Rod lo gèp

Rod lo gèp (en français la chasse des nids de guêpes) est une pratique regroupant les savoirs et savoir-faire relatifs à la recherche et au prélèvement de nids de guêpes papetières, la consommation de leurs larves voire leur vente, sur l’île de La Réunion.

La pratique Rod lo gèp concerne l’ensemble des Réunionnais-ses sans distinction communautaire ou culturelle. Même les personnes qui ne consomment pas ou qui ne vont pas à la chasse sont au courant, en parlent et associent la pratique à l’univers du patrimoine culturel de La Réunion.

Rod lo gèp (en français la chasse des nids de guêpes) est une pratique regroupant les savoirs et savoir-faire relatifs à la recherche et au prélèvement de nids de guêpes papetières, la consommation de leurs larves voire leur vente, sur l’île de La Réunion. C’est une pratique sociale ancienne et populaire. Elle fait partie de l’univers du patrimoine culturel de l’île. Une patrimonialisation qui s’est faite au fil du temps pour devenir un des aspects de l’identité culturelle réunionnaise, notamment dans le champ plus vaste de la gastronomie. Rod lo gèp ne relève pas directement d’une réglementation spécifique. Ce sont des passionnés, le plus souvent des amoureux de la nature qui détiennent les savoirs.

La période pour la pratique est celle où les nids sont à maturité c’est-à-dire courant janvier jusqu’au plus tard, fin avril. Durant cette période, les Rodèr lo gèp (les chasseurs) sont en action.
Cette recherche nécessite des connaissances variées, notamment sur la bonne période par rapport au site de recherche, les zones à prospecter ainsi que les techniques de repérage et de prélèvement des nids susceptibles de contenir des larves. C’est une activité qui peut se faire en solitaire et aussi entre membres d’une même famille ou encore entre amis. La phase de recherche des nids est surtout le fait des hommes, de tous âges et majoritairement issus de milieu populaire ancré dans la ruralité réunionnaise. Les femmes y sont assez rares pour cette phase. On les retrouve davantage présentes pour les moments de partage et de communion en famille et pas nécessairement pour la préparation qui là encore, est plutôt le fait des hommes. Mets prisés des familles réunionnaises, les larves de guêpes sont considérées comme une nourriture délicieuse et sont affectées du nom de « caviar réunionnais ». Une grande partie des habitants-es apprécient ces larves principalement en friture et accessoirement en rougay et kari (manière de cuisiner associant des tomates, des oignons voire du poivre et du sel et d’autres épices). Pour satisfaire cette consommation, les Rodèr lo gèp partent en quête des nids et déploient ainsi tous leurs savoir-faire et savoir-être.

La chasse (autre manière de dire « rod ») est décrite par les Rodèr comme étant raisonnée à savoir que les « bons » chasseurs ne tuent pas les guêpes adultes qui, après l’enfumage, peuvent construire de nouveaux nids à proximité. Ils limitent leurs ponctions aux nids matures (principalement des nids secondaires bien développés), laissant les plus petits nids pour la saison prochaine. Traditionnellement associée à la période du Carême, la chasse aux guêpes suit la consommation et est limitée dans le temps. Cependant, si de nombreux consommateurs cherchent les nids par et pour eux-mêmes, dans leur environnement proche, beaucoup n’ont pas le temps et en achètent à des chasseurs motivés par un revenu substantiel. Il est ainsi fréquent de voir pendant les semaines du Carême, sur le bord des routes, des nids vendus sous forme de guirlandes de nids - les « filets » - au prix avoisinant les 200 € le kilo.

La pratique est répandue sur toute l’île, à basse et moyenne altitude, et se fait en milieu urbain, dans les forêts, les ravines ou encore à flanc de falaise, et enfin dans les Cirques (il existe trois Cirques à La Réunion. Ce sont des résultantes d’effondrement de montagne, des caldeiras devenus pour deux d’entre-elles des communes, Cilaos et Salazie). La pratique est fortement associée à une observation de la nature, à une vie en extérieur, et souvent évoquée comme un lien avec les gramoun (les personnes âgées à La Réunion voire les ancêtres) et avec le tan lontan, période d’une société réunionnaise peu urbanisée (avant les années 1970, 1980 pour l’essentiel).

