Pierres tremblantes ou roches branlantes
- la Men dogan, en breton : "Pierre des cocus"
- la Pierre de la richesse
- la Roche divinatoire

Situés à différents points de la commune de Trégunc, trois énormes blocs de granit sont entourés de légendes transmises et valorisées aujourd’hui.

Situés à différents points de la commune de Trégunc, trois énormes blocs de granit sont entourés de légendes transmises et valorisées aujourd’hui. Par l’effet de l’érosion, ces rochers sont en position instable, soutenus en équilibre par d’autres rochers sur lesquels ils sont placés. Ces pierres dites "tremblantes" ou "branlantes" ont la particularité d’osciller sous une simple pression exercée à un point particulier de la roche.

Nous identifions les pierres tremblantes suivantes :


- La Pierre des cocus dite Men dogan en breton (lieu-dit de Kerouël, route de Concarneau)
- La Pierre de la richesse (bois de la Pinède, site du CCAS)
- La Roche divinatoire (sur la propriété de Robert Sellin)

Faire trembler ces roches est une pratique relevée depuis au moins deux siècles (CAMBRY J., 1836. Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794, Édition revue et corrigée par le Chevalier de Fréminville, Brest : J.-B. Le Fournier : 396) ; aujourd’hui elle s’inscrit et se transmet essentiellement dans le cadre touristique. Chaque roche branlante possède sa propre vertu à laquelle renvoie son appellation et un certain "savoir-faire" est nécessaire pour faire bouger ces quelques centaines de tonnes.

Ce qu’on dit, ce qu’on a dit :
Désignés par des termes tels que roulers, pierres vacillantes, roches tremblantes, pierres branlantes, pierres qui bougent etc. voici les récits qui les animent :

- La Men dogan :
Sans doute la plus connue des trois, la Men dogan est dite la "Pierre des cocus" : la tradition veut qu'un époux trompé ne puisse donner à ces 50 tonnes les mouvements oscillatoires qu'elle recevrait de toute autre personne, à qui un doigt suffirait pour la remuer. Elle était, dit-on, consultée par les marins rentrant de mer afin de vérifier l’honnêteté de leur épouse.

La Men dogan est également le théâtre du conte de Mao et Corentine : voulant s’assurer que Corentine l’aimait, Mao s’en alla consulter le sorcier. Celui-ci, jaloux du jeune homme, lui dit d’aller à la pierre tremblante et si celle-ci remuait c’est que la fille ne l’aimait pas. Bien sûr la roche trembla et Mao, désespéré, s’en fut se noyer (Du LAURENS de la BARRE, 1867. Contes populaires et légendes de Bretagne, Presses de la Renaissance, Paris, rééd. 1974).
Au XIXe siècle, la roche tremblante est décrite par les premiers archéologues - appelés antiquaires - comme servant à consulter le sort chez les Celtes "celui qui désirait interroger l’avenir (…) mettait la pierre en mouvement. Le Druide qui en était le gardien interprétait la réponse d’après le nombre des oscillations éprouvées par cette pierre (…)" (Le chevalier de FREMINVILLE, 1832. Antiquités du Finistère I, Slaktine Reprint, Brest, réédit 1979 (Genève) : p.324).

- La Pierre de la richesse :
Cette énorme pierre est aujourd’hui la plus accessible et des visites guidées y conduisent les touristes. "La légende dit qu’il y avait une comtesse terriblement avare qui venait étaler son or devant cette roche branlante, elle la remuait, toujours par un clair de lune, elle mettait un verre de cristal sous la roche et s’il se brisait, ça donnait encore des pièces d’or" (Robert Sellin ). On dit que les jeunes mariés y venaient au XIXe afin de demander la fortune pour leur ménage.

- La Roche divinatoire :
Située sur une propriété privée, cette roche branlante est la moins connue des trois. D’après notre informateur sa vertu était la suivante : "Mentalement vous lui posiez une question et si elle bougeait la réponse était positive sinon négative".

