Spécialité de Haute-Bretagne, le craquelin est un biscuit sec de type échaudé.
De forme ronde à ovale, avec des bords relevés pour la majorité d’entre eux, le craquelin s’apparente à une petite écuelle craquante avec un diamètre compris en moyenne entre 3 et 12 centimètres.
Spécialité de Haute-Bretagne, le craquelin est un biscuit sec de type échaudé. De forme ronde à ovale, avec des bords relevés pour la majorité d’entre eux, il s’apparente à une petite écuelle craquante avec un diamètre compris en moyenne entre 3 et 12 centimètres. Les craquelins sont le fruit de savoir-faire artisanaux portés aujourd’hui par cinq craqueliniers encore en activité. Son procédé de fabrication suit une succession d’une douzaine d’étapes bien précises, parmi lesquelles : le travail de la pâte, le pétrissage, le laminage, la découpe, l’échaudage, le plaquage, la cuisson au four, le tri et l’ensachage. Si les ingrédients de base sont majoritairement les mêmes (farine, œufs, eau et poudres levantes), leur texture, leur goût et leur couleur sont différents selon les fabricants et leurs spécificités.
Habitants du territoire, ou originaires de celui-ci, touristes habitués ou de passage… le goût du craquelin est partagé par de nombreuses personnes en Haute-Bretagne et un peu partout en France, notamment via le tourisme et l’évolution des canaux de vente. « Madeleine de Proust » liée aux souvenirs d’enfance ou de vacances, de nombreuses personnes témoignent de leur attachement à ce biscuit. Consommé aux différentes étapes de la journée (petit déjeuner, goûter, apéritif ou dîner), à tartiner, salé ou sucré, ou à tremper dans une boisson chaude : chacun et chacune y vont de leur technique de dégustation, véritable rituel du quotidien pour beaucoup.
Les savoir-faire de la fabrication du craquelin sont perpétués par les cinq fabricants actuellement en activité et leurs salariés.
En 2003, Martine et Bruno Huet achètent la recette anciennement connue sous l’appellation le Craquelin de la Bouillie et change le nom pour Le Petit Craquelin. Cette recette, reprise en 1998 par Yann et Brigitte Cholet à Plancoët, venait d’André Jehan qui fabriquait des craquelins sur la commune d’Erquy depuis 1977. Ce dernier la tenait lui-même de ses parents, qui avaient exercé le métier jusqu’en 1976 au Chemin-Chaussée, entre Hénansal et La Bouillie. Martine et Bruno Huet installent leur atelier et leur boutique à Fréhel et assurent une production journalière de 2 000 craquelins.
Fondée par la famille Bellier, la fabrique éponyme, qui s’est transmise sur plusieurs générations, était localisée aux Champs-Géraux. En 2006, elle est rachetée par David Boixière qui installe la production à Pleudihen-sur-Rance, puis transmise à son frère Jean-Baptiste en 2011 qui la gère depuis. En 2020, la TPE s’implante sur un nouveau site pleudihennais construit pour l’occasion. Elle se compose de trois salariés qui réalisent une production journalière de 6 000 à 7 000 craquelins.
En 2011, Christophe Girouard reprend la production de craquelins d’Albert Grillot qui avait appris les procédés de fabrication avec Francis Busnel, un descendant d’une famille de craqueliniers située aux Champs-Géraux. Les Craquelins Grillot deviennent ainsi les Craquelins de la Baie et la production est installée à Saint-Père-Marc-en Poulet. En 2016, il rachète la marque les Craquelins du Chat Noir, créée en 1987 par François Hautière au lieu-dit le Chat-Noir à Plesder. Avec ses deux salariés, Christophe Girouard fabrique entre 7 000 et 10 000 craquelins par jour.
En 1929, pendant l’entre-deux guerre, Émile Margely crée une fabrique de craquelins à Plumaudan dont il est maire. Il en avait appris la fabrication lors de son apprentissage en boulangerie. L’entreprise est ensuite reprise par son fils Christian en 1968 qui lui même l’a transmise à son fils Thierry en 2004.
L’entreprise a été fondée à Saint-Servan en 1923 par Jean Josselin, originaire de Pleurtuit. Plusieurs dirigeants se sont succédé jusqu’à l’arrivée de Régis Boiron en 2009. Labellisée Entreprise du patrimoine vivant en 2013, la PME s’implante à Saint-Jouan-des Guérets en 2022. Sur les 40 salariés de l’entreprise, 15 réalisent une production journalière de 100 000 craquelins.
Habitants du territoire, ou originaires de celui-ci, touristes habitués ou de passage… le goût du craquelin est partagé par de nombreuses personnes en Haute-Bretagne et un peu partout en France, comme l’illustrent les témoignages reçus dans le cadre de l’enquête réalisée en ligne en 2023 et dont certains extraits sont présentés ici.
Les craqueliniers sont présents le long de la vallée de la Rance jusqu’à la Côte d’Émeraude, plus précisément dans les communes de : Fréhel (22), Pleudihen-sur-Rance (22), Plumaudan (22), Saint-Jouan-des-Guérets (35) et Saint-Père-Marc-en-Poulet (35).
Si la production est située en Haute-Bretagne, les personnes attachées aux craquelins sont également présentes dans différentes régions de France comme le grand ouest, l’Île-de-France, le sud-est, etc.
Le procédé de fabrication du craquelin suit une douzaine d’étapes communes à l’ensemble des craqueliniers.
La toute première étape consiste à rassembler, doser et préparer les ingrédients nécessaires à la réalisation de la pâte, parmi lesquels :
- de la farine de blé ;
- des œufs entiers ;
- de l’eau.
Sont également ajoutés :
- de la farine ou des extraits de malt (qui donne la couleur ambrée) ;
- des poudres levantes (bicarbonates…) : l’ajout de poudres levantes permet au craquelin de mieux se lever au four et de mieux se développer.
S’il y a trop de poudre levante, le craquelin « pousse » en amont de la cuisson et peut « buller ». S’il n’y en a pas assez, il peut ne pas se développer à la cuisson.
- du lait écrémé est ajouté par l’un des craqueliniers.
Si les ingrédients sont connus, leurs proportions sont tenues secrètes. Ainsi, chaque craquelin est reconnaissable en fonction de son fabricant.
Chaque craquelinier incorpore les ingrédients dans un certain ordre en fonction de la recette mais aussi des habitudes qui leur ont été transmises ou qu’ils ont développées. Tous utilisent un pétrin mécanique qui permet de mélanger les ingrédients et de malaxer la pâte. Au bout d’un temps déterminé (10 à 25 minutes selon la texture de la pâte, la puissance du pétrin et de sa taille, la température ambiante…), on obtient une première pâte [ill. 1].
Pour compléter le travail de pétrissage et assurer à la pâte une structure homogène, sa compression est nécessaire afin d’extraire les dernières bulles d’air présentes. Pour ce faire, les craqueliniers (à l’exception d’un) utilisent une brie [ill. 2] – on parle alors de briage – ou un raffineur [ill. 3]. Après un temps court déterminé (6 à 8 minutes) afin d’éviter que la pâte ne colle, elle devient plus tendre.
Sorti de la brie ou du raffineur, le pâton (ou tuile) est façonné par un laminoir afin d’être abaissé [ill. 4]. La pâte peut passer plusieurs fois entre les deux rouleaux horizontaux du laminoir jusqu’à obtenir un fin tapis de pâte homogène. Pour faciliter la manipulation des pâtons, la table du laminoir peut être farinée [ill. 5].
La pâte est maintenant prête à être travaillée. Selon les recettes, elle est préalablement piquée [ill.6a et 6b] ou transpercée puis découpée avec un emporte-pièce mécanique [ill.7] ou manuel [ill.8]. Trois formats existent actuellement : le craquelin au format classique (environ 12 centimètres de diamètre), le petit craquelin (environ 6 centimètres de diamètre) et le mini craquelin (environ 3 centimètres de diamètre).
Les chutes de pâte (ou dentelle) sont réincorporées à la pâte qui repasse au laminoir pour de nouveau être découpée. L’opération est répétée jusqu’à ce qu’il n’y ait quasiment plus de pâte utilisable.
Une fois découpés, les pâtons sont versés dans une eau frémissante (entre 90 et 95 degrés) afin d’être cuits une première fois : c’est l’échaudage [ill. 9].
Cette cuisson spécifique permet de modifier la texture de la pâte en saisissant chacun des pâtons sur sa circonférence, entraînant ainsi son agrandissement en taille et en épaisseur [ill. 10].
Certains craqueliniers remuent les pâtons avec un bâton (émouvette) [ill. 11] ou une cuillère en bois pendant qu’ils sont dans l’eau afin qu’ils ne collent pas les uns aux autres. D’autres craqueliniers referment le couvercle de la chaudière le temps de l’échaudage.