Concurrentielle dans certains secteurs très fréquentées, la pratique « souffre » de son succès et de la monétisation des nids. L’utilisation des produits chimiques, notamment dans l’agriculture, et une urbanisation trop peu attentive à l’environnement menacent les insectes et les guêpes en particulier. À ceci s’ajoute le dérèglement climatique qui semble modifier la distribution des guêpes (et les habitudes) des Rodèr.

Les guêpes de Rod lo gèp sont des Polistes olivaceus (De Geer, 1773) (Hymenoptera: Vespidae), des guêpes sociales (Polistinés) qui représentent avec les Vespinés, guêpes communes et frelons moins de 1 % des guêpes vraies (Vespidés). On compte plus de 300 espèces et sous-espèces identifiées de polistes dans le monde. Polistes olivaceus est présente sur les trois îles des Mascareignes (Maurice, Rodrigues et La Réunion) et à Madagascar.

La pratique Rod lo gèp concerne l’ensemble des Réunionnais-ses sans distinction communautaire ou culturelle. Même les personnes qui ne consomment pas ou qui ne vont pas à la chasse sont au courant, en parlent et associent la pratique à l’univers du patrimoine culturel de La Réunion. On peut présenter comme suit la communauté :

  • Les Rodèr lo gèp qui sont experts, en conscience et qui tissent un lien écologique avec la nature sont répartis sur l’ensemble de l’île. Ce sont nos interlocuteurs privilégiés. Ils connaissent très bien les comportements des guêpes et les lieux où les trouver de manière efficiente. Ce sont presque des puristes, soucieux des équilibres entre l’Homme et l’environnement. Ils pratiquent pour leur consommation. La pratique est un moment de connexion intime avec l’environnement, d’émulation, mais aussi de partage avec ses proches. Quelques-uns, une minorité, destinent une partie du fruit de leur chasse à la vente.
    Les Rodèr lo gèp sont majoritairement des hommes. La plupart chassent les guêpes depuis l’enfance. Chez les jeunes Rodèr (avant l’adolescence), on trouve indifféremment filles et garçons.

  • Les Rodèr lo gèp occasionnels. Cela concerne une plus grande tranche de la population. La pratique se fait lors d’un pique-nique ou tout simplement pour enlever un nid dans sa cour, son jardin. Les savoirs et savoir-faire sont variée, moins experts. Cette catégorie comprend des consommateurs, des acheteurs voire des vendeurs.

  • Les vendeurs. Ils participent à la pratique en donnant de la visibilité et en faisant le lien avec le milieu urbain par leur vente sur le bord des routes ou vers des restaurateurs qui veulent satisfaire des clients locaux ou en visite dans l’île. Beaucoup sont des Rodèr lo gèp mais pas tous.

  • Les consommateurs. C’est la grande catégorie puisqu’elle concerne de nombreuses familles réunionnaises. Les larves de guêpes se consomment en famille, avec des amis, le plus souvent chez soi et aussi dans quelques restaurants de cuisine créole. Certains, qui ne peuvent chasser les guêpes ou les acheter fraîches, les achètent congelées.

  • Les restaurateurs. L’intérêt de mettre des larves de guêpes sur leur carte est d’offrir un plat prisé et identitaire, flattant des souvenirs d’enfance, entre autres. Certains restaurateurs vont jusqu’à proposer des larves de guêpes achetées à l’import en provenance de Madagascar et/ou d’Asie du Sud-Est (Vietnam). Sur la carte des menus du restaurant, le plat de larves de guêpes est très souvent dans les prix les plus chers (aux environs de 35 €).