- La Men dogan.
La roche est située dans un champ privé au bord de la route de Concarneau, au lieu-dit de Kerouël, à l’ouest du bourg de Trégunc. Le site est en friche mais des petits chemins laissés par des passages réguliers conduisent à la roche. Il est peu aisé d’en faire le tour totalement cependant l’endroit stratégique pour lui donner du mouvement est accessible. Le bloc granitique aux formes arrondies, mesure approximativement 3, 70 mètres sur 2,70 mètres (- TOSCER G., 1906. Le Finistère pittoresque. Sites et monuments. Cornouaille, Joseph Floch, Brest, rééd. 1977, Mayenne : 370) pour un poids de cinquante à cent tonnes. Il est posé en équilibre sur une autre roche affleurante. Sur le dessus de la pierre, un trou de forme carrée y est creusé qui a pu accueillir une croix chrétienne.

- La Pierre de la richesse.
Située dans l’ancien bois de la Pinède, aujourd’hui (depuis les années 1970) centre de vacances EDF-GDF, la roche branlante est sans doute la plus imposante des trois. C’est une énorme masse granitique de 150 tonnes, de forme ovoïdale, couchée sur un autre rocher au cœur d’un parc entretenu de 18 ha ; elle est la plus accessible pour le visiteur.

- La Roche divinatoire.
Située sur la propriété de Robert Sellin, au milieu d’un environnement arboré, elle est la plus petite des trois. De forme ronde, en équilibre au-dessus d’un autre rocher entouré de lierre, elle ne bouge plus du fait de l’accumulation de végétation et de feuilles mortes entre elle et le rocher qui la soutient.

La transmission des légendes et pratiques entourant ces pierres se fait au croisement de la tradition orale et de l’écrit, de la culture populaire et de la culture savante. Ces différents modes de connaissance se mêlent sans cesse en se contredisant parfois et participent à la fabrication d’une mémoire et d’un imaginaire collectif. Récit raconté par la famille, promenade in situ, lecture de recueils de légendes etc. les habitants du territoire ont souvent rencontré ces pierres et leurs légendes et ont l'impression de les connaître depuis toujours : elles font partie du paysage non seulement naturel mais aussi culturel.

- La Men dogan, la plus connue des trois, bénéficie d’une ancienne renommée : "le fait d’être appelée la Pierre des cocus, ça lui conférait une notoriété" nous dit Robert Sellin.
De nombreux écrits savants des XVIIIe et XIXe siècles mentionnent les traditions autour de cette pierre : les ouvrages des antiquaires (J. Cambry et le Chevalier de Fréminville, 1836 entre autres) de même que les collectes des écrivains-voyageurs et des folkloristes (SEBILLOT P., 1904-1908. Folklore de France, TIV, Le Préhistorique, Livre 1er, Ch. IV, "Pierres diverses", Maisonneuve et Larose, Paris, rééd. 1968 : 47-50 ; T- TOSCER G., 1906. Le Finistère pittoresque. Sites et monuments. Cornouaille, Joseph Floch, Brest, rééd. 1977, Mayenne : 370-371. etc.) témoignent de l’intérêt porté à la pierre. De toutes les "pierres vacillantes" peut-on lire "la plus célèbre est peut-être celle de Trégunc. Elle est consultée par les maris jaloux" (BOISMOIREAU E.. "Notes à propos de l'utilisation thérapeutique des mégalithes dans la Bretagne", in Bulletin de la Société préhistorique française, tome 14, N. 3, 1917 : 159).
Le célèbre écrivain Gustave Flaubert serait venu à Trégunc en 1847 afin de voir la fameuse pierre tremblante dont il avait entendu parler jusqu’à Paris. Il essaya de la faire trembler, mais en vain ; sa réponse fut "ça ne fait rien, je suis célibataire !". Son récit de voyage en Bretagne publié par la suite fait partie de ces sources écrites qui servent de base à la transmission de la tradition autour de la Men dogan et à sa notoriété ; aujourd’hui les acteurs du tourisme et du patrimoine véhiculent largement cet imaginaire.
La roche tremblante fait l’objet d’une valorisation touristique importante et ce, depuis les prémices du tourisme. Des cartes postales du début du siècle mettent en scène la Men dogan, souvent entourée de jeunes Bretons en costume, légendées de cette manière : "La Bretagne pittoresque. Trégunc. La pierre tremblante, connue dans le pays sous le nom de "Pierre des cocus". (Les maris ayant éprouvé des infortunes conjugales ne peuvent, paraît-il, la faire remuer)"1.

