre femmes, certes, est toujours présente. La polygamie, désormais interdite, est de fait toujours pratiquée. Le mbiwi est donc l’ostentation de la puissance féminine par la beauté, les belles manières, la belle présence.

Être bien habillées et soignées, avoir un maintien élégant et raffiné, témoigne, en somme, du niveau d’éducation et de moralité d’une personne. Pour les femmes mahoraises, la beauté ne se résume pas à une qualité naturelle. Il y a un travail à faire sur soi pour s’embellir, ce qui montre le soin que l’on prend quand on va à la rencontre de l’autre, dans des situations d’interaction sociale et publique. Pour Taambati, présidente d’une association pour la sauvegarde de la culture mahoraise, il est important d'être belle parce que : « C'est une manière de se respecter ». Elle explique que : « Le respect envers les autres commence par le respect envers soi-même, il faut être belle pour être aimée par Dieu, par son mari, par les autres aussi ». La modestie, la retenue, tout autant appréciées, ne sont pas incompatibles avec la belle présence, l’attention portée à son apparence et le plaisir de l'exhiber. Cette manière de vouloir se montrer à son avantage est donc liée à la notion de respect de soi et des autres et à l’évitement de toute critique, et génère une exigence de réciprocité. Les aspects esthétiques de la pratique soulignent ainsi les vertus les plus appréciées de la femme mahoraise, telles que la beauté, la discrétion, la pudeur, la patience et les belles manières (Blanchy 1990, 117‑18).

Ainsi, le mbiwi permet de concilier des qualités à priori opposées, comme la beauté et la réserve, la sensualité et la retenue, la modération et la ténacité.

Pour les pratiquantes, le mbiwi fait partie du patrimoine culturel mahorais. Elles n’ont pas l’habitude de poser des questions, donc pour elles, cette pratique a toujours existé. Elles ont vu leurs mamans, leurs sœurs aînées la faire et elles continuent à entretenir cette tradition. « Ça vient tout seul, à force de regarder les autres. Pour danser on écoute le rythme. Si le rythme n’est pas bon on ne peut pas danser. Ce sont les mbiwi qui font danser. », explique Anymati.

L’apprentissage de la danse, du chant, des rythmes d’accompagnement instrumental se fait donc par observation et mimétisme. Les fillettes apprennent progressivement les rythmes de l’accompagnement instrumental en observant les femmes adultes. De même, elles apprennent le chant et les techniques de composition des textes en les écoutant. Selon Anymati, l’apprentissage du mbiwi commence par le rythme. Les enfants coupent leur propre bambou pour imiter les adultes. Les fillettes jouent à imiter leurs mamans et leurs grandes sœurs. Elles ont l’habitude de suivre leurs mères aussi bien lors des répétitions que des manifestations et les regarder faire. L’envie de grandir fait le reste.

Aujourd’hui, certaines associations programment régulièrement des répétitions auxquelles peuvent participer toutes celles qui veulent apprendre. En conséquence, la méthode de transmission s’affine et se formalise. Lors des journées culturelles, mêmes les femmes allochtones peuvent désormais profiter de ces initiations.

Autrefois réalisée uniquement par les femmes mariées, cette danse est aujourd’hui pratiquée également par les jeunes filles célibataires. Les mères l’enseignent à leurs fillettes comme une activité ludique. Par le passé, les filles ne pouvaient que regarder, elles n’avaient pas le droit de danser. De manière générale, il y a seulement une vingtaine d’années, les enfants ne se mêlaient jamais aux adultes. Ils.elles les accompagnaient aux différentes manifestations et activités, mais ils.elles ne pouvaient que jouer entre eux.elles ou bien rester tranquilles. Ils.elles n’étaient pas autorisé.e.s à écouter les discussions des adultes, encore moins à y participer. Avec la départementalisation, la diffusion des écoles, les nouvelles habitudes induites notamment par le système pédagogique de l’éducation nationale, les enfants sont considérés différemment. Ils.elles ont plus de place et ont droit à plus d’attention. Leur intérêt et leur curiosité sont davantage stimulés et satisfaits. « Tout a changé. Maintenant il n’y a plus de différence entre grandes et petites personnes », constate Anymati. Et il en va de même pour les danses. « Mais avant, ce n’était que les grandes personnes. L’éducation, même au niveau familial, a complètement changé. Les grandes personnes avaient le droit de donner des ordres aux enfants. Aujourd’hui, les parents des enfants n’apprécient pas que quelqu’un d’autre leur donne des ordres », explique Amina.