Globalement, la majorité des Réunionnais-ses partagent cette pratique comme étant un élément du patrimoine culturel local, indépendamment des croyances religieuses même si, le Carême des Chrétiens constitue un moment particulier pour cette communauté d’amateurs, et même si certaines personnes peuvent être dégoutées ou tout simplement avoir peur des insectes et des guêpes en particulier.

Lieu(x) de la pratique en France

L’île de La Réunion

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

Île Maurice :

Cette pratique y semble récente et encore marginale (constat au moment de l’enquête en 2021) sur l’île Maurice. Les guêpes sont appelées « moutouk ». Des petits groupes de Rodèr réunionnais se rendent en vacances sur place pour les chasser.

Madagascar :

À Madagascar, les nids de guêpes sont également recherchés. Les larves sont consommées localement mais surtout collectées pour être vendues à des Réunionnais sur place ou de passage et exportées congelées vers La Réunion où elles sont commercialisées en supermarché.

Île Rodrigues :

Ces guêpes sont présentes à Rodrigues mais ne semblent pas consommées par les habitants. Ce sont les Rodèr lo gèp réunionnais qui s’y rendent et pratiquent sur place, dans le but de ramener les nids pour les consommer chez eux.

Asie du Sud et Est :

Les larves de guêpes polistes sont consommées et vendues dans leurs nids sur les marchés asiatiques (Chine, Inde, Japon). Peu d’informations sur les activités associées à la pratique (s’il y a recherche dans la nature ou élevage par exemple) sont disponibles.

Amérique du Sud :

Au Mexique, le miel (fait de nectar de fleurs et de miellat d’Homoptères) et le couvain de certaines espèces de polistes sont consommés. Dans le village de Cherán (Michoacán), les guêpes à miel (uauapu) font l’objet d’une grande manifestation rituelle et festive consacrant la nature et ses ressources.

L’essentiel des connaissances relatives à la description de la pratique nous a été transmis par les  praticiens lors d’entretiens individuels et/ou en les accompagnant sur le terrain. Certains  interlocuteurs ont choisi de contribuer tout en restant dans l’anonymat. Ce que nous avons  respecté. Leur position est réfléchie car la pratique oscille entre un fort intérêt patrimonial dû à la  valeur traditionnelle et une représentation approximative quant à sa légalité. Or, la pratique ne fait  l’objet d’aucune réglementation ni pour la réguler ni pour en interdire un quelconque aspect. De ce  fait, les praticiens ne sont nullement hors la loi.

Les nids de guêpes dans l’année

La construction des nids est l’œuvre des guêpes que l’on appelle localement les mères. Ce sont des  femelles sexuées et les premiers nids sont désignés en entomologie comme des « nids primaires ».  Ces nids peuvent comporter une seule fondatrice – dans le langage scientifique, le nid est alors dit  haplométrotique, ou plusieurs reines – la fondation est alors dite pléométrotique. Les nids  primaires sont compacts et peu étendus. On les appelle localement nids bouteilles. Les fondatrices  y pondent leurs premières ouvrières qui vont aider à la construction du nid.

On peut observer ces nids dès le mois de décembre. Plus tard, en janvier, apparaîtront les nids  « secondaires » que les praticiens nomment nids en vanne ou en tarpin. Ces nids sont plus étendus  et plats que les premiers. Ce sont les nids traditionnellement recherchés par les Rodèr. Formés à  partir d’une partie des colonies constituant les nids primaires, ils sont composés d’individus sexués  - une mère ou plusieurs mères - et par des ouvrières, lesquelles pondront des œufs de mâles.  Progressivement, les naissances passent d’une majorité d’ouvrières à une majorité d’individus  sexués, mâles et femelles. Les mâles s’accouplent peu après et meurent. La saison des guêpes se  poursuit en février. Elle est à son apogée au mois de mars et se termine fin avril. Le temps fort de la  chasse et de la consommation se situe dans la Semaine sainte et dans les jours du Carême qui la  précédent quand l’alimentation se doit d’être plus frugale. Les larves de guêpes ne sont pas  considérées comme de la viande. C’est la tradition de les chercher et d’en consommer à cette  période.  