Lorsqu’ils tombent dans le fond de la chaudière, les pâtons absorbent un peu d’eau et gonflent légèrement, ce qui provoque l’empesage de l’amidon. Au bout de 45 à 70 secondes, ils remontent à la surface. L’œil du professionnel permet de décider si les pâtons peuvent être retirés. Chacun a ses critères pour apprécier la bonne cuisson.
Les pâtons sont ensuite sortis des chaudières avec une grande écumoire (ou une harassoire) pour être directement versés dans des bacs, bassines ou cuves d’eau froide (ou tiède) afin de « couper » la cuisson et « arrêter la fermentation » [ill. 12 et 13].
Afin d’éviter qu’ils ne collent les uns aux autres, ils sont régulièrement brassés. Pendant ce temps, les pâtons absorbent un complément d’eau participant à les attendrir. Selon les pratiques, cette étape peut durer entre 15 minutes et 3 heures.
L’eau est ensuite évacuée et les pâtons sont égouttés ou posés sur des linges [ill.14]. Ils sèchent ainsi à l’air libre entre 30 minutes et une heure.
Vient ensuite l’étape du plaquage. Un par un, les pâtons sont disposés manuellement sur des plaques [ill. 15] qui peuvent être préalablement graissées (huile de friture…). Certains les plaquent dans un sens bien précis (« à l’endroit »). Chaque craquelinier sait précisément le nombre de pâtons qu’il met sur une plaque, veillant à laisser suffisamment de place entre chacun d’eux pour qu’ils puissent se développer au four sans se toucher. Cette étape prend du temps et ne peut être mécanisée totalement, même si des machines existent pour accompagner le travail de la personne en charge du plaquage [ill. 16a et 16b].
Les plaques garnies de craquelins sont placées au fur et à mesure sur des échelles en attendant le passage au four [ill. 17].
Les futurs craquelins sont ensuite cuits une seconde fois entre 13 et 25 minutes dans des fours à sole dont la température varie entre 250 et 300 degrés selon les recettes [ill. 18a et 18b].
L’eau absorbée par les pâtons au moment du trempage va permettre leur soufflage par un effet de pression de vapeur. Par un jeu entre la chaleur et la vapeur, évacuée ou non, cette dernière assure un rôle dans le développement et la taille des craquelins. L’injection d’eau qui se transforme en vapeur (on dit « mettre de la buée ») dans le four permet de gagner encore en développement. L’intensité de cette vaporisation et les périodes d’injection vont aussi modifier l’aspect du craquelin, et chaque fabricant a ses habitudes. D’ailleurs, ce sont les durées et les températures de cuisson retenues qui contribuent à donner des textures plus ou moins sèches et fondantes. Le craquelin est l’échaudé qui subit la plus forte expansion.
La personne responsable de la cuisson enfourne et défourne successivement les plaques préalablement préparées à l’aide d’une pelle en bois avec un long manche [ill. 19] lui permettant ainsi d’aller chercher les plaques jusqu’au fond du four. Cette opération est répétée jusqu’à ce que tous les craquelins préparés du jour soient cuits.
Quand ils sont sortis du four, les craquelins sont au fur et à mesure versés dans de grands paniers ajourés (en osier ou en plastique) afin de refroidir et de ressuer [ill. 20a et 20b]. Commence alors « le chant du craquelin » : une série de petits crépitements caractéristiques qui s’amoindrissent à mesure que les craquelins refroidissent. Cette étape, qui peut durer d’une heure jusqu’au lendemain, permet également l’évaporation de toute humidité résiduelle.
Chaque fournée est unique. Il convient ainsi de passer à l’étape du tri afin d'écarter les brûlés à cœur [ill. 21a], les mous, les difformes, les plats ou les cassés. Pour autant, ces derniers ne seront pas tous jetés. Beaucoup d’entre eux seront valorisés en « déclassés » [ill.21b] et vendus moins cher dans les boutiques des fabricants. Les autres serviront d’aliment pour les animaux, certains craqueliniers les donnant à des personnes de leur entourage possédant un poulailler par exemple, ou à des éleveurs voisins.
Une fois triés, les craquelins sélectionnés pour la vente sont mis en sachet de 12 ou 24 pièces, au poids (entre 160 et 180 grammes par sachet) [ill. 22a, 22b, 22c et 22d], ou dans les emballages prévus pour les gammes spéciales. Les paquets sont ensuite prêts à être distribués dans les différents points de vente avec lesquels travaillent les craqueliniers. Le craquelin est un produit de longue conservation (de 9 mois à 3 ans).
L’ensemble des étapes de fabrication d’un craquelin nécessite environ 9 à 10 heures de travail (selon le degré de mécanisation) durant lesquelles le craquelin peut être manipulé de huit à neuf fois. Comme le rappellent les craqueliniers, si la composition est sensiblement la même, leur texture, leur couleur et leur goût sont différents selon les fabricants. Leurs caractéristiques varient en fonction de la recette, mais aussi des manières de faire et des spécificités de chacun.
Les craquelins s’inscrivent dans le quotidien alimentaire de nombreuses personnes. En 2023, un questionnaire en ligne a été diffusé par les craqueliniers afin d’interroger les pratiques des membres de la communauté. Sur les 1 087 personnes ayant répondu à cette enquête, 26 % précisent consommer des craquelins tous les jours, 15 % deux à trois fois par semaine et 17 % deux à trois fois par mois.
« Je suis originaire de Saint-Malo et j’ai toujours mangé des craquelins. »
« Mon père (Breton) a acheté des craquelins parce qu’il en a trouvé en Bretagne. J’y ai goûté et ai trouvé leur texture et leur goût si doux que j’en mange tous les jours depuis mes 13 ans ! »
« J’ai toujours connu les craquelins chez moi : c’est un inconditionnel ! »
« Il fait partie de ma vie, c’est culturel. »
Froids ou chauds, natures, salés ou sucrés, trempés ou croqués : les craquelins font l’objet de pratiques de consommation très diverses et peuvent être dégustés à différents moments de la journée : petit déjeuner, goûter, apéro ou dîner [ill. 23].
« On m’a souvent dit que le craquelin a le goût de ce qu’on y met… »
« Quand on met de la confiture (un peu trop), que le craquelin casse et qu’on en a plein les mains. C’est encore meilleur. »
« J’aime bien les craquelins déclassés qui sont plats. »
« Le premier craquelin de mon petit-fils avec du Nutella = un carnage ! »
« J’ai le souvenir d’un dessert que nous mangions surtout l’hiver, des pommes au four posées sur un craquelin trempé dans du lait. Cela faisait, une fois cuit, comme un biscuit caramélisé. J’en fais toujours. »
« Dans une maison en cours de construction, nous avions convié des amis pour leur faire visiter notre nouvelle demeure. À cette occasion, j’ai fait un plat de poissons et de légumes d’été froids avec un aïoli. N’ayant pas d’assiette, j’ai servi ce mets dans des craquelins. C’était original et excellent. »
« Dîner chez mamie : craquelin au four gratiné avec jambon, œuf et gruyère : le craquelin complet ! »
La production de craquelins étant située en Haute-Bretagne, les personnes qui n’y habitent pas ou plus s’organisent pour s’approvisionner et chacun a sa technique, qui bien souvent mobilise le réseau familial ou d’interconnaissances.
« Je suis d’origine bretonne, de Rennes, j’ai 70 ans et je suis devenue parisienne. Mais, à chaque fois que je retourne à Rennes, ma maman (96 ans) n’oublie pas de me fournir en craquelins pour mon petit déjeuner et j’en ramène toujours deux ou trois paquets à Paris. Je les ai fait découvrir lors d’apéros à des amis. Je me régale toujours autant. »
« Je viens de Lorraine. Mes grands-parents étaient bretons. Ce sont eux qui m’ont fait découvrir le craquelin. J’adore le goût et l’odeur. Chaque fois que j’entends que des amis ou de la famille se rendent en Bretagne, je leur demande de m’en apporter le maximum qu’ils peuvent en prendre dans leur véhicule. Parfois, certains me disent qu’ils ont passé leurs vacances à faire attention à ne pas casser les craquelins ! »
Avec l’arrivée de la vente en ligne, les craquelins se commandent désormais sur Internet et sont livrés à domicile un peu partout en France.