Zily Hamida est considérée comme une formidable interprète soliste de chants de mbiwi. Elle a été longuement membre de l’association Fleur d’Ylang de Tsingoni, l’une des associations qui a le plus contribué au développement de cet art et à la rédaction de cette étude. Elle poursuit aujourd’hui une carrière de chanteuse internationale, écrivant ses propres textes et utilisant les compétences qu’elle a acquises en pratiquant le mbiwi.

Mzouasia, Mtsangamboua et Bandrélé sont les villages les plus réputés où l’on trouve des zama composés de femmes chevronnées dans cet art.

Aujourd’hui, des nouveaux groupes émergent grâce à l’engagement de jeunes femmes dynamiques et cultivées qui modernisent cet art tout en préservant les valeurs traditionnelles qu’il promeut.  À titre d’exemple, il convient de citer l’association Chok Chok de Chiconi et tout particulièrement Jacqueline Minhadji ainsi que Saandia Boina de l’Association Yasmine de Tsimkoura.

Dans tous les groupes, les mères et les grandes sœurs sont les plus impliquées dans la transmission. Mais l’apprentissage et la passation de compétences peut également s’effectuer par le biais de relations de complicité entre copines et aussi au sein des zikao et des zama. Les plus expérimentées et douées expliquent aux autres.

L’entraide et la coopération

En ce qui concerne les zikao, aucune personne n’est plus responsable qu’une autre. Mais selon l’âge, la maturité et l’engagement, chacune est plus ou moins impliquée. Cependant, les associées doivent aussi prendre leurs responsabilités. « On peut prendre des sanctions si on ne se tient pas aux règles », m’explique Anymati. Toutes les partenaires participent aux décisions. « Tout est décidé ensemble, on organise des réunions pour décider », confirme Anima.

Toutes les femmes de l'association, mais aussi leur réseau familial, sont mises à contribution, et sont appelées à aider et à collaborer. Tout le monde participe aux différentes tâches en mettant à disposition des biens, comme une voiture, une camionnette pour transporter le matériel et les achats, pour ramener les fagots de bois de la campagne afin de faire les feux pour la cuisine. Ces activités s'intensifient au fur et à mesure que la date de l’événement approche.

Située dans l’océan Indien entre l'Afrique et Madagascar, Mayotte (Maore), avec Anjouan (Ndzuani), Mohéli (Mwali) et Grande Comore (Ngazidja) est l’une des quatre îles de l’archipel des Comores. En 2011, Mayotte est devenue le 101e département français. Des fouilles archéologiques font remonter les premières installations humaines sur ce territoire au IXe siècle (Pauly 2014; 2018b; 2018a) mais elles pourraient être plus anciennes (Allibert 2015). La population de l’île est le résultat du métissage de peuples africains bantous et d’autres de descendance austronésienne. Au cours du premier millénaire de cette ère, ces îles se retrouvent au centre d'un important réseau commercial qui se développe entre la Perse, l'Arabie, le sud-est de l'Afrique et l'Inde. Par la suite, la sédentarisation de navigateurs arabo-persiques marque de manière décisive l'histoire et la culture de ce territoire en introduisant l'islam (Allibert 2015; Pauly 2018b).

