À Pézenas (Hérault), quelques semaines avant la période de carnaval, on peut sentir aux coins des rues, dans les cafés, chez les habitants, une effervescence de joie, de rires et de « machades », histoires comiques en occitan. Tous se préparent à fêter le carnaval, qui dure quatre jours, une journée supplémentaire ayant été ajoutée au calendrier traditionnel depuis quelques années pour la fête de la Saint-Blaise, le 3 février.

À Pézenas (Hérault), quelques semaines avant la période de carnaval, on peut sentir aux coins des rues, dans les cafés, chez les habitants, une effervescence de joie, de rires et de « machades », histoires comiques en occitan. Tous se préparent à fêter le carnaval, qui dure quatre jours, une journée supplémentaire ayant été ajoutée au calendrier traditionnel depuis quelques années pour la fête de la Saint-Blaise, le 3 février.

Le carnaval de Pézenas relève des fêtes à animauxtotems du sud de France, avec son Poulain (lo Polin), animal totémique sorti pour le mardi Gras. Tous attendent en effet ce jour de mardi Gras, où le Poulain danse et caracole dans les rues. Le cœur des habitants, des curieux, des amateurs et des passionnés s’enflamme alors. Tous revêtissent costumes et masques et suivent leur totem à travers les rues.

La Ville de Pézenas est partenaire de l'organisation des fêtes de carnaval. Des réunions de sécurité ont lieu à partir du mois de janvier avec les associations organisatrices des festivités carnavalesques. La municipalité prend en charge la mise en place des arrêtés municipaux afin de garantir la libre circulation des cortèges dans les différentes rues de la ville. Des policiers municipaux assurent aussi la sécurité des défilés. La municipalité met en place un programme des festivités de carnaval qui regroupe depuis quelques années les différents événements. Certaines associations bénéficient d'un soutien financier de la municipalité afin de répondre aux besoins matériels liés à l'organisation de la fête.

Les Amis du Poulain bénéficient d'une convention d'objectifs biennale avec la Ville, définissant les engagements réciproques des deux parties. Les Amis du Poulain sont en charge de « l'animation et la représentation de la Ville en gérant l'animal totémique, dont la Ville est propriétaire ». Dans le cadre de cette convention, les Amis du Poulain doivent honorer six sorties par an. La Ville octroie une subvention de fonctionnement à l'association et assure les dépenses liées à la réfection de l'animal. Elle met aussi un local à disposition des Amis du Poulain pour le rangement du matériel nécessaire à l'association et un garage pour le Poulain.

Chaque association prépare l'événement dont elle a la charge bien en amont des manifestations. Chaque journée est l’occasion d’un certain nombre de rendez-vous, de réunions, de répétitions, de repas, d’apéritifs ou de rencontres… Les groupes peuvent être amenés à se rencontrer afin de coordonner l'ensemble des journées du carnaval. Plusieurs personnes sont ainsi membres de plusieurs groupes coordinateurs.

 

Les Amis du Poulain sont en charge de l'organisation de la journée de Mardi gras. La Saint-Blaise, « restaurée » en 2006, a été organisée pendant huit ans par la compagnie du Théâtre des Origines. En 2015, le collectif Temporadas a pris en charge la coordination de la fête de la Saint-Blaise, ouverture des festivités de carnaval, pour laquelle le Poulain sort dans les rues. Le travail se fait en collaboration avec plusieurs groupes : la paroisse, l'école Calandreta dels Polinets, les Amis du Poulain, les Fadas... L'association Lous Machous organise le spectacle des Machous, les samedi et dimanche précédant le jour du mardi Gras. Les Fadas organisent le charivari du lundi soir. Le Stade piscénois est parfois en charge de l'animation des bals de fin de soirée au foyer des Campagnes.

Des acteurs multiples sont donc impliqués à différents niveaux, de la simple participation comme membre du public à l'organisation d'une journée de fête ou encore à la prise en charge d'un rôle.

Toutes ces journées de carnaval donnent lieu à une participation de la communauté au sens large. En dehors des associations organisatrices, pour répéter des chants, des danses, des musiques, pour préparer un sketch sur scène pour le spectacle des Machous, pour constituer une bande de carnaval qui défile aux côtés du Poulain et pour fabriquer masques et costumes, tous se mobilisent pour vivre le carnaval entre amis ou en famille.

Les écoles sont aussi impliquées par le carnaval des enfants qui, suivant les années et le calendrier des vacances scolaires, a lieu le lundi après-midi, veille du mardi Gras. Les associations, les écoles et le service des affaires scolaires de la Ville organisent alors communément l'accueil des enfants.

Pour la plupart des habitants et parfois des villages alentour, le carnaval de Pézenas est un élément central des festivités calendaires. Le jour de mardi Gras permet à toutes les générations de se retrouver. Certains regardent le Poulain de loin, comme les plus anciens, alors que les enfants attendent qu'il se pose pour venir le caresser et que les jeunes le suivent au plus près. Toujours ensemble, ils attendent le Poulain le mardi Gras pour lui faire fête. L'après-midi du mardi Gras, les écoles de Pézenas ferment leurs portes, ainsi que de nombreux commerçants.

Plus largement, quand il s'ébruite que le Poulain est de sortie pour tel ou tel événement du calendrier, les habitants sortent dans les rues pour l'accompagner.

Le fort investissement des membres de l'association des Amis du Poulain permet aussi au Poulain de garder sa puissance fédératrice. Le travail de l'association assure à l'animal totémique sa viabilité et l'engagement dans un processus de dynamisation et de créativité remarquables.

Lieu(x) de la pratique en France

 

Le carnaval se déroule à Pézenas (Pesenàs en occitan) (Hérault), en région Occitanie. Le surnom des citoyens de Pézenas est Lous Machous, traduit par « mulets » ou « petits mages ».

Le mardi Gras, le Poulain suit un parcours identique d'année en année. Lors de ses sorties le mardi après-midi ou le mardi soir, il part de la cour d’honneur de l’hôtel de ville de Pézenas. Le parcours de l'après-midi diffère de celui du soir : le Poulain se promène dans des rues plus vastes, plus ouvertes et pouvant accueillir plus de public. Les rues du vieux Pézenas sont réservées au parcours du soir. Le parcours est jalonné d'arrêts, où les porteurs, les musiciens et le meneur font halte dans des cafés. Ces arrêts ont évolué au gré de la fermeture de certains cafés ou des changements de propriétaires.

 

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

Non renseigné

Le carnaval de Pézenas compte cinq journées de fête. Deux journées voient sortir l'animal totémique : la fête de la Saint-Blaise, autour du 3 février, qui marque l’ouverture des festivités carnavalesques de Pézenas, et le jour de mardi Gras.

 

En amont du carnaval

Plusieurs mois avant le lancement de carnaval, les Piscénois s'activent, se retrouvent, se préparent. Chacun attend aussi avec impatience l'apogée des festivités : la sortie de leur animal totémique. Selon des témoignages recueillis : « Le Poulain, je le vis ; rien qu'à entendre la musique, j'ai des frissons. » ; « Quand on entend la musique, on a la chair de poule, on sent sa poitrine prête à éclater. » ; « Il suffit d'annoncer la sortie du Poulain pour faire descendre les Piscénois dans les rues. » [recueillis par Claude Achard, Poulains et bestiaires magiques, Tintamarre, 2011].

Pour certains groupes, la préparation débute bien en amont et parfois dès le mois de septembre. Au mois de décembre, les préparatifs du carnaval s’accélèrent. Certaines rencontres ou répétitions ont lieu tout au long de l'année. Plusieurs groupes sont en charge de l'organisation des différentes journées du carnaval et certains événements sont organisés en coordination entre les différents acteurs.

Les préparatifs du carnaval durent plusieurs mois, s'organisant en fonction des groupes et des responsabilités. Si certaines répétitions, principalement musicales, ont lieu tout au long de l'année, quelques groupes organisent des répétitions régulières dès le mois de septembre, surtout pour le spectacle des Machous.

Les Amis du Poulain anticipent l'organisation administrative de l’événement : réunions de sécurité, dépôt du parcours pour la mise en place des arrêtés municipaux, réunion pour la communication, co-organisation du carnaval des enfants...

 

La fête de la Saint-Blaise

Avant sa réinstauration en 2006, la fête semblait avoir disparu depuis 1883. Le Théâtre des Origines, compagnie théâtrale travaillant à la « restauration » des rituels saisonniers, a permis la revitalisation de la manifestation, en partenariat avec plusieurs associations et acteurs des festivités de carnaval. Depuis 2006, la Saint-Blaise est célébrée chaque année à Pézenas. La manifestation rassemble de nombreux partenaires associatifs (Les Amis du Poulain, les Fadas, la paroisse de Pézenas, l'école Calandreta dels Polinets, les Amis de Pézenas...), mais emporte aussi une adhésion de plus en plus importante chez les Piscénois. Cette journée marque l'ouverture des festivités de carnaval.