« Quand j’étais petit (il y a longtemps), nous allions en vacances chez des amis de mes parents en Bretagne. Il y a plus de 40 ans, il n’y avait pas Internet donc c’était une fois par an les craquelins et nous revenions toujours avec un carton plein. Maintenant, je les commande sur Internet. »
« C’est un ami de la famille, un curé d’une commune des Côtes-d’Armor, qui remplissait sa voiture de paquets de craquelins lorsqu’il venait en vacances l’été chez nous en Rhône-Alpes. Avec mes trois frères, on passait une bonne partie de la soirée à chercher les paquets de craquelins qu’il avait caché dans sa voiture. Il arrivait même qu’on en retrouve le lendemain. Depuis, j’achète régulièrement des craquelins on line ; cela me rappelle ces moments de joie à chercher ces craquelins dans la voiture et ensuite à les manger. Et cela me permet aussi de me souvenir de cet ami qui n’est plus de ce monde aujourd’hui. »
« Le craquelin, c’est un peu ma "madeleine de Proust" ! Avec une collègue auvergnate, d’origine bretonne tout comme moi, nous organisons régulièrement des commandes importantes de craquelins grâce à Internet ! »
« J’habite à Madagascar et je suis tellement désespérée de ne pas trouver de craquelins que j’ai écrit à Super U dès qu’ils ont ouvert leurs magasins à Madagascar en 2023, pour leur demander de commander des craquelins. Super U m’a répondu qu’ils allaient étudier cette possibilité. Depuis, je vais voir le rayon des biscottes à chaque fois que je vais à Super U Madagascar. J’espère que j’y trouverai un jour des craquelins… »
Les fours à craquelins de Bourgneuf, Pleurtuit, Ille-et-Vilaine (repris sous l’appellation « fournils » - référence des notices sur Mérimée : IA35005369 ; IA35005367 ; IA35005389 ; IA35005371)
Les principaux outils, objets et machines utilisés dans le procédé de fabrication des craquelins comprennent le pétrin, la brie ou le raffineur, le laminoir, la découpeuse ou l’emporte-pièce [ill. 24], la chaudière pour l’échaudage, l’écumoire (ou harassoire), le bâton pour remuer les pâtons (ou émouvette), les bacs de refroidissement, les échelles, le four, la pelle d’enfournement, les plaques de cuisson (en fer ou en téflon), le panier ajouré (en osier ou en plastique).
L’apprentissage du métier se fait « sur le tas ». Il n’existe aucune formation, ni enseignement formel ou diplômant spécifique à la fabrication de craquelins (comme cela peut être le cas en boulangerie par exemple). La transmission des gestes et des techniques s’opère souvent en lien avec d’anciens craqueliniers, comme en témoigne Jean-Baptiste Boixière : « c’était une découverte totale pour moi. J’ai appelé Christian [l’ancien fabricant des Craquelins Bellier] et on a tout repris de A à Z pendant une semaine. Et quand j’avais besoin, je l’appelais de temps en temps. Dès que ça déraillait, je le rappelais, il est toujours venu. » Christophe Girouard, lui, a été formé pendant un mois. Et il était accompagné de Sylvie, salariée depuis plusieurs années dans l’entreprise. Car cet apprentissage « sur le tas » s’applique également pour l’ensemble des salariés des différentes entreprises comme l’explique Sylvie : « quand j’ai commencé, je n’en avais jamais fait. J’ai commencé par des remplacements, d’abord à l’échaudage […], puis aux sachets. Et au fur et à mesure, j’ai fait tous les postes. Et de fil en aiguille, je suis restée. Ça fait 16 ans. À part la pâte que je ne sais pas faire, je maîtrise tous les postes aujourd’hui. »
À partir des différents documents et témoignages disponibles, la transmission du savoir-faire de fabrication des craquelins s’inscrivait, jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, quasi exclusivement dans une tradition familiale. Selon l’étude sur L’avenir de l’artisanat du craquelin en Bretagne publiée en février 1988 par la chambre des métiers de Dinan, en collaboration avec la chambre régionale des métiers, « sur les huit entreprises en activité, les responsables des entreprises ont, dans six cas sur huit, repris l’affaire familiale ». Aux Champs-Géraux chez Christian Bellier par exemple, la production était transmise de génération en génération. Mais la fille de ce dernier n’a pas souhaité reprendre l’entreprise qui a été revendue hors du cadre familial en 2006. Marie Briand, qui aidait ses parents craqueliniers à Pleudihen-sur-Rance jusqu’au milieu des années 1960, témoigne qu’elle non plus n’avait pas souhaité à l’époque reprendre l’affaire familiale quand son père a arrêté : « On était trois enfants, personne n’a voulu reprendre. C’était dur comme métier ! Ça ne me plaisait pas, moi, je voulais être commerçante et ma sœur institutrice mais nos parents n’ont pas voulu. C’était des petits artisans, il fallait qu’on travaille avec eux. »
Aujourd’hui, sur les cinq fabricants en activité, seul un s’inscrit encore dans une transmission familiale.
Évoquez le thème des craquelins et vous aurez très vite toute une série d’anecdotes, d’avis et de souvenirs.
« Quand j’avais cinq ans, je croyais que c’était un coquillage ! »
« Le nom "craquelin" était imprononçable quand nous étions enfants, on les renommait "crin-crin" ! » « Nous, nous les appelions "clin-clin". »
« Ma petite-fille nous demande un jour un caquedin pour le goûter. Avec mon mari, nous cherchons et elle finit par nous montrer le paquet et nous lui disons que ce sont des craquelins ! Mais rien à faire, pendant au moins trois ans, elle nous a demandé des caquedins ! Maintenant, elle a 11 ans et rigole de ce qu’elle disait ! »
« J’ai fait découvrir les craquelins à mes petits-enfants qui en raffolent, et me demandent souvent, quand ils viennent à la maison, s’il y a des craquelins. Nous avons donc instauré le jeu "cache-craquelins" : il s’agit de trouver le sachet pour pouvoir en manger. »
Pour ce qui concerne les avis, ils sont souvent assez tranchés.
« Quand je fais découvrir les craquelins à des personnes qui ne les connaissent pas, ils ont presque toujours une réponse ferme : "j’aime beaucoup" ou "je n’aime pas du tout" ! ».
C’est d’ailleurs souvent un sujet de plaisanterie où chacun aime à donner son avis.
« Quand j'ai montré la composition à mon infirmière qui s'occupe de mon diabète, elle a failli avoir un malaise, tellement il n'y a rien de dangereux dedans. « C'est presque de l'hostie ! » m'a-t-elle dit. Lol »
Mais pour celles et ceux qui témoignent d’un attachement à cet échaudé, les craquelins sont une « madeleine de Proust » et déclenchent des souvenirs de vacances en Bretagne ou de moments en famille.
« Le craquelin avait le parfum des vacances familiales en Bretagne (car nous étions des Bretons "exilés" dans le centre de la France. »
« Ma grand-mère en mangeait tous les jours. Au petit déjeuner, elle m’en faisait avec du beurre et de la confiture. C’est ma petite "madeleine de Proust". »
« Les craquelins m’évoquent les souvenirs de mon enfance en vacances chaque année en Bretagne. »
« J’ai le souvenir des petits déjeuners avec notre grand-mère devant la fenêtre où nous écoutions les goélands, le bruit de la mer et les sirènes des bateaux. »
« Chaque fois qu’on allait voir le frère de ma grand-mère à Saint-Malo, on rapportait des craquelins. C’est pourquoi ce grand-oncle était surnommé Tonton craquelin. »
« Nous venons nous installer vers 1970 en Bretagne, à Rennes. Je demande quelles sont les spécialités locales ? Les galettes, le cidre et les craquelins. Aussitôt dit, aussitôt fait : succès auprès de certaines personnes de la famille. Mais comment les ranger ? Je trouve une belle boîte en carton, décorée, cylindrique, juste de la bonne taille pour y placer verticalement le paquet de craquelins. Depuis, la « boîte à craquelins » trône sur le réfrigérateur ! »
« À Dinard, pendant les vacances chez mon grand-père, nous en mangions au petit déjeuner. C’est un "doudou" pour moi ! »
Sur les 1 087 répondants à l’enquête diffusée en 2023, 883 personnes (soit 82 %) précisent qu’elles ont découvert les craquelins dans un contexte familial.
« C’est ma grand-mère qui m’a fait découvrir ce produit quand j’étais petite. »
« Je viens de faire découvrir les craquelins à mon petit-fils de 18 mois, il adore ! »
« Ma petite-fille tient à manger "les craquelins de Papy" au petit déjeuner… »
« La première fois, nous étions en vacances dans les Côtes-d’Armor, Papa a vu une boulangerie et nous a dit "je vais chercher quelque chose que vous ne connaissez pas." C’étaient des craquelins ! Depuis, dès que je peux, je m’en procure. J’avais 11 ans, on était en 1963. »
« Ma maman, bretonne de naissance, est partie en région parisienne vers la vingtaine. Elle faisait le plein de craquelins à chaque voyage pour en avoir tous les matins… et nous partagions ensemble ce petit plaisir lors du petit déjeuner. Elle les trempait dans le lait chaud (et le fait toujours) et moi avec du beurre salé dessus ou nature en grignotage dans la journée. Quand mes enfants partent chez mes parents en vacances (ils sont retournés en Bretagne), ils partagent à leur tour ce petit plaisir avec elle. »
« Élevé aux craquelins et à la galette-saucisse, exilé dans le Finistère, je suis content d’avoir pu faire découvrir ces deux éléments essentiels du patrimoine culinaire de Haute-Bretagne à mes filles. »
Si la transmission familiale semble importante, la transmission s’opère également dans d’autres sphères amicales ou relationnelles.