Avant la période coloniale, les intenses liaisons commerciales maritimes par boutres (petits voiliers arabes) reliant Madagascar, la côte swahilie et aussi le Moyen-Orient, inscrivent les habitants de ces régions de l’océan Indien dans une dynamique de mobilité remarquable (Alpers 2001). Dès le XIIIe siècle, la richesse issue de la traite des esclaves favorise le développement de sociétés esclavagistes dirigées par des élites islamisées. À Mayotte, cette classe dominante est constituée de la noblesse kaba’ila, composée de Chiraziens et de familles des chefferies locales, les Beja et les Fani (Breslar 1979, 29). Puis, par sa position géographique stratégique, à partir du XVIe siècle, l’île devient une étape sur la route des épices, reliant l’Occident aux Indes via le Cap de Bonne-Espérance. Après une longue période de sultanats ponctuée par de nombreux événements belliqueux, la France prend possession de Mayotte en 1841. Sous la colonisation française, les déplacements forcés de la population continuent jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1846. Suite à cette abolition, les sociétés de plantation modifient leur stratégie de recrutement de la main-d’œuvre par le biais du phénomène de l’engagisme, forme de salariat réservé aux anciens esclaves.  Elles font pour cela appel aux populations des îles voisines, car le nombre d’insulaires à cette époque ne dépassait guère les quelques milliers d'individus, si bien qu’à peine un millier d'entre eux.elles pouvaient être considéré.e.s comme indigènes (Ahamadi 1999, 109).

Au Moyen Âge, la société de Mayotte était constituée de trois catégories de personnes : la noblesse kaba’ila, composée de Chiraziens et de familles nobles locales qui estimaient que leurs généalogies paternelles remontaient jusqu’au prophète Muhammad, les wangwana (sing. mungu-hana), individus libres de naissance ou affranchis, et les warumwa, les esclaves amenés de l’Afrique par les Chiraziens (Breslar 1979, 29 31). À travers un système de type féodal, les nobles engageaient les individus de la classe inférieure pour les travaux d’agriculture, de pêche, de construction et d’élevage. En contrepartie, ces derniers pouvaient louer des parcelles de terre qu’ils cultivaient pour les besoins de leur famille. Ces individus vivaient dans des hameaux autour des villages des Chiraziens. Pour se garantir une descendance noble, les kaba’ila pratiquaient l’endogamie. Néanmoins, les hommes épousaient également des femmes d’autres classes, en deuxième et troisièmes noces, afin de tisser d’autres types d’alliance. En revanche, un mariage entre une femme noble et un homme esclave était considéré comme indigne (Breslar 1979, 31). Ce système a perduré jusqu’au début du XXe (Blanchy 1990, 19). Mais jusqu’à la fin des années 1960, il existait également un réseau de mariages privilégiés, appelé mbengo, entre les familles de l’aristocratie traditionnelle de cinq villages en particulier (Tsingoni, Sada, Bouéni, Mzouazia, Boinatsa ou Mbouanatsa) (Breslar 1979 : 70). Ces pratiques ont à la fois préservé certaines lignées et produit une dynamique de brassage interclasse.

Les danses et les chants du mbiwi représentent une survivance culturelle de ces peuples africains originels. Malgré l’interdiction des danses d’esclaves, considérées comme sauvages et transgressives, ces peuples, et en particulier les femmes, ont su conserver certains aspects formels et la place que ces pratiques culturelles avaient en tant qu'expression sociale et rituelle fondamentale liée au mariage. Comme le montre Margareth Strobel, qui a étudié les célébrations de mariage à Mombasa, au Kenya, les mariages peuvent être considérés à la fois comme un artefact de la structure sociale et comme un mécanisme d'intégration (Strobel 1975). La ségrégation des sexes dans les mariages, où les hommes et les femmes se rencontrent séparément, donnent aux femmes l'occasion de bavarder, de discuter et de se divertir. Les hommes satisfont ces besoins dans les mosquées de quartier, les confréries soufies, les associations politiques ou les clubs sociaux, dont les femmes sont exclues. En plus d'être un moment de convivialité, les mariages ont toujours été un moyen pour montrer la richesse des familles des mariés et de leurs invités. La qualité des tenues et la quantité de bijoux en or portés par les femmes lors d'un mariage, en plus de montrer leur richesse, donnent lieu à des échanges impliquant des obligations formelles importantes, car ces invitations présupposent toujours la notion de réciprocité (Lambek 1983; Bennett et Nimtz 1981).