Des traces de la fête de la Saint-Blaise se retrouvent dans les festivités piscénoises : selon le chevalier Poncet, Pézenas « avait coutume de faire deux processions la veille et le jour de la Saint-Blaise […] avec pompe et grande réjouissance ». On sortait le Poulain en l'honneur de cet évêque protecteur de la ville. Pour Claude Gaignebet, « saint Blaise est l'une des grandes figures du carnaval, maître des souffles et des âmes qui circulent au mois de février ; lui-même [est un] ermite sauvage et hirsute ». Selon Daniel Fabre, « tout porte à croire que, si saint Blaise règne normalement dans l’Église pendant la messe chantée, Pétasson prend le relais dans l'espace profane. Il ne s'oppose pas au saint (...), mais explicite ses attributs de héros intermédiaire entre le domestique et le sauvage, de gouverneur des saisons, qui meurt comme l'hiver pour permettre au printemps d'apparaître ». Un proverbe piscénois fait état du saint protecteur de la ville : Per Sant-Blasi, la Freg monta sus l'ase. Quand arribèt a la Granja dels prats, se tornèt virar » [« Pour la Saint-Blaise, le Froid monte sur l'âne. Quand il arriva à la grange des Prés, il s'en retourna »].

Le samedi 1er février 2014, dès 15h, la collégiale Saint-Jean a proposé la dégustation de tisanes et de gâteaux de Saint-Blaise et une visite de la chapelle du saint patron de la ville. À 18h30, les Piscénois ont été invités à se retrouver place du Four pour assister à l'habillage des femmes sauvages. À partir de 19h, le charivari a commencé : les femmes sauvages se rassemblent et toutes partent dans les rues de la ville pour aller chercher saint Blaise. À l'église Saint-Jean, le cortège appelle le saint protecteur. Après un refrain musical repris par la population, les portes de l'église s'ouvrent et la tête de l’âne de saint Blaise en sort. Ce dernier est juché à l'envers sur sa monture. Après quelques mots adressés à la population, saint Blaise invite à le suivre pour partir chercher les clés de la Cité auprès des capitols, terme qui désigne les anciens chefs des quartiers, afin de « faire entrer le carnaval dans les rues de la ville ». En 2014, année d’élections municipales, les capitols étaient incarnés par les trois candidats aux élections. Ils commencèrent par refuser de laisser la clé de la ville à « la folie de la carnavaline ». Mais grâce à la ferveur populaire, ils acceptèrent finalement de laisser les clés à saint Blaise.

Tous se sont dirigés ensuite vers le château, afin de voir Aïnaï, la déesse piscénoise, transmettre le tambourin au meneur du Poulain. Selon le prospectus de la fête alors diffusé : « Depuis le IXe siècle (dit le dernier historien piscénois), les hameaux qui ont constitué Piscinae ont choisi le 3 février (jour de la Sant Blasi) pour célébrer la naissance de la cité. C'est sur la butte du château que grandit cette ville. Les Gaulois qui l'ont peuplée l'appelèrent du nom d'une déesse : Aïnaï, la compagne du dieu Pedenu qui veillait sur le Val de Peyne ». Une fois le tambourin remis, il est temps de procéder à la bénédiction du Poulain par saint Blaise. Ce dernier lui offre le vin du pays et le petit pâté de Pézenas, spécialité culinaire piscénoise.

Une fumée, dite « carnavaline », envahit alors la place : le Poulain de Pézenas se réveille et s'ébroue, tandis que la musique du rigaudon s’élève. Le meneur et le Poulain s’entraînent dans un charivari. Les portes du carnaval sont ouvertes.

La soirée se poursuit avec un repas et un bal. Le dimanche, une messe de Saint-Blaise est célébrée à la collégiale Saint-Jean.

 

Le spectacle des Machous

Le spectacle des Machous est inscrit dans les traditions de carnaval à Pézenas depuis 1979. Le samedi et le dimanche avant mardi Gras, certains habitants, réunis au sein de l’association Lous Machous, montent sur la scène du foyer des campagnes et se livrent pendant près de trois heures aux « machades », des sketchs figurant la vie politique locale piscénoise, parfois à des danses ou à des « tas de rugbymen ».

Les places de spectacle sont vendues trois semaines avant le week-end de fête sur le marché et chez certains commerçants de la ville. Le spectacle se joue à guichet fermé. Dans la salle, toutes les générations sont représentées.

À 20h, un groupe d'hommes costumés en femmes, « les ouvreuses », lancent les festivités. Une musique retentit, toujours la même semble-t-il, Attention, mesdames et messieurs !, de Michel Fugain. Dans la salle, tous chantent à l'unisson. Le spectacle dure jusqu'à minuit, voire jusqu'au petit matin pour les plus carnavaleux.

 

Le charivari du lundi Gras

Depuis une dizaine d'années, le groupe Les Fadas (« les fous ») organise le charivari du lundi soir. Ce groupe est constitué de jeunes âgés de 16 à 25 ans. Des musiciens intéressés par les musiques traditionnelles ont eu envie de redonner au lundi Gras piscénois un nouveau souffle. La devise est simple : « Tous en panel ! », l’ancienne chemise de nuit de femme, auquel s’ajoute le bonnet de nuit d'homme. La soirée se déroule en deux temps. La première partie du charivari est consacrée aux danses de carnaval, l'autre temps du charivari est celui de la sortie du Tamarou, sorte de bête monstrueuse poursuivant les habitants, mais dansant aussi à la manière du Poulain piscénois.

Quelques éléments relatifs à cette pratique sont mentionnés dans les Contes dels Balssas de Jean Boudou, auteur occitan du Rouergue : « cette chasse se pratiquait la nuit, après le repas de noces et permettait aux mariés de s’esquiver discrètement pendant que les jeunes s'amusaient aux dépens d'un naïf » (partie « La caça del Tamarre »).

À 21h, la population est invitée à rejoindre les rues de la vieille ville, où se déroulent les danses « traditionnelles » du carnaval piscénois : le Feu aux fesses et la danse des Soufflets. Ces danses sont encore pratiquées, bien que comptant de moins en moins d'adeptes, surtout dans les nouvelles générations. Les chansons ne sont souvent plus connues, sans doute à cause d’un manque d'espace de transmission. Les objets constitutifs de ces danses, tel le soufflet, ne sont plus des objets du quotidien dans la maison. Mais Les Fadas continuent à proposer aux Piscénois ces danses carnavalesques.

 

La bufatièra ou danse des Soufflets

Selon Claude Gaignebet, qui souligne la référence à Molière dans cette danse : « les danseurs […] sont armés d'un soufflet, dont ils se servent comme se servent de leur instrument les matassins de Monsieur de Pourceaugnac ». La danse se présente comme un jeu : les danseurs forment un cercle en se suivant les uns les autres. Le but est de souffler aux fesses de celui se trouvant devant soi.

Les paroles que l'on peut entendre aujourd'hui à Pézenas sont les suivantes : « Bufa-ié al cuol la paura vielha / Bufa-ié al cuol que n’a besonh / Bufa-ié al cuol la paura vielha / Bufa-ié al cuol que n’a besonh / E bufa-ié al cuol / E bufa-ié al cuol / E bufa-ié al cuol » (chant traditionnel de la danse des Soufflets, par Jo Michel, de Castelneau de Guers (Hérault) [« Et souffle-lui au cul la pauvre vieille, et souffle-lui au cul qu'elle en a besoin et souffle-lui ici et souffle-lui là-bas et souffle-lui au cul »].

Selon Claude Achard, dans Poulains et bestiaires magiques, le personnage de la femme âgée revient dans la majorité des chansons de bufatièra : « Probablement, notre vièlha est cette personnification de la Caresma, ou la veuve du Carnaval, appelée aussi “grand-mère” ». Bien sûr, saint Blaise étant le saint patron de la cité piscénoise, le lien entre les souffles, le vent et l'âme est une évidence dans les croyances antiques. Pour Claude Achard : « Blaise mène la file des bufatièrs. Ils recueillent dans leur soufflet les souffles ou les âmes que laissent échapper, non seulement l'âne, bourré d'avoine, mais aussi euxmêmes, nourris de fèves. Ils sont les organisateurs de la circulation des âmes ».