« Je les ai fait connaître aux Bretons des environs de Brest. »
« Une collègue m’a offert des craquelins pour mon anniversaire cette année, une découverte ! » « Mes premiers craquelins, je les ai mangés au marché il y a 60 ans ! »
« Mes voisins nous ont offert des craquelins, c’était la première fois que j’en goûtais. »
L’origine du mot craquelin serait attribuée au mot néerlandais crakelinc qui signifie « craquant sous la dent ».
Pour autant, et aujourd’hui encore, le terme de craquelin renvoie à plusieurs réalités : - le chou craquelin composé d’une pâte à chou surmontée d’une pâte à craquelin qui correspond au mélange de farine, de sucre roux et de beurre que l’on dépose sur les choux avant de les faire cuire ; - le craquelin de Vence, une brioche du sud-est de la France façonnée dans le sucre et décorée d’amandes entières ;
- le craquelin qui, dans le nord de la France et en Belgique, est un pain brioché constellé de pépites de sucres ;
- le craquelin boulonnais, une pâtisserie en pâte feuilletée ou levée en forme de « 8 » et généralement fabriquée pendant la période de Noël ;
- les craquelins de Châlus (commune située au sud du Limousin), petits gâteaux ronds et sucrés colorés de rouge par du cumin ;
- etc.
Le craquelin est donc un terme qui peut désigner plusieurs produits [ill. 25].
Le craquelin de Haute-Bretagne dont il est question ici appartient, quant à lui, à la famille des échaudés. Considérés comme des gourmandises, les échaudés étaient fort prisés au Moyen Âge et leur présence est attestée en France et dans de nombreux pays européens. Les produits obtenus à partir du principe d’échaudage peuvent porter différents noms, suivant les lieux et les époques. Des formes très diverses ont été relevées : échaudés ronds, triangulaires, cornés, tordus, dentelés, torsadés ou enroulés, comme le bretzel des pays germaniques. La diversité des recettes et des formes montre bien qu’il existe plusieurs types d’échaudés.
Concernant les craquelins de Haute-Bretagne, il convient de distinguer les craquelins de la vallée de la Rance de ceux de La Bouillie, situés sur la Côte d’Émeraude. Si les étapes de fabrication sont sensiblement les mêmes, les spécificités liées aux recettes et aux techniques de fabrication en font des produits différents dans leur texture et leur couleur [ill. 26].
Il n’existe pas de travaux de recherche précis sur l’histoire du craquelin en Haute-Bretagne et on rencontre rapidement plusieurs écueils quand on souhaite la retracer : prégnance des témoignages oraux qui ne permettent pas de remonter au-delà de deux générations, absence de livres culinaires sur les spécialités bretonnes antérieures au XIXe siècle, etc.
Dans son Dictionnaire universel (1684), le lexicographe Antoine Furetière propose néanmoins une définition qui permet de mieux caractériser cet échaudé breton : « pâtisserie fort sèche qui est faite en forme d’une écuelle qui craque sous les dents en mangeant ». On retrouve dans cette définition le sens étymologique, mais surtout, pour la première fois, la description d’une forme qui ressemble au craquelin de Haute-Bretagne.
Les premières références écrites relatives à une profession pouvant être celle de craquelinier en Haute-Bretagne ont été rapportées par Francis Hervy, ancien maire des Champs-Géraux, commune des Côtes-d’Armor située entre Évran et Dinan. Celui-ci nous apprend qu’ « en 1716, Bertrand Lenouvel est marchand boulanger à la Retenue de la maison noble de la Gravelle, appartenant à Germain Nicollas, seigneur de Claye et des Champs-Géraux ». Ce passage, extrait des archives de l’ancienne paroisse d’Évran au XVIIIe siècle, n’indique pas clairement la présence de craqueliniers, mais, comme le précise Francis Hervy, le qualificatif « marchand boulanger » était utilisé par l’administration des Finances pour nommer les fabricants de craquelins. De plus, ce Bertrand Lenouvel est un ancêtre de la famille Lenouvel, bien connue aux Champs-Géraux pour avoir fabriqué des craquelins. (Les Lenouvel, les Busnel et les Hautières seraient les plus anciennes familles de la région ayant exercé cette profession).
Le Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne (1778) de Jean Ogée confirme qu’ « une des industries du pays [d’Évran] est la fabrication d’une espèce de gâteau qu’on appelle à Dinan cimero, et à Rennes bageul. Le village des Champs-Géraux est le principal centre de cette petite industrie ». De façon beaucoup plus précise, dans l’ouvrage Géographie des Côtes du-Nord de 1862, on signale plus à l’ouest que « la fabrication et la vente de gâteaux communs dits craquelins est une industrie spéciale dans [le] village » de La Bouillie (entre Pléneuf-Val-André et Matignon). Dans ce même livre, les auteurs indiquent que l’on compte à Trigavou (entre Dinard et Dinan) « des fabriques de craquelins et de cimeraux ». En 1886, dans Coutumes populaires de la Haute-Bretagne, Paul Sébillot parle des échaudés comme des pâtisseries les plus populaires : « ils tiennent le milieu entre le pain et le gâteau et peuvent être mangés en guise de pain avec de la viande ; si on les beurre, c’est une sorte de gâteau. De plus, on prétend que le cidre est bon après l’échaudé. » Il y en a plusieurs fabriques : à Tréméreuc, canton de Ploubalay ; au Chemin-Chaussée [à côté de La Bouillie], canton de Matignon ; aux Champs-Géraux, près d’Évran, etc. Les échaudés qui en proviennent sont en forme d’écuelle ; ce sont ceux qu’on appelle cimereaux ou cimériaux [ill. 27].
Les craquelins de Saint-Malo, créés en 1923 par Jean Josselin, originaire de Pleurtuit, sont aussi très populaires. Mais la présence de ce gâteau semble y être fort ancienne, puisque l’historien Alain Croix signale, dans l’analyse des comptes de l’hôpital de Saint-Malo de 1663 à 1665, une consommation de « craquelins » parmi les produits alimentaires distribués.
Ces différentes informations ainsi que des témoignages permettent de préciser l’emplacement passé de lieux de fabrication de craquelins et de cimereaux. Il existait donc une présence importante le long de la Rance, avec une prédominance autour des Champs-Géraux et de Pleurtuit, pendant la première moitié du XXe siècle, ce qui a contribué au développement d’autres sites de fabrication autour de ces communes.
Peut-on émettre des hypothèses sur l’implantation du craquelin à ces endroits ? Cela semble difficile. Néanmoins, on relève certaines coïncidences. Le nom « craquelin », la similitude d’apparence entre le craquelin de Haute-Bretagne et le « gâteau de sotte » du tableau de Jean Steen peuvent inciter à approfondir la piste flamande, compte tenu des échanges Flandres-Bretagne au Moyen Âge, de la proximité de Pleurtuit par rapport à Saint-Malo, port d’échanges, du positionnement de Pleurtuit et des Champs-Géraux par rapport à un axe commercial Saint-Malo
Rennes.
Mais pourquoi les sites de fabrication n’étaient-ils pas tout simplement situés à Saint-Malo ou dans les villes ? Francis Hervy apporte une explication tout à fait plausible : « [avant la guerre], chaque craquelinier utilisait cinq à six mille fagots par an pour alimenter le four et la chaudière uniquement chauffés au bois. » Il ne fallait donc pas se trouver éloigné d’une forêt pour pouvoir se ravitailler en combustible : celle de Coëtquen jouxte Fautrel, village des craqueliniers des Champs Géraux, et à proximité du Bourgneuf à Pleurtuit, autre grande site de fabrication, se trouve le bois de Ponthual [ill. 28a et 28b].
Les craquelins n’étaient pas, ou peu vendus en boutique, mais sur les étalages des foires et des marchés, ou criés dans les rues des villes. À Pleurtuit, certaines personnes étaient spécialisées dans le collectage des craquelins : elles les entassaient dans de hautes et grandes hottes qui pouvaient en contenir environ deux mille. Ces paniers pouvaient être transportés dans des carrioles (dans ce cas, ils étaient droits) ou, en leur ajoutant des sangles, sur le dos (ils possédaient alors une forme légèrement conique dans le bas pour mieux épouser la partie lombaire). Les distributions pouvaient se faire de porte-à-porte, de ferme en ferme : dans ce cas, la hotte restait en permanence sur le dos du porteur, mais, dans sa partie basse, une petite trappe permettait de retirer le nombre de craquelins désirés. Il n’était pas rare de voir les vendeurs de craquelins à Pleurtuit, Saint-Malo et Dinard [ill. 29].