Certain.e.s anthropologues associent le mbiwi aux leçons d'uzinisa unyago « faire danser le bassin », comme l'art de bouger le corps pour l'union charnelle (Blanchy 2012). Mais les femmes qui ont contribué à la rédaction de cette fiche ont été surprises par ce rapprochement. Pour elles, l'initiation à l'unyago n'a lieu que dans la sphère privée. De plus, la façon dont le bassin est mobilisé est très différente. Dans l'unyago, « seul le bassin bouge volontairement », alors que dans le « mbiwi, les hanches bougent grâce au travail des pieds », comme l'explique Saandia. Elle parle en revanche de « uzinisa kundru », c'est-à-dire de faire danser le collier de perles que les femmes portent autour des hanches. Il s'agit donc de mettre en valeur le ventre et le bassin comme le siège d'une force vitale et sensuelle, plutôt que la simple imitation de l’union charnelle. Les femmes parlent d’ailleurs d'énergie, de défi, d'endurance, de concentration, de joie, de force, de tonicité lorsqu'elles évoquent les sensations qu’elles éprouvent en dansant le mbiwi. Force est de constater qu’à travers ces cérémonies les femmes occupent des lieux publics et s’approprient d’un espace de pouvoir et de créativité à travers la danse, qui trouve son expression optimale dans le mbiwi.

Le mbiwi a su composer et s’inspirer de multiples influences. En effet, grâce au métissage des peuples, des coutumes et des croyances, dont Mayotte a été protagoniste, la société mahoraise possède une grande tradition musicale et chorégraphique aux influences multiples (africaines, malgaches, arabes, européennes et asiatiques). Différents répertoires coexistent. De tradition africaine et liés aux cycles de la vie, se trouvent le mbiwi, le shigoma, le shitete, le wadaha, le shakasha, le biyaya, le mlelezi, le mshogoro ou mgodro entre autres. Il existe trois rituels rattachés aux cérémonies animistes et de possession d’origine malgache : le rumbu, le patrosi, le mlagala. De nos jours, ils existent aussi des écoles et des compagnies de danse contemporaine, hip hop et de nombreuses associations de danses sociales de différentes origines.Si on compare la manière de danser le mbiwi aux danses similaires de Zanzibar et de Mozambique (lelemama, mbiu, shakasha), on constate qu’à Mayotte les mouvements sont plus discrets, plus contenus. Le haut du corps est davantage contrôlé et la mobilisation des hanches est autant discrète que performative. 

Alors qu’autrefois, toutes les femmes du village assistaient au mariage d’une de leurs membres et par conséquent, toutes les femmes chantaient et dansaient du mbiwi lors de ces cérémonies, aujourd’hui, ce sont plutôt les zama qui assurent l’animation des festivités. Cependant, toutes les femmes invitées continuent à participer aux chants et danses du mbiwi avec beaucoup de joie.

Vitalité

La plupart des mariages à Mayotte comme à la Réunion et en France métropolitaine, sont animés par les danses et les chants du mbiwi. Les orchestres secondent de plus en plus l’accompagnement instrumental des femmes, lors des rencontres entre groupes et des concours. Ces animations agrémentent aussi l’accueil des personnalités politiques venant de Métropole ou de l’étranger. Grâce à l’intérêt que les groupes de debaa ont suscité sur la scène internationale, les associations de mbiwi espèrent reproduire les mêmes exploits (Le debaa est une pratique culturelle mahoraise ; il s’agit de chants et de danses d’inspiration soufie, réalisés uniquement par les femmes, toutes générations confondues). Les pratiquantes participent également aux manifestations organisées pour sensibiliser le public aux questions sociales liées à l’écologie, à la sauvegarde de la nature, à la violence contre les femmes, à la prévention du diabète et du sida.

Des nouvelles collaborations avec les musiciens locaux enrichissent l’accompagnement rythmique de la pratique. Le shama d’Anymati, par exemple, fait régulièrement appel à des musiciens. Ces derniers leur ont d’ailleurs conseillé d’ajouter un troisième rythme, qui, selon Anymati, donne davantage aux femmes l’envie de danser.