Robert Sellin nous confie que, dans le temps, la pierre était consultée, assez peu ou en douce par la population locale "qui y voyait du paganisme" mais très souvent par les touristes.
Quand moi j’étais gosse, on était une dizaine, on allait à la Men dogan et on avait une petite pièce pour montrer aux touristes comment la remuer. Dès 1914, il y avait toujours des gamins comme à Carnac pour expliquer comment faire. J’y suis allé jusqu’à mes 16 - 17 ans faire bouger la pierre pour une pièce.

Notre guide, Virginie Rolland, ajoute que les enfants y déposaient aussi des fleurs afin d'attirer les touristes et si ceux-ci oubliaient de donner une pièce, l'un des enfants bloquait la pierre sur l'arrière avec un petit caillou.
Dans les années 1950-60, la Men dogan était valorisée "il y avait de la publicité partout" et de nombreux visiteurs demandaient à la voir. Robert Sellin, alors au Syndicat d’initiative se souvient particulièrement de la demande d’un homme d’affaire parisien ou de celle du directeur de la télévision belge :

Je suis parti avec lui et sa dame, je leur ai montré la pierre, lui ne voulait pas mais sa femme lui disait : "vas-y!",
il hésitait, il y croyait sans y croire : "si je n’arrive pas à la remuer je vais avoir des doutes" ; alors je lui ai montré comment on faisait -c’est tout simple- et ils sont partis tout contents !

Par la suite, la refonte de la route de Concarneau a rendu difficile le stationnement près de la pierre. Les panneaux explicatifs qui présentaient la pierre et la légende dans les années 1970 n’existent plus. Le site, toujours entretenu auparavant, est laissé en friches depuis quelques années.
Si l’accès au site est devenu plus difficile, les habitants savent néanmoins où est la pierre et la légende continue de se transmettre ; le site de l’Office de tourisme et celui de la mairie valorisent le patrimoine que représente la Men dogan. Pour des raisons pratiques, lors des visites guidées "Trégunc, pierres et légendes", on affilie la légende "des cocus" à l’autre pierre tremblante du CCAS.

- La transmission des légendes des pierres tremblantes peut s’effectuer par le biais familial. Concernant la Pierre la richesse, voici le témoignage de Micheline Papazian, originaire de Trégunc et animatrice du patrimoine :

La pierre tremblante je l'ai découverte à 6 ans avec ma grand-mère. C'était ce qu'on appelle "une chasseuse de vipères" elle adorait ça. Elle venait tout le temps là se balader. J'ai une photo prise par mon grand frère où je suis avec ma grand-mère en coiffe à la roche tremblante. Elle m'a toujours dit que c'était la Pierre aux cocus mais en fait, tout le monde dit que non, elle est de l'autre coté. Alors c'est des légendes qui se croisent et les gens se l'approprient. Je pense que ce sont les gens du bourg qui s'approprient celle-ci et les gens extérieurs au bourg s'approprient l'autre.

En tant qu’animatrice au centre de vacances, elle intègre la pierre dans la visite des lieux et transmet à son tour la légende de la pierre "aux maris trompés".

On me demande souvent où elle est et si je sais la faire bouger, mais je n’ai réussi qu’une seule fois ! Ce qui est drôle, c'est qu'après la balade plein de gens essaient de faire bouger la pierre. Avant ici, il y avait deux messieurs qui s'occupaient de l'entretien, ils la faisaient bouger à chaque fois et c'est vrai que c'est magique. Moi je n’y arrive pas mais c'est vrai qu'il faut leur prouver ! Certains pensent même qu'elle va se soulever du sol !