Certains vendeurs de craquelins se rendaient à Rennes. Madame Dujardin, de Pleurtuit, faisait partie de ces personnes qui, avant 1940, prenaient le train tous les lundis avec deux ou trois hottes et ne revenaient que le samedi, pour repartir le lundi suivant. De la gare de Pleurtuit, les craquelins étaient aussi expédiés à Nantes ou Paris.
Aux Champs-Géraux, les craqueliniers réservaient souvent la fin de la semaine pour expédier leur marchandise, faire les livraisons chez les boulangers, les épiciers et autres dépôts. Mais il fallait aussi être présent sur certains marchés ; après un déplacement en carriole, on se retrouvait à Dol de-Bretagne, Combourg, Pontorson, Pleudihen-sur-Rance, Châteauneuf d’Ille-et-Vilaine et Dinan [ill. 30 et 31].
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 1946, des craqueliniers de Pleurtuit créent la chambre syndicale des Marchands de craquelins du département d’Ille-et-Vilaine [ill. 32]. Cette volonté d’organisation ne fut qu’éphémère et, en 1950, le syndicat fut dissout ; mais elle mettait bien en évidence un dynamisme des craqueliniers de Pleurtuit et notamment du Bourgneuf qui, jusqu’en 1952, organisaient chaque lundi de Pâques la fête annuelle des Craquelins [ill. 33], et ce depuis le milieu du XIXe siècle.
On découvre également qu’en septembre 1947, le groupement départemental de répartition des farines d’Ille-et-Vilaine informe les craqueliniers « que par arrêté préfectoral, en date du 19 mai 1947, Monsieur le Préfet d'Ille-et-Vilaine a interdit la fabrication et la vente des craquelins dans les établissements de commerce et sur la voie publique ». Cette interdiction est-elle liée à un problème de farine contaminée ? À un problème de répartition avec la volonté de prioriser la farine pour la confection du pain dans un contexte d’après-guerre ?
De nombreuses questions sur les craqueliniers et leurs savoir-faire restent aujourd’hui encore sans réponse.
Tout au long du XXe siècle, les instruments utilisés dans les différentes étapes de fabrication du craquelin ont été mécanisées, facilitant ainsi une partie du travail des craqueliniers. On peut citer, par exemple, la brie à levier (utilisée pour l’opération de briage) qui a été remplacée par la brie mécanique (cf. ill. 2) apparue en Bretagne dans les années 1940 [Roussel, 1998]. Cette dernière tend également à être remplacée par des raffineurs (cf. ill. 3).
Selon l’étude de la chambre des métiers réalisée en 1988, les années 1965/1970 ont été marquées par « une révolution technique » avec l’arrivée, dans les entreprises, des laminoirs et des découpeuses. « Si ces changements techniques n’ont pas modifié le cycle de production, ils ont permis un accroissement des quantités fabriquées, accompagné généralement d’une diminution des effectifs. » (p.5) et du temps de travail (en 1988, la longueur du cycle de production est estimée à 17 heures).
Précisons qu’aujourd’hui, les craquelins de Saint-Malo sont fabriqués selon un processus semi industriel : le trempage (deux heures) après échaudage, le repos au panier après cuisson (évaporation de l’humidité résiduelle), comme l’impossibilité d’utiliser un four tunnel pour la cuisson (l’injection de vapeur d’eau pose des problèmes de confinement) empêchent une fabrication continue. Les autres étapes (après pétrissage et compression) se font, par contre, sans rupture de charge : laminage, découpage de la pâte et piquetage des pâtons à l’emporte-pièce (à la cadence de 10 000 par heure), échaudage (le tapis roulant traverse lentement un bain d’eau chaude), égouttage après trempage, tri et ensachage.
Si la fabrication de cimereaux, ces très grands craquelins, a disparu dans la seconde moitié du XXe siècle, les années 1980-1990 sont marquées par la création des mini-craquelins. Ce format réduit du craquelin classique participera à redynamiser les pratiques de consommation, notamment en intégrant le temps dédié de l’apéritif.
Si les ingrédients de base (farine, œufs, eau, poudres levantes) n’ont pas évolué, ils ont été complétés par de nouveaux ingrédients tels que :
- des graines (sésame, pavot, tournesol, lin…) ;
- des algues (wakamé, laitue de mer, dulse, nori…) ;
- des pépites de chocolat ;
- etc.
Dans les années 2010, toute une gamme de craquelins fourrés a également été développée (chocolat, caramel au beurre salé…) et les années 2020 marquent l’arrivée de gammes « bio ».
Une « seconde révolution » soulignée par l’enquête de la chambre des métiers serait commerciale. « Dans la plupart des entreprises [de 1988], il n’y a aucune politique commerciale. » Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Comme le rappelle Philippe Roussel, de la vente au détail, on est passé à la vente en sachets (par douze, vingt-quatre…) et la vente indirecte (boulangers, épiciers, moyennes et grandes surfaces, commande via Internet, livraison par la poste…). La commercialisation en grandes surfaces et la vente par correspondance auront permis de sortir de la zone traditionnelle de consommation.
Le métier de craquelinier connaît depuis plusieurs décennies une baisse d’attractivité qui se traduit par la baisse du nombre de fabricants. Par rapport au peu de chiffres dont on dispose, on compte huit craqueliniers en 1988, cinq en 2024.
Actuellement, le savoir-faire des craquelins ne bénéficie d’aucun dispositif spécifique de formation. Cette absence ne permet pas, par exemple, de prendre des apprentis ou des stagiaires.
Certains se sont essayés à la fabrication de craquelins chez eux, sans succès. Le matériel spécifique nécessaire, les nombreuses étapes et leurs règles ainsi que les deux modes de cuisson (échaudage et cuisson au four) ne permettent pas une production domestique efficace (à la différence des crêpes ou des galettes par exemple).
Malgré l’absence de données précises quant à l’évolution de l’âge des amateurs de craquelins, les craqueliniers soulignent une impression de vieillissement de ces derniers, une impression qu’illustre l’enquête en ligne réalisée en 2023 où, sur les 1 087 répondants, 782 avaient 50 ans et plus.
En 2021 a été publiée La fameuse histoire du craquelin aux Éditions Cristel ;
- Plusieurs craqueliniers ont intégré sur leur site Internet des éléments de l’histoire du craquelin et présentent les différentes étapes de fabrication du craquelin (récits ou vidéos).
La fête du Craquelin organisée par le comité des fêtes de Plumaudan en septembre : si la fête propose diverses activités (randonnées, expositions, concerts), le repas du midi s’organise autour d’un menu dédié avec une entrée, un plat et un dessert à base de craquelins ;
- Depuis le début des années 2000, une démonstration des étapes de fabrication du craquelin (jusqu’à l’échaudage) est proposée tous les étés en août pendant la fête du Blé à Pleudihen-sur Rance ;
- Des dégustations de craquelins sont proposées lors d’une majorité d’événements organisés par le futur parc naturel régional Vallée de la Rance - Côte d’Émeraude.
- Un mini-musée éphémère du craquelin a été créé et ouvert aux visiteurs à l’occasion d’un premier vide-grenier organisé par les habitants du Bourgneuf à Pleurtuit les samedi-dimanche 8 et 9 avril 2023, et ouvert à nouveau lors d’un second vide-grenier les samedi-dimanche 30 et 31 mars 2024.
- Les craqueliniers dont les locaux le permettent développent l’accueil de scolaires et leur présentent les différentes étapes de fabrication des craquelins.
- Deux couloirs de visite (libre ou guidée) ont également été mis en place afin de donner à voir la fabrication des craquelins : des vidéos et panneaux expliquent l’origine et l’histoire du savoir-faire, les étapes de fabrication, le tout illustré par différents témoignages [ill. 34 et 35].
Si les particuliers ne peuvent pas fabriquer de craquelins chez eux, il s’est développé depuis plusieurs années toute une série de recettes pour renouveler les manières de consommer les craquelins. De nombreux restaurateurs ont également intégré cet échaudé dans leur menu et des ateliers cuisine autour du craquelin sont organisés.
L’entreprise des craquelins de Saint-Malo bénéficie du label « Entreprise du patrimoine vivant » depuis 2013.
Face au manque de travaux historiques, il convient d’encourager études et recherches universitaires sur l’histoire du craquelin, des craqueliniers et de leur savoir-faire. Des échanges pourront notamment être engagés avec l’université Rennes 2 avec laquelle COEUR Émeraude, la structure de préfiguration du parc naturel régional Vallée de la Rance – Côte d’Émeraude, a l’habitude de travailler.
- Afin de constituer un fonds documentaire, un appel à documents (notamment dans les archives privées) est envisagé. Ce fonds pourra être numérisé et rendu accessible en ligne. Les modalités pratiques (constitution, hébergement, etc.) restent à définir.