Mais les associations apparaissent aussi régulièrement dans les émissions télévisées consacrées à la culture locale. Elles enregistrent également leurs prestations et leurs manifestations en publiant ensuite les vidéos sur les réseaux sociaux. Certaines créent des DVD qui sont vendus lors de différentes occasions.

Ces dernières années, on assiste à une véritable renaissance du rôle des zikao. En effet, la pratique du mbiwi par sa classe d’âge avait été quelque peu délaissée à la fin des années 2010. Les familles préférant inviter des zama renommées. Mais l’augmentation des dépenses pour financer les mariages a remotivé certains zikao, comme explique Saandia de l’Association Yasmina de Tsimkoura :

« Avant toutes les invitées s’amusaient beaucoup pendant les mariages, jusqu’à ce qu’on commence à payer des associations pour des prestations de mbiwi. Nous avons vu nos mamans faire, pourquoi payer alors qu’on sait le faire ? Nous sommes un shikao de 42 femmes du même village, de la même tranche d’âge, qui se déplace uniquement pour animer les mariages de nos enfants, de nos frères et de nos sœurs. C’est à dire que nous ne sommes pas payées pour nos prestations. On s’entraide en revanche, donnant 20 euros à la mariée lors du manzaraka ».

Comme le groupe Yasmina, d’autres zikao s’organisent pour assurer des prestations plus professionnelles. Pour ce faire les femmes se retrouvent les dimanches après-midi pour chanter et danser ensemble : « […] pour apprendre des nouvelles chansons, des techniques pour être plus belles. […] On s’inspire de nos vieilles, ou des shigoma, ou même des vieux chanteurs mahorais comme Langa. On collecte de l’argent pour acheter des nouvelles tenues, [nous sommes] très exigeantes là-dessus », ajoute Saandia. Les activités de ces groupements permettent aux pratiquantes de retrouver les amitiés d’enfance, de renouer avec la solidarité mahoraise qui, selon certaines est « […] en train de se perdre. Nous avons remarqué qu’à l’école on se côtoyait beaucoup alors que maintenant on a peur même de se saluer ».  Le renouveau de cette activité permet aux femmes de s’épanouir et d’oublier les soucis de la vie quotidienne. Bien que ces groupes ne prennent pas la forme d’associations enregistrées, ils ont désormais une capacité d’action significative. Le groupe Yasmina, par exemple, préparait un voyage à l’île Maurice et à Dar es Salam dans le cadre d’un échange culturel.

Menaces et risques

La principale menace pour la sauvegarde de cet art provient des influences religieuses liées à un courant islamique radical implanté à Mayotte depuis plus de quinze ans, véhiculé par les Djaoulats. Ce sont des Mahorais qui ont fait des études religieuses dans les Pays du Golfe, ou bien au Pakistan, au Soudan et aussi en France métropolitaine, entre autres. Ces adeptes prêchent une manière plus stricte de suivre l'islam et critiquent fortement les pratiques locales. Leurs femmes sont voilées. Nombreuses portent le niqab. Cette danse féminine, réalisée par les femmes mariées, est considérée par certains chefs religieux locaux comme inappropriée dans l’espace public, car jugée à connotation sexuelle. C’est pourquoi ils encouragent les femmes à la remplacer par le debaa. Ainsi, dans certaines villes de Mayotte, le debaa est désormais réalisé à la place du mbiwi dans les cérémonies de mariage qui ont lieu dans les espaces publics. Touanti, tambourinaire du groupe de debaa Nourania de Tsimkoura, raconte, par exemple, que quand elle était petite, le jour de l'Aïd, qui est la fête qui conclut la période du Ramadan, les femmes dansaient du mbiwi. Selon ses souvenirs, au début des années 1990 : « Des fundi ont commencé à dire que ce n'était pas bien de faire ce genre de danse pendant un jour sacré et que c’était mieux de faire du debaa ». Ainsi, vers la fin des années 2000 et à partir de la ville de Sada, qui a la réputation d'être habitée par des chefs religieux et par des savants de l'islam de Mayotte, le debaa a désormais substitué le mbiwi dans certaines cérémonies publiques liées au mariage et tout particulièrement à l’occasion du manzaraka. Cependant, le mbiwi demeure la danse par excellence des cérémonies nuptiales qui se déroulent à l’intérieur de la maison. Ce qui est principalement critiqué est l’accompagnement orchestral de la danse par les musiciens masculins. L’idéologique islamique voudrait que les hommes et les femmes ne partagent pas certains contextes de divertissement où l’utilisation du corps de manière sensuelle pourrait éveiller certains désirs à caractère sexuel de la part des hommes.