La valorisation touristique du site est un nouveau cadre à la transmission orale de la légende et de la pratique entourant la pierre. C’est in situ que l’on apprend à faire bouger la pierre, ce qui requiert un certain "savoir-faire" comme l’enseigne Virginie Rolland, lors d’une visite guidée :

Il y a toujours un endroit stratégique pour faire bouger une pierre branlante, j'ai mis du temps à trouver l'endroit, elle fait à peu près 200 tonnes, je me mets la pression ! (Chuchotements dans le groupe, la pierre bouge) Une fois qu'elle a pris son mouvement, il suffit que je l'accompagne, il n'y a pas besoin de forcer, elle prend son mouvement oscillatoire et même quand je la lâche, elle va continuer à bouger.

- La Roche divinatoire, sur la propriété de Robert Sellin est depuis longtemps oubliée. Jusqu’à la fin des années 1970, quand notre informateur a acheté le terrain elle était enfouie dans la végétation "depuis au moins cinquante ans". C’est grâce au cultivateur qui lui a vendu la propriété et par des écrits du XIXe siècle que Robert Sellin a pris connaissance de cette pierre oubliée. Une ancienne carte postale montre cependant qu’au début du siècle elle était valorisée sur la commune. Aujourd’hui, l’ouvrage sur Trégunc de Monsieur Sellin permet de faire connaître à nouveau l’existence de la Roche divinatoire.

Un tas de gamines sont venues l’autre jour : on peut consulter la pierre ? J’ai dit allez-y mais vous n’arriverez pas à la bouger ou faites-moi plaisir et commencez à nettoyer tout en dessous (…) ! Je ne sais pas d’où elles venaient, elles étaient 7 ou 8, elles rigolaient, mais alors quelles questions elles posaient mentalement à la pierre je n’en sais rien !

1 Carte postale du fonds du cartopole de Baud

La transmission se fait au niveau local sur la commune de Trégunc mais les écrits – ceux des folkloristes et des antiquaires des XVIIIe et XIXe siècles essentiellement - sont des sources importantes qui élargissent la portée de la transmission.
La valorisation touristique entraîne une communication sur de nouveaux supports diffusant ainsi la légende au-delà du territoire. Des articles de presse ou des sites internet constituent une trace écrite faisant désormais partie intégrante de la transmission.

Le minéral est une composante majeure de l’environnement naturel et culturel de Bretagne. L’homme se construit en interaction avec cet environnement qu’il pense et emploie et les manières de se l’approprier sont multiples.
La tradition orale qui nous a été rapportée et les nombreux écrits savants du XIXe siècle témoignent véritablement de l’importance de la pierre dans la vie et l’imaginaire des Bretons. Cet héritage est transmis et réactivé de génération en génération.
Nombre de contes et de légendes utilisent la pierre comme support, voire comme personnage doté de vie : les dolmens servent de logis aux fées ou aux korrigans tandis que d’autres menhirs s’en vont boire à la mer les nuits de Noël. Les pierres à légendes ou les pierres de culte liées aux saints bretons que l’on touche pour se soigner ou demander un mariage heureux font aussi partie des récits et pratiques populaires2. Cet imaginaire lié au minéral se retrouve aujourd’hui au cœur de la valorisation touristique et patrimoniale bretonne. Les circuits, balades contées et signalétiques mis en place par les collectivités locales participent à la transmission de ce patrimoine immatériel.

L’"animisme" des pierres
Dans cette optique de valorisation du territoire, la pierre se fait le support idéal de l’imaginaire et du légendaire ; elle perd son caractère principal, celui d'être inanimé, statique pour devenir un être doté d’une force vitale : les pierres poussent, tournent, boivent ou représentent des êtres pétrifiés. Les guides et acteurs du patrimoine, en tant que porte-parole de la communauté, transmettent ce légendaire faisant des rochers des êtres minéraux, des personnages de l'histoire du territoire au même titre que les korrigans ou le diable.
Les pierres tremblantes et les pierres sonnantes qui nous intéressent, sont essentiellement des roches brutes que les discours et les légendes ont animées depuis déjà plusieurs siècles. Leur dénomination rappelle que chacune de ces pierres possède une caractéristique naturelle particulière, qui devient le noyau générateur de la légende.
En les nommant, ces pierres se sont mises à exister, non plus seulement comme éléments naturels mais comme objets culturels. Grâce à la pierre, la légende est localisée, ancrée sur le territoire. Ces pierres deviennent alors emblématiques. Elles prennent un rôle symbolique, un rôle de marqueur culturel puisqu'on y projette une identité locale: la formule "On a une pierre ... " revient presque systématiquement dans les discours de nos interlocuteurs.