- En relation avec le service régional de l’inventaire du patrimoine culturel, l’inventaire des fours à craquelins initié dans les années 2000 à Pleurtuit pourrait être repris et étendu.
Le travail d’inventaire des savoir-faire et de la culture du craquelin a été initié par quatre des cinq craqueliniers encore en activité. Ces derniers souhaitent réfléchir à la manière de se structurer afin de maintenir les liens établis et de poursuivre le travail engagé quant à la sauvegarde et à la valorisation de ces éléments. La forme et le statut ainsi que les objectifs précis restent encore à définir (création d’une association, d’une confrérie, etc.) mais l’idée serait d’ouvrir ce collectif aux amateurs, amatrices et passionnés du craquelin et de son histoire.
Les craqueliniers souhaitent créer un support d’information commun disponible dans leurs différentes boutiques ainsi qu’au sein de différents points de diffusion (offices de tourisme, mairies, musées, etc.).
- En lien avec le parc naturel régional Vallée de la Rance-Côte d’Émeraude, il est envisagé de créer un espace muséographique consacré au craquelin, à son histoire, son savoir-faire et aux outils utilisés. Certains objets (parmi lesquels une brie semi-mécanique à levier en bois, un laminoir, des emporte-pièces, une émouvette, des écumoires, un tamis, des bassines d’échaudage, des plaques d’enfournement, etc.) ont été récupérés par Yves Pageot et René Menguy, habitants de Pleurtuit, lors de la fermeture de la boulangerie des craqueliniers Eugénie et Julien Poulard (cf. ill. 30), et pourraient constituer un premier fonds.
- Une réflexion est également en cours afin d’intégrer des actions de sensibilisation et de valorisation autour des savoir-faire et de la culture du craquelin dans le cadre de différents événements à destination du grand public, comme les Journées européennes du patrimoine, ou à destination des scolaires comme la Semaine du goût, etc.
- Une réflexion pourrait également être amorcée pour travailler en collaboration avec les lycées hôteliers de la région.
- Les actions des craqueliniers en matière de traitement de leurs déchets (pâte résiduelle, eaux des chaudières, etc.) pourraient être mises en avant et renforcées en lien avec les acteurs locaux intéressés.
- Le parc naturel régional peut accompagner les craqueliniers dans une transition vers des sachets recyclables, ou à la création d’un sac à craquelins réutilisable (avec des matériaux locaux comme le lin et le chanvre, des encres végétales, etc.).
- À plus long terme, un travail pourrait être engagé entre les craqueliniers et le parc naturel régional Vallée de la Rance-Côte d’Émeraude quant à l’origine géographique des matières premières dont la culture pourrait être (re)localisée sur le territoire du parc.
La candidature des savoir-faire et de la culture du craquelin a été impulsée par quatre des cinq craqueliniers en activité.
Afin de témoigner de l’information et de l’adhésion des membres de la communauté, un appel à soutien a été lancé en 2023 [ill. 40a et 40b]. 341 lettres de soutien ont ainsi été récoltées (cf. annexe) afin d’illustrer l’attachement des signataires aux savoir-faire et à la culture du craquelin de Haute-Bretagne.
Un questionnaire en ligne a également été diffusé pendant plusieurs mois au cours de l’année 2023. Sur les 1 087 répondants :
- 95,1 % considèrent que les savoir-faire et la culture du craquelin de Haute-Bretagne relèvent du patrimoine culturel immatériel ;
- 60 % considèrent qu’il est très important d’inscrire cet élément à l’Inventaire national du PCI, 30 % que c’est important ;
- et enfin, 96,9 % soutiennent le projet d’inclure l’élément à l’Inventaire national du PCI.
La candidature à l’inclusion à l’Inventaire national du PCI a également reçu onze soutiens politiques (également joints en annexe de la présente fiche d’inventaire) :
• BOIXIÈRE David, maire de Pleudihen-sur-Rance ;
• BOURGEAUX Jean-Luc, député d’Ille-et-Vilaine, conseiller départemental d’Ille-et-Vilaine ;
• De LA PORTBARRÉ Dominique, vice-président délégué à l’attractivité du territoire, l’économie et l’emploi, le commerce et l’artisanat et la communication de Saint-Malo Agglomération ;
• FERRET Marie-France, maire de Saint-Jouan-des-Guérets ;
• GAUTHIER Patrice, maire d’Évran, vice-président de Dinan Agglomération en charge de l’agriculture et de la mer ;
• LACHALARDE-MONTAY Béatrice, présidente de la délégation de Saint-Malo de la CCI d’Ille-et Vilaine ;
• LECHIEN Didier, maire de Dinan et vice-président de Dinan Agglomération en charge du tourisme et du patrimoine ;
• LURTON Gilles, maire de Saint-Malo et président de Saint-Malo Agglomération ; • MOISAN Michèle, maire de Fréhel ;
• PERRIN-SARZIER Stéphane, président du syndicat mixte de préfiguration du Parc naturel régional Vallée de la Rance – Côte d’Émeraude ;
• RICHEUX Jean-Francis, maire de Saint-Père-Marc-en-Poulet et vice-président de Saint-Malo Agglomération.
« Dans l’Ille-et-Vilaine, où il y a aussi plusieurs fabriques, notamment à Antrain, on appelle les échaudés bagés ou bajeus, quand ils sont ovales ; gareaux, quand ils sont ronds. Les gareaux ne coûtent qu’un sou. On dit qu’on boulange les échaudés "o l’cu" [ill. 36] ; il y a des personnes qui, sur la foi de ce dicton, n’en mangent pas avec plaisir. Voilà comment on les boulange : la pâte est mise dans une sorte d’auge longue et étroite, et c’est avec une planche, sur laquelle on s’assied, qu’on bat la pâte ; lorsqu’elle est suffisamment apprêtée, on lui donnait la forme qu’on désire, soit celle de pain rond, soit celle d’écuelle, et on la jette dans l’eau froide où elle se consolide. Aux foires, il s’en vend beaucoup ; on met dedans du beurre, ou on s’en sert en guise de pain pour manger de la saucisse. En revenant du marché ou de la foire, les parents en rapportent comme "part d’assemblée" pour ceux qui sont restés à la maison ou pour les enfants. Les craquelins de Saint Malo sont aussi très populaires en Haute-Bretagne, on en vend dans les villes et à la campagne. On voit passer des hommes, porteurs de grandes hottes en forme de cage qui en sont pleines.
À Rennes, on les crie :
Craquelin d’Saint-Malô ôôô !
En allongeant beaucoup. Ce à quoi les gens du peuple manquent rarement de répondre :
Tu as menti,
I’ sont de Pleurtuit. »
C’est en effet dans cette commune qu’on en fabrique la plus grande quantité.
« Je me levais vers 2 heures du matin pour allumer le feu sous un grand chaudron, à l’aide de fagots qui nous étaient fournis par les cultivateurs. Pendant ce temps, mon mari pétrissait la pâte constituée d’eau, de farine et d’œufs, il la mettait sur une grande plaque ronde. Avec un couteau, il en coupait les morceaux et les roulait, cela faisait comme une ficelle. Le craquelin se formait par la pression des doigts de la main. Deux autres personnes farinaient les petites boules de pâte et appuyaient dessus avec une corne qui faisait quatre trous (ça en piquait deux à la fois), puis on les mettait en rang sur une planchette, il y avait cinq tas. Pendant ce temps, une grande bouillotte chauffait, il fallait que l’eau bouille quand les craquelins étaient jetés dedans. Avec un grand morceau de bois, on mélangeait les craquelins plusieurs fois, et avec une grande écumoire, on les enlevait et on les mettait dans un bac d’eau froide. Il fallait les mélanger dans l’eau froide, autrement ils se seraient collés. Pendant trois heures, ils trempaient et étaient remués régulièrement, c’était un travail long et pénible. Puis on les mettait sur une claie où ils s’égouttaient, c’était la première "baille" (première tournée). On en fabriquait cinq à six mille par jour, lorsque c’étaient des bonnes journées. Pour faire nos craquelins nous étions quatre personnes : un petit commis, une femme à la journée, mon mari et moi. C’était un travail très dur. Nous les fabriquions du mardi au vendredi, le lundi étant réservé au lavage de toutes les toiles. Les marchands passaient, nous achetaient nos craquelins pour les vendre en Normandie, à Granville, et nous avions une vendeuse qui partait les vendre à Saint-Brieuc. »
Dans son ouvrage La semaine des quatre jeudis. Nouvelles d’une enfance en Haute-Bretagne (Terra Arcalis, 2010), Dan Lay, son fils, précise que les descriptions de sa mère « se rapportent à la période d’avant la guerre de quarante » (p.39).