Passée la période de Carême, la consommation et la demande en nids diminuent et les Rodèr  cessent peu à peu de chercher les nids. Parallèlement, les nids se désemplissent avec les naissances  et sont progressivement abandonnés. Fin avril-début mai les femelles sexuées partent hiverner à  l’abri des intempéries et des prédateurs. Elles fonderont les prochaines colonies une fois passée la  saison fraîche (juin à novembre).  

Les saisons peuvent être plus tardives, comme celle de 2021 où plusieurs Rodèr évoquent la  sécheresse de janvier comme la cause principale du retard de la construction des nids cette année là. Les saisons dépendent également des sites prospectés sur l’île. D’après les témoignages, la  saison des guêpes démarre tôt dans l’ouest (en janvier autour de Saint-Gilles, Saint-Leu et Saint Paul, bien que certains aillent aussi à Saint-Paul plutôt en fin de saison), pour n’arriver qu’en  février-mars dans l’est (Saint-Rose). Les chasseurs expliquent ce décalage par l’influence des  températures, en moyenne plus hautes dans l’ouest, et donc plus propices à un développement  rapide des nids que dans l’est qui est une zone tempérée à forte pluviométrie. Dans le nord, la  saison démarre juste après, en mars (principalement dans les Hauts de Saint-Denis et à Sainte Marie). Dans le sud, la saison est habituellement la même que dans l’ouest et donc relativement  précoce.

Trouver le nid

Les connaissances diffèrent selon les individus mais aussi selon les zones prospectées et les  biotopes. De même la présence des nids varie en fonction des années et des lieux. Les Rodèr  habitant le littoral ne chassent pas dans les Cirques (en particulier celui de Mafate), et vice-versa.  Un chasseur du littoral possède des connaissances sur les saisons sur sa commune et les communes  de son littoral, voire plus loin s’il se déplace, alors qu’un chasseur de Mafate connaît surtout les  caractéristiques de son Cirque.

Les nids de guêpes polistes se trouvent surtout en basse altitude, sur le littoral. La majorité se situe entre 0 et 650m d’altitude, bien que d’autres peuvent se rencontrer à plus haute altitude. D’après  les informations recueillies, des nids ont été chassés à la Plaine des Palmistes (1050m) ou dans les  différents Cirques de l’île : Mafate (au Piton Cabris à 1435m, à côté d’Aurère au-dessus de 900m),  dans celui de Salazie (à Bé-Cabot au-dessus de 1000m) et dans celui de Cilaos (à Cilaos autour de  1000-1200m ou à Palmiste Rouge à 900m). En fonction de l’altitude concernée, l’abondance et la  taille des nids varieront. En basse altitude, par exemple au nord-ouest du cirque de Mafate (vers  l’îlet Aurère à 900m, Cayenne et la Rivière des Galets autour de 500m), les nids sont réputés plus  gros et abondants. Lorsque l’altitude augmente, il a été constaté que les nids se font plus petits et  plus rares, la limite étant Roche-Plate à 1100m, d’après certains habitants de cet îlet. Plus haut (au  sud-est du Cirque, vers Marla, à 1645m), les guêpes et leurs nids paraissent absents. 
Outre le facteur de l’altitude, les nids se trouvent dans tous les milieux et reliefs de l’île : en forêt,  sur les falaises, dans les ravines et aussi en milieu très anthropisé tels que dans les jardins ou  accrochés aux bâtiments (gouttières, plafonds de terrasses et balcons, blocs de climatiseurs).

Trouver les nids nécessite donc, selon l’endroit, de grimper des falaises, de marcher dans les  champs de canne, les ravines, la forêt ou la savane, ou de visiter des jardins de particuliers et de  s’adapter également aux conditions météorologiques, qui peuvent changer d’une année à l’autre et  à tout instant dans la journée compte tenu de la multitude de micro-climats sur l’île. Selon un  Rodèr lo gèp de la côte ouest (Saint-Leu), l’année 2019 a été particulièrement chaude, et « cette  année-là, [les guêpes] sont montées un peu plus haut que d’habitude ». Un autre Rodèr en a  observé jusqu’aux Makes (800m) en 2018. Ce qui n’avait jamais été observé auparavant.