Selon Claude Alranq : « Cette danse est une rencontre carnavalesque entre les morts et les vivants se manifestant notamment par la circulation des souffles, en s’incarnant par des personnages blancs et enfarinés, porteurs de soufflets et impulsant la danse du bufacuol. Ainsi la bufatièra, dansée dans de nombreux villages languedociens et le Tio-tio de Catalogne […] avaient pour but d'engendrer la fertilité et d’animer la circulation des âmes ».

Une autre danse peut être associée à la bufatièra, le Feu aux fesses, dont les paroles sont les suivantes : « Je te parie cent écus / Que tu ne me mettes / Que tu ne me mettes / Je te parie cent écus / Que tu ne me mettes / Le feu au cul ! »

 

Le mardi Gras

Suivant la place occupée dans l’organisation, le mardi Gras ne se déroule pas de la même manière.

Pour les Amis du Poulain, la journée commence entre 9 et 10h, quand les porteurs et le meneur se retrouvent au local afin de préparer le Poulain. Ils se dirigent ensuite dans la cour d'honneur de la mairie, d'où part le Poulain l'après-midi même. Albert Lopez déclare : « C'est l'un des moments les plus émouvants pour moi. On pose le Poulain. Il n'y a pas un bruit. On sait que bientôt ce sera le moment. C'est comme entrer dans une cathédrale. C'est un moment sacré pour moi et je crois pour tous les porteurs, un moment de recueillement ». À 12h, porteurs, musiciens et meneur se retrouvent au local des Amis du Poulain pour un repas traditionnel qu'ils partagent avant le grand moment. « Ce repas est une communion », affirme encore Albert Lopez, « on se retrouve tous. On chante, on boit, on rigole. On forme un tout, un vrai collectif ». Ce repas est préparé par les membres de l'association.

Vers 15h, dans la rue, on entend des pétards et on voit courir aux coins des rues des masques qui se poursuivent. Les portes sont ouvertes, la population rentre au fur et à mesure dans la cour d'honneur. Certains chantent, d'autres dansent, tous ou presque sont costumés. On voit de nombreuses bandes de carnaval et les jeunes portent souvent le panel blanc et de hautes chaussettes violettes de rugby, en hommage au club de rugby local, le Stade piscénois. Mousse à raser, farine, confettis, parfois quelques œufs volent au-dessus de la foule, de plus en plus nombreuse dans la cour. Des poissons ou quelques abats de viande que certains personnages viennent faire renifler à d'autres, selon ce qu'on appelle la « chine », forme de jeu où un personnage entièrement masqué vient susurrer à l'oreille d'un autre une boutade ou une allusion intime sont également lancés.

Tout à coup, la foule se tourne vers l'entrée de la cour d'honneur, d’où une musique se fait entendre. C'est l'entrée des musiciens du Poulain, suivis de près par les porteurs et le meneur. Tous tentent de se frayer un passage jusqu'au Poulain. On prend alors la photographie traditionnelle de l'équipe qui fait danser le Poulain cette année-là. La musique du Poulain reprend, l'animal se lève, le meneur esquisse les premiers pas de danse. Le Poulain commence à bouger alors que tous chantent sa musique. Il saute, avance, recule, revient sur ses pas, surprenant ceux qui le suivent au plus près - les plus vaillants sont placés juste derrière le Poulain - et suivant les ordres donnés par le meneur. Il sort avec peine de la cour d'honneur pour aller cours Jean-Jaurès, où de nombreux carnavaliers l'attendent sur l'artère centrale de la vieille ville. Les porteurs peuvent aussi soulever le Poulain en le maintenant à bout de bras, ce qui provoque des cris de joie dans le cortège. La fête dure jusqu'à 18h dans les rues de la ville.

Certaines personnes regardent le Poulain de leur fenêtre ou de la fenêtre du voisin. Le meneur donne alors la consigne de se diriger au balcon. L'avant du Poulain se dresse, sa tête s'approche et remue de droite à gauche comme pour demander quelque chose. Ceux qui connaissent le rite lancent au Poulain et à l'équipe quelques sous qui lui permettront de boire un verre lors de la prochaine halte. Le Poulain remercie ensuite d’un nouveau geste de la tête.

Dans le cortège, de nombreuses bandes de carnaval et des groupes se constituent très souvent en fonction des affinités, mais aussi des générations. Dans les bandes du carnaval de 2014, on retrouve une bande de femmes, une bande de jeunes rugbymen, une bande issue d'un même quartier… Ces bandes sont costumées sur un même thème, en lien avec l'actualité ou un centre d'intérêt commun. Selon Daniel Fabre, « la vitalité de carnaval se fonde sur cette capacité d'organisation populaire : dans la fête, les groupes constitués viennent inscrire leurs barrières mais sur un tout autre registre. Ils y expérimentent la qualité de leur lien, ils composent des scènes où le désir se déploie, ils revivent leur solidarité sur le mode fantasmatique » [La Fête en Languedoc, Toulouse, Privat, 1977]. À Pézenas, même si certains déclarent que les bandes de carnaval « ne sont plus ce qu'elles étaient », on peut tout de même voir de nombreux groupes constitués selon des codes communs.

Une bande particulière est celle des « cornes », composée d’une dizaine de membres, masqués de manière à ce qu'on ne les reconnaisse pas. Plutôt jeunes, ils portent une paire de cornes de bœuf qu'ils brandissent au-dessus de la foule. Certains tiennent de manière discrète une corde, « fil directeur de leur folle procession ». On les entend chanter : « Si tous les cocus portaient des clochettes, / Des clochettes au cul, on ne s'entendrait plus ! ». Pour Daniel Fabre, à propos de la corde : « Ils en entourent les hommes mariés et rendent ainsi toute fuite impossible. Dès qu'ils vous ont saisi, ils chantent, tout en vous faisant sauter très haut. […] Une fois l'épreuve subie – elle s'accompagne des attouchements les plus castrateurs ! – le cocu reçoit un verre à boire ».

Même ceux qui regardent au balcon ne sont pas laissés pour compte : « Les cocus sont au balcon don-daine, / Les cocus sont balcon don-don. / Ce n'est pas une illusion don-daine, / Ce n'est pas une illusion don-don. ». Même si l'on doute que ce ne soit que des jeunes hommes nouvellement mariés qui soient appréhendés par le groupes des « cornes », à l'heure actuelle, ce rite de carnaval prend racine dans les « cours coculaires » très présentes en Languedoc, rites carnavalesques qui correspondaient à un jugement annuel, avec une parodie de tribunal ou un défilé sur l'âne pour les victimes, les jeunes mariés de l'année. Selon le règlement de la Cour coculaire, « tout homme nouvellement marié devra monter sur l'âne depuis son domicile jusque celui de son voisin ».

 

Après trois heures de charivari dans les rues et deux pauses des Amis du Poulain dans des cafés situés sur le parcours, le Poulain est ramené dans la cour d’honneur en attendant 21h, où il sort pour un dernier tour de ville. Les groupes se retrouvent au café ou chez les et les autres. À 21h, dans la cour d'honneur de la mairie, l'ambiance est différente de celle de l'après-midi. Beaucoup des carnavaliers ont enlevé les costumes et les masques pour endosser les panels. Les familles avec enfants, très présentes l'après-midi, ont laissé la place à des groupes d'amis. Une forme de tension se fait sentir, le défilé est d'ailleurs plus sauvage que celui ayant eu lieu quelques heures plus tôt. Les rues sont plus étroites, la foule se retrouve serrée, bousculée pour son plus grand plaisir. Au fur et à mesure que l’heure tourne, certains disent tristement : « C'est bientôt la fin », « On va le ramener », « Vivement l'année prochaine ! ».

Aux alentours de 23h, le Poulain se dirige vers le local qui l'abrite. Toute la population l'accompagne, en chantant, en criant. Certains tentent d'entonner Adieu, paure Carnaval, la chanson que l'on chante traditionnellement quand on rentre le Poulain. Mais beaucoup ne la connaissent plus : les paroles sont en occitan. Les portes du local mettent du temps à se fermer devant la population désolée que sonne la fin du carnaval. La musique continue à retentir longtemps, mais lentement les portes se ferment derrière le Poulain, jusqu'à l'année suivante. Le refrain de la chanson Adieu, paure Carnaval est : « Adiu paure, adiu paure, / adiu paure Carnaval / Tu te'n vas e ieu demòri / Adiu paure Carnaval / Tu t'en vas e ieu demòri / Per manjar la sopa a l'alh / Per manjar la sopa a l'òli / Per manjar la sopa a l'alh / Adiu paure, adiu paure, / adiu paure Carnaval ». [« Adieu, pauvre, adieu pauvre/Adieu pauvre Carnaval/Tu t'en vas et moi je reste/Adieu pauvre Carnaval/Tu t'en vas et moi je reste/Pour manger la soupe à l'ail/Pour manger la soupe à l'huile/Pour manger la soupe à l'ail/Adieu pauvre, adieu pauvre/Adieu pauvre Carnaval »].