Toutefois, même si d’un point de vue corporel tout oppose le mbiwi et le debaa, les femmes montrent des qualités similaires en termes d’élégance et de retenue. En fait, la plupart des femmes mariées pratiquent indifféremment les deux danses. 

Modes de sauvegarde et de valorisation

De plus en plus de zama s’organisent désormais en associations. Le but est de développer les activités du groupe et d’être invité aux différents mariages de l’île. La prospérité économique et l’amélioration des conditions financières de la population rendent ces cérémonies de plus en plus fastueuses. Le fait de pouvoir inviter plusieurs associations en même temps montre la richesse et le pouvoir d’achat de la famille organisatrice. Ainsi, il est possible que plusieurs associations de mbiwi soient invitées à se produire et à se concurrencer. Cette dynamique encourage les groupes à se formaliser et à accroître leur répertoire et leur expertise. Les médias mahorais, qu’il s’agisse des radios ou des chaînes de télévision, dédient également des programmes à la médiatisation des traditions locales.

Mais il existe aussi une dynamique visant à sensibiliser à l’importance de préserver la culture locale. Les associations se multiplient et une coopération se met en place entre ces associations et les MJC et les écoles publiques adressée aux jeunes et aux enfants. Il convient également de rappeler que les femmes collaborent désormais avec des musiciens pour développer leur pratique d’un point de vue musical.

Actions de valorisation à signaler

Des manifestations de mbiwi accompagnent de très nombreuses et très réguliers évènements publics tels que les journées européennes du patrimoine, le jour de l’aïd el-kébir, la commémoration de l’abolition de l’esclavage, des journées de sensibilisation dans le domaine de la santé ou de l’environnement.

Modes de reconnaissance publique

Des groupes de mbiwi sont régulièrement invités à participer à des manifestations officielles telles que l’accueil de personnalités politiques.

Un rôle fondamental est joué par le Musée de Mayotte, qui est la première grande institution patrimoniale de l'île ayant pour mission, d'une part, de faire connaître, protéger, conserver et valoriser la culture et le patrimoine locaux et d'autre part, garantir leur inscription dans le patrimoine national français. Cette nouvelle institution qui a ouvert ses portes à l’occasion des Journées européennes du patrimoine de 2015, a comme vocation de mettre en place des politiques culturelles visant la transmission des savoirs et la promotion de la diversité culturelle française, en favorisant en même temps un élargissement des publics. Les diffuseurs culturels et les politicien.e.s espèrent qu'elle pourra représenter une excellente vitrine pour la France au milieu de l'Océan Indien pouvant faire rayonner son exception culturelle sur toute la région. Cette institution ambitionne également de construire des passerelles avec les pays de la péninsule arabique, de l’archipel sud-asiatique et du continent africain, avec lesquels elle partage beaucoup de croyances et de répertoires. Ces nouvelles prospectives sont censées apporter d’importants avantages d'un point de vue culturel, social mais aussi économique, tant au niveau régional que national. Le musée ambitionne de retracer l’histoire de l’île et de ses pratiques culturelles et il prévoit un espace dédié à la recherche. Dès sa préfiguration, les actions de sensibilisation, d’information, d’éducation afin de faciliter l'accès, en priorité aux jeunes, à la culture, se sont multipliées. Cette valorisation des arts traditionnels et de leurs savoir-faire s'adresse aux praticiens.es eux.elles-mêmes tout en voulant les faire découvrir aux populations allochtones, qui y ont difficilement accès. La promotion de ces pratiques, des compétences qui leur sont associées et de la créativité artistique qu'elles expriment s'adressent notamment aux jeunes. L'objectif est de les encourager à mettre à profit ces savoir-faire en développant des nouvelles activités dans les secteurs touristiques et culturels, ou bien à les inciter à professionnaliser leur parcours dans le domaine de la danse, du chant et de la musique. Les collectivités territoriales visent ainsi à améliorer la qualité de vie de la population par le biais de la culture et du patrimoine locaux. 