Plusieurs paramètres sont évoqués par les chasseurs pour trouver les nids de guêpes.  Premièrement, il y a le lieu prospecté. Celui-ci est souvent connu à l’avance et les Rodèr  fréquentent des sites qu’ils visitent d’une saison à l’autre, depuis des décennies pour certains. Le  lieu de fixation du nid peut être sous une roche, une branche, un buisson, un arbre. Si leur  interprétation de ces sites s’appuie sur des connaissances et des observations empiriques cumulées  sur plusieurs années, la présence des nids ne dépend pas complètement des pratiques de collecte,  comme on le verra. Elle demeure toujours incertaine. Certains sites comptent de nombreux nids  d’une année sur deux, ou sur trois, sans que les chasseurs puissent l’expliquer. La présence des  guêpes et de leurs nids est aussi une question de ressenti individuel (Landrwa ousa i san lo gèp, « l’endroit où on sent la présence des guêpes »), souvent partagé collectivement quand ils chassent  à plusieurs. Les Rodèr sont attentifs à de nombreux indices. Observer une guêpe ne suffit pas. Il  faut croiser les observations. Saisir un ou plusieurs vols directs vers le nid, ou ces vols « lourds » décrits par beaucoup de chasseurs. La guêpe doit être « chargée » avec « au niveau de sa tête une  petite boule avec les aliments qui vont au nid », ce qu’ils nomment de la gomme ou crasse, c’est-à dire du bois gratté sur les troncs pour la construction du nid (sur le nid, ce matériau transformé en  pâte à papier est appelé paille). Le repérage des nids s’appuie sur des observations patientes et  méticuleuses de l’environnement alentour. Mais il faut avoir « le truc », « le coup d’œil » pour voir  les guêpes. Des qualités et des dispositions qui s’apprennent avec l’expérience.  

Le soleil est très souvent évoqué. Les Rodèr observent la zone de chasse, généralement en hauteur,  et cherchent à se placer face au soleil. C’est sous cet angle que les guêpes sont plus facilement  repérables car le soleil fait « briller les mères ». Filantes, leurs silhouettes jaunes se détachent sous  la lumière rasante, idéalement le matin ou le soir. Le vent, à l’inverse, complique la chasse : les  guêpes sortent moins, ou lorsqu’elles sortent elles sont plus difficiles à repérer. Boucaner le nid,  l’enfumer, est également plus difficile et le risque d’un départ de feu peut être jugé élevé. Une fois  aperçues, les guêpes polistes sont difficiles à suivre. Il ne faut pas les quitter du regard lorsqu’elles  descendent dans la végétation, puis essayer de retrouver l’endroit où elles ont disparu en gardant  un œil attentif à leur déplacement. Dans la végétation, il faut les suivre sur un terrain souvent  accidenté, s’arrêter fréquemment pour guetter leurs allers-retours entre le nid et une ressource.  Pour trouver les nids, l’œil doit être exercé et les conditions météorologiques réunies. Cela  nécessite de la patience, de la persévérance, et un peu de chance car il faut être là au bon moment,  certains nids étant dissimulés sous ou dans la végétation. Tous les sens sont tournés vers la chasse  et la concentration est extrême.  

Choisir le nid

Une fois un nid trouvé, il dépend des chasseurs de le prendre ou non. Ce choix dépend de facteurs  d’ordre biologique et socio-économique qui interviennent différemment si le Rodèr chasse le nid  pour en consommer les larves ou pour le vendre. Pour être intéressant, le nid doit comporter assez  de larves. Ce remplissage s’observe avec les larves apparentes dans les loges de papier, mais aussi  au regard du nombre de loges non-ouvertes, les loges dites cachetées. 