 

La répartition des rôles autour du Poulain

Toute une équipe se retrouve autour du Poulain de Pézenas. Chaque membre est nécessaire à l’accomplissement du rituel. « Le Poulain sans la musique c'est impossible et le Poulain sans les porteurs, ça ne fonctionne pas non plus ! », déclare Albert Lopez, ancien meneur du Poulain. On comptabilise aujourd'hui un meneur (dit l'Hermès), une vingtaine de porteurs potentiels et 23 musiciens : douze fifres, huit tambours, trois bombes.

 

- Le meneur

Le meneur est celui dont le rôle est apparent : « faire le simulacre d'offrir au Poulain, en dansant, de l'avoine dans un tambour basque ». Mais la fonction du meneur est bien plus large que cela. Il est celui qui guide l'animal et les porteurs, dont le champ de vision est très restreint : seuls les porteurs placés à l'avant de l'animal peuvent voir à travers de toutes petites fenêtres. Un ancien meneur, Paul Valette, affirme : « Le Poulain avait une volonté propre et n'obéissait que très imparfaitement ». Le meneur veille aussi à ce que tout se passe au mieux entre l'animal et la population. Certains spectateurs distraits se trouvent parfois sur le passage de l'animal, source de collisions. Le meneur, pour Claude Achard, veille aussi avec « amour et dévotion » à l'entretien de l'animal, de ses accessoires et des mannequins « Estieino et Estieineta ». Le rôle du meneur pourrait être apparenté à celui d'un guide : guide du Poulain, des porteurs, mais aussi de la population qui suit ses impulsions, ses décisions. C'est un personnage public à Pézenas. Il entretient avec l'animal une relation particulière. Certains meneurs, dont Paul Valette, ont marqué l'histoire : « Avec Jalade [meneur du Poulain de Pézenas dans les années 1950], il y avait ce côté sacré du danseur du Poulain. Quand on voyait Jalade dans la rue, c'était Monsieur Jalade, celui qui fait danser le Poulain. C'était pas n'importe qui ».

Le meneur du Poulain de Pézenas est également surnommé l'Hermès. Pour Claude Alranq, « l'Hermès est certes une divinité grecque, messager des dieux, gardien des routes, des carrefours et des espaces entre les terres sauvages et les terres civilisées (en latin, Mercure est très associé aux différents négoces, commerciaux mais aussi sacrés ; la plus vieille voie de Pézenas porte encore le nom de via Mercadala), mais il est aussi le meneur du bouc dans les défilés d'inspiration dionysiaque. En occitan, ermas ou armas signifient aussi “terre sauvage, non cultivée”. En espagnol, hermandad signifie “confrérie” ». La symbolique pourrait s'approcher d'une conception chamanique de la fonction du meneur comme protecteur, symbole d'un lieu lié aux éléments naturels.

Claude Achard parle de « famille de meneurs » : « Dès les premiers noms de meneurs (1660) que nous possédons, nous pouvons constater que ces personnages appartiennent à la même famille ». Les meneurs possèdent en général un surnom. Un des meneurs fameux est Francis Auran, dit Pampille, qui mena le Poulain de 1968 à 1995. Son neveu, Stephan Briard, dit La Brille, prit la relève en 1995. Finalement, Albert Lopez assura la fonction en 1996, puis de 2000 à 2014. En 2014, la passation du rôle se fit entre Albert Lopez et Fabrice Garcia, dit Fafa.

 

- Les porteurs

Neuf porteurs sont cachés dans le ventre du Poulain, mais ils sont vingt à pouvoir prendre cette place et à remplacer au besoin un ou des porteurs lors des événements. Pour Albert Lopez, « à l'extérieur on ne voit que l'animal mais en dessous c'est un vrai collectif ; on est obligé de fonctionner tous ensemble, en cohésion ». Pour Jérôme Fuentes, « porter le Poulain c'est viscéral ; on le fait avec les tripes ».

La fonction des porteurs est particulière. Ce sont les hommes de l'ombre, mais tous s'accordent à dire que vivre la fête à l'intérieur de la bête est une expérience indéfinissable. « On entend les gens, la fête, mais ils sont à l'extérieur. Nous, on est dedans et on est comme transportés dans un autre monde. La douleur physique est intense, mais la musique et le rythme des pas nous donnent une puissance supplémentaire. »

Trois porteurs devant, trois au milieu, dont un a la charge de faire vivre la tête, et trois à l'arrière sont nécessaires pour porter le Poulain, qui pèse environ 360 kg. À l'intérieur, les porteurs sont sanglés grâce à des harnais de portage, afin de mieux encaisser le poids de la bête. Tous marchent du même pied, afin de suivre un même rythme. Pour le mardi Gras, deux équipes peuvent se relayer entre l’après-midi et le soir. En fonction de la place occupée, le porteur n'a pas la même responsabilité que les autres, toutes les places permettant toutefois la cohésion globale de l'équipe.

Claude Achard affirme que l'anonymat des porteurs est complet avant 1783. « Grâce aux cahiers de capitation, nous obtenons quelques noms... Les sobriquets laissent supposer des personnages d'origine très populaire ». À partir de 1962 sont conservées des listes complètes de porteurs. Aujourd’hui, beaucoup des porteurs sont rugbymen, mais ce n'est pas une condition obligatoire pour être porteur : il s’agit surtout de forme physique et d'endurance, qualités nécessaires pour ces postes. Certains d'entre eux parlent d'une forme d'initiation. Effectivement, être porteur n’est pas un apprentissage immédiat. Tout un processus se met en place lorsqu’un jeune homme marque le souhait de porter l'animal.

 

- Les musiciens

Ils sont de vingt à vingt-cinq autour du Poulain de Pézenas lors des fêtes de carnaval, mais aussi lors des sorties à l'extérieur. Pour les fêtes de mardi Gras, certains musiciens se joignent au cortège musical. Ils ne participent pas tous quotidiennement à la vie de l'association Les Amis du Poulain : mardi Gras est un rendez-vous des praticiens de la musique. Certains sont partis travailler loin de Pézenas, d'autres ont des vies qui ne permettent pas de suivre le Poulain dans ses sorties à l'extérieur, mais jamais ils ne rateraient la sortie de l'animal totémique pour le carnaval.

Les musiciens sont essentiels à la vie de l'animal totémique, permettant la danse du meneur, marquant le rythme des pas du meneur et créant derrière le Poulain l’énergie de toute la communauté. « Sans musique, pas de Poulain » déclare Albert Lopez. D'ailleurs, on peut entendre parfois aux coins des rues ou dans certaines maisons un tambour ou un fifre qui s’entraîne. Dès que la musique du Poulain retentit, certains s’exclament : « On sent que carnaval arrive, que le Poulain va bientôt sortir, ça sent la fête ! », et tous entonnent alors dans le café la musique du Poulain.

 

La musique

Du xive au xixe siècle, l'instrument communément utilisé lors des pratiques populaires du Bas-Languedoc était le aubòi (hautbois) du Languedoc, instrument dont on trouve la trace « dès les premiers textes ». À partir de 1768, les fifres s'imposent comme instruments de référence dans les sorties du Poulain. En 1892 sont introduites les grosses caisses. Depuis cette période, grosses caisses, fifres et tambours accompagnent l'animal dans toutes ses sorties, à Pézenas ou à l'extérieur.

Tout au long du xixe siècle, la tradition du fifre est maintenue, mais elle risqua disparaître au xxe siècle : un seul fifre (Gérard Montfort) jouait encore vers 1970. Un peu plus tard, à l’occasion des fêtes de carnaval, des musiciens vinrent spontanément en renfort. Certains musiciens locaux, tel Joseph Michel (de Castelnau), jouant lui-même du fifre et du hautbois, ont initié à la pratique instrumentale de nombreux jeunes, permettant ainsi la revitalisation de la pratique.

L’Air du Poulain, ou Lo Polin, constitue à lui seul le répertoire de fifre au carnaval de Pézénas. Il comprend une entrée au tambour (appel), l’air à proprement parler, en sept parties (l’une d’elles rappelle la Carmagnole ; une autre, l’Air du Camel de Béziers), puis un rigaudon et un battement final de tambour. À ce répertoire, il faut ajouter la danse du Soufflet, la danse du Chevalet, la danse des Treilles, ici joués au fifre ; la danse du soufflet l’est encore.