Les pierres animées semblent être l'objet de rites ludiques : s'il n'y a pas ici de croyances en des puissances supérieures, ces objets sont chargés de fonctions symboliques. Les pierres animées nous permettent d’interagir avec elles : on ne va pas voir une pierre tremblante ou sonnante sans tester les capacités de la pierre en question et ses propres aptitudes également. Quand on la touche, la pierre répond par un mouvement ou par un son. Le contact avec ces pierres est un temps fort de la promenade, de la visite guidée ou de la randonnée. Toucher la pierre c’est, semble-t-il, reproduire et perpétuer des gestes anciens: c’est un contact intime qui se créée avec le territoire et sa tradition populaire.

2 Le folklore de France en 4 tomes de Paul Sébillot est l’une des plus importantes collectes des traditions populaires, publiée entre 1904 et 1908.

Formation géologique et perception des pierres tremblantes (d’après le géologue L. Chauris -CHAURIS, L.. "Les multiples facettes du granite de Trégunc", (I) "Des amoncellements granitiques…à leur exploitation", (II) "Des mégalithes…aux chapelles", in : Courrier du Léon – Progrès de Cornouaille, 17 juillet & 21 août 1993-)

La surface du territoire de Trégunc est jonchée de blocs granitiques massifs aux formes arrondies.
Cette accumulation de boules, tant sur les rivages que dans les landes, est le résultat de l’érosion particulière du granite que l’on retrouve également à Huelgoat, 29 (cf. Fiche d'inventaire "Faire trembler la roche de Huelgoat").
Ces chaos ont depuis longtemps attiré l’attention des observateurs et fait fantasmer leur imagination. Certains savants y ont vu le résultat d’un "effroyable cataclysme" qui aurait détaché les blocs du rivage et les aurait fait rouler jusque dans les terres (G.Toscer -- TOSCER G., 1906. Le Finistère pittoresque. Sites et monuments. Cornouaille, Joseph Floch, Brest, rééd. 1977, Mayenne : 371- reprend la théorie de Bourrassin, géologue du XIXe siècle).

Les archéologues de la première moitié du XIXe siècle - les antiquaires - se sont emparés de ces jeux de la Nature pour en faire "les plus extraordinaires de tous les monuments celtiques". Le chevalier de Fréminville, en tête de file du mouvement, considère que ces pierres vacillantes sont issues de la main de l’homme et font partie d’un ensemble de monuments qui auraient eu "une destination funéraire"3. Selon lui, Trégunc signifierait en langue celte la "vallée des gémissement" renvoyant à cette idée de vaste cimetière antique. Or, d'après les recherches toponymiques de Bernard Tanguy, Trégunc voudrait dire "au-delà du bras de mer" correspondant à la situation géographique de la commune.
Longtemps perçues comme des ouvrages gaulois "consacrés à un usage divinatoire" (CAYOT-DELANDRE M., 1847. Le Morbihan, son histoire et ses monuments, éditions Cauderon, Vannes : 148) les pierres branlantes ont figuré à ce titre dans l’Inventaire des monuments mégalithiques de 1880. Paul Sébillot rectifiera par la suite qu’il s’agit de pierres naturelles "appartenant à la géologie par leur origine, à l’archéologie par leur usage"4.
À Trégunc, seule la Men dogan a été répertoriée. Sa notoriété était telle qu’elle lui a permis d’échapper à la destruction par les carriers en 1882. Des personnalités dont le maire de la commune se sont liguées pour lui éviter ce sort ; elle a ainsi été classée aux Monuments historiques. Sur le dessus de la pierre, un trou, en forme de quadrilatère a été creusé. Était-il destiné à recevoir une croix, symbole de la christianisation du "monument" perçu alors comme païen ?

3 Le Chevalier de Fréminville, annotations dans l’édition revue et corrigée de CAMBRY, J., Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794, J.-B. Le Fournier, Brest, 1836, p. 396.