Ainsi, une attention particulière est accordée à la recherche d'originalité dans l'habillement, les coiffures, les bijoux et les masques de beauté. Les associations visent à créer le même type de dynamique qui a permis aux pratiquantes du debaa d’être reconnues au niveau international, pour bénéficier des mêmes avantages : voyages, invitations, visibilité médiatique, etc. À chaque nouvelle occasion, pour assurer la meilleure prestation et affirmer leur suprématie en matière de savoir-faire, de créativité et de beauté, tous les groupes impliqués composent de nouveaux chants et confectionnent de nouvelles tenues.

 

Les cinq associations listées ci-dessus ont pleinement collaboré à l’élaboration de ce dossier d’Inventaire national et à l’étude ethnomusicologique qui la sous-tend. Dans les captations vidéos réalisées 

Récits liés à la pratique et à la tradition

Sans objet.

Inventaires réalisés liés à la pratique

Sans objet.

Bibliographie sommaire

Ahamadi, Saïd. 1999. Mayotte et la France de 1841 à 1912. Éditions du Baobab.
Ahmed-Chamanga, Mohamed. 1992. Lexique comorien (shindzuani) français. Paris : Éditions L’Harmattan.
Allibert, Claude. 1984. Mayotte : plaque tournante et microcosme de l’Océan indien occidental son histoire avant 1841. Paris : Anthropos.
———. 2015. « L’archipel des Comores et son histoire ancienne. Essai de mise en perspective des chroniques, de la tradition orale et des typologies de céramiques locales et d’importation ». Afriques, n° 06 (décembre). 
Alpers, Edward A. 2001. « A Complex Relationship: Mozambique and the Comoro Islands in the 19th and 20th Centuries ». Cahiers d’études Africaines 41 (161): 73 96. 
Bennett, Norman R., et August H. Nimtz. 1981. « Islam and Politics in East Africa: The Sufi Order in Tanzania ». The American Historical Review 86 (5) : 1129 30. 
Blanchy, Sophie. 1990. La vie quotidienne à Mayotte, archipel des Comores. Repères pour Madagascar et l’océan Indien. Paris : L’Harmattan.
———. 2010. « Devenir une femme accomplie : mère de ada ». Sociétés africaines. Société d’ethnologie.
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Breslar, Jon. 1979. L’habitat mahorais. 1. Une perspective ethnologique. Mayotte Direction départementale de l’équipement. Paris : Éditions AGG.
Chanudet, Claude, et Jean-Aimé Rakotoarisoa. 2000. Mohéli une île des Comores à la recherche de son identité. Archipel des Comores. Paris : L’Harmattan.
Denis, Isabelle, et Nathalie Rezzi. 2011. « République et élites locales : Mayotte (1880-1947) ». Outre-mers 98 (370): 125 34. 
Fasquel, Jean. 1991. Mayotte, les Comores et la France. Paris : l’Harmattan.
Fürniss, Susanne, et Emmanuelle Olivier. 1997. « Systématique musicale pygmée et bochiman : Deux conceptions africaines du contrepoint ». Musurgia 4 (3): 9 30.
« Glossaire : Termes ethnomusicologiques et termes organologiques ». 2004. L'Homme, n° 171 172 (décembre): 409 19..
Guerassimoff, Éric, et Issiaka Mandé. 2015. Le travail colonial : engagés et autres mains-d’œuvre migrantes dans les empires 1850-1950. Paris: Riveneuve éditions.
Lambek, Michael. 1980. « Spirits and Spouses: Possession as a System of Communication among the Malagasy Speakers of Mayotte ». American Ethnologist 7 (2): 318 31. https://doi.org/10.1525/ae.1980.7.2.02a00060.
———. 1983. « Virgin Marriage and the Autonomy of Women in Mayotte ». Signs 9 (2) : 264 81.
Pauly, Martial. 2014. « La diffusion de l’islam à Mayotte à l’époque médiévale ». Taarifa n°4 (revue des archives départementales de Mayotte), Mamoudzou., pp. 69-113, 69 113.
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Randrianary, Victor. 2007. « Patrimoine musical et chorégraphique de Mayotte ». 2007. https://docplayer.fr/19548711-Patrimoine-musical-et-choregraphique-de-mayotte-rapport-de-missions-fevrier-et-juillet-2007.html
Soubry, Mathilde. 2013. « Rapport de parenté et échanges économiques dans la société mahoraise en contexte de migration ». Mémoire de Master 2 en sociologie. Université de Poitiers.
Strobel, Margaret. 1975. « Women’s Wedding Celebrations in Mombasa, Kenya ». African Studies Review 18 (3) : 35 45. 
Verin, Pierre, et Jean Martin. 1985. « Allibert (Claude) : Mayotte, plaque tournante et microcosme de l’Océan Indien — Son histoire avant 1841 ». Outre-Mers. Revue d’histoire 72 (269) : 506 7.