À l'heure actuelle, on dénombre douze fifres, huit tambours et trois bombes. La transmission de la musique du Poulain est assurée au sein de l'association. Certains musiciens professionnels, tels qu’Alain Charrié, Jean-Michel Lhubac ou Christian Coulomb, contribuent fortement à ce que vive la transmission musicale autour des animaux totémiques et des fêtes de Carnaval. Ils réalisent un travail de terrain de réactualisation et de sensibilisation remarquable.

 

La danse

Certains parlent de danse, d'autres n'emploient pas le mot. Claude Achard signale à ce sujet « une querelle entre les Anciens et les Modernes ». Tous s'accordent cependant à dire qu'un changement s'est opéré entre le pas autrefois utilisé par le meneur, appelé le « sissòt », et une danse plus vive qui aurait été introduite par Francis Auran. Il est important de parler du « rigaudon » qui ponctue l'évolution du totem, marquant un changement musical et engendrant un pas différent pour tous. Il s'agit alors pour le meneur de lancer les jambes en rythme, le plus haut possible. Les meneurs positionnés sur les extrémités à l'intérieur de la bête lèvent les jambes à l'identique. La population fait de même.

Outre la danse du meneur, la population aussi chahute, bouge et saute derrière le Poulain. Les plus courageux qui suivent le Poulain collés à son train se tiennent souvent par les épaules, formant ainsi des bandes qui ne se séparent que lorsque l'animal recule. D'autres danses animent les festivités de carnaval, comme la danse des Soufflets, le Feu aux fesses, les farandoles…, mais ces danses s'apparentent plus largement aux fêtes carnavalesques.

 

Les représentations culturelles des animaux totémiques

Les animaux totémiques sont de forme, de taille et de poids variés, selon leur mode de fabrication, de transport et de manipulation. La reproduction à peu près fidèle, quoique stylisée, de l’animal peut évoluer jusqu’à une invention libre, soit par hybridation comme le Bœuf volant (Buou-Volaire) de Saint-Ambroix (Gard) ou le Tamarou (lo Tamaró) de Vendargues (Hérault) (tête de lapin, corps de hérisson, ailes de cigale), soit par extraction d’un élément comme le Cocairòs de Saussan (Hérault), nommé d’après sa coa (queue).

Placés au sein de la structure, les porteurs, assez souvent masculins et issus de l’équipe de rugby locale, font avancer l’animal lors des déambulations. Ces bêtes mythiques possèdent en général une tête mobile qui s'allonge et se rétracte, animée par l’un des porteurs. La gueule est souvent mobile elle aussi, permettant le claquement de la mâchoire, la « gnaque ». Tous entretiennent une mobilité codée, « objet simultané de la peur et de la dévotion ». Ces animaux-totems sont précédés d’un meneur et accompagnés par des groupes de musiciens qui jouent une mélodie répétitive, propre à l’animal. Le nombre de porteurs dépend de la taille de la construction, dont le maniement mobilise des savoir-faire spécifiques.

Les figures des animaux totémiques, parfois gigantesques, constituent les acteurs principaux de grandes fêtes populaires, préparées avec la participation active des habitants pour lesquels elles conservent une importante valeur symbolique. Les processions diffèrent d’un lieu à l’autre, mais chacune obéit à un rituel précis. Ces manifestations témoignent encore et toujours d'un dynamisme remarquable. D’autres animaux totems sont adjoints à certaines de ces manifestations. Parmi eux, le plus courant est le Chevalet (lo chivalet), sorte de monture maintenue à la taille du danseur. Les autres danseurs (cibadier, fabre, desmoscaire) miment la domestication du cheval-esprit-sauvage.

 

L'âme collective des animaux totémiques

Tous les animaux totémiques animent les fêtes saisonnières (carnavalesques, religieuses ou votives) à travers des rituels liés aux légendes (mythologiques ou contemporaines) qui fondent leurs origines.

Les cérémonies qui motivent la sortie du totem ont une fonction initiatique, soit parce que c’est une forme d’exploit pour les jeunes gens que de les porter ou de les affronter, soit parce que la force symbolique permet de jouer à exorciser les maux de la Cité et d’en réconcilier les habitants, toutes classes sociales confondues.

S'ils ont perdu leur caractère religieux, les animaux totémiques continuent de représenter la mémoire collective, l'identité locale ainsi que l’invention constante des communautés. Ils sont les symboles de la création collective, qui prend racine dans l'histoire, les mythes, les contes et les légendes locaux. Ils s'adaptent aussi aux changements qui interviennent dans la communauté. Ainsi le Poulain de Pézenas voit ses sorties s’accroître en fonction des fêtes organisées à travers les rues. Il participe au mois de novembre à « Martror, la fête des morts », fête spectaculaire créée à initiative d'un collectif d'artistes-chercheurs souhaitant restaurer des rituels saisonniers, ou à Noël, à l’initiative de la municipalité, où il endosse alors une nouvelle toile rouge.

Les animaux totémiques animent les rues, créant frayeur, joie, bonheur chez les participants. Ils participent des « charivaris », espace de la fête et lieu de sociabilité. À chaque animal correspond son rituel, sa fête et son jeu, sa relation à la communauté, aux porteurs, aux musiciens et au meneur.

Certains animaux totémiques mangent symboliquement les enfants, à l'image du Bœuf de Mèze ; d'autres poursuivent les jeunes filles, comme la Tarasque de Tarascon ; d'autres encore meurent symboliquement pour mieux renaître un an plus tard.

Ils sont à l'image de la fondation, de la conservation ou de la transformation de la Cité.

 

Les animaux totémiques, identités de la fête

L’élément qui rassemble dans une même grande famille les géants, les dragons processionnels et les animaux totémiques est la fête. Tous jouent à travers rues au gré des sorties carnavalesques ou autres manifestations calendaires. La fête donne un sens à l'animal totémique, tout comme l'animal totémique donne un sens à la fête. Ils sont indissociables. Ils sont les représentants de « l’exhibition collective au moment où la société proclame ce qui la fonde ».

Français et occitan

Patrimoine bâti

 

Sans objet

 

 

Objets, outils, matériaux supports

 

Le Poulain de Pézenas forme une sorte de « cage semi-cylindrique, recouverte de toile bleue, dont sort une tête de Poulain placée au bout d'un bâton ». Neuf porteurs sont placés dessous ; un meneur, tambourin à la main, le guide, et des musiciens l'accompagnent. Mais le Poulain est à Pézenas bien plus que cela : il est de toutes les fêtes et de celles qui déplacent les foules.

 

La carcasse

En 1989, à l'occasion d'un voyage en Inde organisé par la Maison des Cultures du Monde (MCM) pour célébrer l'année de la France en Inde, la carcasse en bois de châtaigner a été remplacée par une nouvelle armature en aluminium démontable pour le transport du totem, qui en réduit le poids de moitié. Elle respecte cependant en tous points les caractéristiques de l’ancienne structure, selon la volonté de Chérif Khaznadar, président de la MCM. Les dimensions sont identiques aux anciennes carcasses, à savoir environ 3,60 m de long et 1,60 m de large environ. La largeur du Poulain lui permet de déambuler dans toutes les rues fort étroites du vieux Pézenas. Claude Alranq suggère d'ailleurs que, si la largeur de la structure n'a pas changé, c'est que les rues de Pézenas ont été construites après qu'on y eut fait passer le Poulain. En augmenter la taille serait renoncer à une certaine partie de son itinéraire.

 

La tête

Selon Claude Achard, quelques auteurs du xixe siècle affirment que la tête était « recouverte d'une peau de cheval […], ornée de grelots et de rubans ». On trouve la trace d'une ancienne tête en bois qui permettait de faire claquer la mâchoire pour produire la nhaca, qui désigne, selon Daniel Fabre et Charles Cambreroque, le bruit des mâchoires en train de mastiquer et qui s'applique tout particulièrement aux animaux totémiques. Depuis 1970, faire entendre la nhaca est plus difficile, la tête étant moulée et reproduite en matière plastique. D’un poids total d’environ 20 kg, elle est toujours ornée de plaques de cuivre et d'un collier de cuir de huit grelots.

Un des porteurs la manipule, l'allongeant hors du corps et la rentrant dans les épaules de l'animal. La relation entre la tête de l'animal et le meneur est un élément essentiel dans la danse rituelle. Le meneur tire aussi son énergie du rapport à cet élément « vivant » du Poulain.