4 D’après M.des Molins, Bulletin de la Société des Antiquaires de France, fév. 1850.

À une époque où la tendance est à la rationalisation, l’intérêt porté aux pierres à légendes n’est pas neutre.
La transmission orale et locale comme mode que nous pourrions qualifier de "traditionnel" ne tient plus la même place qu'il y a encore une cinquantaine d'années, elle se voit aujourd'hui suppléée par la valorisation touristique, ses visites guidées ou contées. Les personnes ressources ayant souvent disparu, les férus d'histoire comme les professionnels du patrimoine et du tourisme se tournent vers les sources écrites, les collectes folkloristes comme celles de Paul Sébillot deviennent alors les références incontournables en matière de patrimoine oral.
Il semble y avoir aujourd’hui un engouement pour les pierres tremblantes et leurs vertus légendaires : le magazine Géo y a consacré un article dans son dossier sur les "paradis secrets" de la Bretagne (2009), la nouvelle association du patrimoine de Trégunc souhaite revaloriser la Men dogan par une signalétique et des visites organisées par l’office du tourisme proposent de découvrir les pierres à légendes de la commune. Le tourisme culturel se pose véritablement comme un nouveau cadre à la transmission et à la valorisation de ces "monuments" porteurs d’histoires et de traditions perçues comme populaires.
Les personnes qui visitent Trégunc sont intriguées par ces pierres, la Men dogan en particulier. Plus que l’objet de croyances, c’est un objet de curiosité, devenu patrimonial et emblématique du lieu. Faire bouger la pierre est effectivement ludique et étonnant mais ses vertus légendaires, le fait qu’elle ait un pouvoir probatoire, lui confèrent une dimension magique et intemporelle. Faire bouger la pierre est un geste que l’on attribue à nos ancêtres lointains, issu d’une tradition ancrée dans le passé et sans cesse réactivée qui donne au visiteur contemporain l’impression de toucher à l’intimité du territoire qui l’accueille.
Il est par ailleurs intéressant de voir que l’on associe désormais, lors des visites guidées, la légende de la Pierre aux cocus à la roche branlante du CCAS plus accessible au visiteur ; la légende, plus originale et reconnaissable change de support pour les besoins touristiques.

La pierre tremblante du CCAS (pierre de la richesse) est valorisée dans un cadre touristique : elle est intégrée à une visite guidée organisée régulièrement par l’office de tourisme "Trégunc, pierres et légendes" et l’animatrice du patrimoine du CCAS y guide également les vacanciers.
La légende contée alors par les guides est celle de la pierre des cocus.

- "Bretagne, les paradis secrets", Géo magazine, juillet 2009, n°365

- Office de tourisme de Trégunc
"Patrimoine – Les pierres de légendes"

- Mairie de Trégunc

- Topic-topos. Patrimoine et tourisme culturel : Men dogan, Trégunc

Ouvrages généraux

- AMIROU R., 2000. L’imaginaire du tourisme culturel, Presses Universitaires de France, Paris.

- CAYOT-DELANDRE M., 1847. Le Morbihan, son histoire et ses monuments, éditions Cauderon, Vannes.

- DUVIGNAUD J. ; KHASNADAR C. (Dir.), 2004. Le patrimoine culturel immatériel. Les enjeux, les problématiques, les pratiques, Actes Sud - Maison des cultures du monde, coll.Babel, Internationale de l’imaginaire, nouvelle série, n°17, Arles.

- EVEILLARD J.-Y., 2001. La pierre en basse-Bretagne. Usages et représentations, Cahiers de Bretagne Occidentale, CRBC,  Brest.

- LE COADIC R., 1998. L’identité bretonne, Terre de Brume, Rennes.

- MAHE J., 1825. Essai sur les antiquités du département du Morbihan. Galles Aîné, imprimerie du Roi, Vannes.

- POLLES R.. "Mythes et mégalithes au XIXe siècle", in ArMen, n°88, 1997 : 47-57.

- POSTIC F. (Dir.), 1999. La Bretagne et la littérature orale en Europe, CRBC, Brest.

- REINACH S., 1908. Cultes, mythes et religions, Tome 3, éditions Ernest Leroux, Paris.