On entend souvent ici ou là le récit selon lequel les marins emportaient avec eux en mer des craquelins qu’ils stockaient dans des toiles de jute ou des taies d’oreillers car ces derniers se conservaient plus longtemps que le pain. Si aucun document d’archives trouvé à ce jour ne permet de renseigner cette pratique, Yannick Lecerf, né en 1944, aujourd’hui archéologue, chercheur associé au CNRS et conservateur du patrimoine, témoigne de ses souvenirs d’enfance.
« Issu d’une longue lignée de marins (pêcheurs, corsaires occasionnels, Terre-neuvas, etc.), j’ai toujours su et vu que les hommes de la famille embarquaient avec "une pouche" (petit sac en toile de jute) pleine de simeriao et de cariao (grands et petits craquelins). La plupart des marins du port de Cancale, comme tous leurs semblables, ne supportant plus le mauvais pain souvent pourri et visité par les asticots, partaient avec leurs provisions embarquées sur les chalutiers de Pléven.
Si, les premières semaines, ils acceptaient le pain embarqué puis, ensuite, celui fabriqué à bord ; très vite, ils retrouvaient leurs simeriao et cariao dès que le cuisinier utilisait la farine embarquée, devenue humide, avariée et pleine de charançons.
J’ai encore le souvenir de femmes de la Houle, allant chercher à Dol-de-Bretagne ou à Saint-Malo de grandes quantités de craquelins, afin d’essayer d’adoucir la dure vie des hommes partant en mer pour Terre-Neuve. Les cars les déposaient aux Portes rouges où elles retrouvaient leurs brouettes. Prenant la route d’un bon pas, elles parcouraient les quatre kilomètres en chantant des airs peu appréciés par monsieur le curé. Une ou deux, ayant attaché les bras de la berouette (brouette) par un licol passé derrière le cou, arrivaient à tricoter des chausses pour leurs hoummes (hommes). Ainsi, ils auraient chaud quand la glace prendrait dans les haubans.
Perdus dans les bancs de brume du Canada et du Groenland, les pêcheurs se régalaient de ces douceurs beurrées avec du saindoux, leur rappelant leur grande baie du Mont-Saint-Michel, qu’ils quittaient pour sept longs mois.
Depuis, les craquelins ont gagné leur titre de noblesse en entrant dans la grande cuisine et en accompagnant les apéritifs. Mais je préfère garder le souvenir ancien qui rythmait la vie maritime de notre côte septentrionale. »
« Il y a bien longtemps, Elodie, une jeune fille du village de Bourgneuf en Pleurtuit était amoureuse d’un pauvre gars du même village que son père lui refusait. Il le trouvait trop pauvre pour subvenir aux besoins de sa fille. La pauvre jeune fille éperdument amoureuse, refusait tous les autres prétendants que son père lui présentait et se dépérissait de ne pouvoir marier son amoureux. Dépité par tant de ténacité, son père, un soir de Noël, lui lança un défi impossible :
- Fais-moi un gâteau blanc comme le lys des champs, doré comme la flamme de foyer et craquant comme le givre d’hiver et ton amoureux sera ton mari.
Que l’on juge de l’état de la jeune fille, ce que lui demandait son père adoré lui paraissait impossible et pourtant, elle espérait encore.
Seule une intervention divine pouvait aider la jeune fille dans son entreprise. Elle était perdue dans ses pensées, cherchant une solution impossible à son problème qui ne l’était pas moins, quand un brave lutin entra.
- Qu’as-tu la belle à pleurer comme ça ?
Et Elodie lui conta toute son histoire. Emu, le lutin décida de l’aider et usa de sa magie.
Aussitôt, devant les yeux ébahis d’Elodie, la table se couvrit de pots de lait doux, de mottes de beurre fin, de paniers d’œufs battus aussi jaunes que l’or, de beaux sacs de farine aussi fine et blanche que la neige.
Bientôt, le tout se mit à danser, les œufs se cassaient seuls dans les pots, le lait se déversait sans renverser une seule goutte, le beurre se mélangeait merveilleusement avec la farine. C’était magique, il fallait le voir pour le croire, les gâteaux se faisaient seuls devant Elodie.
Des petits lutins, pareils à des étoiles dans le ciel allaient et venaient dans tous les sens, sans jamais se gêner, les uns allumaient les feux, les autres chargeaient le bois.
En quelques minutes, de jolis gâteaux, blancs comme le lys des champs, dorés comme la flamme du foyer et craquants comme le givre d’hiver jonchaient la table. Il y en avait des dizaines, des centaines, des milliers, pareil à des écus d’or, que des lutins rangeaient dans de grands paniers en osier.
Quand tout fut fini, Elodie appela son père pour lui montrer le résultat de son travail.
Agréablement surpris, après avoir goûté les gâteaux, il dût donner son consentement au mariage tellement espéré.
La bénédiction se fit quelques jours après dans l’église de Pleurtuit.
Depuis, les jeunes époux vendent leurs gâteaux à la porte des églises pour subvenir à leurs besoins. Ils les ont appelés craquelins.
Si vous les voyez un jour, achetez-leur des craquelins, ce sont de merveilleux gâteaux qui se mangent sans faim. »
« C’était il y a longtemps, longtemps. C’était dans un des petits villages qui entourent le bourg de Pleurtuit. On était au 24 décembre. Il faisait grand froid, et, depuis longtemps, la neige enlinceulait toute la campagne.
Toute seule, au sein de son foyer, pleurait, à chaudes larmes, la jolie Mar’Yvonnette.
Pauvre ! Pauvre Mar’Yvonnette ! C’était donc fini ! Bien fini ! Elle n’épouserait jamais Mar’Yvon, son bien-aimé.
Et pourquoi cela ? Parce que Mar’Yvon était trop pauvre ! Je vous le demande ? Est-ce que c’est donc une poignée d’écus, au fond d’un bas de laine, qui, vraiment, peut faire le bonheur ?
Et, cependant, le père de Mar’Yvonnette avait bien été catégorique.
En partant pour la messe de minuit, dont le dernier son s’éteignait maintenant, dans l’air bleu, criblé d’étoiles :
- Ma fille, avait-il dit à Mar’Yvonnette, je ne veux pas te mettre à chercher ton pain. Oh ! Je ne dis pas le contraire, Mar’Yvon est un honnête et bon gars. Mais si dolent ! Que peut-il gagner de sa journée ! A peine une douzaine de liards : juste de quoi ne pas périr de faim ! C’est donc bien décidé ! Quand, après la messe de minuit il va venir savoir sa réponse, tu auras soin, suivant la coutume du village, de piquer debout, les tisons éteints, tout autour du feu que tu laisseras mourir. Le gars comprendra ce que ce langage veut dire.
- Oh, Papa, Papa, je vous en supplie, ne me commandez pas cela, avait, en se trainant sur ses genoux, supplié, encore la jolie Mar’Yvonnette.
- Eh bien ! avait alors dit le père, je mets ton sort entre tes mains. A la place de grosses galettes noires, fais-moi pour le réveillon, avec ce sarrasin, un beau gâteau aussi blanc que le lit des champs et aussi doré que la flamme du foyer, que ce beau gâteau craque sous la dent, comme le givre d’hiver, en ce moment dans mon sabot, et Mar’Yvon sera ton mari.
- Mais, Papa, vous me demandez l’impossible.
- L’amour, ma fille, rend ingénieux.
Lors, sa lanterne à la main, le père de Mar’Yvonnette partit, pour la messe de minuit. Mar’Yvonnette entendit le givre d’argent qui craquait, sous son sabot, comme le froufrou d’une robe de soie. Et Mar’Yvonnette se mit à pleurer.
Cependant, ayant séché ses jolis yeux de pervenche, Mar’Yvonnette se mit à genoux.
- Oh ! s’écria-t-elle, doux Jésus de la crèche, vous qui pouvez tout, faites que je puisse, avec ce blé noir, façonner, pour le réveillon de Papa, un gâteau blanc comme le lys des champs et doré comme la flamme du foyer. Faites, encore, que ce merveilleux gâteau craque sous la dent, comme craque sous nos sabots, le givre de décembre !
- Et toc ! toc ! toc !... A ce moment, Mar’Yvonnette entendit frapper à la porte.
- Au nom du doux Jésus de la crèche, ouvrez-moi ! disait une voix plaintive, comme un souffle d’hiver.
Mar’Yvonnette ouvrit. Et dans un tourbillon de neige entra un enfantelet. Il était tout couvert de haillons et joignant ses menottes bleuies par le froid :
- Oh ! Par pitié ! dit-il, un morceau de pain !
Aussitôt, oubliant la confection du beau gâteau dont dépendait son bonheur, la charitable Mar’Yvonnette ne songea plus qu’à vite apaiser la faim du pauvre petit. Et, pour lui faire une galette de blé noir bien chaude, elle se hâta d’étendre sa pâte de sarrasin, sur la pierre du foyer.