 

La robe

La carcasse est recouverte d’une house bleue, parsemée successivement de fleurs de lys, en hommage à la royauté, d’abeilles impériales puis d’étoiles. Depuis la Troisième République, les flancs sont parés des armoiries de Pézenas. La robe du Poulain est régulièrement restaurée pour effacer et raccommoder les dégâts occasionnés par l’enthousiasme des spectateurs, par la fougue du Poulain et par celle de son meneur.

 

Les personnages d’Estieino et Estieineta sur le dos du Poulain

Sur le dos du Poulain trônent deux personnages, un homme et une femme nommés communément Estieino (prononcer « Estienou ») et Estieineta (prononcer « Estienetta »). Pour Claude Achard, on sait peu de choses sur la façon dont on les habillait, si ce n'est qu'avant 1830 leurs habits suivent plutôt une forme de mode. À partir de 1830, ils semblent plutôt « obéir à des prises de positions politiques » : « L'imprimeur Bonnet note, lors de la Caritat de 1839, que le Poulain promène en triomphe un homme du peuple, une femme du peuple ». Vers 1890, les habits d'Estieino ressemblent à ceux d'un jeune marié (redingote et haut de forme). L’habit d’Estieneita se modernise vers 1911.

Même si les habits actuels des deux personnages semblent figés à la fin du xixe siècle et ne suivent plus ni la mode, ni les influences politiques, en 2012, la municipalité de Pézenas a offert aux deux protagonistes des habits rouges de Noël et une nouvelle toile rouge, décorée de flocons de neige, pour l'animal, éléments qui ornent l'animal et les « pépettes » pour les festivités organisés par la Ville lors du « Nadal à Pézenas ».

En 2015, lors de « Martror, la festa dels mòrts », manifestation créée en 2008 par le Théâtre des Origines et organisée en 2015 par le collectif Temporadas, Estieinou et Estieineta ne sont pas montés sur le Poulain. Pour la première fois, deux personnes les incarnent : « Pour fêter les morts, rien de tel que de mettre sur le Poulain des vivants ! », déclare Albert Lopez.

 

Le costume du meneur

Le costume du meneur se rattache aux pratiques d’Ancien Régime. « Les fêtes locales exigeaient que l'on utilisât des rubans de diverses couleurs ». Selon quelques témoignages, tel celui de Violet Alford (1935), le meneur est « maintenant habillé de la tenue de fête blanche, propre au Midi. Mais auparavant, ce personnage était très voyant, en culotte de satin blanc, veste de velours bleu et ceinture-écharpe rose ». Aujourd’hui chaque meneur fait son propre costume, toujours constitué d’une veste et d’un chapeau, mais les couleurs diffèrent en fonction des goûts.

Transmission autour de l'animal totémique

 

Un travail de transmission et de sensibilisation a été initié il y a quelques années sous l'impulsion des associations et du responsable des « arts et traditions populaires » à la Ville de Pézenas (actions et ateliers dans les écoles, dans les clubs sportifs de la Ville, à l'espace-jeunes…) pour améliorer le dialogue interculturel. À l'issue de ce travail de sensibilisation, des jeunes « qui ne sentaient pas légitimes », avaient été intégrés à l'association des Amis du Poulain. Certains membres de l'association regrettent que ce travail n'ait pu se poursuivre, faute de coordination entre les écoles, la Ville et les associations et après le départ du chargé de mission.

Des espaces de répétitions sont mis en place tout au long de l'année : pour les tambours, les rendez-vous ont lieu tous les jeudis. Deux groupes sont organisés : les débutants et les confirmés. Beaucoup d'enfants y participent. Tous clament leur fierté et leur joie de pouvoir, après une année de cours, jouer derrière le Poulain. Pour la pratique du fifre, la transmission est plus informelle. Pendant quelques années, un musicien professionnel a donné des cours de fifre et de hautbois languedocien à l'école de musique municipale. En 2015, faute de soutien et d'inscrits, ces cours n'ont plus eu lieu. Cependant, la transmission du fifre se fait aussi au sein du groupe des Fadas.

Concernant les porteurs, la transmission peut être assimilée à une forme de cooptation informelle. Beaucoup d’entre eux sont issus du Stade piscénois, le club de rugby local. « Pour faire partie des porteurs, il faut bien sûr en faire la demande mais c'est aussi une mentalité, des gens qui se connaissent, qui se retrouvent au café, qui font la fête ensemble... », déclare Jérôme Fuentes. Une bonne condition physique est nécessaire ; un porteur ne peut pas avoir moins de 18/20 ans. « Mais il ne faut pas que des jeunes à l'intérieur ; il en faut aussi qui connaissent bien le fonctionnement, sinon c'est n'importe quoi ! […] Rentrer porteur, c'est une mission, une responsabilité, on a plus de devoirs que de droits et c'est important que tous en aient conscience ». Une véritable transmission s’opère entre porteurs. La démarche est codifiée. On ne rentre pas à n'importe quel poste sous le Poulain, l'apprentissage se fait par conséquent au fur et à mesure de la pratique.

Comment devient-on meneur ? À cette question, Albert Lopez répond : « Ah ça se fait, c'est tout ! ». S’il a pu exister des familles de meneurs, la transmission entre Francis Auran et Albert Lopez n'est pas familiale. En raison de problèmes de santé, Francis Auran a dû laisser sa place à 78 ans à Albert Lopez, qui explique : « Je n'ai pas été bercé dans le carnaval, je n'habitais pas le centre de Pézenas, j'étais un peu à l'écart. Je suis rentrée dans la famille du Poulain quand j'étais en cadet (entre 14 et 16 ans). Puis j'ai été porteur et ensuite j'ai eu envie de danser devant. Il y a eu un vote, j'ai été élu ». En 2014, à la fin du carnaval, Albert Lopez a transmis le tambourin à Fabrice Garcia, dit Fafa, qui devint alors le nouveau meneur du Poulain. Fafa a été responsable des porteurs pendant de nombreuses années, il connaît bien le fonctionnement du Poulain. Il est élu par les membres de l'association lors d'un vote.

Albert Lopez évoque aussi une autre forme de transmission qui se joue depuis plusieurs années et qui a noué entre lui et un jeune homme une relation toute particulière : « Il y a une dizaine d'années, j'étais meneur et à chaque mardi Gras, quand je faisais danser le Poulain, un petit garçon d'environ 5/6 ans était collé à moi. Il ne dansait pas derrière le Poulain. Il me regardait. Il était très sérieux dans son attitude, il ne jouait pas. Il ne faisait que m'observer et attendre. J'ai compris qu'il voulait le tambourin. Un jour, je lui ai donné le tambourin quelques mètres avant que l'on ramène le Poulain dans la cour d'honneur à 18h. Depuis ce jour, c'est devenu un rituel ; ça fait 10 ans et je lui transmets le tambourin de plus en plus loin de la cour d'honneur ». Le jeune homme, Hugo, âgé de 16 ans, explique d’où lui vient cette envie de mener le Poulain : « Petit, ça me faisait rêver ! Quand j'allais au marché avec ma mère, je lui demandais d'acheter des bonbons et je voulais à tout prix en amener au Poulain. Alors, ma mère, elle m'amenait devant le garage du Poulain et, sous la porte, je lui glissais des bonbons ! J'étais très fier de lui donner un peu de ce que j'aimais. Mon grand-père me faisait aussi des blagues. Il faisait sonner le téléphone quand j'étais chez lui et il imitait la voix du Poulain. Il me disait : “Je suis le Poulain Hugo ! Je t'attends ! Bientôt le carnaval ! Tu vas venir me voir ?”. Et moi, j'en revenais pas. Je croyais que c'était vraiment le Poulain ! Et puis, je sais pas, mais le mardi après-midi, je n’arrive pas à faire comme tout le monde, m'amuser avec mes copains, faire une bande de carnaval. Chaque année, je me dis “Allez, c'est bon, cette année, tu vas avec les copains”, mais je ne peux pas. Dès que je le vois dans la cour d'honneur, le Poulain, et que j’entends la musique, alors je me colle au Poulain, sur le côté, et je le suis. Je le garde. Et puis quand on approche du cours Jean-Jaurès et que je sais que peut-être Albert va me donner le tambourin, alors là, j’attends plus que ça ! ».

 

 

Transmission du rituel

 

Le Poulain se vit aussi à l'extérieur de l'association. Lors du carnaval, le mardi après-midi surtout, de nombreux parents ou grands-parents sont présents avec des enfants. Dès que le Poulain est posé, afin que porteurs, meneur et musiciens se reposent, des dizaines d’enfants entourent l'animal, certains voulant lui toucher la tête, l'embrasser, d'autres souhaitant rentrer dans le ventre de l'animal. On voit aussi de nombreux enfants avec des tambours-jouets, tentant de reproduire le rythme de la musique totémique.