Sur les pierres tremblantes de Trégunc

- BOISMOIREAU E.. "Notes à propos de l'utilisation thérapeutique des mégalithes dans la Bretagne", in Bulletin de la Société préhistorique française, tome 14, N. 3, 1917 : 158-160.

- CAMBRY J.. Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794, Édition revue et corrigée par le Chevalier de Fréminville, J.-B. Le Fournier, Brest, 1836 : 396.

- CHAURIS L.. "Les multiples facettes du granite de Trégunc", (I) "Des amoncellements granitiques…à leur exploitation", (II) "Des mégalithes…aux chapelles", in Courrier du Léon – Progrès de Cornouaille, 17 juillet & 21 août 1993

- FLAUBERT G., 1886. Voyage en Bretagne : par les champs et par les grèves, Complexe, coll. Le regard littéraire, Paris, rééd. 1989 : 132.

- Le chevalier de FREMINVILLE, Antiquités du Finistère I, Slaktine Reprint, Genève, rééd. 1979 : 324.

- GUÉNIN G.. "Les rochers et les mégalithes de Bretagne. Légendes, traditions, superstitions", in Bulletin de la Société Académique de Brest, Tome 35, 1910-1911 : 259

- HUCHET P., 2000. Les plus belles légendes des mégalithes de Bretagne, Ouest-France, Rennes : 77-87.

- Du LAURENS de la BARRE, 1867. Contes populaires et légendes de Bretagne, Presses de la Renaissance, Paris rééd.1974.

- MARTIN H.. "Inventaire des monuments mégalithiques de France", in Bulletins de la société d’anthropologie de Paris, III° Série, Tome 3, 1880 : 67-76.

- OGÉE J.-B., 1845. Dictionnaire historique et géographique de la Bretagne, vol.2, Joseph Floch, Mayenne, rééd. 1979 : 930.

- SEBILLOT P., 1904-1908. Folklore de France, TIV, Le Préhistorique, Livre 1er, Ch. IV, "Pierres diverses", Maisonneuve et Larose, Paris, rééd. 1968 : 47-50.

- SEBILLOT P.-Y., 1968. Le folklore de la Bretagne. éditiions G.-P. Maisonneuve et Larose, Paris : 83.

- SELLIN R., 2004. Si Trégunc vous était conté, édité à compte d’auteur, Trégunc : 15-21.

- TOSCER G., 1906. Le Finistère pittoresque. Sites et monuments. Cornouaille, Joseph Floch, Brest, rééd. 1977, Mayenne : 370-371.

La Men dogan : Répertoriée à l’inventaire des Monuments historiques en 1882.

Personne(s) rencontrée(s)

- Micheline Papazian : Animatrice du patrimoine au Centre communal d’action sociale EDF-GDF La Pinède à Trégunc

- Virginie Rolland : Guide à l’Office de tourisme de Trégunc

- Robert Sellin : Retraité. Ancien président du Syndicat d’initiative de Trégunc et de l’Office de tourisme de Concarneau. Président d’honneur de l’association des Amis du patrimoine de Trégunc. Auteur de l’ouvrage Si Trégunc vous était conté, paru à compte d’auteur en 2004.

Localisation

Trégunc, département du Finistère, région Bretagne

- La Men dogan, "Pierre des cocus" : lieu-dit de Kerouël, route de Concarneau
- La Pierre de la richesse : bois de la Pinède, site du CCAS
- La Roche divinatoire : propriété de Robert Sellin

Ville : Trégunc
Code postal : 29910

Dates et lieu(x) de l’enquête : Trégunc, septembre 2009
Date de la fiche d’inventaire : juin 2010
Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs : Léna Le Roux et Marion Rochard
Nom du rédacteur de la fiche : Léna Le Roux et Marion Rochard
Support audio : entretien avec Robert Sellin, durée 1 min 30 s.
Photographies : 2 photographies des auteurs de la fiche et 1 photographie ancienne, Villard, coll.privée

N° d'inventaire Ministère Culture : 2010_67717_INV_PCI_FRANCE_00132
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2z7

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Roches_tremblantes_de_Tregunc

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