La construction des loges par les ouvrières se fait au fur et à mesure de la ponte de la reine. Le  développement du nid est centrifuge. Le couvain (et le nid) au centre est plus âgé qu’en périphérie.  En fin de saison, il en résulte que le centre est vide lorsque les côtés comportent encore des  nymphes, des larves, voire des œufs. La différence entre ces stades se fait visuellement. Les œufs  (ils ne se consomment pas) sont beaucoup plus petits que les larves. D’abord blanches, les larves  prennent une coloration jaune en grossissant. Elles resteront ouvertes jusqu’à la nymphose, puis  seront fermées par un opercule de soie tissé par la larve elle-même. Ces loges et ses opercules  diffèrent selon que l’individu est : un mâle (la taille de la loge est alors maximale), une femelle  sexuée (de taille intermédiaire et blanche) ou une ouvrière (de taille plus petite et grise).

Les Rodèr recherchent les nids les mieux pourvus en larves et en nymphes. Les premières comme  les secondes sont consommées. Les guêpes prêtes à naître sont laissées vivantes, dans le nid la  plupart du temps, puis abandonnés avec celui-ci. Pour qu’un nid soit considéré comme mature, il  faut donc qu’il soit cacheté au centre, c’est-à-dire que ses cellules soient operculées, pour former ce  que certains chasseurs nomment des cigarettes, et donc comporter des larves mais aussi quelques  nymphes visibles (non-operculées).

La taille du nid est un paramètre important, mais pas pour tous les Rodèr. Certains évoquent la  nécessité de laisser grandir les nids pour pouvoir les prendre, ceci selon deux objectifs : avoir assez  de larves à consommer dans le nid mais aussi permettre la résilience de la colonie, par la présence  d’un nombre important d’ouvrières déjà présentes en capacité de reconstruire des nouveaux nids à  côté ou à proximité de l’ancien emplacement. D’autres ne sont attentifs qu’au seul remplissage du  nid, moins qu’à sa taille, comme on le verra.

La forme du nid est un autre critère important pour le prélèvement. Les nids en bouteille,  précédemment évoqués, sont prélevés par certains Rodèr afin de stimuler la formation de nids  secondaires, plus grands et plats. La forme de ces nids secondaires, plus évasés sur les côtés,  pourrait s’expliquer par le plus grand nombre d’adultes ouvrières disponibles. Plus nombreuses  pour un nid secondaire que pour un nid primaire, elles démarreraient plus vite sa construction.  Pour être considérés comme matures, les bords du nid doivent être repliés. C’est pour certains  Rodèr le signe d’un arrêt de la croissance du nid, l’indice qu’il a atteint sa taille maximale.

Noms en créole réunionnais pour les différents stades de développement des guêpes (de droite vers  la gauche) : Zèf → Tit’ gèp → Mwayinn gèp → Gran gèp → Gèp dir 

Concernant la taille des nids, les praticiens utilisent les termes suivants pour les décrire (ici, du  plus petit au plus grand) : croc/dent, ti’ni, mwayin ni, lo ni normal, lé pa vilin (pour dire ce n’est  pas mal du tout), zoli ni, gro ni, tarpin/vanne, planèt. Tous les Rodèr n’utilisent pas ces descriptifs  mais certains termes sont connus sur toute l’île (vanne, gro ni), tandis que d’autres sont des  expressions plus personnelles (lé pa vilin, la planèt), soulignant souvent la satisfaction du  chasseur.  

Outre ces critères biologiques, des motivations plus socio-économiques entrent en jeu lors de la  chasse. En saison, le grand nombre de Rodèr actifs suscite une course aux nids et des collectes  précoces. Quand certains Rodèr choisissent de laisser grossir les nids secondaires qu’ils estiment  trop petits pour pouvoir les prélever quelques jours plus tard ou les laisser pour la prochaine saison  (comme le faisait dans les deux cas les anciens), d’autres, plus opportunistes, préfèrent les prendre  pour les ajouter à leur filet et les vendre. Au regard des prix de vente des nids et de certaines  pratiques peu adaptées, la résilience des colonies dans les secteurs les plus fréquentés par les  chasseurs interroge. La concurrence en saison est telle que chacun garde précieusement ces coins  et préfère chasser seul ou avec un parent.