Un carnaval des enfants est aussi organisé, permettant à tous les enfants de la ville et des villages environnants de se sensibiliser à la fête. Deux petits Poulains ont été reproduits : celui de l'école Charles-Perrault et celui de la Calandreta dels Polinets. Ces petits Poulains font partie du défilé lors du carnaval des enfants, avec porteurs et meneurs. Ce jour-là, toutes les écoles sont invitées à participer. Cependant, depuis quelques années, on voit des enseignants refuser de venir à la manifestation, souvent par méconnaissance, par peur ou « parce qu'ils ne sont pas d'ici, ils ne connaissent pas la tradition ».

L'association Les Amis du Poulain a une fonction essentielle dans la transmission des rituels autour de l'animal totémique. L'association, née en 1981, a pour but « la sauvegarde de la culture folklorique piscénoise ». Depuis sa création, elle organise des espaces de transmission, de valorisation et de sensibilisation. Quoique les priorités évoluent en fonction des époques et des équipes, les membres des Amis du Poulain sont toujours fortement actifs.

La place des animaux totémiques, tel le Poulain de Pézenas, est dans la rue, où ils symbolisent l'appartenance à une communauté et à un lieu. Mais la rue offre parfois des contraintes auxquelles il est difficile de s'adapter. L'évolution des contraintes urbaines, les législations en vigueur (pour les cafés, les associations...) mais aussi les migrations de populations obligent à procéder à des ajustements dans l'organisation des fêtes.

La vitalité de ces fêtes est encore très fondée sur la capacité d'« organisation populaire ». Ces manifestations sont parfois soumises à des injonctions municipales soucieuses de prestige, ce qui en affaiblit la portée. Mais le soutien des collectivités peut être aussi vecteur de sauvegarde et de transmission quand ces politiques territoriales permettent aux communautés de stimuler l'invention collective et d'en assurer les filiations.

Les animaux totémiques sont mortels, selon Daniel Fabre : « ils disparaissent dès que la jeunesse les abandonne ». Pour Claude Alranq, « les Totems sont comme nous, ils passent et ils trépassent. Là où ils sont apparus, ils n'ont jamais complètement disparu […]. Là où ils furent nombreux, plus grandes sont les chances d'une contagion […]. Là où ils sont isolés, moins nombreuses sont les chances d'un "éternel retour" ». Mais chaque année, il y a encore et toujours des nouveaux venus. À l'origine de la naissance d'un nouvel animal, il y a le rêve, la volonté d'un groupe de personnes, d'associations, d'élus... Partout des formes de transmission voient le jour, par mimétisme de meneur en meneur ou de porteur en porteur, par apprentissage pour les musiciens. Chaque groupe crée sa façon de transmettre ce patrimoine vivant pour le plus grand intérêt des plus anciens.

Ces animaux totémiques sont les signes unanimes, aux yeux des citoyens, de l’« identité de fête ».

La famille des animaux totémiques

 

Les animaux totémiques les plus anciens ont été créés à partir du xvie siècle, tels la Tarasque de Tarascon (Bouches-du-Rhône), le Chameau (lo Camèl) de Béziers (Hérault), puis l’Âne (l’Ase Martin) de Gignac (Hérault) et le Poulain (lo Polin) de Pézenas (Hérault). Les processions les plus anciennes se sont transmises au fil des générations depuis plusieurs siècles, avec parfois quelques interruptions : le Chameau de Béziers fut brûlé à la Révolution puis détruit à deux reprises au xixe siècle, avant de renaître définitivement en 1895 par la volonté des habitants. Mais de nouvelles effigies apparaissent ou réapparaissent chaque année, en référence à des épisodes de l'histoire ou de la mythologie locale, à l'instar du Pélican de Puisserguier (Hérault) en 2012.

Entre les géants du Nord et de Belgique et le bestiaire fantastique de Catalogne se situe un bassin très représentatif des coutumes locales, donnant vie à ce qui est communément appelé les « animaux totémiques », appellation récente et controversée utilisée pour désigner les « bêtes de toile », « dragons processionnels » ou « animaux-jupons » associés à des pratiques festives identitaires.

On dénombre de 60 à 70 animaux totémiques dans le sud de la France, particulièrement représentés dans le département de l'Hérault, qui en compte une cinquantaine. Il est difficile de dénombrer précisément ces animaux totémiques, ces derniers naissant, renaissant, disparaissant au gré des groupes, des associations, des élus et des transmissions, qui leur permettent de trouver place et fonction au sein de la Cité. En cela, ils sont particulièrement représentatifs du patrimoine vivant : les animaux-totems sont soumis à l'énergie des groupes, des fêtes, des réalités socio-politiques des lieux où ils ont élu domicile.

Les animaux totémiques voient l'apparition de nouvelles générations depuis une vingtaine d'années et de nouvelles pratiques se développent afin d'intégrer les nouveaux-venus dans la grande famille des totems. Des baptêmes (batejadas) sont organisés afin que la naissance d'un nouvel animal puisse intégrer le rite collectif et la communauté. Ainsi, les animaux totémiques plus anciens sont invités pour parrainer un nouveau venu, et la famille des animaux totémiques s’agrandit dans un esprit de partage et d'échanges entre les villes et villages. De nombreux rassemblements d'animaux totémiques fleurissent au printemps et se développent de manière croissante d'année en année.

L’origine légendaire du Poulain de Pézenas

 

Pour Claude Achard, les légendes associées aux animaux héraultais seraient des justifications apparues a posteriori, faites de récits qui puisent plus volontiers dans l'histoire que dans le domaine des croyances. Ces légendes auraient donc été conçues et divulguées plutôt par des érudits locaux. Cependant, la population a donné vie et consistance à ces usages ; par la culture populaire, ces pratiques se sont transmises et ont acquis leur audience et leur pérennité festive. À Pézenas, la légende naît en 1701, lors de la visite des ducs de Berry et de Bourgogne. « En 1226, le roi Louis VIII, dit le Lion, venu asservir le Languedoc, séjourne à Pézenas. Lors des fêtes données en son honneur, sa jument favorite tombe malade. À regret, il la confie aux consuls de la ville pour en prendre soin. À son retour de la guerre des Albigeois, le roi, très étonné, aperçoit auprès de sa jument Lo Polin qu’elle avait mis bas et que la ville lui présente, orné de rubans et de feuillages. Pour conserver et perpétuer cet événement, sous l’injonction du roi, la ville fit construire un Poulain en bois dont le destin serait de participer à toutes les fêtes publiques. »

Plus tardive que celle du Poulain, la légende d'Estieino et d'Estienette est aussi liée à la royauté : « En 1622, lors de la visite du roi Louis XIII, dit le Juste, l’un des seigneurs de sa suite, Monsieur le maréchal de Bassompierre (ou peut-être le seigneur de Savignac) veut traverser la Peyne. Il voit une paysanne, jupe troussée, qui s’apprête aussi à gagner l’autre rive. Galamment, il lui offre l’aide de sa monture ; elle monte en croupe et tous deux franchissent la rivière pour entrer dans Pézenas, sous les yeux du peuple amusé. »

De nos jours, les Piscénois contestent régulièrement cette légende. En 1218, Amaury VI de Montfort, fils de Simon IV de Montfort, hérite du Languedoc en pleine révolte. Incapable de conserver son fief, il préfère quitter le Midi, acceptant de céder ses droits sur le Languedoc au roi de France. Raymond VII, comte de Toulouse, est toujours soupçonné par l'Église d'abriter des cathares sur ses terres. Un concile est donc tenu en 1225, où il est déclaré que détruire l’hérésie est une nécessité et qu'une nouvelle croisade contre les cathares est indispensable. Louis VIII est choisi pour diriger l'expédition. Il semble complexe alors que Louis VIII, de retour de croisade, puisse faire fête à Pézenas et que pour honorer son retour, la population puisse offrir au roi l'emblème d'un Poulain. Louis VIII, atteint par la dysenterie, meurt au château de Montpensier en novembre 1226, quelques mois après sa venue.