Mais, tout d’un coup, ô miracle ! voici la table de chêne qui se couvre de vases merveilleux tout emplis de lait doux ; de beurre fin ; d’œufs battus, aussi jaunes que l’or ; de belle farine aussi blanche et fine que la neige.
Et, le petit mendiant est devenu plus joli qu’un ange. Il ressemble à l’Enfant-Jésus. Autour de ses cheveux blonds, irradie une auréole. Il sourit et le voici qui, dans ses menottes, prend le lait doux, le beurre fin, les œufs frais et la blanche farine…
O miracle ! O miracle !
Voici des centaines de jolis gâteaux qui sautent sur la pierre du foyer : on dirait des écus d’or ou des étoiles du Paradis.
O miracle ! O miracle !
Et les merveilleux gâteaux se multiplient, à l’infini. Il y en a, bientôt, plein la maison, plein les grandes hottes d’osier dont se sert le père de Mar’Yvonnette. Pour ramasser les pommes de pins qu’il vend, afin d’allumer le feu dans les châteaux des environs.
Et c’est, dans l’air, un exquis parfum d’encens.
Et Mar’Yvonnette est tombée à genoux, en extase.
Et, dans l’air, sonnent les cloches de Noël.
Alleluia ! Alleluia !!...
Et, à nouveau s’ouvre la porte.
Cette fois, c’est le père de Mar’Yvonnette qui rentre avec Mar’Yvon.
Par la cheminée, s’est envolé, alors, comme un rayon d’aurore. L’air est encore délicieusement embaumé. L’Enfant-Jésus a disparu mais Mar’Yvonnette, en extase, est toujours à genoux, près de la pierre du foyer.
A son réveillon, le père de Mar’Yvonnette mangea un gâteau doré comme la flamme du foyer et blanc comme le lys des champs. En outre, ce merveilleux gâteau craquait sous la dent, comme le givre d’hiver craque sous les sabots.
C’est ce gâteau qu’on appelle, pour cette raison, "le craquelin".
Faut-il ajouter que Mar’Yvon eut sa part du réveillon et épousa la charitable Mar’Yvonnette ? Faut il ajouter aussi que, durant toute leur vie, pleine de bonheur, ils vendirent des craquelins, à la porte de l’église : de beaux craquelins d’or, qu’ils apportaient, sur leur dos, à pleine hotte d’osier ?
Et, c’est aussi, depuis lors, que, dans les petites cahutes étranges du Bourg-neuf [ill. 37], en Pleurtuit, on façonne ces jolis et délicieux gâteaux qu’on entend bannir, dans nos rues, d’une voix si violente :
Craq’lins de Saint-Malo !...
Le recensement préliminaire à l'étude du patrimoine mobilier et architectural de la commune de Pleurtuit a été réalisé durant les mois de décembre 1999, février et mars 2000. Il a porté sur l'ensemble des édifices bâtis jusqu'au milieu du XXe siècle.
Parmi les édifices étudiés, quatre maisons conservent un four à craquelin [ill. 38 et 39]. Les dossiers d’étude réalisés sont disponibles en ligne sur le site Internet du service de l’inventaire du patrimoine culturel de la Région Bretagne ainsi que sur la base Mérimée accessible sur POP.
CARLO Jean-Claude, « La douce légende des craquelins », in Les contes et légendes de Bretagne, Côte d’Émeraude, Édition Club 35, 1979, p. 30-32.
Chambre des métiers de Dinan, L’avenir de l’artisanat du craquelin en Bretagne, 1988.
CROIX Alain, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles, la vie, la mort, la foi, Édition Maloine, tome 2, 1981, p.855.
HERPIN E., « De la merveilleuse origine des craquelins de Pleurtuit – conte de noël », in La Côte d’Emeraude – Jadis et aujourd’hui, Éditions J. Haize, Saint-Servan, 1914 (Réédité par La Découvrance, Rennes, 1994).
HERVY Francis, Les craquelins des Champ-Géraux, in Le Pays de Dinan, 1984, p. 175-182.
LEFORESTIER Claude, La vie d’une commune rurale en Haute-Bretagne. Pleurtuit 1830-1930, Dinard, Éditions Danclau, 1991, pp.48-49.
MALOUIN Paul-Jacques, Description et détails des arts du meunier, du vermicelier et du boulenger. [Paris] : s.n., 1771.
PENOT Christophe, La fabuleuse histoire des craquelins, Édition Cristel, 2021.
ROUSSEL Philippe, « Le craquelin, un biscuit échaudé des pays de Rance », ArMen, n°98, novembre 1998, pp.2-9.
ROUSSEL Philippe, « Les craquelins », Le Chamillard, revue du Cercle culturel Rance-Linon du pays d’Évran, 1994, pp. 5-14.
ROUSSEL Philippe, « Les craquelins – Fiches techniques », Bretagne – Produits du terroir et recettes traditionnelles, Éditions CNAC – Albin Michel, 1994, pp.94-97.
SÉBILLOT Paul, Coutumes populaires de la Haute-Bretagne, Paris, G.-P. Maisonneuve & Larose, 1886, p.347.
GAUDU Émile, Actualités pleurtuisiennes par le film, 1928. Images de madame Polodec, dite « Thasie », vendeuse de craquelins à 1’50. [Disponible en ligne sur le site de la Cinémathèque de Bretagne https://www.cinematheque-bretagne.bzh/base-documentaire-Actualites Pleurtuisiennes-par-le-film-_Les_-426-3723-0-0.html ]
« Terroir : le craquelin de Saint-Malo, le biscuit marin », Émission Météo à la carte, Reportage de France3, 2021. [Disponible également en ligne sur YouTube] https://www.youtube.com/watch?v=ntQdclJxx1U
« Le label "Entreprise du patrimoine vivant" pour les Craquelins de Saint-Malo », 2014, durée 1’40, n° de notice : RN00001729631.
« Semaine du pain : craquelin breton », 2009 (22.34 à 24.22), n° de notice : GIB0030665401.
« Atelier de pâtisserie pour enfants dans une fabrique de craquelins », 2000, (4.35 à 5.45), n° de notice : RN00001275057.
« Pleurtuit : les craquelins », 1967 (16.14 à 19.09), n° de notice : RXF02007425.
• BOIRON Régis, dirigeant de l’entreprise des Craquelins de Saint-Malo, rboiron@craquelin.com ;
• BOIXIÈRE Jean-Baptiste, dirigeant de l’entreprise des Craquelins Bellier, craquelinsbellier@gmail.com ;
• BRIAND Marie, née en 1937, ancienne craquelinière à Pleudihen-sur-Rance jusqu’en 1965 ;
• GIROUARD Christophe, dirigeant de l’entreprise des Craquelins de la Baie et du Chat Noir christophe.girouard.35@gmail.com ;
• HUET Bruno, dirigeant de l’entreprise du Petit Craquelin, lepetitcraquelin@gmail.com ;
• HUET Martine, dirigeante de l’entreprise du Petit Craquelin, lepetitcraquelin@gmail.com ;
• LAY Dan, natif de Pleurtuit, fils de craqueliniers ;
• LECERF Yannick, archéologue, chercheur associé au CNRS et conservateur du patrimoine, yannick.lecerf@wanadoo.fr ;
• MELEC Dominique, responsable développement durable au sein de COEUR Émeraude, structure de préfiguration du parc naturel régional Vallée de la Rance – Côte d’Émeraude d.melec@pnr-rance-emeraude.bzh ;
• PAGEOT Yves, natif de Pleurtuit, il se lance dans les années 1990 dans des recherches sur les savoir-faire du craquelin et sur la vie des craqueliniers de Pleurtuit sur lesquels il réalise un important travail de généalogie. y.pageot@laposte.net ;
• PENOT Christophe, journaliste et écrivain, auteur d’un ouvrage consacré aux craquelins édité en 2021, christophepenot@wanadoo.fr ;
• ROUSSEL Philippe, diplômé de l’École nationale supérieure de meunerie et des industries céréalières, il se passionne notamment pour l’étude des produits régionaux traditionnels, dont les échaudés et le craquelin de Haute-Bretagne. rsole@club-internet.fr
• LÉONARD Julie, responsable des inventaires du patrimoine culturel immatériel, association Bretagne Culture Diversité, jleonard@bcd.bzh (coordination générale et rédaction) ;
• ROUSSEL Philippe, auteur d’articles sur l’histoire et les techniques des savoir-faire du craquelin de Haute-Bretagne, rsol@club-internet.fr (rédaction d’éléments historiques et techniques).
Haute-Bretagne, 2023/2024
Date de remise de la fiche : Avril 2024
Année d’inclusion à l’inventaire : 2024
N° Ministère de la Culture : 2024_67717_INV_PCI_FRANCE_00534
Identifiant ARKH : <uri>ark:/67717/nvhdhrrvswvksr8</uri>
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Craquelin_(Bretagne)
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