Technique de prélèvement du nid

Lorsqu’un nid est trouvé et qu’il est considéré comme bon à prendre, il faut le prélever, voire le  décrocher de son support. Gardé par les guêpes adultes, gare à celui qui s’approche du nid sans  précaution ! « Qui s’y frotte s’y pique », avertit un Rodèr. Il faut se préparer à les boucaner, les  enfumer. Les méthodes et matériaux utilisés sont multiples. Il peut s’agir d’un bricolage sur site, ou d’un élément fabriqué chez soi à partir d’une méthode éprouvée, voire « traditionnelle ». L’outil est  formé à partir d’un élément long, la golèt (gaulette ou gaffe en français), qui permet d’agir à  distance du nid (un bâton en bois, une perche, un manche à balai, une manivelle de store, etc.) et  d’un élément inflammable susceptible de produire une fumée épaisse sans flamber (qui « boucane  bien »). Cet élément était souvent un morceau sec de la tige florale d’un choka (ou matchoka, Furcraea foetida (L.) Haw.), un goni (des bouts de sac de jute) ou un chiffon roulé et bien attaché,  mais peut maintenant être très différent (simple bout de carton, récupéré à partir d’une boîte  d’œufs par exemple, ou un tissu comme une vieille pièce de jean roulée en mèche). D’autres Rodèr  enfument les guêpes en soufflant de la fumée de cigarette sur le nid, ou encore à l’aide d’un  enfumoir d’apiculture. Enfin, certains évoquent la possibilité de faire fuir les adultes sans même  avoir besoin de fumée soit en soufflant directement sur le nid soit en passant d’abord leur main  sous leurs aisselles puis en soufflant dans cette main odorante vers le nid. Cela peut sembler suffire  à faire partir les guêpes. Il ne reste plus qu’à prélever le nid sans risque.

Devant le nid, le rôdeur allume la partie inflammable, étouffe les flammes puis approche le  combustible du nid en le plaçant à quelques centimètres. Les guêpes s’envolent alors, affolées. Elles  tournent autour du nid cherchant à fuir ou à attaquer l’agresseur et peuvent former un essaim  impressionnant autour de la zone prélevée. Si le nid est accessible, le chasseur le prend rapidement  à la main ou coupe la branche sur laquelle il est attaché. Lorsque le nid est trop en hauteur, le  Rodèr peut soit grimper à l’arbre, soit utiliser une golèt équipée d’un crochet qui permet de  détacher le nid tout en restant à distance. Le nom de gaulette vient du bois utilisé par certains pour  cet outil, du bois de gaulette Doratoxylon apetalum (Poir.) Radlk., 1887, originaire de Madagascar.  Ce bois pousse très droit et peut servir d’instrument de mesure : une gaulette équivaut à 5m. Une  fois le nid décroché, les Rodèr s’éloignent rapidement du site. 

Transporter le nid 

Pour transporter les nids, les Rodèr utilisent un sac plat tressé en fibres de vacoa, le bertel (ou  bertelle), ou un sac à dos. Certains rapportent les nids chez eux pour dépiauter le nid, c’est-à-dire  pour en extraire les larves. D’autres préfèrent le faire sur place et les conservent alors dans un  récipient, souvent une bouteille en plastique. Cette dernière pratique est surtout liée aux trajets  inter-insulaires, lorsque les Réunionnais chassent à l’île Maurice, à Rodrigues ou à Madagascar.  Les larves sont ramenées à La Réunion, de façon officieuse, par avion ou bateau.

Au cours d’une journée, les Rodèr de guêpes peuvent capturer plusieurs dizaines de nids, en  fonction de leurs motivations et de leurs objectifs. Rod lo gèp demande de l’observation et de  l’endurance tant dans la quête des nids que pour leur capture ou leur transport.