La légende d'Estieino et d'Estieineta suit le même procédé. Là aussi, Louis XIII arrive dans le Languedoc à la suite du massacre des huguenots en Bas-Poitou et ne veut rentrer à Paris qu'après avoir pacifié son royaume. Il résout d'entreprendre le voyage afin de continuer à éradiquer les révoltes du Languedoc. Les populations sont massacrées, les récoltes détruites et des dragonnades ont lieu. Dans la tradition languedocienne, Estieino renvoie à la Saint-Étienne, fête célébrée au lendemain de Noël, début des festivités de carnaval et durant laquelle le bas clergé pouvait se livrer à des réjouissances populaires. Ainsi à Pézenas, on fait entrer dans l'église un âne déguisé en évêque, accompagné d'une bande de jeunes pouvant chahuter. À cette occasion, on lâchait dans l'église le plus petit des oiseaux : lou chichiri. Celui qui attrapait l'oiseau était proclamé « abbat de jouinesso » (président des jeunes), ce qui lui donnait l'honneur de représenter la jeunesse dans toutes les cérémonies et les débats de la cité. Il se peut qu’Estieino et Estieineta soient le titre porté par les deux jeunes élus qui représentaient la jeunesse piscénoise.

Les acteurs des rituels carnavalesques souhaiteraient qu'une véritable co-organisation des différentes journées de fête soit impulsée par la municipalité. D'une manière générale, les communautés signalent un manque de moyens humains, financiers et d'espaces de transmission, qui pèse sur les conditions de réalisation du rituel festif et ne permet pas toujours son actualisation. Certains témoins signalent aussi le manque de soutien des collectivités territoriales.

La difficile transmission de la langue occitane peut également entraver la mémoire, la perpétuation et donc la recréation des chants liés à certaines pratiques.

Les témoins rencontrés n'expriment pas tous les mêmes demandes quant à la reconnaissance institutionnelle. Quand certains espèrent plus de moyens financiers et humains pour perpétuer la fête, d'autres imaginent des retombées économiques sur toute la ville et ses habitants grâce à un label culturel. Il émerge aussi des réticences quant au processus de patrimonialisation de la fête et/ou de l'animal, considéré comme un risque de fixation du rituel.

Modes de sauvegarde et de valorisation

 

Depuis 2006, le conseil régional du Languedoc-Roussillon (auj. Occitanie) encourage la promotion des cultures occitanes et catalanes dans le cadre de l'appel à projets Total Festum, lancé tous les ans au mois de juin. Ce dispositif, ouvert à tous, a pris en compte la question de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel depuis 2013, en ajoutant un article valorisant les projets prenant en compte les spécificités du patrimoine vivant : « La Région attire […] l'attention des porteurs de projets sur l'intérêt à développer des actions autour du patrimoine culturel immatériel tel que le définit l'Unesco ». Cet appel à projets a déjà permis de créer des animaux totémiques, tel le Tribus Lupis de Cournonterral (Hérault), ou d'aider au financement de rencontres d'animaux totémiques. Cependant, le délai très court entre la date de soumission du dossier (mois de juin) et la saison festive ne permet pas à tous les acteurs de se saisir de cette opportunité. Ce principe de festival ne permet pas non plus d'inscrire des actions durables et quotidiennes. Certaines communautés signalent aussi le besoin d'être accompagnées pour la réalisation et la conception des dossiers administratifs. De fait, comme l'Unesco le préconise, « sauvegarder“ signifie assurer la viabilité du PCI, c’est-à-dire assurer sa recréation et sa transmission permanentes ; sauvegarder le PCI, c’est transmettre du savoir, du savoir-faire et du sens » ; il est donc important que les communautés puissent proposer et se saisir d'outils techniques, financiers et humains qui leur permettront de créer pour elles-mêmes les bonnes conditions de réalisation et d'actualisation de leurs pratiques et d'y être accompagnées.

Le Centre Interrégional de Développement Occitan (CIRDOC) développe depuis quelques années des actions de valorisation de ce patrimoine par le biais d'expositions, de collectages, de projets numériques ( www.occitanica.eu)  et de rencontres.

 

 

Actions de valorisation à signaler

 

Des actions mettant à l'honneur les animaux totémiques ont lieu de manière ponctuelle : publication d’articles de presse ou d’ouvrages, expositions, manifestations festives, rassemblement d’animaux totémiques, autant de formes de reconnaissance de ce patrimoine vivant, qui démontrent combien il est cher aux praticiens, aux érudits locaux et aux communautés. Parmi eux, les travaux de Claude Achard sur les animaux totémiques ont pu contribuer à la (re)connaissance de ce patrimoine. De nombreux artistes (plasticiens, dessinateurs, musiciens, écrivains) s'emparent aussi régulièrement de ce patrimoine, ce qui en démontre toute sa vivacité et contribue à sa valorisation.

Le Poulain de Pézenas est aussi amené à voyager de plus en plus régulièrement. Depuis 1989, où le Poulain a embarqué pour l’Inde avec la Tarasque de Tarascon, afin de représenter une des traditions françaises lors de la présentation des identités culturelles françaises dans le cadre de l’année de la France en Inde, de nombreux voyages et déplacements ont été faits par l'équipe et l'animal. En 2014, le Poulain a accompli 21 sorties.

Depuis 2013, la Ville de Pézenas et l'association Les Amis du Poulain sont membres de l'association France-PCI, créée afin de « promouvoir auprès du public l'esprit de la Convention ainsi que les éléments inscrits sur ses listes ; de faciliter l'échange et le partage d'informations, de connaissances et d'expériences ainsi que les collaborations, à l'échelle nationale et internationale, dans le domaine de la sauvegarde du PCI ; d'être une force de proposition et de réflexion auprès des acteurs du PCI en France et dans le monde ».

 

 

Modes de reconnaissance publique

 

En 2005, les Géants et dragons processionnels de Belgique et de France sont proclamés « Chefs-d'œuvre du patrimoine oral et immatériel de l'humanité » par l'Unesco. Le Poulain de Pézenas est l'un des neuf éléments concernés par cette proclamation, illustrant différents aspects de cette tradition. En 2008, après l'entrée en vigueur de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée par l'Unesco en 2003, les Géants et dragons processionnels de Belgique et de France ont été intégrés à la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

En 2014, le carnaval de Pézenas a reçu le prix Best de l'Agrupaciò del Bestiari Festiu i Popular de Catalogne.

Inventaires réalisés liés à la pratique

 

Non renseigné

 

 

Bibliographie sommaire

 

ACHARD Claude, Poulains et bestiaires magiques, Maraussan, Tintamarre, 2011.

BAUMEL Jean, Le « Masque-Cheval » et quelques autres animaux fantastiques. Étude de folklore, d'ethnographie et d'histoire, Paris, IEO, 1954.

FABRE Daniel et CAMBEROQUE Charles, La Fête en Languedoc. Regards sur le carnaval aujourd'hui, Toulouse, Privat, 1977.

FABRE Daniel, « Le monde du carnaval » (note critique), Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 31e année, n°2, 1976.

GAIGNEBET Claude, Le Carnaval : essais de mythologie populaire, Paris, Payot, 1974.

VAN GENNEP Arnold, Le Folklore français, tome 2 : Cycle de mai, de la Saint-Jean, de l'été et de l'automne, [1937-1958], éd. Paris, Robert Laffont, 1999.

 

 

Filmographie sommaire

 

Le Poulain de Pézenas (Béziers, Hérault), vidéo guide du Centre inter-régional de développement de l'occitan (CIRDOC), réal. Kaleo design, prod. CIRDÒC-Mediatèca occitana / Occitanica. Mediatèca Enciclopedica Occitana En ligne : http://www.purl.org/occitanica/5247

 

 

Sitographie sommaire

 

● Association Les Amis du Poulain

http://lesamisduPoulain.blogspot.fr/

● Association Fifres et tambours

http://fifres-et-tambours.com/

Hugo CROS, membre des Amis du Poulain, joueur de fifre, meneur du Poulain par intermittence

Jérôme FUENTES, président de l'association Les Amis du Poulain, jerome.fuentes@sfr.fr

Albert LOPEZ, ancien meneur du Poulain de Pézenas, ancien président et membre de l'association Les Amis du Poulain

Association Les Amis du Poulain, 5 impasse de l'Oratoire, 34120 Pézenas

Association Les Fadas

Association Les Machous

Collectif Temporadas

Compagnie Le Théâtre des Origines

Rédacteur de la fiche

 

Perrine ALRANQ, ethnologue

 

 

Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé

 

Claude ALBERGE, historien

Claude ALRANQ, chercheur, auteur, comédien

Perrine ALRANQ, ethnologue

 

Lieux(x) et date/période de l’enquête

 

Pézenas, février-mars 2014

 

 

Données d’enregistrement

Date de remise de la fiche: Décembre 2014

Année d’inclusion à l’inventaire: 2019

N° de la fiche: 2019_67717_INV_PCI_FRANCE_00429

Identifiant ARKH: ark:/67717/nvhdhrrvswvk2mq

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : https://www.pci-lab.fr/images/pdf/Tutoriel.pdf

Contribuer Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pézenas

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