Filmographie sommaire

Elena Bertuzzi est en train de réaliser un film sur les danses du bassin dans l’Océan Indien.

Sitographie sommaire

La plupart des groupes de mbiwi possèdent des comptes sur les réseaux sociaux (facebook, instagram, tik-tok) et postent régulièrement des vidéos sur Youtube.

Praticien(s) rencontré(s) et contributeur(s) de la fiche

Association Fleur d’Ylang de Tsingoni et tout particulièrement Zily Hamida
Association Roses de Combani et tout particulièrement Rose
Association Chok Chok de Chiconi et tout particulièrement Amina, Aminata, Jacqueline et Adidja
Association Yasmine de Tsimkoura et tout particulièrement Saandia, Baraka, Nissuati, Sania, Mariama, Bibi.
Association de Mbiwi de Hagnoundou et tout particulièrement Anymati et Hidaya.

Métadonnées de gestion

Rédacteur(s) de la fiche

Elena Bertuzzi, chorégraphe, notatrice Laban, anthropologue, chargée de cours à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense et à l’Université d’Auvergne de Clermont.

Enquêteur(s) ou chercheur(s) associés ou membre(s) de l’éventuel comité scientifique instauré

Zakia Ahmed, doctorante en anthropologie à l’INALCO
Saandia Boina pratiquante de l’Association Yasmine de Tsimkoura, coordinatrice du groupe
Achoura Boinaidi, chef de service en charge de la conservation et la recherche, Musée de Mayotte
Laure Chatrefou, réalisatrice de documentaires visuels et sonores
Zily Hamida compositrice de chants et chanteuse de mbiwi
Jacqueline Minhadji pratiquante de mbiwi, compositrice de chants et chanteuse de l’Association Chok Chok de Chiconi
Siti Yahaya, chargée des archives orales aux Archives départementales

Lieu(x) et date/période de l’enquête

Mariage Tsimkoura 2013 – « valise/manzaraka »
Mariage de Rabiati 2014
Mariage Nourou 2016
Cortège « hishima » Tsimkoura 2013
Hishima Rahimina Hamjago 2016
Mariage film Tsimkoura 2020
Interviews association Fleur d’Ylang et Zily Hamida de Tsingoni 2013/2014/2015
Interviews association Chok Chok de Chiconi 2020/2021
Interviews association Hagnoundrou 2020
Interview association Tsimkoura : Touanti
Interview association Roses de Combani

Données d’enregistrement

Date de remise de la fiche : Mai 2023
Année d’inclusion à l’inventaire : 2023
N° Ministère de la Culture : 2023_67717_INV_PCI_FRANCE_00528
Identifiant ARKH : <uri>ark:/67717/nvhdhrrvswvksrv</uri>

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer

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