Un autre type de transport est effectué par certains Rodèr : c’est « la transhumance » ou la  translocation des nids et des guêpes. Le nid (et ses occupantes) est transporté seul ou sur sa  branche. L’objectif est de rapporter le nid dans son jardin pour le laisser croître afin d’en  consommer les larves ultérieurement, mais aussi de s’assurer que personne d’autre ne le prenne si  son emplacement initial est fréquenté. La motivation (ou le prétexte) peut être de le déplacer pour qu’il ne gêne plus, s’il est installé trop près d’une habitation, si la personne vivant à proximité est  allergique ou juste gênée par sa présence. Après repérage, il faut revenir la nuit quand les adultes  sont rentrés et immobiles sur le nid. Le nid est décroché au niveau de son pétiole ou transporté sur  sa branche. C’est le moment le plus délicat car les mouvements trop brusques réveillent les guêpes.  Celles-ci peuvent s’activer et remonter sur le bras du porteur. Le nid peut être transporté à pied  vers son nouvel emplacement, ou en véhicule, cette dernière option nécessitant de mettre le nid  dans un sac. 

Conserver les larves 

Les larves sont meilleures fraîches. Lorsqu’elles sont chassées, le Rodèr ne conserve les larves que  très peu de temps. Le plus souvent, elles sont mangées le soir même, en famille. Lorsque les larves  sont destinées à être vendues, les nids sont proposés à la vente le midi ou l’après-midi ou au plus  tard le lendemain. Pour les conserver plus longtemps, on peut mettre les larves, comme les nids, au  réfrigérateur. Les larves subiraient toutefois une perte de saveur.

La consommation étant directement liée à la chasse, son produit peut être consommer sur place, en  forêt, généralement après cuisson au feu de bois. Ce type de consommation ne semble cependant  plus réalisé aujourd’hui. 

Les larves dans l’assiette

La préparation des guêpes fait relativement l’unanimité. Elles sont consommées frites par la  plupart des chasseurs et des consommateurs car « c’est en friture que l’on sent mieux le goût ». Les  larves sont extraites du nid et mises dans un récipient, le plus souvent un bol. Cette étape est  délicate et se fait surtout à la main. Les larves ne sont pas écrasées mais le nid est souvent abimé  par l’extraction. Ceux qui veulent garder les gros nids comme trophée et/ou comme objet de  décoration utilisent un pince pour sortir les larves. 

Pour les frire, certains cuisiniers versent un fond d’eau dans une poêle et attendent que l’eau  s’évapore pour y mettre les larves, une étape qui permet de les chauffer sans les éclater. Une fois  l’eau évaporé, de l’huile de friture est versée et chauffée. Les larves sont retirées de la poêle  lorsqu’elles prennent une couleur marron orangée. Elles sont ensuite égouttées sur un tissu  absorbant. La texture un peu croustillante recherchée nécessite environ 10 minutes de cuisson. Les larves sont aussi mangées crûes. Certains agrémentent les larves de fromage ou d’autres  accompagnements, ce qui « gâte le goût », d’après certains. Aujourd’hui, ceux qui consomment les  larves en forêt le font surtout pour l’expérience plus que pour répondre à un réel appétit. 
Le goût est souvent évoqué comme se rapprochant de celui de la noisette. D’autres l’évoquent  comme simplement « le goût de guêpe », un goût unique. La texture des larves crûes est assez  particulière, l’intérieur étant laiteux lorsque la peau est percée. Le goût se répand alors dans la  bouche. Une fois frites, le premier goût de friture est identifiable, puis s’efface progressivement  pour laisser place au même goût constaté avec les larves crûes, qui reste longtemps en bouche. 

Le créole réunionnais et le français.

Patrimoine bâti

Non concerné

Objets, outils, matériaux supports

Golèt (gaulette) : L’outil est formé à partir d’un élément long, qui permet d’agir à distance du nid  (un bâton en bois, une perche, un manche à balai…). 
Matchoka : tige du choka vert (Furcraea foetida).  
Bertel : sac en feuilles de vacoa. Technique du tressage croisé à deux brins. 

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